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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gisèle Graton-Légaré, “L'enfant inadapté.” In revue CRITÈRE, no 4, juin 1971, pp. 227-230. Montréal: Un groupe de professeurs du Collège Ahuntsic, juin 1971, 263 pp. [M. Jacques Dufresne nous a autorisé le 27 décembre 2022 la diffusion en libre accès à tous et en texte intégral, dans Les Classiques des sciences sociales, de tous les numéros de la revue CRITÈRE, dont il est le fondateur.]

[227]

Revue CRITÈRE, No 4, “Le crime”.
CRIMINOLOGIE

L’ENFANT INADAPTÉ.”

Gisèle GRATON-LÉGARÉ

Travailleuse sociale

Ce numéro sur le crime nous eût semblé incomplet sans la contribution de ceux qui sont, par leurs fonctions de cliniciens et d’éducateurs, en contact direct avec l’enfance inadaptée.

Par leur travail de rééducation, ils s’attaquent au noyau même du problème. Selon le type de pathologie présenté par l’enfant, ou bien ils empêchent l’évolution possible vers la maladie mentale ; ou bien ils préviennent le comportement délinquant qui risquerait de devenir criminel s’il n’était dès l’origine détourné vers d’autres objectifs que la destruction.

C’est en s’attachant davantage à ce second aspect que Mme Gisèle Graton-Légaré, travailleuse sociale, responsable du travail clinique auprès de quatre-vingts fillettes âgées de 5 à 12 ans, dans une institution de rééducation de Montréal, a bien voulu nous livrer ses réflexions.

L’enfant inadapté

Ce n’est pas forcément un enfant qui n’a pas été aimé. C’est un mal-aimé. La caractéristique commune de tous ces enfants : ils haïssent, ils ont du ressentiment contre quelqu’un. Remarquez que ce quelqu’un peut être eux-mêmes !

Ce sont des enfants qui ont eu des douleurs trop grandes par rapport aux satisfactions. Leur authenticité même est touchée. Ils sont incapables de peines ou de joies véritables. Ce sont des enfants qui ont été trompés par leur milieu ou touchés par une épreuve quelconque. Il y a des choses auxquelles ils avaient naturellement droit et qu’ils n’ont pas eues ...

C’est pourquoi ils portent tous une marque ! Quel que soit le travail fait avec eux, ils partent tous cicatrisés. Us devront apprendre à vivre avec cette plaie.

La marque des enfants inadaptés fait qu’ils auront tous des « CRASHES » dans leur vie. Je pense au mot de Cocteau : [228] « Nous tombons tous de notre enfance. Toi, tu t’es blessé en tombant. »

Un autre critère pour les décrire : la démesure. Il y a de la démesure en eux au double sens de manque, d’absence de quelque chose ou, au contraire, de surabondance.

Ce sont des révolutionnaires. Par opposition aux contestataires. Car ils ne détruisent pas pour détruire. Ils veulent raser pour avoir quelque chose de meilleur. Ils sont à la recherche du paradis perdu. Ils deviendront Bonnie et Clyde ou Bobolina ou Ophélie !

S’ils ne sont pas aidés, ils vont tuer. Au sens de mettre à mort : eux-mêmes ou les autres. Leur seule évolution possible : se détruire soi-même ; le but de la vie : l’auto-destruction.

Ils sont dans l’insatisfaction, le désespoir.

Chez les être normaux, le désespoir devient du fatalisme. Mais les mal-aimés ne croient plus aux lois naturelles ni à la vie éternelle. Aussi ne vivront-ils jamais en harmonie (si on peut dire) avec leur désespoir.

Cette absence d’harmonie, on la retrouve aussi dans la forme que prend leur culpabilité. Nous connaissons tous certaines personnes dites adaptées qui refoulent leur culpabilité, qui utilisent leur faiblesse pour en faire une force et poser des actes illégaux.

Les enfants inadaptés ne sont que culpabilité. Leur faiblesse, qu’ils ne peuvent pas utiliser, est leur souffrance. D’où d’ailleurs, souvent, leur maturité précoce.

L’institution

L’institution ne doit être ni une serre-chaude, ni une tour d’ivoire. Elle ne doit pas être une occasion de plus de haïr. Il ne faut pas oublier que les enfants font l’expérience de l’abandon, de la séparation, à des âges où on n’a pas le droit de faire cette expérience.

L’institution ne fait pas de magie ni de miracle. Elle est un milieu où l’on tente de sauvegarder certains secteurs de la personnalité, de dégager et de raffermir ses points forts. Elle montre à l’enfant sur quoi il peut tabler pour ne pas revivre des moments malheureux. Par exemple, sur ses aptitudes à se socialiser si son intellect est atteint.

L’institution donne à l’enfant le strict minimum pour vivre, je dirais même pour survivre. Elle ne donne pas le superflu ...

[229]

L’éducateur

Contrairement à ce qu’on croit couramment, l’enfant ne demande pas à l’éducateur qu’il l’aime, mais qu’il soit bon, vrai. Il demande qu’il soit logique, qu’il ouvre son jeu de cartes. Un enfant-problème met l’éducateur en déséquilibre total. Comme si à la pêche on prenait un chat ! On est ébahi... mais on n’a pas envie de rejeter le chat.

On n’est pas à l'aise avec un enfant inadapté. On joue, on apprivoise, on détourne. C’est une réalité intolérable. C’est pour cela qu’on a le réflexe de se détourner des enfants-problèmes. Parce que la douleur est trop forte ou qu’on en a pitié. Le jour où on est à l’aise avec eux, il faut partir. C’est signe qu’on chavire.

L’éducateur doit être quelqu’un capable de vivre avec ses faiblesses au lieu de vivre contre elles. Si on vit en culpabilité, c’est impossible. À cause de la période de latence qui fait que l’enfant voit en transparence. Etre éducateur, ce n’est pas une question d’âge ou de maturité, ni même d’équilibre absolu.

Il faut que l’éducateur ait le sens du sacré, qu’il soit un agent de transmission du vrai, du beau, du bon. La pitié ne doit pas être le lien entre l’enfant et lui, car la pitié est stérile.

Sa mission : présenter une réalité meilleure, plus belle, authentique.

Ce n’est pas un philosophe !

La rééducation

Rééduquer, c’est supporter, contrôler, renforcir. Ce n’est pas surprotéger, ce n’est pas s’identifier à, ce n’est pas se projeter dans.

Rééduquer, c’est refaire avec, revivre avec. Pour refaire, le mot le dit, il faut défaire pour reconstruire. Cela ne va pas sans douleur !

L’internat de rééducation est donc un milieu partiellement cruel, « un champ de bataille » en miniature où, en situation de groupes, les enfants font entre eux et avec les éducateurs, l’apprentissage de la vie. D’où métier délicat...

Moyens utilisés

Il y a une philosophie du traitement propre à chaque internat de rééducation. On ne peut pas donner la spécificité de chacun ; tout dépend de l’âge, de la pathologie, de l’intellect et du milieu social de l’enfant.

[230]

Disons toutefois que le « programming » devra se rapprocher d’un programme régulier. Il faut utiliser des moyens à la fois différents et très proches des moyens offerts aux enfants normaux.

Les moyens thérapeutiques sont dans le mode de présentation des matières, dans les exigences, dans l’utilisation des résultats. La généralisation n’est évidemment pas possible. Il faut individualiser le programme, mais sans donner à l’enfant l’impression qu’il tombe sur une autre planète !

Sinon, on verse dans la surprotection qui empêchera l’enfant de jamais s’adapter.

Les résultats

Pour être éducateur, il faut être un peu Don Quichotte ! On ne sait jamais comment l’humain va répondre aux ouragans, aux vents, au soleil !

Il y a eu très peu de recherches faites sur la réadaptation des enfants, du moins dans le milieu où je travaille, qui est très récent. Je suis incapable de faire des prévisions.

Mais, quand on travaille de façon honnête, on peut toujours espérer...

Gisèle Graton-Légaré, T.S.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 7 août 2024 6:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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