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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude GAGNON, “Drogue et environnement culturel.” In Revue CRITÈRE, No 5, “L’environnement”, pp. 263-283. Montréal: Un groupe de professeurs du Collège Ahuntsic, Janvier 1972, 293 pp. [M. Jacques Dufresne nous a autorisé le 27 décembre 2022 la diffusion en libre accès à tous et en texte intégral, dans Les Classiques des sciences sociales, de tous les numéros de la revue CRITÈRE, dont il est le fondateur.]

[263]

Revue CRITÈRE, No 5, “L’environnement”.
CULTURE ET ENVIRONNEMENT

DROGUE
ET ENVIRONNEMENT CULTUREL
.”

Claude GAGNON

Professeur de philosophie,
Collège Ahuntsic, Montréal


À propos de l’origine de quelques mots

Une nouvelle expression vient d’être créée dans la langue américaine. Partant du substantif fragg qui signifie en français « fragment », « fragmentation », les américains cantonnés au Vietnam ont fabriqué un verbe. [1] Fragging est en effet l’expression qui signifie désormais dans le vocabulaire militaire de Saigon l’action de pulvériser un supérieur immédiat (particulièrement les officiers et les sous-officiers) en lui lançant une grenade à fragmentation. Action pratique qui atteint son but la plupart du temps en retardant l’heure du combat ; le temps que la haute hiérarchie militaire nomme un nouveau sous-officier. [2]

Parlant de hiérarchie, nous savons tous que les mots peuvent être créés dans les régions supérieures de la pyramide sociale, mais qu’ils sont la plupart du temps créés dans les régions dites inférieures ; c’est-à-dire par le peuple. D’où toute la différence entre un mot décrété par les académiciens et un mot provenant du langage usuel. La première espèce de mot met souvent beaucoup de temps à s’enraciner dans la vie quotidienne ; la seconde espèce en très peu de temps figure dans les dictionnaires. Cela pourrait brièvement s’expliquer du fait que le mot d’origine populaire véhicule déjà un sens appliqué, un sens utilisé parce qu’il s’impose selon la fréquence des événements eux-mêmes. En effet, chaque fois qu’un soldat américain pose cet acte de terrorisme [3] [264] qui consiste à faire littéralement sauter un supérieur militaire, le verbe to fragg entre progressivement dans la langue des individus touchés par cet événement. Et Dieu sait si des événements de ce genre ont de l’impact sur un grand nombre d’individus. Il est assez rare, en effet, qu’une armée au cours de l’histoire ait eu à rencontrer des problèmes de cet ordre à une si grande fréquence. Et c’est là que l’origine populaire de ce terme nous parle. Une expression populaire est toujours en proportion directe avec l’actualité et la fréquence d’un fait ou d’un événement. Le peuple ne crée pas d’expressions courantes pour des phénomènes qui ne sont pas courants. Plusieurs armées ont sans doute connu une contestation violente par la base, à un moment ou l’autre, de la part d’un groupe de combattants. Mais il ne s’agit pas, dans l’armée américaine, d’un phénomène isolé ou temporaire mais bien d’un comportement fréquent ; assez fréquent pour qu’une expression verbale usuelle existe. La fréquence du fait supporte l’actualité de l’expression. Le fragging de Mai Loc dont il est question dans le journal du matin n’est qu’un exemple d’un type d’action actuellement en vogue croissante au Vietnam. Les fragging, de l’aveu même du commandement américain, sont de plus en plus nombreux et ils seraient dûs au climat désastreux du moral qui existe dans les troupes américaines. [4] Moral abaissé en grande partie par l’absorption grandissante de drogues par les militaires « de service » [5]

Le climat du Vietnam est en effet plus que propice à la pousse sauvage du chanvre (canabis indica). [6] Et il semblerait, par l’usage que les combattants en font, que la drogue les aiderait à accomplir leur « tâche » : « (...). Le capitaine Stanton a également révélé qu’un soldat sur six a déclaré fumer habituellement la marijuana, c’est-à-dire au moins deux cents fois par an (...). Plus de 53 pour cent des militaires (...) ont dit avoir essayé la marijuana à une certaine époque de leur vie. La moitié ont fait cette expérience au Vietnam (...). Le capitaine Stanton a également révélé aux sénateurs qu’on « fume légèrement plus la marijuana dans les régions où l’on se bat le plus » [7]

[265]

Serait-ce que l’absorption de chanvre aide l’individu à accomplir des actes difficiles, celui de supprimer des villages entiers par exemple ? Cela répondrait au moins à la logique du verbe. Le terme « assassin » ne vient-il pas du mot « hachischin » qui signifie consommateur de hachisch ?

... Le cannabis ou chanvre était connu dans la Chine, l’Inde et la Perse antiques, et se trouve mentionné dans les littératures religieuses grecques et assyriennes datant de 1000 avant J.-C. Dans la religion hindou, le cannabis considéré comme une plante sainte tirée de l’océan par le dieu Shiva, était recommandé comme un apport favorable à la méditation religieuse. Par la suite, dans les cercles mahométans, il fut considéré par quelques sectes comme une émanation de l’esprit du prophète et encore plus tard, devint un véritable dieu dans quelques tribus d’Afrique centrale. Le chanvre se maintint en Inde et dans le Proche et le Moyen-Orient pendant tout le Moyen Age. Dans le nord de la Perse, au Xle siècle, le cannabis devint l’agent d’influence d’une secte Ismaïlite Shi’a, société à tendance politique qui se distinguait par le goût avec lequel ses membres perpétraient des meurtres sauvages. Ce fut le plus puissant de ce groupe, un homme nommé Hasan Sabah qui introduisit l’usage du cannabis parmi la bande de meurtriers sous forme de récompense pour le travail bien fait. Cannabis et femmes consentantes étaient offerts avant et après l’exécution des ordres. Les fidèles de la secte d’Hasan pouvaient ainsi acquérir un mépris fanatique de leur propre vie aussi bien que de celle d’autrui.

La célérité et la joie avec laquelle ils supprimaient leurs ennemis politiques (et toute autre personne qui se trouvait sur leur chemin, comme ce fut le cas pour quelques croisés) avaient fait de cette secte la plus redoutable bande d’égorgeurs de toute la Perse et de la Syrie. Le cannabis, qui avait été révélé par Hasan, prit alors le nom de hachisch ou don d’Hasan et les hommes d’Hasan qui étaient généralement ivres de hachisch devinrent « les hommes qui sont sous l’influence du hachisch », ce qui donna le singulier arabe « hachischin ». Le mot a survécu jusqu’à nos jours sous différentes formes dans plusieurs langues et a donné en français et en anglais, le terme « assassin » et tous ses dérivés... [8]

Or, on peut difficilement s’empêcher d’établir un parallèle entre les massacres opérés au XIe et XIIe siècles par les troupes [266] arabes sous la direction du maître Hasan et les massacres perpétrés au Vietnam par les troupes américaines sous la direction d’officiers du type du lieutenant William Calley. Est-il nécessaire de rappeler que le lieutenant Calley a subi son procès en cour martiale sous l’accusation officielle d’avoir assassiné (meurtre volontaire) au moins 102 civils vietnamiens dans le village de My Lai en mars 1968. [9] Un soldat américain témoin du massacre, Paul David Meadle, après avoir raconté ce qu’il avait fait aux côtés de Calley, s’en est pris à l’armée qu’il a traitée de « monstre à la Frankenstein ». [10] Pour sa part, Calley plaide non-coupable et considère ces accusations avec un regard aussi froid [11]... que celui de Charles Manson. Charles Manson, un autre jeune américain qui, pour sa part, comparaît sous l’accusation d’avoir comploté le massacre simultané de sept personnes, dont une femme enceinte de 8 mois et demi. Et c’est à partir d’une analyse détaillée de ce dernier événement macabre que Jean Stafford explique l’influence déterminante de la drogue et le rôle des pratiques de sorcelleries dans le cas du groupe de Manson. [12]

En ce qui me concerne, la seule différence que je vois entre le massacre ordonné par Calley et celui dicté par Manson est que ce dernier n’existe qu’en de rares exemplaires tandis que l’autre suit la même loi que celle qui prévaut au fragging — la grande fréquence. [13]

[267]

Deux américains dans la vingtaine, deux groupes de personnes qui leur obéissent aveuglement, l’un par soumission aux ordres, l’autre par pouvoir de sorcellerie, disent eux-mêmes les valets de Manson, deux massacres inadmissibles aussi longtemps que l’on n’a pas compris ce qu’est un « assassin » à l’état pur qui accomplit ses assassinats sur l’ordre d’un supérieur.

Sorcellerie et hachisch

Les comparses de Manson ont exécuté ses ordres pendant un voyage au L.S.D. Ce qui m’amène à me demander si l’utilisation de la drogue est un élément accessoire ou primordial dans la pratique de la sorcellerie. Peut-on être sorcier sans intoxication ? Peut-on voyager par les airs sans être drogué pour au moins pouvoir se l’imaginer ? Il faut tout d’abord préciser un détail d’ordre technique. La drogue ne s’absorbe pas seulement par voie orale. Quelques autres voies empruntées sont le nez, les vaisseaux sanguins ou la surface cutanée. En ce qui concerne le nez on en reparlera plus loin lorsqu’il sera question des alchimistes. Pour ce qui est des vaisseaux sanguins, le procédé ne s’est généralisé qu’avec l’apparition des techniques de la médecine moderne (seringue). L’absorption par la surface cutanée, surtout les régions érogènes, paraît-il, est une méthode très courante dans les cultures préscientifiques. Voici donc quelques témoignages et opinions sur l’onguent dont s’enduisaient les sorcières du Moyen-Age dans leurs préparatifs de « départ » pour le sabbat. Tout d’abord, Grillot de Guivry, dans son étude sur les différents savoirs magiques, nous informe sur l’importance de cet onguent dans l’acte de sorcellerie. « La possession de l’onguent, sans lequel le voyage à travers les airs n’était pas possible, était un secret particulièrement précieux et difficile à obtenir ». [14]

[268]

Mais cet onguent était-il une drogue à proprement parler ? Sans aucun doute. Le même auteur, nous relatant les préparatifs du Sabbat, parle à maintes reprises de la préparation des drogues que les sorcières s’appliqueront mutuellement avant et afin de partir. [15]

D’ailleurs cette opération doit être l’une des causes pour lesquelles la sorcière se doit d’être nue... afin de se faire frotter d’onguent le dos, la poitrine et les autres zones cutanées sensibles et absorbantes. [16]

Quelle est la nature de cet onguent ? Voici ce que nous en dit le critique d’art Jean Basile. « Lisant un livre consacré aux sorcières (nous sommes au moyen-âge), j’y ai trouvé la recette d’un onguent dont elles s’oignaient avant d’enfourcher le manche de balai qui devait les conduire au SABBAT, VOYAGE comme un autre. Or pour un œil de crapaud, du sperme de rhinocéros, quelques herbes rarissimes cueillies naturellement sous une lumière de lune, on découvre dans la recette qu’il faut y ajouter 250 grammes de hachisch. On comprend mieux ce qu’était le VOYAGE dans le ciel en pays de Sabbat ». [17]

Jules Garinet, dans La Sorcellerie en France, décrit l’expérience de la sorcière en termes qui sont loin de contredire les avancés précédents : « Ils se frottent (de l’onguent diabolique), ils se couchent ; les songes leur présentent des cérémonies du sabbat. Ils se lèvent, ils s’entredemandent et s’entredisent ce qu’ils ont vu ». [18] Cela ne ressemble-t-il pas en tous points à une séance de hachisch ? De toute façon, cette recette contenant du hachisch n’est pas la seule. Collin de Plancy nous en décrit une autre assez intéressante dans son Dictionnaire infernal : « Onguents : il y a plusieurs espèces d’onguents, qui ont tous leur propriété particulière. (...) ... on en fait un avec de la racine de belladone, de la moelle furieuse, du sang de chauve-souris, [269] du sang de huppe, de l’aconit, de la suie, du persil, de l’opium et de la ciguë ». [19]

Ces onguents, les sorcières ne les gardaient pas que pour elles. Quelques curieux, artistes ou vilains ont sans doute pu s’en procurer à un moment donné. Et c’est ce qui expliquerait, par exemple, selon certains, l’univers pictural d’un Jérome Bosch. « Jérome Bosch (...) a, selon des travaux récents, eu connaissance d’un certain onguent dont la reconstitution a été possible. Or, l’effet de cet onguent ressemble à celui produit par le L.S.D. en ce qu’il procure des hallucinations-voyages dans l’espace-temps » [20]. Cette relation entre l’œuvre de Bosch et l’utilisation de produits qui agissent sur l’esprit ne peut être considérée que comme accidentelle ou accessoire. E.L. Masters et Jean Houston, dans une analyse du Jardins des Délices de ce peintre médiéval, montrent très bien la parenté qui existe entre ce tableau et les tableaux de la peinture psychédélique de l’époque contemporaine et des autres époques. [21]

Et y a-t-il univers plus ensorcelé, plus infernal, que celui de Bosch qui a, d’ailleurs, travaillé deux des trois principaux « paysages maléfiques » chers aux sorciers : Le jugement dernier et La tentation de St-Antoine, l’autre étant Le Sabbat lui-même.

Quelques méfaits de la drogue au Moyen-Age

Mais il n’y a pas que les sorcières qui utilisaient tant bien que mal des drogues au Moyen-Age. D’autres « vilains » utilisaient d’autres drogues. Et plusieurs personnes en prenaient accidentellement sans le savoir. D’où la réaction violente à l’expérience et, étant donné le peu de connaissance sur ce sujet à l’époque, l’interprétation erronée que l’on formulait face au phénomène. À ce titre parlant de St-Antoine dans le feu de [270] sa tentation, l’exemple le plus fondé que l’on connaisse d’absorption accidentelle de substances toxiques est sans aucun doute le Feu de St-Antoine dont les synonymes les plus connus sont le Mal des Ardents, le Feu Sacré, (ignis sacer), le Feu Infernal, et la Vengeance divine. Il s’agit, en fait, d’une maladie dénommée gangrène sèche. Mais le Moyen-Age était loin d’être un temps où l’on était en mesure de donner une interprétation scientifique (physicaliste) des phénomènes. Le Moyen-Age est à l’antipode ; donnant une interprétation théologique (spiritualiste) de la plupart des phénomènes connus alors. On ne parle pas du mal des ardents mais bien du Mal des ardents. Le Moyen-Age est l’âge des majuscules. [22] Il ne s’agit pas de maladie mais de Mal tout court, du Mal qui s’oppose au Bien. Ce n’est pas le froid ou quelque autre cause naturelle qui est la cause du mal, c’est le Démon. « La présence du diable dans le corps de l’homme », voilà le diagnostic que tous posent à la vue d’un fiévreux, d’un « possédé » comme ils l’appellent. Aujourd’hui nous parlerions plutôt du délire de la fièvre que du délire de la possession. Question de choix ? Question de culture ? Chose certaine, étant donné l’ignorance de la chimie en ce temps-là et étant donné les manifestations de l’ergotisme, on est plus indulgent envers les exorcismes tentés alors pour chasser la Cause du Mal.

Qu’arrivait-il exactement lorsque quelqu’un était atteint d’ergotisme ? On le sait puisque des épidémies d’ergotisme se produisent encore aujourd’hui quoique très rarement dans les pays où l’on pratique une culture dite hygiénique. La plus récente épidémie est celle du Pont-Saint-Esprit en août 1951. Un brave spiripontain ouvrit sa fenêtre et cria en plein nuit : « Arrêtez, arrêtez, le serpent rouge veut profiter du poteau télégraphique ». Certains de ses voisins virent alors le serpent s’enrouler autour du Poteau vivant afin d’abreuver ses yeux de l’électricité produite par le cri du citoyen. D’autres virent autre chose. En fait, presque tout le village s’était intoxiqué avec une production de pain mal [271] préparé et qui ne tarda pas à être baptisé dans la langue usuelle le « pain maudit ». La mentalité médiévale n’est pas très loin de là et si nos spécialistes en la matière ne savaient pas les causes chimiques du mal soudain et du délire subit de ces citoyens, il est probable qu’on aurait donné une interprétation magique du phénomène.

L’ergot, un champignon parasite (claviceps purpurea) attaque plusieurs graminées dont le seigle. Ce minuscule champignon, lorsqu’il n’est pas éliminé par des méthodes agricoles suffisamment avancées, provoque la maladie de l’ergotisme qui, si elle n’est pas guérie à temps, conduit rapidement à la mort de la personne atteinte. Le malade a froid, puis, à cause des propriétés vasoconstrictrices de l’ergo, les extrémités des membres se dessèchent et tombent. Le malade délire et semble percevoir « autrement » la réalité. [23]

En fait on le sait aujourd’hui, on peut extraire douze types d’alcaloïdes à partir de l’ergot. La substance commune spécifique à ces douze produits s’appelle acide lysergique et est l’élément de base dans la fabrication du LSD.

Maintenant que l’on connaît un peu l’effet produit par l’acide lysergique, on peut comprendre la réaction médiévale face à l’expérience bien involontaire d’ailleurs qu’en faisaient les gens de cette époque.

Mais cette explication biochimique de ce phénomène à répercussions sociales n’explique pas tout. En l’an 1131, une épidémie d’ergotisme, probablement due à des récoltes vite faites, sévit à Paris. Les intoxiqués se réunissent sur le parvis de Notre-Dame. Les Clercs de l’endroit tentent un exorcisme collectif en sortant les reliques de Ste-Geneviève. La magie réussit. La preuve historique est l’élévation, afin de rendre grâce au Ciel, de la Chapelle Ste-Geneviève par les citoyens de la ville de Paris. [24] Une lecture magique des événements serait-elle aussi efficace qu’une lecture scientifique ? À condition que l’on croit soit au Démon, soit à la Science ; tout dépendrait-il de la culture à laquelle on adhère, à laquelle on croit ? Les trois personnes non-guéries par l’intervention de Ste-Geneviève n’étaient-elles pas des incrédules ! Peut-être que les reliques de St-Antoine auraient eu plus de pouvoir ? À moins d’utiliser la recette de l’antidote courante dans la ville [272] d’Arras contre ce mal : [25] « quelques gouttes d’un cierge miraculeux (...) distillées dans l’eau enlevaient le mal des Ardents ». [26]

Mais tout ceci peut n’être qu’une réponse partielle puisque le « pain maudit » de Pont-Saint-Esprit a pu puiser son pouvoir maléfique non pas dans le seigle utilisé, croient certains scientifiques chargés de l’enquête, mais dans l’utilisation d’un insecticide à base de mercure.

Le véritable mercure des alchimistes

Mon propos ne s’inscrit pas dans la querelle classique à savoir si la pierre philosophale, pierre capable de transformer un vil métal en or, existe ou n’existe pas. Elle n’existe pas si l’on entend par le mot « pierre » un corps à consistance physique, une pierre ordinaire. Nicola Valois (alchimiste) nous le dit : « Il est une pierre de grande vertu, dit-il, et est dite pierre et n’est pas pierre... ». [27] Et l’or qu’elle est sensée produire n’existe pas lui non plus par conséquent, car l’or en alchimie véritable (initiée) signifie la lumière et non le métal jaune. [28]

L’alchimie, comme beaucoup le savent, est une pratique dont le sens des expressions hiéroglyphiques [29] est autant disputé que la nature de l’aboutissement réel de la manipulation. Il faut à mon avis éviter de chercher derrière les signes un signifié correspondant à un axe sémantique quelconque. Le problème qui m’intéresse n’est pas celui de la signification mais bien celui de [273] la méthode ; je ne m’intéresse qu’au « comment » laissant à d’autres esprits le « pourquoi ».

Les trois principes de base dans la manipulation alchimique méthodique de la matière sont : le mercure, le soufre et le sel, l’union des deux premiers constituant le troisième. [30] Mais de quel mercure, de quel soufre, de quel sel s’agit-il ? On a opposé longtemps, par une lecture pseudo-symbolique des recettes alchimiques, le mercure des alchimistes et le métal vulgaire qui porte le même nom. On sait aujourd’hui que ce double sens ne met pas en cause deux éléments de nature différente mais bien un élément dont on oppose l’état naturel à un état altéré de ce même élément : « Tous (les alchimistes) donnent à entendre que le mercure vulgaire, purifié, revivifié et animé d’une certaine façon pourrait bien être le Mercure des Philosophes ». [31]

Cette altération de l’état premier du mercure se fait évidemment non par des incantations ou autres paroles de consécration de ce genre mais bien par des opérations manuelles, des manipulations. Les alchimistes en suggèrent plus d’une pour réaliser cette modification du vif-argent [32] en « mercure philosophal » ; [33] les opérations les plus fréquemment suggérées sont la dissolution, la sublimation, la distillation, la calcination et la revivification. [34] Toutes ces opérations se font évidemment au moyen d’un feu. Or le mercure absorbé soit en vapeurs soit en gouttes, constitue une puissante drogue. L’usage est connu. [35]Et volontairement ou involontairement plusieurs alchimistes ont été exposés, parfois mortellement, aux intoxications causées par le mercure. « Des gaz toxiques se dégagent : la vapeur de mercure et surtout l’hydrogène arsénieux qui a tué plus d’un alchimiste dès le début des travaux ». [36] L’hydrogène arsénieux [274] coresponsable de ces intoxications ne serait autre chose que le sel énuméré comme troisième principe alchimique que j’ai cité plus haut. « Le sel ou arsenic qui est comme le « fils » des deux premiers (mercure et soufre) résultat de leurs mutuelles actions et réactions ». [37] Or « l’arsenic solide se prend généralement sous la forme (...) d’orpiment, produit (...) obtenu en chauffant un mélange de soufre et d’anhydride arsénieux ». [38] Et nous savons que le soufre est effectivement utilisé par les alchimistes [39] puisqu’il figure comme deuxième grand principe de cette philosophie qui préférait s’actualiser dans une manipulation réelle de la matière plutôt que dans un discours. Mais l’usage du soufre n’intoxique pas seulement les alchimistes. Les sorcières l’utilisaient aussi et le rapprochement que les intoxiqués faisaient entre l’odeur du soufre et l’odeur du démon pourrait bien venir de là. [40] D’autres fois, le sel est appelé « sel ammoniac » dont nous connaissons les propriétés toxiques. [41]

D’après ces donnés, une explication psycho-chimique du Grand Œuvre me parait sensée. Ne dit-on pas que le Grand Œuvre vise la transmutation de l’alchimiste lui-même. [42]

Dès l’origine de l’alchimie indienne, le Mercure est appelé « celui-qui-confère-le-passage-dans-l’autre-monde ». [43] Une préparation au mercure, consommée par les alchimistes chinois sous le nom de « cinabre », serait un équivalent selon certains chercheurs de l’élixir de longue vie ; élixir que l’on rapprocherait aussi du Soma, la boisson des vieilles religions védiques de l’Inde. [44] Or nous savons très précisément de quoi se composait le Soma. John Cashman, dans son volume, en donne une description [45] qui correspond à celle qu’en donne le Dr Mahdihassan dans son [275] article sur les concepts de base de l’alchimie. [46] Un troisième spécialiste de la question vient renforcer cette description du « breuvage » en publiant des extraits du dialogue rituel entre l’officiant et l’aspirant au voyage vers la lumière dorée. [47]

C’est précisément une évocation de ce produit dont il est question dans Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, écrivain célèbre autant par ses écrits littéraires que par ses écrits sur ses expériences personnelles avec certains hallucinogènes « modernes ». [48]

De toute façon, les alchimistes médiévaux étaient familiers avec plusieurs drogues. Léo Larguier, dans sa vie romancée de l’alchimiste-écrivain Flamel, nous parle des différents objets que celui-ci transporte avec lui : « Je vous suis ... je n’ai qu’à prendre un manteau, un bâton, un sac, quelques drogues, un livre auquel je tiens, et fermer ma porte à clef... ». [49] Sur le chemin du retour de son pèlerinage, Flamel se fera montrer par l’alchimiste qu’il a rencontré en Espagne, ce qu’est une mandragore. [50] Plus loin, Flamel héritera de douze petites boulettes d’opium que lui léguera le médecin espagnol avant de mourir. [51] Plus loin encore, une sorcière rencontrée sur sa route lui parlera des « Solanacées », famille de plantes à laquelle appartiennent la belladone et la mandragore. [52] L’alchimiste Paracelse, dit-on, aurait redécouvert par lui-même les vertus de l’opium. [53]

Les textes alchimiques se sont souvent inspirés des textes de la Kabbale dite pratique ; cette doctrine, ésotérique elle aussi, [276] qui énonce trois méthodes pour atteindre la Perfection : « Christiano-kabaliquement, divino-magiquement, et même physico-chi- miquement ». [54] Souvent aussi, il y a eu des cas-limites, si je puis m’exprimer ainsi, qui relèvent aussi bien de la sorcellerie que de l’alchimie. Il est difficile en effet d’identifier les « opérations » d’un Gilles de Rays, maréchal des armées de Jeanne d’Arc, elle-même brûlée pour sorcellerie.

Toujours selon Caron et Hutin, Jean de Meun, l’auteur de la seconde partie du célèbre Roman de la Rose, portait un deuxième nom : Jean Clopinel. Celui-ci avait certainement des connaissances dans l’art de la transmutation puisque l’on peut sans aucun doute considérer l’un des passages de son roman comme une allégorie du Grand Œuvre. [55] Ne donne-t-il pas, ni plus ni moins, sa recette de la pierre philosophale, [56] recette qui se résume à la purification métallique ! Henri Khunrath (alchimiste) dira qu’il a trouvé « l’or, non du Vulgaire, mais des Philosophes, je l’ai vu de mes yeux, je l’ai touché de mes mains, je l’ai goûté de ma langue, je l’ai olfacté de mes narines ! » [57]

On pourrait peut-être aussi expliquer partiellement pourquoi l’alchimie se veut être une expérience mystique. On sait que l’oratoire et le laboratoire sont également indispensables dans la recherche de l’état d’Eveil. Nicolas Flamel, comme beaucoup d’alchimistes d’ailleurs, place la prière et les qualités morales comme conditions premières pour la réussite de l’opération. [58] Par un jeu de mots, Khunrath ne définit-il pas le lieu de son exercice comme un « Lab-Oratorum » !

Mais cette relation faite entre l’expérience probable de la drogue et une expérience dite d’ordre mystique, ne serait pas une relation naturelle, inhérente à la nature des choses. Comme pour ce qui est de l’interprétation maléfico-érotique de l’expérience de la drogue pour les sorcières de la même époque. Question d’idéologies en cours. Question d’une culture à valeurs spiritualistes préscientifiques. Un psychiatre de Chicago veut [277] démystifier cette identification de nature que de multiples adeptes font entre « expérience toxique » et « expérience mystique » : « Toute cette histoire remonte au Moyen-Age quand les réponses étaient fournies par les alchimistes. L’esprit est capable de beaucoup plus que ce à quoi nous sommes habitués. Mais appeler cela religion est aussi stupide que d’adorer l’idiot du village parce qu’il a été touché de la main de Dieu. Ceux qui promulguent de telles vues sont plus dangereux que n’importe quel charlatan qui prescrit toujours les mêmes médicaments. » [59]

Quoi qu’il en soit, si les alchimistes ne furent pas des intoxiqués, certains intoxiqués se veulent alchimistes. Thymoty Leary, le pape du L.S.D., s’en réclame littéralement : « Je suis membre d’un très vieux groupe, celui des alchimistes ». [60] Le livre Rose du Hippy, « évangile » collectif à l’usage des adeptes avoués des drogues, généralise cette étiquette : « Tout comme les alchimistes médiévaux, les chimistes et les botanistes psychédéliques d’aujourd’hui sont obligés, par les conditions singulières de notre époque, de poursuivre leurs recherches clandestinement et de voiler leurs résultats sous un langage allégorique ». [61] Les alchimistes et les sorciers du Moyen-Age devaient eux aussi, chacun à leur façon vivre clandestinement, marginalement à la société à laquelle ils appartenaient.

On peut se demander alors, si l’on établit qu’une société donnée véhicule une culture donnée : quel type de culture prônaient-ils étant donné leur statut social marginal ? Ce type de culture était-il différent de la culture de la majorité silencieuse-pieuse de l’époque ?

On peut se demander s’il y a eu un « underground » médiéval et quelles étaient ses vecteurs de fond ?

Culture et contre-culture au Moyen-Age

Lorsque l’on parle d’alchimie, on parle souvent aussi de philosophie parallèle à la philosophie traditionnelle. Mais le caractère ésotérique du discours alchimique nous empêche d’établir une étude didactique à son égard et d’établir si celle-ci est avant [278] tout une physique, une métaphysique ou une morale. A fortiori nous ne pouvons la mettre en parallèle avec les physiques, métaphysiques et morales officielles de l’époque. Plusieurs chercheurs placés habituellement dans le cours reconnu de la tradition occidentale se sont intéressés à l’alchimie. Albert le Grand et Roger Bacon sont les deux les plus souvent cités sur ce point.

D’autre part, une seule Bulle pontificale, rédigée par Jean XXII au XIVe siècle, condamna l’alchimie et encore non de façon « ex cathedra ». [62] Les alchimistes ne furent jamais systématiquement excommuniés ou persécutés. Les gouvernants de la Chrétienté médiévale ne se prononçant pas sur l’authenticité de cette quête spirituelle particulière, préférèrent ignorer ces quelques cas d’exception se concentrant plutôt sur les différentes théologies spéculatives.

Il n’en fut pas de même pour les sorciers. Dès 742, Childéric III publie un édit contre les sorciers. [63] On emprisonna, on tortura et on brûla les sorcières. Ne voulaient-elles pas former une sorte de guérilla avec leur « anti-Église ». [64] Grillot de Guivry, dans son Musée des Sorciers, nous souligne sans cesse la volonté qu’avaient les sorciers d’opposer « en face de la Théologie, science de Dieu, la Démologie, science du Démon ». [65] D’ailleurs toutes les pratiques de sorcellerie se voulaient être non seulement des caricatures des rites liturgiques chrétiens mais aussi des « négatifs ». Le Sabbat est une anti-messe récitée par un antiprêtre qui distribue une anti-communion à une foule qui scande des anti-chants. [66] À une théologie axée vers le Haut, la Sainte Trinité, ils opposent une théologie axée vers le Bas, Satan et ses subalternes. Par un jeu d’expression on pourrait établir un parallèle entre ces contestations de l’idéologie officielle de l’époque et les extrémistes de la gauche en face de l’establishment de la droite de l’époque contemporaine. Question de culture qui suit un axe des ordonnées plutôt qu’un axe des abscisses. Selon cette grille, on peut taxer les sorciers de terroristes ; terroristes des valeurs enseignées et imposées par le pouvoir en place de l’époque. Le petit peuple n’était-il pas déchiré entre ces deux  [279]

prises de position spiritualistes contradictoires. Donner son âme à Dieu ou vendre son âme au Diable. Aujourd’hui on dirait : se donner corps et âme au Système ou mourir pour la Révolution.

Culture magique et culture scientifique

Cette mise en parallèle pourrait se fonder sur l’assertion que l’absorption systématique d’une drogue engendre une modification dans le système psycho-physique de l’individu. Or, cette modification peut devenir irréversible. Certains parlent alors de psychose aiguë expérimentale, [67] d’autres de mutations. [68] C’est en tous les cas ce phénomène irréversible que les intoxiqués décrivent lorsqu’ils utilisent l’expression « Turned on ». Expression que l’on pourrait mettre encore une fois en parallèle avec l’état d’Eveil dont il est question dans les textes alchimiques. [69]

A ce compte, Woodstock serait une manifestation s’apparentant au Sabbat. Michael Wadleigh, réalisateur du film de l’événement ne parle-t-il pas d’un « rituel social » ? [70] Nature, drogue, musique, sexualité libre, incantations : [71]) presque tout y est. Et le diable, lui, où se trouve-t-il ? S’il n’était pas à Woodstock, certains démonophiles pourraient l’avoir vu à Atlamon, autre pop-festival sinistrement célèbre celui-là.

Mais le diable n’a pas besoin d’un pop-festival pour faire son entrée. Il est caché dans les replis des astrologues, cartomanciens et autres occultistes qui proposent à monsieur Tout l’Monde [280] une lecture magique du Présent et du Futur. [72] Il semble que beaucoup de gens s’accommodent mieux d’un univers manichéen (le Bien et le Mal) que d’un univers scientifique (le Vrai et le Faux). C’est là, à mon avis, une constante psychologique qui participe à la formation de cultures contradictoires.

Par une réduction psychologique, on peut dire que derrière toute idéologie, existe une croyance. Croyance en Dieu ou en diable mais aussi philanthropie, et misanthropie, utopie et nihilisme radical.

Aujourd’hui on peut traiter à peu près n’importe qui d’utopiste. Qui a la tête en bas ? dirait Marx, et qui a les deux pieds sur terre ? Qui rêve ? L’extrême gauche accuse l’extrême droite de rêver la réalisation d’une société juste garantie par le principe d’une conscience individuelle à qui l’on accorde le droit d’une libre entreprise. L’extrême droite accuse l’extrême gauche de rêver la réalisation d’une condition humaine utopique (paradisiaque) garantie par le principe d’une conscience de la collectivité pour ne pas dire conscience collective.

Tant que cette confrontation des idéologies se partageait très inégalement dans la société, cela pouvait toujours aller. Mille évêques peuvent bien venir à bout d’une dizaine de sorciers. L’anti-culture prônée par quelques sorciers seulement pouvait s’accommoder des vocables tels que « culture de réaction » ou encore « sous-culture ». Mais avec le nombre croissant d’adeptes de nos jours, les sociologues ne tardèrent pas à parler de « culture parallèle » puis de « culture envahissante ».

Au moins douze millions d’américains ont à l’heure actuelle touché à la marijuana. [73] Mais il n’y a pas que les drogues reconnues comme telles. Les absorptions ahurissantes de stimulants (speed) et de dépresseurs (barbituriques) consommés par les classes moyennes doivent déjà nuire à certains rouages du système.

[281]

Hippie, Yippie, Hourra

On émet alors l’objection que la drogue, loin d’engendrer une opposition à la culture en place, la culture de mise, entraîne au contraire une inertie, un affaissement du jugement et de la volonté et qu’ainsi elle fait parfaitement l’affaire des exploiteurs de masses.

Pas si sûr. Il est vrai que l’Action sous toutes ses formes n’avait pas une très haute cote de popularité à San-Francisco durant l’été 1967.

Le poète Gary Snyder, ce même été, s’adressait à la jeune population parallèle de San-Francisco : « Arrêtez cette abominable paresse intellectuelle ! Avez-vous oublié ce qu’ont fait vos prédécesseurs ? (...) Faites n’importe quoi mais faites quelque chose ». [74]

Puis il y eut la fameuse convention démocrate de Chicago et le non moins fameux procès qui suivit. Deux contestataires purent échapper à cette sorte d’inquisition : Jerry Rubin et Abbie Hoffman.

Rubin et Hoffman ne sont pas des hippies bien qu’ils consomment les plus fortes drogues et se travestissent avec les accoutrements les plus baroques. Comme beaucoup de leurs semblables, ils prétendent avoir opéré une deuxième mutation en eux-mêmes et c’est pourquoi ils se qualifient non plus de Hippy mais bien de Yippie. Ce vocable sert à différencier ceux qui s’engagent désormais dans la politique active par opposition à ceux qui continuent de déambuler pacifiquement dans un cosmos où tout n’est qu’harmonie. D’ailleurs ce changement d’attitude concerne un grand nombre d’adeptes de la drogue [75] et parmi ceux-ci les plus influents. Le grand-prêtre du L.S.D. lui-même, Thymoty Leary, adhère à ce nouveau type d’engagement. Condamné à dix ans de prison, Leary s’évade grâce à l’action des « Weathermen », société clandestine qui se spécialise dans les actes de terrorisme. Il partira ensuite pour l’Algérie avec des dirigeants des Blackpanters. Sa première lettre de liberté est très claire sur ses intentions futures : “There is a time for peace and a time for war. (.. .) Brothers and sisters, at this time let [282] us have no more talk of peace. This is war (...) Listen Americans, your government is an instrument of evil”. [76]

« Evil » — encore le Mal ! Mais cette fois-ci les nouveaux apprentis-sorciers connaissent la poudre à Canon et les presses de Guttenberg. Rubin et Hoffman publient chacun une sorte de « discours de la méthode de la révolution » avec déjà dans les titres les Tropes qui caractérisent les rhétoriques qui cherchent avant tout la conviction du lecteur : « Do it » [77] et « Révolution for the Hell of it » [78] sont bientôt les deux « paperback » que tous ceux qui veulent détruire la culture traditionnelle se procurent.

Or Rubin et Hoffman font une nette distinction entre le type de révolution auquel ils travaillent et la révolution telle que l’envisagent les marxistes — léninistes orthodoxes. Pour les premiers, loin d’être un somnifère pour les masses, la drogue est un outil, une substance technologique qui sert à se débarrasser de la pelure de l’aliénation et qui sert de catalyseur dans l’accomplissement des actes révolutionnaires qui nécessitent la neutralisation des interdits de la morale bourgeoise. [79]

Mais tous les consommateurs de drogues ne débouchent pas sur l’action politique radicale, et tous les terroristes sont loin de prôner l’usage des hallucinogènes. Encore là, il faut se garder de relier nécessairement, par une loi ou un postulat quelconques, les deux comportements en cause. Non seulement on ne peut parler d’influence dominante réciproque, on peut à peine parler d’influence déterminante. Le seul lien qu’on peut établir en est un des circonstances ; les arguments de circonstances tant chéris des rhéteurs de l’antiquité... et des avocats de notre temps. Dans la répression actuelle, la police fédérale (FBI ou RCMP) semble être ce lien de circonstance qui rapproche les deux phénomènes : les perquisitions ne se font-elles pas la plupart du temps soit pour trouver de la drogue, soit pour trouver des armes ?

[283]

Au moment où sérieusement le Canada étudie la possibilité de légaliser la marijuana [80] parce qu’il est possible qu’elle soit psychologiquement inoffensive, on s’apercevra qu’elle est peut-être socialement offensive lorsque le climat social et les valeurs culturelles qu’il perpétue deviennent insupportables.

Peu importe de toutes façons. Nous pouvons dormir tranquille. La Chine, qui a rêvé plus d’un siècle sous l’opium, [81] n’a-t-elle pas accompli le changement social le plus radical que l’on connaisse ? La reconnaissance diplomatique de celle-ci est peut-être l’une des portes de service par lesquelles notre perception de la réalité est en train de se modifier comme le souhaitait tant William Blake dans son Mariage du Ciel et de l’Enfer.

Notre civilisation occidentale a autrefois vogué sa galère entre Dieu et le Diable. Il fut un temps où c’était « Crois ou meurs ! ». Puissent les langages de l’électronique, de la psychologie rogérienne de l’animation et le Hyp-Talk ne pas nous plonger dans une nouvelle hystérie collective prônant un nouvel oracle du style « Communiques ou meurs ! ». Il faudrait alors tout recommencer. À partir du Déluge.

Entre Calley et Manson, il y a Paul Rose [82] qui vient compléter cette « trinité apocalyptique ». Ces trois messagers forment un triangle maléfique dont les trois angles étranges plongent la population nord-américaine dans un espace culturel aux dimensions géométriques insoupçonnées même par les physiciens de la Relativité. Nous devons vivre désormais entre la Bombe atomique, le L.S.D. à répercussion génétique et la cellule de guérilla. Ce sont les points limites de notre réalité politique de maintenant.

Claude Gagnon,

Professeur de Philosophie,
Montréal.


[1] L’édition 1961 du Webster ne donne que le substantif.

[2] « Deux commandants américains auraient été abattus par leurs propres hommes », AFP, dans le Devoir, 11 janvier 1971.

[3] Je qualifie le fragging d’action terroriste du fait qu’il peut se définir, ici, comme une action violente dictée non seulement par un mobile d’ordre émotif (comme le crime passionnel par exemple) mais aussi par des motifs de principes (les principes moraux contre la guerre en général, et les principes politiques contre cette guerre en particulier). Si donc l’on définit le terrorisme comme un acte révolutionnaire, on pourrait dire que le fragging peut répondre, dans cette situation déterminée, à cette définition.

[4] « L’armée donne sa version de la dispute de Mai Loc », AFP, dans le Devoir, 12 janvier 1971.

[5] Ibid.

[6] Le cannabis sativa correspondant au chanvre commun dont on se sert pour fabriquer les tissus.

[7] « La « mari » dans l’armée », AFP, dans le Devoir, décembre 1970. Mais la drogue ne touche pas que les « classes » militaires inférieures. Un colonel a été condamné à trois ans de prison pour avoir consommé du chanvre, cf. « Guerre à la « mari » au Vietnam », AFP, dans le Devoir, février, 1971. Autre chose : le « fragging » et l’absorbtion de drogue par les militaires sont non seulement des phénomènes parallèles, ils sont aussi dialectiquement reliés en certaines occasions, cf. « Ils fumaient de la « mari » : Un sergent tue trois de ses hommes à la grenade », AFP, dans le Devoir, avril 1971.

[8] John Cashman, le phénomène L.S.D., Planète, Paris, 1967, p. 30, 31. Ceux qui seraient intéressés par « L’Ordre des Assassins », consulter les pages 19 à 22 de Histoire de la Drogue, Jean-Louis Brau, Thou, Paris, 1968. De même les travaux de Sacy (Mémoire sur la dynastie des Assassins et l’origine de leur nom) et de Hamer (Histoire de l’Ordre des Assassins), mentionnés dans l’ouvrage de Brau. Cette origine étymologique est entérinée par Albert Douzot dans son Dictionnaire Etymologique, Larousse, Paris, 1938. Selon ce spécialiste, « assassin » vient du mot latin assassino qui lui-même vient du mot arabe « hâchchâchi ». Ce dernier mot a une double signification : 1) buveur de haschish, 2) surnom donné aux sectaires du Vieux de la Montagne au XIe siècle (p. 53).

[9] « Le procès de Calley est ouvert », AFP, dans le Devoir, 18 novembre 1970.

[10] « Le témoin Meadle raconte le massacre », dans le Devoir, 12 janvier 1971.

[11] « Le procès de Calley est ouvert », op. cit.

[12] Jean Stafford, « Love among the rattlesnakes », dans Mc Calls, March, 1970, p. 69 et ss. C’est d’ailleurs dans cet article qu’il fait lui-même un parallèle entre les assassins de Charles Manson et les hachischins du maître Hasan.

[13] « Au procès de Calley, la peur des bébés vietcong », AFP, dans le Devoir, 13 janvier 1971. On y lit « My Lai n’a pas été un incident isolé mais l’un des crimes de guerre commis par centaines au Vietnam. » Aussi l’article : « Si les critères de Nuremberg étaient appliqués aux Américains... », AFP, dans le Devoir, 11 janvier 1971, montre l’importance politique tant externe qu’interne que prennent ces gestes usuels de la part des troupes américaines. Ce qui n’est pas le cas pour le geste du harem de Manson. De toutes manières, les deux procès se sont déroulés en même temps et la sentence fut prononcé le même jour : Chambre à gaz pour Manson et ses disciples, prison à vie pour Calley. Voir la page frontispice du Devoir du 30 mars 1971. Quelques jours plus tard, le président des U.S.A. sous la pression populaire acquittait le lieutenant. En ce qui concerne Manson, la seule pression publique qui me soit connue fut le « sit-in » de quatre femmes complètement rasées sur le parvis du palais de justice chargé de cette affaire.

[14] Grillot de Guivry, Musée des sorciers, magies et alchimistes, Tchou, Paris, 1966, p. 77.

[15] Ibid., p. 60-63-64-67-72.

[16] Ibid., « La sorcière est nue » (p. 54); « la tenue rituelle, la nudité d’Eve,  » (p. 63); « Une vieille femme frotte d’onguent le dos d’une sorcière nue » (p. 64); « Une autre vieille femme sorcière (...) oint d’onguent (...) le corps d’une troisième sorcière » (p. 67).

[17] Jean Basile, « Les mots magiques », dans le Devoir, Supplément littéraire, 14 novembre 1969. La recette ici évoquée utilise un œil de crapaud. Le crapaud revient d’ailleurs sans cesse dans la composition des boissons dite maléfiques. Serait-ce parce que le crapaud contient lui aussi des substances hallucinogènes ? Voir à ce sujet le livre de Cashman : « la bufotéine, un hallucinogène peu connu, est extraite de la peau de certains crapauds », op. cit., p. 41.

[18] Jules Garinet, La sorcellerie en France. Beauval, Genève, 1970, p. 21.

[19] J. Collin de Plancy, Dictionnaire infernal. Plon, Paris, 1863, p. 504. À remarquer qu’en plus de l’opium utilisé, se trouve aussi la belladone, autre plante à vertu hallucinogène de la même famille que la mandragore (Solanacées). Les intéressés au problème de l’usage de la drogue dans la sorcellerie pourront consulter le chapitre « Drogue et Sorcellerie » dans le livre de Brau. op. cit. p. 32 à 37. L’auteur y donne une liste taxonomique assez complète de la plupart des plantes hallucinogènes et onirogènes utilisées dans les recettes de sorcières.

[20] Jean Basile, op. cit.

[21] E. L. Masters et Jean Houston, L'art psychédélique. Laffont, Paris, 1968, p. 114 et ss.

[22] Comme exemple de cette habitude littéraire et de la conception du monde qui en est le corollaire, consulter Le Roman de la Rose; et observer comment l’emploi de la majuscule dans un nom aide à la personnification de la réalité signifiée par ce nom. Ex.: « Tristesse », « Raison », « Courtoisie », « Convoitise », mais aussi « Doux Parler », « Bel Accueil », et « Faux Semblant ». Tous des mots qui « personnalisent » (spiritualisent) les réalités qu’ils décrivent puisqu’ils en font des êtres de chair et d’os. Une étude intéressante serait à faire sur les causes socio-historiques de l’apparition de la majuscule dans l’alphabet occidental et sur les types de réalité que ce procédé a véhiculé.

[23] L’ivresse hallucinatoire n’accompagne que le type d’ergotisme gangréneux dont il est question ici et ne concerne pas l’ergotisme de type convulsif (musculaire).

[24] Cet événement est historiquement prouvé. Non pas le miracle mais le fait que l’origine de l’Eglise de Ste-Geneviève réside dans une action de grâce rendue par les parisiens du XIIe siècle à la suite de l’arrêt d’une épidémie d’ergotisme. Consulter Cashman (p. 45 et ss) et Brau (p. 157 et ss) pour plus de détail.

[25] Arras : Villes des Arts de l’époque. Des trouvères (musiciens vagabonds), des poètes et des artistes de toutes sortes dont des batteleurs (magiciens) vivaient et étudiaient en cette ville. En 1460, cinq personnes sont accusées de sorcellerie à Arras. Voir Grillot de Guivry, op. cit. p. 71.

[26] J. Collin de Plancy, op. cit., p. 47.

[27] Cité par Grillot de Guivry, op. cit., p. 403.

[28] M. Caron et 8. Hutin, Les Alchimistes, édition du Seuil, Paris 1964, p. 168. C’est en tout les cas le sens que lui donne Nicolas Flamal (alchimiste) lorsqu’il démasque maître Canchès sous le soleil d’Espagne. Consulter Le Faiseur d’or; Nicolas Flamel, Léo Larquier, « j’ai lu », Paris, 1969, p. 110 et ss. Aussi «l’or n’est pas à proprement parler un métal, l’or est la lumière » disent Caron et Hutin à propos de la signification de ce mot tel qu’exprimé chez la plupart des alchimistes, op. cit., p. 163.

[29] Grillot de Guivry, op. cit., p. 396.

[30] Là-dessus tous les spécialistes s’entendent, Grillot de Guivry le souligne par trois fois : op. cit., p. 403, p. 405, p. 408. Caron et Hutin formulent exactement la même unité de principes : op. cit., p. 154, p. 160.

[31] Grillot de Guivry, op. cit., p. 403.

[32] Ibid., p. 404 et 416.

[33] Ibid., p. 396 et 400.

[34] Après une étude des multiples recettes relevées par Grillot de Guivry d’une part et Caron et Hutin d’autre part, op. cit., consulter, entre autres, le Livre des Figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, escriptain, Nicolas Flamel, 1682, édité par Arnauld de la Chevalerie, Bibliothèque de l’Arsenal, no. 2518 et 3047.

[35] Jean-Louis Brau, op. cit., p. 221 « Les buveurs de mercure et d’arsenic ».

[36] Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des Magiciens. Paris, Gallimard, 1960, p. 170.

[37] Caron et Hutin, op. cit., p. 161.

[38] Jean-Louis Brau, op. cit., p. 221.

[39] Caron et Hutin rapporte les paroles du spécialiste d’alchimie grecque Shermood Taylor qui parle de la manipulation du soufre comme d’un usage courant chez les adeptes, op. cit., p. 105.

[40] Consulter Jules Garinet, op. cit., p. 91.

[41] Caron et Hutin, op. cit., p. 156.

[42] Encore sur ce point les donnés des alchimistes et des historiens de la question alchimique ne s’opposent pas. Jacob Bochme ne dit-il pas que la matière première du Grand Œuvre n’est pas un métal mais bien l’homme qui manipule le métal. Cf. Caron et Hutin, op. cit., p. 83.

[43] Caron et Hutin, op. cit., p. 117.

[44] Consulter Caron et Hutin, op. cit., p. 108, 109, 171.

[45] John Cashman, op. cit., p. 27-28.

[46] Dr. 8. Mahdihassan, « Concepts de base de l’alchimie, dans Abbottempo, sans date, p. 31 à 34.

[47] Jean-Louis Bran, op. cit., p. 17 et ss.

[48] Le roman-fiction Le Meilleur des Mondes accorde en effet une place prédominante au Soma, drogue consommée par la majorité des habitants d’une société future fondée sur le loisir. Dans son essai Retour au Meilleur des Mondes, Huxley dit avoir nommé sa drogue à partir du soma en usage dans les pratiques spirituelles de l’Inde antique. Propos rapporté par Cashman dans son volume, op. cit., p. 28. Aldous Huxley a publié ses réflexions sur ses expériences de drogue dans un ouvrage intitulé The Doors of Perfection, classique du genre qui a inspiré au Doors leur nom : The Doors est un groupe de musiciens psychédéliques radicaux qui fut populaire aux U.S.A.

[49] Léo Larguier, op. cit., p. 111.

[50] Idem, p. 115.

[51] Idem, p. 118 et 170.

[52] Idem, p. 128.

[53] Paracelse, Œuvres complètes. Edit. K. Sudhoff, Munich, 1922-35, 16 tomes.

[54] Grillot de Guivry, op. cit., p. 222. Le souligné est de moi. Consulter aussi Caron et Hutin, op. cit., p. 43.

[55] Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris et Jean de Meun, traduction d’André Mary, Gallimard, Paris, 1949, p. 342 et ss.

[56] Ibid., vers 17040.

[57] Henri Khunrath, Amphithéatrun aeternae Sopientrae. Hanau, 1602.

[58] Nicolas Flamel, op. cit., « Ce que tu feras comme moi (...) si tu veux prendre peine à estre ce que tu dois, c’est-à-dire pieux, doux, bénin, charitable, et craignant Dieu ».

[59] John Cashman, op. cit., p. 110.

[60] Michel Lancelot, Je veux regarder Dieu en face. Paris, Albin Michel, 1968, p. 69.

[61] Paul Muller, Le Livre Rose du Hippy. Union Générale d’Editions, 1968, p. 73.

[62] Caron et Hutin, op. cit., p. 56 et 60.

[63] Jules Garinet, op. cit., pièces à conviction no. 1.

[64] Jean-Louis Brau, op. cit., p. 32.

[65] Grillot de Guivry, op. cit., p. 32.

[66] Plusieurs auteurs médiévaux se sont servis de ces anti-chants, les incantations, dans leurs œuvres. Entre autres, Ruteboeuf et Jehan Bodel d’Arras.

[67] Sidney Cohen, LSD 25. Paris, Gallimard, 1966, p. 68 et ss.

[68] Marshall McLuhan, Mutations 1990, HMH, 1969, p. 28 et ss.

[69] Lorsqu’on établit un parallèle, il est toujours dangereux de distordre les faits en voulant les faire cadrer dans la grille de comparaison. En ce qui concerne le parallèle entre l’expérience alchimique et l’expérience de la drogue, une foule de données concordantes bien qu’accessoires (éloignées) entre ces deux types d’expérience peuvent séduire celui qui se penche sur ceux-ci. Ex. : En chimie, les alcaloïdes sont des corps qui contiennent tous de l’azote et presque tous de l’oxygène. Les alcaloïdes sont les principes actifs des différentes substances dites toxiques pour l’esprit. Or l’alchimiste Basile Valentin a donné à nombre de ses figures hiéroglyphiques le titre d’Azoth des Philosophes. On ne peut, à mon avis, se servir de ces ordres de similitudes pour renforcir le parallèle.

[70] Alex Madsen, « pour l’auteur de Woodstock les média sont la révolution », dans la Presse, mai 1970.

[71] Ecouter, entre autres manifestations collectives, le Crowd rain chant sur Woodstock : music from the original soundtrack, New-York, 1970.

[72] Les sciences occultes sont en train d’envahir la société nord-américaine, assez en tous les cas pour qu’une revue de classe moyenne comme le Mc Call’s publie un dossier de huit articles dans le numéro du mois de mars 1970, « The occult explosion », en collaboration, dans McCall’s, mars 1970. L’un des articles propose une interprétation magique de l’action de Manson et son groupe.

[73] « Marijuana : at least 12 millions Americans have now tried it », en collaboration, dans Life, 31 octobre, 1969.

[74] Rapporté par Michel Lancelot, op. cit., p. 176.

[75] « États-Unis : les « hippies » s’éteignent; les jeunes font de la politique active », dans la Presse, 19 décembre, 1970.

[76] « Tim Leary is free », dans Logos-Montreal free press, octobre, 1970.

[77] Jerry Rubin, Do it ! Scenarios of the Revolution. Ballantines Books, New-York, 1970.

[78] Abbie Hoffman, Revolution for the Hell of it. Pocket Book edit., New-York, 1970.

[79] Sous l’influence du LSD le sur-moi deviendrait « facultatif » ; d’où la possibilité pour les mercenaires de Charles Manson de poignarder froidement le ventre d’une femme enceinte (Sharon Tate). Dans son film Week end, Jean-Luc Godard illustre bien symboliquement ce dépassement de l’horreur lorsqu’il nous montre les hippies-guerilleros se nourrir de la chair des touristes bourgeois tués la veille.

[80] Interim Report of the Commission of Inquiry into the Non-Medical use of drugs, Queen’s Printer for Canada, Ottawa, 1970.

[81] Jean-Louis Brau, op. cit., p. 25 et ss.

[82] Paul Rose fut l’un des terroristes de la cellule « Libération » du Front de Libération du Québec durant le mois d’octobre 1970. Il fut reconnu coupable du meurtre du ministre Pierre Laporte du gouvernement libéral provincial. L’une des phrases ambiguës du Manifeste de ce groupe concerne précisément la drogue : « Et toi Lachance-fils, fumes ta mari ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 15 août 2024 9:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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