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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Thierry Feral, La mémoire féconde. Cinq conférences. ” (2003)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Thierry Feral, La mémoire féconde. Cinq conférences : La nuit italienne de Horvath, le film de propagande nazie Hitlerjunge Quex, les juifs de Vienne à l'aube de la modernité, pourquoi toujours parler des camps du troisième Reich, plaidoyer pour la littérature allemande. Paris: Les Éditions L'Harmattan, mai 2003, 190 pp. Collection “Allemagne d'hier et d'aujourd'hui.” [Une édition numérique réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean, Québec.] [Autorisation accordée par l'auteur le 23 septembre 2019 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. Et un grand merci à Michel Bergès, historien des idées politiques pour toutes ses démarches auprès de l'auteur pour que nous puissions diffuser cette oeuvre.]

[7]

LA MÉMOIRE FÉCONDE.
Cinq conférences.

Avant-propos

Le présent volume réunit cinq conférences : La première a été présentée le mardi 6 avril 1993 en préambule de la représentation inaugurale de la pièce d'Ödön von Horváth, La Nuit italienne, dans ce qui était alors la toute nouvelle traduction de Heinz Schwarzinger, disponible depuis en librairie. Créée à Clermont-Ferrand par Dominique Freydefond, la pièce connut un énorme succès. Mais à l'époque, spectateurs et commentateurs la virent comme un flash-back historique ; rares furent ceux qui acceptèrent – notamment chez les socialistes – de l'interpréter en tant que reflet d'un environnement sociopolitique immédiat. Mon intervention fut considérée par la "génération Mitterrand" comme une provocation sinon une offense. Et pourtant ! Moins de dix années plus tard, en France (élections présidentielles de 2002), l'extrême droite réussissait une impressionnante percée, donnant par-là même au propos de Horváth une prégnance tout à fait troublante : "Même averti par l'expérience, nous dit Gérard Mendel [1], on reste surpris de la facilité avec laquelle un fantasme, une abstraction [...] peuvent effectuer le saut de l'immanence à la transcendance et deviennent un principe [8] de légitimation." À se défausser du réel, les socialistes français au pouvoir ont réitéré à l'aveuglette le scénario de la Nuit italienne : ils ont creusé dans le sol de la démocratie des sillons propices à la germination des forces de l'inconscient.

La deuxième intervention remonte au mois de novembre 1991 où les étudiants germanistes de l'Amicale franco-allemande de la Faculté de Droit et de Science économique de Clermont-Ferrand avaient organisé une semaine consacrée à "la jeunesse allemande dans les années trente" à laquelle avait été notamment invité mon regretté ami, Jean-Michel Palmier, chercheur de réputation internationale sur les courants culturels et idéologiques de la République de Weimar. L'affluence inattendue à la manifestation (grand amphithéâtre bondé, présence massive de militants politiques, de journalistes, sans oublier les renseignements généraux), fut due sans aucun doute à la projection du film Hitlerjunge Quex de Hans Steinhoff, un redoutable long métrage de propagande nazie jamais revu en public depuis l'Occupation. Dans une ambiance passablement tendue, alors qu'un rien était susceptible de mettre le feu aux poudres, l'enjeu était de désamorcer d'emblée tout dérapage en inscrivant sans ambiguïté le projet dans une démarche de réflexion constructive : "Que l'on se rassure, commentera le quotidien La Montagne [2], cette présentation avait pour objectif [...] l'information, la démonstration."

[9]

La troisième conférence date du jeudi 13 mars 1997. Préparant alors un voyage d'étude dans la capitale autrichienne, l'école d'architecture de Clermont-Ferrand avait organisé un colloque auquel j'avais été sollicité pour parler sur "Les Juifs de Vienne à l'aube de la modernité". Ce que je souhaitais mettre en lumière, c'est qu'il n'y avait pas un concept, une idée de l'époque que j'allais évoquer qui ne constituait encore un élément de notre paysage, quand bien même cette époque pouvait-elle sembler être tombée en totale désuétude. Conformément à la grande idée d'Henri Lefèvre [3], je suis – plus que jamais – convaincu de l'absolue nécessité d'une "réintégration générale de ce qui fut pensé, voulu, projeté au cours de ce trajet orageux, le temps dit historique", si l'on veut réellement avoir prise sur le présent et l'avenir, c'est-à-dire se prémunir contre ce que l'on appelle – à tort – les accidents ou les aléas de l'histoire, alors qu'il ne s'agit que d'actions humaines, d'inventions d'hommes instrumentalisées par les hommes [4]. La reprise de cette conférence en diverses circonstances m'a à chaque fois permis – à ma grande satisfaction – de montrer tout ce qu'il y a d'absurde dans l'antisémitisme et d'une manière plus générale l'ethnocentrisme.

La quatrième intervention remonte à novembre 1998 dans le cadre de l'exposition "Résistances allemandes au national-socialisme" présentée par l'Institut Goethe au CRDP de Clermont-Ferrand. Repris sous des formes [10] légèrement modifiées en fonction du public auquel il s'adressait, ce texte a été présenté dans de nombreux établissements scolaires, lors de commémorations organisées par des associations de déportés et résistants. Il a été utilisé en postface de l'émouvant témoignage sur Ravensbrück et Mauthausen de Gisèle Guillemot, Entre Parenthèses (L'Harmattan, 2001, couronné par l'Académie française). L'inscription depuis la rentrée scolaire 2002 du thème "Paroles de la Shoah" au programme de français de la classe de seconde, le place aujourd'hui en première ligne de mes interventions publiques.

La cinquième conférence a été prononcée le mardi 27 novembre 2001 à Clermont-Ferrand à l'occasion d'une "Quinzaine culturelle allemande" sous le patronage de Madame Jacqueline Serin, Inspecteur pédagogique régional d'allemand, conjointement avec la librairie universitaire "Les Volcans" et l'ADEAF. Mon propos délibéré était de convaincre que la littérature actuelle de langue allemande, loin d'être fermée sur elle-même en dépit du peu de connaissance qu'en ont généralement les Français, possède une dimension universelle susceptible de fournir à chacun matière à réflexion par rapport à lui-même et à la société dans laquelle il vit. En effet, on est bien obligé de concéder que cette littérature – "inépuisable livre de nos déchirements" selon la splendide expression de Daniel Cohen [5] –, est sans doute à l'heure actuelle une des seules à posséder cette rare vertu de nous "visser" à elle de sorte que nous ne [11] pouvons alors nous épargner de "négocier avec nous-mêmes" [6] : processus ô combien essentiel pour nous dissuader de succomber aux sirènes de ce que Marguerite Yourcenar nommait "l'atrocité foncière de l'aventure humaine" !

Si j'ai aujourd'hui jugé utile de réunir ces cinq textes, c'est parce que je pense que la mise en pratique de nouvelles formes de pensée et de vie n'est possible qu'à partir d'un travail systématique et constant d'exploration et de transmission de la mémoire historique : non pas une mémoire réifiée et passéiste qui englue dans l'obscurantisme et l'archaïsme, mais une mémoire résolument critique, dynamique, projective, soucieuse d'éveiller une psychosocialité où chacun, brisant ses entraves narcissiques de toute nature (personnelles, groupales, nationales, économico-corporatives) concevrait son acte individuel comme un acte concernant tous les individus. N'en déplaise au philosophe Peter Sloterdijk – très exactement de la même génération que moi –, je ne me résoudrai jamais à concevoir que "l'ère de l'humanisme comme modèle d'école et de formation est terminée" [7].

Kirchzarten, janvier 2003.

[12]


[1] G. Mendel, Une Histoire de l'Autorité, La Découverte, 2002, p. 110 ; voir également du même auteur : De Faust à Ubu. L'invention de l'individu, L'Aube, 1996.

[2] "Quand les nazis faisaient leur cinéma", Journal La Montagne, édition de Clermont-Ferrand, 20 novembre 1991.

[3] H. Lefèvre, Le Manifeste différentialiste, Idées/Gallimard, 1970, p. 182.

[4] Cf. A. Camus, La Chute, Gallimard, 1956, p. 12 et p. 128 sq.

[5] D. Cohen, Lettre à une Amie allemande, L'Harmattan, 2001, p. 106.

[6] Ibid., p. 55.

[7] Colloque sur M. Heidegger du 17 juillet 1999, château d'Eimau, près de Garmisch, en Bavière.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 10 décembre 2019 19:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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