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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre Dansereau, “LES LOIS DE L'ÉCOLOGIE.” In Revue CRITÈRE, No 5, “L’environnement”, pp. 195-190. Montréal: Un groupe de professeurs du Collège Ahuntsic, Janvier 1972, 293 pp. [M. Jacques Dufresne nous a autorisé le 27 décembre 2022 la diffusion en libre accès à tous et en texte intégral, dans Les Classiques des sciences sociales, de tous les numéros de la revue CRITÈRE, dont il est le fondateur.]

[185]

Revue CRITÈRE, No 5, “L’environnement”.
LES LOIS DE L’ÉCOLOGIE

LES LOIS DE L’ÉCOLOGIE.”

Pierre DANSEREAU
Centre de Recherches Écologiques de Montréal

L’écologie n’est pas une science nouvelle, même si le vocabulaire écologique est tout récemment passé dans l’usage commun. La science de l’environnement est née au sein de l’histoire naturelle, est passée de l’observation de la nature à l’expérimentation dès le siècle dernier. Ses origines dans les sciences biologiques ont doté l’écologie d’une méthodologie et d’un cadre conceptuel qui ont beaucoup influencé les formes nouvelles qu’elle se donne en s’appropriant les sciences de l’homme. Cette transition est encore très imparfaite.

Les propositions suivantes sont tirées avec quelques retouches de mon mémoire intitulé « Ecological impact and human ecology ». [1] Elles constituent un essai de définition des principaux processus écologiques, et mesurent, en quelque sorte, les acquisitions des sciences du milieu. Elles ne sauraient viser à la précision des lois de la physique et de la chimie ; elles n’offrent que des approximations qui donnent des points de repère à une unification de l’écologie.

Il ne m’est guère loisible, pour l’instant, de commenter chacune de ces lois. Je me propose de fournir, dans un ouvrage en préparation, une justification aussi serrée que possible de ces formules et de l’accompagner de plusieurs exemples qui me sont connus respectivement chez les plantes, chez les animaux et chez l’homme.

J’avais formulé ces « lois » pour la première fois en 1957 dans mon Biogeography, et je les ai refondues à plusieurs reprises depuis lors. Je crains que sous cette forme très sèche, elles soient un peu difficiles d’abord et surtout chargées d’un vocabulaire qui n’est pas usuel. Les éditeurs de Critère ont quand même voulu les publier ainsi. J’en partage donc la responsabilité avec eux.

[186]

PHYSIOLOGIE
DE L’APTITUDE ÉCOLOGIQUE


Les neuf premières lois portent sur l’ajustement une par une des espèces, des variétés, des races ou des populations génétiquement homogènes à un ou plusieurs milieux simultanément ou successivement.

1. Loi de l’inoptimum. Aucune espèce ne trouve, dans un habitat donné, les conditions optimales pour toutes ses fonctions.

2. Loi de l’aphasie. L’évolution organique est plus lente, en général, que les changements du milieu, ce qui entraîne la migration et, occasionnellement, l’extinction.

3. Loi de la tolérance. Une espèce est limitée, écologiquement et géographiquement, par les états extrêmes des adversités ambiantes qu’elle peut endurer.

4. Loi de la valence. Dans chaque partie de son aire, une espèce démontre une plus ou moins grande amplitude écologique en s’étendant à plusieurs habitats (ou communautés) ; ceci est gouverné par le jeu de ses exigences et tolérances selon qu’elles sont pleinement satisfaites ou presque vaincues.

5. Loi de la compétition-coopération. Des organismes, appartenant à une ou plusieurs espèces et occupant le même site au cours d’une période de temps donnée, exploitent (et fréquemment ré-exploitent) les mêmes ressources en empruntant divers processus de partage qui en allouent une plus forte proportion aux mieux doués.

6. Loi du continuum. La gamme des niches écologiques, dans une unité régionale, permet un remplacement graduel, qualitatif et quantitatif dans la composition et la structure des communautés.

7. Loi du coincement. Les espèces et les communautés sont ordonnées, dans leur milieu, sur des gradients qui se contractent ou s’élargissent dans le temps et l’espace, réduisant ainsi à rien ou bien créant une forte expansion de cette partie du spectre écologique le plus favorable aux organismes d’une valence donnée.

8. Loi de la persistance. Plusieurs espèces, particulièrement les dominantes d’une communauté, sont capables de survivre et de conserver leur position spatiale après que leur site et souvent le climat lui-même ont cessé de favoriser leur pleine vitalité.

9. Loi de l’occasion. Le succès écologique actuel d’une espèce dépend de l’effet cumulatif de son amplitude géographique et écologique, de la structure de ses populations et de la nature des communautés qui l’abritent.

[187]

STRATÉGIE DE L’AJUSTEMENT
COMMUNAUTAIRE


Les cinq lois suivantes portent sur le comportement de biomasses plus ou moins cohérentes dans leurs modalités d’exploitation d’un ou de plusieurs sites.

10. Loi de l’écèse. Les ressources d’un milieu non-occupé seront d’abord exploitées par des organismes à haute tolérance et, généralement, à faibles exigences.

11. Loi de la succession. Un même site ne sera pas indéfiniment occupé par la même communauté vivante parce que les agents physiographiques et les organismes eux-mêmes induisent des changements dans le milieu qui permettent l’invasion d’autres êtres vivants jusqu’ici incapables de s’y insérer mais désormais plus efficaces que les occupants actuels, et capables de s’y substituer.

12. Loi du climat régional. Les processus de la succession opèrent par un relai des contrôles qui ne sont pourtant pas indéfinis, car ils tendent à un équilibre qui ne comporte pas d’étape ultérieure. L’affrontement des forces climatiques, édaphiques et biologiques se résout en un patron qui se modifie de région en région.

13. Loi du contrôle factoriel. Quoique les organismes vivants réagissent d’une manière holocénotique (à tous les facteurs de leur milieu dans la conjonction particulière où ils opèrent), il se trouve fréquemment un facteur dysharmonique qui exerce un pouvoir limitant par son excès ou sa déficience.

14. Loi de la ségrégation sociologique. Des associations à structure et à composition réduites ont émergé au cours de changements physiographiques et climatiques et des migrations subséquentes par l’élimination ou la modification de la valence de certaines espèces.

RÉPONSE CLIMATIQUE RÉGIONALE

Les cinq lois suivantes reflètent l’obéissance des êtres vivants aux régimes changeants d’un ordre de grandeur majeur de l’espace vital, le climat.

15. Loi de la distribution géo-écologique. « La distribution topographique particulière (micro-distribution) d’une espèce éco-typique ou d’une communauté végétale est une fonction parallèle à sa distribution géographique générale (macro-distribution), puisque l’une et l’autre sont gouvernées par les mêmes amplitudes [188] écologiques et, en fin de compte, par des exigences physiologiques uniformes ». (Boyko 1947).

16. Loi du stress climatique. C’est au niveau de l’échange immédiat (micro-biosphère) entre un organisme et son milieu que se produit la tension qui éventuellement ne saurait être vaincue et qui établira une frontière géographique.

17. Loi des spectres biologiques. La distribution proportionnelle des unités épharmoniques (formes adaptives) est une caractéristique régionale des organismes en corrélation avec les conditions climatiques présentes aussi bien que passées.

18. Loi du régime de végétation. Sous des climats semblables, dans diverses parties du monde, une même réponse structurale-physionomique-fonctionnelle pourra être suscitée dans la végétation, quelles que soient les affinités floristiques et/ou les relations historiques.

19. Loi de l’équivalence zonale. Là où les gradients climatiques sont essentiellement similaires, la zonation latitudinale et altitudinale et les changements cliséraux des formations végétales tendent aussi à l’être ; là où l’histoire floristique est essentiellement identique, les associations végétales le seront aussi.

20. Loi de l’irréversibilité. Certaines ressources (minérales, végétales ou animales) ne se renouvellent pas parce qu’elles sont le résultat d’un processus (physique ou biologique) qui a maintenant cessé de fonctionner dans un habitat particulier, dans un paysage ou dans une région.

DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE

Les sept dernières lois concernent le comportement à long terme des organismes vivants.

21. Loi de l’intégrité spécifique. Puisque les unités taxonomiques spécifiques et infraspécifiques ne peuvent être polyphylétiques, leur présence dans des aires largement disjointes ne saurait s’expliquer que par la rupture d’une ancienne continuité ou par la migration.

22. Loi des tendances phylogéniques. La position géographique relative des unités spécifiques (ou plus souvent génériques et familiales), des caractères phylogéniques primitifs et évolués donnent de bons indices des voies de migration.

[189]

23. Loi de la migration. La migration géographique est déterminée par la pression de la population grandissante et/ou par le changement du milieu.

24. Loi de l’évolution différentielle. Les barrières géographiques et écologiques favorisent une évolution indépendante, mais le degré de divergence des vicariants n’est pas nécessairement proportionnel à l’importance de la barrière ni à la durée de l’isolement.

25. Loi de la disponibilité. La distribution géographique des plantes et des animaux est tout d’abord limitée par le lieu et le temps de leur origine.

26. Loi de l’alternance géologique. Puisque les courtes périodes révolutionnaires exercent une puissante force sélective sur les organismes, des formes plus hautement différenciées ont plus de chances d’émerger alors que durant les périodes normales modérées.

27. Loi de la domestication. Les plantes et les animaux dont la sélection a été dirigée par l’homme peuvent rarement survivre sans sa protection continue.


Rien de ce qui précède ne « va sans dire ». Je serais heureux de croire que les naturalistes, les ingénieurs, les sociologues évoqueront des applications concrètes. Je redoute les contradictions qu’y relèveront les philosophes. Je les invite tous à commenter.

Pierre Dansereau,

Centre de Recherches
Écologiques de Montréal.

[190]



[1] Dansereau, Pierre, « Ecological impact and human ecology », dans Future Environments of North America, éd. par F. Fraser Darling et John P. Milton, Natural History Press, New York, pp. 425-463, 1966.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 15 août 2024 10:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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