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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Lucie Dagenais “La condition féminine : une préoccupation constante de la CSN. Organisation et présence des femmes dans la CSN.” In ouvrage sous la direction de Yves Bélanger et Robert Comeau, La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale, pp. 70-80. Québec: Les Presses de l’Université du Québec, 1998, 335 pp. [M. Bélanger nous a accordé le 22 mai 2005 l’autorisation de diffuser en libre accès libre à tous l’ensemble de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[70]

La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale

DEUXIÈME PARTIE
L’apport de la CSN à la vie syndicale

La condition féminine :
une préoccupation constante de la CSN.
Organisation et présence des femmes
dans la CSN.”


Lucie DAGENAIS

C’est encore un grand défi de faire avancer réellement l’égalité entre les hommes et les femmes, non seulement au travail mais aussi dans l’organisation de la vie sociale, ce qui remet en question non seulement les conditions de travail, la place des femmes dans les entreprises et dans les syndicats, mais aussi le rôle de l’État et des services publics.

Bien qu’abordées de manière différente selon les époques, ces questions sont constamment présentes dans l’histoire de la CSN, ce que j’examinerai à travers les préoccupations exprimées par le Congrès confédéral, la présence des femmes dans notre organisation ainsi que les stratégies d’organisation des femmes elles-mêmes au sein de l’organisation.

Préoccupation constante

On n’a qu’à parcourir les procès-verbaux de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) et, à partir de 1960, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), pour constater que le Congrès confédéral a traité de la condition des femmes pratiquement chaque fois qu’il s’est réuni depuis 1921 [1]. Ces procès-verbaux ne rendent pas compte de l’ensemble des positions et des luttes menées dans les divers syndicats, fédérations professionnelles et conseils centraux (régionaux), mais ils présentent un intérêt particulier, exprimant le point de vue du mouvement dans son ensemble.

Le vocabulaire fait parfois sourire, certaines idées peuvent heurter nos convictions actuelles, mais le sujet n’est jamais ignoré. Il fait l’objet de débats et de résolutions qui portent sur des sujets aussi divers que le salaire minimum, l’instruction, les pensions aux mères nécessiteuses, les allocations familiales, le droit à l’avortement ou l’équité salariale.

[71]

Déjà, dans les seules années 1920, pas moins de dix résolutions de congrès portent sur la condition des femmes. On y traite de :

  • l’âge d’entrée des jeunes filles sur le marché du travail, que l’on relie à leur accès à l’instruction et aux questions de santé ;

  • les heures de travail « attendu que la santé de ces “frêles créatures” est terriblement atteinte par une durée excessive de travail et que la journée de huit heures est surtout et d’abord urgente pour les femmes et les jeunes filles employées dans l’industrie » ;

  • l’abolition du travail de nuit (sauf dans certains services) pour les femmes et les hommes, parce qu’il est considéré « antihygiénique et antifamilial » ;

  • l’arrêt des machines durant l’heure du dîner, un lieu convenable pour prendre ses repas, des sièges dans les magasins, une inspectrice pour l’hygiène ;

  • la surveillance des ouvrières, qui devrait être confiée à une femme compétente et recommandée ;

  • l’extension du salaire minimum à toutes les catégories d’emploi et, surtout, son application.

On questionne toutefois le droit des femmes à « des ouvrages que devraient faire des hommes et ce, au détriment de pauvres pères de famille et dans des conditions qui ne sont conformes, ni à la morale, ni à l’hygiène » principalement dans les brasseries, les tanneries, les abattoirs et les entrepôts de gros.

Dans les années 1930, on revient sur la question du salaire minimum à plusieurs reprises. On revendique son application, son extension aux cols blancs ainsi qu’aux « filles » d’hôtel, de restaurants et aux domestiques, l’ajout de congés annuels payés aux dames et aux jeunes filles ainsi que la nomination d’une femme comme membre de la Commission du salaire minimum.

On discute aussi du droit de vote des femmes. Une résolution du congrès de 1930 est à l’effet de leur demander, à elles, ce qu’elles en pensent : « qu’il soit suggéré à l’assemblée législative un moyen de résoudre la question du vote des femmes en faisant un référendum parmi toutes les femmes de la province ». C’était reconnaître le droit de vote, d’une certaine manière. Le sujet revient au congrès suivant, mais avec une importante réserve, soit « d’attendre les directives de l’Épiscopat catholique » sur la question !

Avec la Crise, le débat reprend sur le travail des femmes, surtout des femmes mariées, et on demande « à la législature de restreindre à de justes proportions l’emploi de la main-d’œuvre féminine et de déterminer le travail qui ne convient pas aux ouvriers féminins ». Paradoxalement, dans la même période, la CTCC organise plusieurs syndicats de femmes et la direction salue leurs efforts et leurs succès.

[72]

Durant la période de plein emploi des années de guerre 1939-1945, on insiste surtout pour que « l’on entoure la femme qui devra travailler de toutes les précautions de nature à lui conserver sa santé physique et morale ».

En 1952, sur proposition du comité féminin (dont il sera question dans la troisième partie de ce texte), on demande une enquête devant porter notamment sur la répartition des tâches dans les usines, les problèmes de santé des ouvrières, l’application du principe de l’égalité de salaire à égalité de travail et les modes de rémunération du travail féminin (à la pièce ?).

La revendication d’un salaire minimum universel pour toutes les catégories d’ouvriers et d’ouvrières est toujours présente. En 1952, on demande aussi une ordonnance du salaire minimum pour réduire les heures de travail de 54 à 48 heures pour les employés de commerce. Une revendication pour des allocations de maternité est formulée la même année.

Les résolutions ne se limitent pas aux conditions de travail, mais abordent des questions sociales plus larges comme l’orientation professionnelle et la formation ; entre 1923 et 1953, une vingtaine de résolutions portent sur les allocations familiales et, entre 1928 et 1952, une dizaine sur les allocations aux mères nécessiteuses.

Je passe maintenant aux années 1960, que j’ai mieux connues. Au premier congrès de 1962 auquel je participe pour ma formation, comme nouvelle syndiquée, il y a tout un émoi au sujet du rapport de Jeanne Duval, alors vice-présidente de la CSN. Celle-ci considère que « les innovations nécessaires pour permettre à la femme de concilier sa mission de productrice et celle de mère et d’éducatrice se résument à trois items principaux : l’instauration d’une journée de quatre heures, l’extension des permis d’absence pour les absences causées par les maladies des enfants et une allocation à la femme mère au foyer ».

Le rapport soulève un grand malaise, chez les femmes déléguées d’abord. Il est finalement référé pour plus ample étude au comité féminin chargé de faire rapport au prochain congrès.

Le congrès de 1964 présente un intérêt particulier puisque, en plus d’examiner les propositions du comité féminin, le travail des femmes fait l’objet d’une section importante du rapport du président, Jean Marchand [2].

[73]

Le comité féminin se prononce, en particulier, sur la première avenue proposée deux ans auparavant par Jeanne Duval. S’inspirant de la position des centrales syndicales françaises, il estime que « la généralisation du travail à temps partiel serait nuisible à l’ensemble des travailleurs, pour diverses raisons : elle camoufle les vrais problèmes [...], pèse sur le niveau des salaires [...], procure une main d’œuvre mobile, utilisée ou rejetée suivant les fluctuations de la conjoncture, [...] peut résulter en une dévalorisation du travail des femmes, limite les possibilités de promotion, etc. ». Toutefois, « les syndicats n’ignorent pas que le travail à temps partiel peut intéresser des cas individuels ; solutions et garanties doivent alors être recherchées » [3].

Le rapport du comité féminin témoigne par ailleurs de l’activité intense du comité dans les dernières années ainsi que des revendications défendues par la CSN, notamment sur l’égalité de rémunération, le statut juridique des femmes [4], le travail de nuit « refusé ou condamné dans les conditions telles que le réclame l’industrie ».

Le président Marchand, quant à lui, affirme le droit des femmes à un statut qui les protège non seulement comme individus salariés, mais qui tienne compte aussi des besoins particuliers de leur condition de femmes ayant des responsabilités familiales. La CSN, dit-il, devrait redoubler d’efforts pour supprimer toutes les discriminations basées sur le sexe et pour assurer aux femmes une rémunération égale pour un travail de valeur égale. De plus, elles devraient être protégées d’une façon particulière au travail et bénéficier de congés et d’allocations en cas de maternité.

On s’assure, d’autre part, que la CSN ratifie le principe adopté par le Bureau international du travail qui veut que « aucune femme ne [soit] contrainte pour des raisons économiques à travailler hors de chez elle ; elle devrait être libre de le faire si elle le désire. Cette liberté de choix doit être respectée et protégée. Mais, une fois ce choix fait, des mesures doivent être prises afin que les femmes puissent s’acquitter de leurs responsabilités sans inconvénient pour leur santé et le bien-être de leurs enfants ».

Tenant compte « des problèmes multiples et complexes », la CSN demande au gouvernement provincial une enquête très approfondie sur les problèmes [74] de la femme au travail (enquête non obtenue) et participera activement aux travaux de la Commission Bird (fédérale).

Ses positions sont élaborées au comité féminin et sont discutées dans plusieurs activités organisées pour les femmes. Je me souviens en particulier des discussions du comité féminin sur les garderies qui soulevaient certaines inquiétudes. On ne pouvait alors imaginer le contrôle que garderaient les parents dans la formule des garderies sans but lucratif, contrôlées par les parents et le personnel.

Dans la foulée de la Révolution tranquille, un ensemble de revendications sur les problèmes des femmes (égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, éducation, formation professionnelle, assurance-hospitalisation, congé de maternité et allocation de maternité intégrée à notre régime de sécurité sociale, etc.) sont débattues et présentées à divers niveaux.

Dans les années 1970, l’accent est mis sur les droits parentaux et sur l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes et aussi entre les régions, ce qui a un impact important sur le relèvement des salaires des femmes. En 1974, le rapport du président, Marcel Pépin, soulève les discriminations cachées que l’on retrouve encore dans les conventions collectives, les exceptions à certains règlements du salaire minimum qui touchent des secteurs où les emplois sont traditionnellement réservés aux femmes ainsi que la question des congés de maternité et des garderies.

Le Comité de la condition féminine, ressuscité à l’occasion du débat sur ces questions, présentera, en 1976, un rapport intitulé La lutte des femmes, combat de tous les travailleurs [5]. Ce document présente une analyse globale et ses propositions, adoptées par le congrès, inspireront l’action de la CSN pour plusieurs années [6].

Les préoccupations des dernières années concernent surtout l’équité salariale, la conciliation travail-famille, le maintien et l’amélioration des programmes sociaux qui ont joué un rôle déterminant dans l’amélioration de la condition des femmes.

[75]

Présence des femmes

Les préoccupations de la CSN par rapport à la condition des femmes reflètent d’une certaine façon la place qu’elles y ont occupée à divers niveaux. J’ai choisi trois indicateurs pour donner une idée de leur présence [7] et, malgré des progrès certains, de leur représentation inégale : le nombre de femmes parmi les membres, leur présence au Conseil confédéral et la proportion des femmes parmi les conseillers syndicaux.

Le nombre de femmes parmi les membres

Il y a des femmes qui adhèrent à la CTCC dès l’origine. Au congrès de fondation, il faut une loupe pour les retracer dans le portrait, mais il y en a. L’un des importants conflits de cette période sera d’ailleurs mené par les allumettières de la Compagnie Eddy à Hull, en 1924 [8]. D’autres conflits majeurs, dont ceux des usines de textile en 1937 et en 1947 et chez Dupuis et Frères en 1952, témoignent de leur combativité dans des entreprises où les femmes représentaient une forte proportion des syndiqués.

Malgré ses réserves et ses objections au travail des femmes mariées, exprimées épisodiquement, la CTCC a constamment recruté des travailleuses. Le souci de recruter des femmes s’exprime à diverses reprises. Ainsi, en 1935, on note que « le bureau confédéral a suivi de près l’organisation de nouveaux syndicats (féminins) et a salué leurs efforts et leurs succès avec beaucoup de plaisir ». En 1942, on s’inquiète du fait que « la plupart [des travailleuses] dans les industries nouvelles, ne sont pas groupées en associations ». Et, au début des années 1960, la syndicalisation des cols blancs devient prioritaire.

En 1954 et jusque vers 1967, les femmes représentent le tiers des membres. Actuellement, elles comptent pour la moitié des membres. Fait à souligner, il ne s’agit pas seulement de femmes qui travaillent à temps complet, mais aussi d’un bon nombre de travailleuses à temps partiel que la CSN a recruté au même titre que les autres travailleuses, surtout à partir des années 1960.

On oublie parfois ce que ça change d’être syndiqué. Il faut savoir que les travailleuses syndiquées sont mieux rémunérées que les non syndiquées et [76] que leur taux de rémunération se rapproche davantage de celui des hommes [9]. De plus, elles bénéficient de recours contre les mesures disciplinaires et ont généralement des avantages sociaux supérieurs à ceux des non-syndiquées.

Différentes études démontrent aussi que les syndiqués ont plus de chance que les autres d’exercer leurs droits sociaux. Ainsi, le droit de refuser un travail dangereux est un droit exercé essentiellement par les syndiqués, et cela dans une proportion de 98 % des cas [10]. Les retraits préventifs des femmes enceintes (Loi sur la santé et la sécurité du travail) sont aussi plus fréquents chez les travailleuses syndiquées [11], plus informées de leurs droits et plus soutenues dans leur démarche.

Toutefois, le taux de syndicalisation des femmes est nettement insuffisant et l’un des grands défis du mouvement syndical est de rejoindre les non-syndiquées surtout dans les services privés [12] et d’imaginer des formes de syndicalisation et de fonctionnement syndical plus adaptées aux statuts précaires et aux petites entreprises. L’amélioration des conditions minimales de travail et leur application est un autre terrain de lutte qui, à mon avis, devrait reprendre plus d’importance pour le mouvement syndical, en lien avec les organismes qui donnent des services aux non-syndiqués.

La présence des femmes au Conseil confédéral

Le Conseil confédéral est l’instance suprême entre les congrès. Avant 1968, c’était le Bureau confédéral. En 1967, les femmes comptaient pour 8% des délégués à ce bureau. Au Conseil confédéral qui en est maintenant l’équivalent, elles constituaient 23 % des délégués en 1976, 30% en 1984, 27 % en 1990. Elles représentent actuellement 33 % de l’effectif du Conseil.

Un grand progrès a été fait de ce côté, mais il faut noter que cette représentation est encore très inférieure à la proportion des femmes à la CSN.

[77]

Les femmes parmi les conseillers syndicaux

Comme dans la plupart des milieux de travail, le secrétariat de la permanence de la CSN est assumé principalement par des femmes, mais leurs responsabilités, très larges dans certains cas, font l’objet d’une certaine considération, ce qui se traduit par un écart de salaire peu important par rapport à celui des conseillers et des dirigeants du mouvement.

Il n’en demeure pas moins que les postes considérés comme les plus importants sont ceux des conseillers. Parmi eux, il y a eu une femme en 1946, j’ai été la deuxième en 1963 et quelques autres ont été embauchées dans les années 1960. Leur nombre a augmenté régulièrement par la suite, mais lentement, de façon à n’atteindre que 16,7 % en 1991.

Un programme d’accès à l’égalité (PAE) négocié en 1989 a fait passer ce pourcentage à 23,4 % en 1996. On a noté que de 1991 à aujourd’hui, c’est grâce au PAE qu’un quart des postes ont été attribués à des femmes. Le résultat est cependant très inégal selon qu’il s’agit de la CSN elle-même (40%), des fédérations professionnelles qui négocient les conventions collectives (19%) ou des services régionaux (11 %).

A noter que ce genre de politique syndicale, largement débattue au Syndicat des employé(e)s de la CSN, a un impact considérable non seulement parmi les employé(e)s du mouvement, mais constitue aussi, pour ceux et celles qui négocient dans les entreprises, un certain modèle qu’ils expérimentent dans leur propre vie de travail. La formule donne priorité à une femme pour l’octroi des postes, dans le cas d’un affichage sur deux et, fait rare, la règle s’applique également en cas de mise-à-pied. Ce qui signifie qu’une réduction d’effectifs ne signifie pas une réduction du nombre de femmes conseillères dans la même proportion.

La CSN, je crois, applique elle-même ce qu’elle préconise dans les entreprises mais, selon le comité des femmes du Syndicat qui représente ses employé(e)s, le PAE peut encore être considérablement amélioré.

Stratégie d’organisation des femmes dans la CSN

L’organisation des femmes au sein de la CSN a donné lieu à des stratégies variées, parfois contradictoires. Mais, sauf durant une très courte période, à partir des années 1950, elle peut se résumer par deux mots : spécificité et réseau.

Rappelons que la CTCC a voulu que la syndicalisation féminine « soit établie selon les principes et les cadres de l’organisation masculine » [13]. Il y [78] eut cependant des syndicats féminins à une certaine époque [14]. Cette forme d’organisation des femmes, inspirée sans doute des syndicats chrétiens de Belgique, a été plutôt marginale, ne pouvant être très efficace dans le régime de relations de travail nord-américain.

Dès 1943, les femmes déléguées au congrès proposent une autre formule pour tenir compte de leur spécificité, à savoir « que la CTCC les autorise à se réunir en comités d’études pour discuter toutes les questions d’intérêt propre à l’élément féminin ».

Un autre proposition va plus loin, en 1952, alors que le congrès accepte la formation d’un comité féminin. Ce comité jouera un rôle important dans l’examen des problèmes propres aux femmes et la formulation de leurs revendications et, en 1964, une résolution est à l’effet « que soient intensifiées, sur la base des régions, fédérations ou usines, des rencontres de travail et d’étude afin d’amener les travailleuses à une prise de conscience de leurs problèmes et du syndicalisme ». Le président Marchand note que « les expériences [...] sont une preuve que des femmes mises en situation de s’exprimer librement le font de façon dynamique et que leur action syndicale n’en est, par la suite, que renforcée ».

Leur participation aux activités syndicales organisées pour elles spécifiquement, en plus de les aider à identifier et à résoudre leurs problèmes, prépare en effet un plus grand nombre d’entre elles à assumer des responsabilités dans leurs syndicats et dans les instances de la centrale.

Le comité, à l’occasion, critique « les hommes qui pensent que les femmes n’ont pas des droits égaux dans le syndicalisme ». Des propositions sont avancées pour corriger la situation, dont « l’accès d’un plus grand nombre de travailleuses aux postes de responsables dans les syndicats, la nomination de femmes sur les comités de négociation, la négociation de certaines dispositions qui devraient être couvertes dans les conventions collectives (congés de maternité, assurances) ».

Dans les années 1960, l’activité syndicale est intense : recrutement, grèves, groupes d’études, prises de position, sur diverses politiques et sur de nombreux projets de loi. Les femmes, dont un grand nombre de nouvelles syndiquées dans les services, participent plus que jamais auparavant.

En 1966, certaines, bien qu’ayant été très impliquées au comité féminin, trouvent alors secondaire de maintenir des lieux de rencontre spécifiques aux [79] femmes. Malgré l’immense travail accompli et son élargissement revendiqué au congrès précédent, le comité féminin propose lui-même sa dissolution. J’étais moi-même de cet avis, ce que j’ai rapidement regretté.

Au début des années 1970, c’est autour du 8 mars, fête internationale des femmes, que nous organisons de nouveau des activités spécifiques, cette fois avec des femmes des autres centrales syndicales, avec des artistes et des groupes de femmes. Se regroupent ainsi annuellement un nombre de militantes, élargi d’année en année, pour témoigner entre elles et devant l’opinion publique de leur combat et de leurs espoirs.

Moins de dix ans après sa dissolution, le comité féminin de la CSN renaîtra. Et le premier paragraphe du programme proposé au congrès de 1976 par ce nouveau comité de la condition féminine sera à l’effet « que la CSN reconnaisse qu’il existe une oppression spécifique aux femmes » !

Fait surprenant, la principale position adoptée par le congrès de 1996 sur « les femmes à la CSN » veut que « l’on tienne compte des distinctions selon le sexe dans les analyses et les politiques mises de l’avant par la CSN et ses organismes, dans le but d’actualiser l’objectif [d’égalité] entre les hommes et les femmes ». On peut comprendre ce souci, compte tenu qu’il n’est pas toujours évident, à première vue, que les atteintes actuelles aux droits syndicaux et aux droits sociaux, que les réformes et les virages de tous genres puissent toucher différemment les hommes et les femmes.

Le réseau que le comité de la condition féminine de 1976 était chargé de mettre en place, les activités de formation sur la condition des femmes dans les conseils centraux, dans les fédérations professionnelles et dans les syndicats sont sûrement des facteurs ayant le plus contribué à renforcer les luttes sur la condition des femmes et à élargir les préoccupations du mouvement sur cette question.

À noter qu’une des caractéristiques de ce réseau est son ouverture à d’autres groupes et à d’autres organisations surtout québécoises (canadiennes et internationales à l’occasion) avec lesquels il a œuvré et continue d’œuvrer au sein de coalitions ponctuelles ou permanentes.

En guise de conclusion

Je crois que la CSN a fait beaucoup pour les travailleuses et pour les femmes du Québec. Je ne dirais pas qu’elle a été à l’avant-garde sur toutes les questions concernant les femmes. On ne peut, en effet, ignorer ses objections épisodiques au travail des femmes mariées et ses positions anciennes sur la sexisation des emplois.

Mais il faut - davantage que certaines historiennes l’on fait - souligner ses efforts particuliers de syndicalisation des femmes, l’appui à leurs luttes dès [80] les années 1920, ainsi que ses revendications persistantes pour des législations sociales universelles (et non pas seulement des avantages sociaux applicables aux syndiqués) et pour un salaire minimum décent, universel, applicable à toutes les catégories d’emploi.

Dans la négociation des conventions collectives, sa politique salariale de relèvement des bas salaires, d’équité de rémunération entre les sexes et entre les régions, a particulièrement favorisé les femmes. Ses luttes pour les droits parentaux et la protection de la santé des femmes au travail ont eu un impact important sur la législation générale.

De plus, la CSN a laissé à ses militantes une grande marge de manœuvre dans l’organisation d’activités spécifiques aux femmes et dans leurs rapports avec les groupes féministes, elle leur a fourni les ressources et, au besoin, les appuis nécessaires. La politique salariale et d’équité en emploi qu’elle s’est imposée à elle-même, comme organisation, témoigne également d’un engagement certain.

Enfin, la CSN a été et demeure une grande école pour les femmes. Comme l’exprime si bien Chantal Deschamps dans Les filles aux allumettes [15] : « Une chose est sûre, c’est que ça ne sera plus jamais comme avant. Que je retourne au Crown Plaza, ou où que ce soit, je garde le bagage de syndicalisme que j’ai acquis à la CSN. Je vais être plus vigilante d’ailleurs. Je vais m’impliquer, je veux revendiquer mes droits dans tous les domaines, j’ai appris ça à la CSN de revendiquer sur tous les points de vue. On a des droits, on a des lois. En tant qu’être humain, on a le droit de revendiquer. Quand on brime nos droits, on a le droit de revendiquer ».


C’est aussi ce que j’ai appris à la CSN et je souhaite que ce mouvement trouve le moyen de rejoindre les trop nombreuses femmes non syndiquées. Dans le contexte actuel, c’est sans doute un défi majeur pour la CSN, non seulement d’assurer la défense de ses membres comme travailleurs et travailleuses, de promouvoir une véritable équité dans les conditions de travail, mais aussi de lutter pour le maintien et l’amélioration des mesures sociales qui sont indispensables à l’émancipation des femmes et à leur droit à la pleine égalité.

[328]

Lucie Dagenais

Lucie Dagenais a œuvré au sein de la CSN de 1962 à 1994. Durant ces années de militantisme, elle a notamment été conseillère syndicale à la Fédération des affaires sociales, adjointe au secrétaire général de la CSN et conseillère au [329] Service de formation. Entre 1989 et 1994, madame Dagenais fut active au Conseil du statut de la femme. Depuis 1995, elle est consultante en santé au travail.



[1]       Voir les procès-verbaux des congrès de la CTCC et de la CSN. Pour la période 1921-1955, on peut les consulter à partir de l’index des procès-verbaux des congrès de la C.T.C.C. de Louis-Laurent Hardy. Voir aussi Jeanne-Mance DUBÉ, Principales positions CSN, Congrès 1936-1968, Mémoires 1928-1970.

[2]       Jean Marchand avait fait appel à Renée Geoffroy pour l’assister dans la rédaction de cette partie de son rapport. Celle-ci a joué un rôle important à Radio-Canada dans diverses émissions dont Femmes d’aujourd’hui. Le point de vue de Jean Marchand est présent dans Si le travail m’était conté... autrement !, un film de Marcel Simard, dans la série CSN : cinq temps d'un mouvement, produit par Les films Virage en coproduction avec L’Office national du film, 1996.

[3]       À noter que la première convention collective garantissant aux « temps partiel » des avantages au prorata du temps travaillé a été négociée quelque temps après par la CSN pour les infirmières de 1 Hôpital Le Gardeur de Repentigny. Cette disposition a été ensuite intégrée dans la convention collective provinciale conclue le 4 août 1966 entre la FAS et les institutions hospitalières (art.22.06 et Annexe D, art. 9.06-9.07).

[4]       Avant le «bill 16», les femmes mariées ne pouvaient disposer librement de leurs biens, ni tout à fait de leur corps. Comme infirmière, je me souviens que nous devions obtenir l’autorisation du mari avant les interventions chirurgicales de leur femme !

[5]       CSN, La lutte des femmes, combat de tous les travailleurs, Comité de la condition féminine, Rapport du comité national de la condition féminine, 47e congrès, juin 1976.

[6]       CSN, La force des femmes : une clé essentielle du progrès !, Comité national de la condition féminine, 9e rapport du comité national de la condition féminine, 1992, reprend en annexe les résolutions 1976-1992.

[7]       Les archives de la CSN présentent rarement des données par sexe, sauf pour la participation aux congrès depuis 1970. Seules quelques enquêtes permettent d’en faire le décompte, de temps à autre. C’est pourquoi les données rapportées ne couvrent pas nécessairement des intervalles réguliers.

[8]       Voir Patricio HENR1QUEZ, Les filles aux allumettes, un film dans la série CSN : cinq temps d'un mouvement, produit par Les films Virage en coproduction avec L’Office national du film, 1996.

[9]       Julie WHITE, Les femmes et le syndicalisme. Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, 1980, p. 65.

[10]      M. RENAUD, G. TRUDEAU. C. ST-JACQUES, L. DUBÉ. Le droit de refus : une révolution tranquille. Étude de la mise en œuvre d'un nouveau droit. École des relations industrielles, Université de Montréal, 1985, p. 100.

[11]      IRSST, Pour une maternité sans danger, Rapport du Groupe de travail présidé par Madeleine Blanchet, Axes de recherche, janvier 1993, p. 23.

[12]      Jean-Guy BERGERON, La syndicalisation dans le secteur des services privés, Colloque CSN sur les relations de travail, Tracer un chemin, 21-22 octobre 1991. Voir aussi Christine O’NEILL, L'influence des activités à l’extérieur du travail sur la syndicalisation chez les travailleurs du secteur des services privés, Résumé du mémoire de maîtrise, Université de Montréal, juin 1996.

[13]      CTCC, Procès-verbal du congrès, 1935, p. 65.

[14]      Nadia FAHMY-EID et Lucie PICHÉ, Si le travail m'était conté... autrement. Les travailleuses de la CTCC-CSN : quelques fragments d’histoire 1921-1976. Voir aussi Luc DESROCHERS, Histoire de la Fédération des affaires sociales 1935-1973, Beauport, MNH, 1997, sur le Syndicat féminin de Québec dans le secteur hospitalier.

[15]      Les filles aux allumettes, op.cit.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 15 juin 2024 19:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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