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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Numéro 3 de la revue Culture technique, “Machines à laver”, 1981.
“Pour une nouvelle économie domestique. 2”.


Une édition électronique réalisée à partir du Numéro 3 de la revue Culture technique, “Machines à laver”, 1981, 290 pp. [Autorisation accordée par le directeur général, Jocelyn De Noblet, de diffuser cette revue en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. M. à Thierry Gaudin pour toutes ses démarches auprès du directeur général de la revue afin que nous puissions reprendre la diffusion de tous les numéros de cette revue.]

[23]

“Pour une nouvelle
économie domestique
2”.

Thérèse Evrard-Chéron.

In revue Culture technique, no 3 Spécial, 15 septembre 1980, pp. 23-28. Neuilly-sur-Seine : Centre de recherche sur la culture technique.

On appelle souvent notre époque le siècle presse bouton.

Pour vérifier cet adage, faites l'inventaire des outils, instruments, ustensiles, appareils, machines, que vous utilisez chez vous quotidiennement en pressant, ou tournant un bouton.

Pour mon compte, j'en ai découvert 40, de la machine à laver le linge, au tire-suisse pour ouvrir la porte, sans compter les nombreux interrupteurs de courant qui nous donnent la lumière.

Voici cette liste. Vous pourriez sans doute en ajouter d'autres.

Pour la cuisine :

1. robot hachoir
2. moulin à café
3. cafetière
4. broyeur à potage
5. batteur
6. grille-pain
7. couteau électrique
8. allume-gaz
9. friteuse
10. rôtissoire
11. cuisinière
12. réfrigérateur
13. congélateur
14. ouvre-boîte
15. chauffe-biberon
16. lave-vaisselle

Pour le linge :

17. chauffe-eau
18. machine à laver
19. fer à repasser
20. machine à coudre

Pour la toilette :

21. rasoir
22. sèche-cheveux
23. fer à friser
24. brosse à dents
Pour l'entretien de la maison :
25. aspirateur
26. perceuse
27. chauffage central

Objets divers :

28. horloge réveil
29. téléphone
30. machine à écrire
31. calculatrice
32. sonnette
33. tire-suisse

Pour les loisirs :

34. radio
35. télévision
36. magnétophone
37. électrophone
38. orgue

Jouets :

39. circuit électrique autos
40. jeux de société

etc.

Cette multiplicité d'appareils modifie inévitablement nos habitudes et notre comportement face à notre vie quotidienne domestique. Autrefois l'outil simple, le savoir-faire appris progressivement, la réalisation personnelle de l'objet, créaient un rapport d'unité par les échanges incessants main et pensée ; ce qui donnait à l'être humain satisfaction et équilibre.

La femme était "Maîtresse de Maison" en milieu bourgeois ; elle était "La Patronne" chez l'ouvrier et le paysan. C'était son "statut social" ; elle était Partisane" des travaux de la vie quotidienne domestique (et souvent l'artiste), reconnus alors comme essentiels pour la bonne gestion des foyers "cellules de base de la société".

L'arrivée de la machine domestique (imitation de celle de l'industrie) sépare la travailleuse du contact direct avec l'objet. Elle rompt l'unité étroite "Pensée-Main". C'est la machine qui dorénavant possède le savoir-faire. L'être humain, en l'occurrence la femme, n'est plus créatrice d'un objet, d'une chose, mais simple exécutante de la machine dont, dans la majorité des cas, elle ignore le mécanisme.

Cette dévalorisation domestique de la ménagère par l'automatisme risque d'entraîner la passivité. C'est peut-être une des raisons de la désaffection générale des tâches domestiques.

Et pourtant les appareils ménagers ont un rôle positif. Ils sont presque toujours un gagne-temps, un gain de propreté et d'hygiène, un gain certain d'énergie humaine.

Ne peut-on grâce à eux, rechercher et accéder à d'autres valeurs culturelles ? Retrouver une autre démarche pour maintenir l'unité, l'équilibre, la satisfaction, en un mot, la simple joie de vivre le quotidien avec le machinisme domestique ?

[24]

  

C'est ce que nous chercherons à découvrir à travers quelques techniques ménagères utilisant couramment machines et appareils comme :

COUDRE :   de l'aiguille à la machine à coudre

LAVER LE LINGE :   du lavoir communal à la machine à laver et essorer le linge

REPASSER :   du fer de fonte à la calandre en passant par le fer électrique léger et à vapeur

CONSERVER LES ALIMENTS :   de la salaison au réfrigérateur et au congélateur

ASPIRER LA POUSSIÈRE :   du balai à l'aspirateur

Coudre

C'est la technique qui consiste à attacher ou joindre des matériaux par une suite de points, faits au moyen d'une aiguille et d'un fil. Cette technique très ancienne a toujours été employée pour fabriquer les vêtements. Elle donnait lieu à des travaux dits "d'aiguille", décorant et brodant tout en assemblant les différentes pièces d'un habit. C'était pour la femme qui les créait l'occasion de développer ses dons artistiques. Que de chefs-d'œuvre ont été réalisés par le couple main-aiguille ! Nous contemplons, rêveusement, des bonnets et châles d'autrefois, fines merveilles de la patience, la minutie, l'adresse, le bon goût de nos aïeules et surtout de leur savoir-faire.

C'est seulement en 1830 que fut créée la première machine à coudre. Qui dit machine dit, aussi rapidement, industrie. C'est à partir de cette époque que naissent les grands magasins de confection. Cela change totalement les habitudes vestimentaires et plus particulièrement celles des milieux populaires qui n'avaient pas toujours le temps et le savoir-faire pour manier habilement l'aiguille.

Actuellement, on serait de plus en plus porté à acheter ses costumes en confection et, en même temps, pour des raisons budgétaires et par besoin de créativité, des femmes de plus en plus nombreuses confectionnent des vêtements.

Autrefois toutes les fillettes apprenaient en famille et à l'école l'art de tirer l'aiguille et de faire des "petits points". Actuellement, il n'en n'est plus question. La mère de famille, comme l'institutrice, sont le plus souvent ignares en ce domaine.

Il reste pourtant comme un besoin, souvent instinctif, pour une fille, de savoir coudre. Sans réflexion approfondie sur ce sujet, on continue l'apprentissage des petits points et des pièces d'études, en classe, aux cours de travaux manuels, encouragé en cela par l'enseignement technique, qui, lui, a pris l'option d'une formation professionnelle, avec des méthodes d'apprentissage à un métier différentes de celles nécessaires à la couture familiale.

Pourtant il serait formateur pour toutes les filles, d'apprendre rapidement à assembler des morceaux de tissu. Nous sommes encore loin, dans l'enseignement, de cette simple démarche imposée par l'introduction de la machine dans nos vies, qui consisterait, pour savoir s'habiller, à donner la priorité, non plus à l'aiguille, mais à une connaissance des notions de proportions du corps à vêtir et à une parfaite maîtrise de la machine à coudre, le tout suivi d'un essayage critique ; ce serait là une heureuse approche de la formation esthétique, autant par le choix des formes que celles des couleurs. Cette démarche permettrait à la femme d'être une meilleure consommatrice. Sachant regarder avec un œil critique, elle choisirait plus facilement ce qui lui convient le mieux et serait plus exigeante pour le trouver.

Il en serait de même pour l'achat de la machine à coudre, proposée avec toujours plus de perfectionnement et avec des quantités de gadgets qui en augmentent singulièrement le prix d'achat. Alors qu'une machine à point droit et à point zig-zag est suffisante en couture familiale. L'introduction de la machine au foyer change nos habitudes, nos apprentissages et a une répercussion importante sur la vie économique du pays. Ou la femme domine la machine et sait ce qu'elle veut en faire ou elle se laisse séduire par les nombreux gadgets inutiles et souvent gaspilleurs d'énergie.

Laver le linge

Autrefois la lessive se faisait une fois par an. C'était un événement qui rassemblait toutes les femmes du village autour de la fontaine et donnait lieu à une vraie fête avec repas et chants qui faisaient oublier la fatigue. Aujourd'hui, grâce à la machine, la lessive se fait, parfois tous les jours, certainement toutes les semaines, sans fatigue, mais aussi sans joie. A l'événement annuel et à l'activité joyeuse de nos grand-mères, nous avons substitué le travail monotone et routinier de la machine accentué encore par la régularité de son bruit.

Mais la lessive qui se fait sans nous, nous permet ainsi de récupérer du temps ; à notre époque, le temps, c'est précieux. Le lave-linge à cet égard nous devient indispensable. Indispensable aussi l'économie d'énergie humaine que nous pouvons réserver à d'autres activités culturelles. Cependant, il faut que nous restions maître à bord de notre machine, en apprenant à la commander parce que nous la connaîtrons bien et que nous évaluerons tous les services qu'elle peut nous rendre. Il faut aussi savoir nous adapter à ses possibilités, en ne lui demandant pas ce qu'elle ne peut pas faire.

Nous avons toujours tendance à rechercher dans les appareils ménagers, les mêmes processus que ceux que nous employions auparavant : par exemple, "faire bouillir le linge". Cette expression correspondait à l'emploi de la lessiveuse à champignon précédemment utilisée. Elle nécessitait l'ébullition de l'eau lessivielle pour la faire monter par la cheminée de l'appareil pour qu'elle se déverse ensuite sur le linge, à une température élevée. Le linge, lui, était isolé du fond du récipient et ne "bouillait" donc pas.

Comme dans tous les appareils, la consommation de l'énergie électrique est beaucoup plus grande lorsqu'il s'agit de fournir de la chaleur que lorsqu'il s'agit de faire tourner un moteur. Bien entendu, qui dit consommation importante dit aussi prix de revient élevé. Nous avons donc intérêt à laver notre linge à une température moindre, surtout avec les produits lessiviels actuels. Cela permet aussi de laver ensemble différents textiles si l'on ne dépasse pas 35 à 50°, mais en s'adaptant aussi à la salissure du linge et à la fréquence des changements. En outre, tout nettoyage peut se faire en machine. Il suffit de bien la programmer : utiliser ou non le trempage, supprimer ou non l'essorage, diminuer ou augmenter le temps de brassage en fonction des salissures, de la nature des textiles, de la fragilité des objets et du produit lessiviel utilisé. Par contre, si le lave-linge nous fait gagner du temps, il faut savoir en "perdre" à l’étendage, pour défriper le linge après son essorage centrifuge dans la machine : remettre en forme, sur des portemanteaux gonflables, toute la chemiserie et autres vêtements, déposer les lainages sur des filets suspendus, étirer le linge plat sur des fils bien tendus. Il faut aussi savoir récupérer le linge sans le froisser et prendre le temps de le plier ou, s'il y a lieu, de le suspendre sur des cintres. Les soins apportés à ces dernières étapes limiteront le temps de repassage, mais demanderont sans doute un réexamen des volumes de rangement.

Si la machine apporte une vraie révolution dans notre comportement vis-à-vis de l'entretien du linge et nous libère des tâches fatigantes, elle nous demande, pour être utilisée intelligemment, connaissance et réflexion.

[25]

 


Repasser

Qui à notre époque n'a pas de fer électrique ?

Fer lourd chauffant modestement demandant un geste appuyé, le repassage se faisant autant par pression que par chaleur ;

Fer léger de 1 000 W repassant surtout par chaleur demandant un geste plus léger mais rapide ;

Fer humectant du linge trop sec ;

Fer qui grâce au thermostat donne la température correspondant au textile.

Le fer électrique est un appareil qui fournit de la chaleur, donc un appareil de forte consommation d'énergie. Il est donc intéressant d'en limiter l'usage. Comme nous l'avons dit précédemment, un bon étendage peut l'éviter totalement, tandis qu'une bonne préparation du linge par étirage et pliage diminuera le temps consacré au repassage.

À notre époque, devant les prix élevés de l'énergie, il faut à nouveau repenser nos habitudes d'économie domestique.

Si nous voulons peu repasser, nous devons acquérir le plus possible de linge, de vêtements en matière synthétique ou en coton traité. Là encore, rien de routinier, mais une adaptation de l'usage de l'appareil aux circonstances ce qui demande sans cesse d'être en éveil pour s'informer.

La calandre est entrée dans les petites collectivités mais très peu en famille où le linge plat est de plus en plus rare et ne se repasse plus.

Conserver les aliments

En visitant les Salines royales d'ARC-ET-SENANS, on comprend mieux la valeur donnée les siècles derniers au sel. La salaison était l'unique moyen de conserver les aliments. Venaient ensuite les caves voûtées pour maintenir au frais les laitages particulièrement, et en hiver les rebords de fenêtre de cuisine.

Actuellement nous produisons le froid à domicile avec les réfrigérateurs qui deviennent des appareils indispensables pour une conservation saine de notre nourriture. C'est dans les constructions d'immeubles H.L.M. sans caves ni rebord de fenêtres et avec chauffage central que le besoin s'en est fait le plus sentir. Matériellement il était impossible d'avoir un endroit frais pour conserver en particulier le lait pour les bébés. Le réfrigérateur a servi de première expérience à une conservation momentanée des aliments, et actuellement se développe l'usage du congélateur. Ce dernier bouscule davantage encore nos habitudes de stockage et notre alimentation elle-même.

Avec le réfrigérateur, il était facile de faire ses courses une ou deux fois par semaine et de profiter des prix avantageux des grandes surfaces et des marchés. On profitait d'un gain de temps et de fatigue. Mais le congélateur remet en honneur la fabrication ménagère des conserves, ce qui peut amener à cultiver un jardin potager.

Les congélateurs, d'abord collectifs pour un village, un quartier, sont devenus individuels pour une famille. Par contre, les achats, pour les remplir, deviennent souvent collectifs pour profiter des prix de gros. Autour du congélateur, l'activité ménagère renaît. Il faut préparer les aliments, faire des parts, des portions correspondant aux besoins de la famille en prévoyant les quantités, les poids. On retrouve les procédés de préparation des conserves d'autrefois. Des plats cuisinés peuvent être prévus s'ils supportent le réchauffage, par exemple les viandes en sauce. Les congélateurs sont sans doute les appareils qui relient le mieux les usagers entre eux par l'échange de recettes expérimentées par les uns et les autres. C'est l'appareil qui laisse à chacun une grande autonomie quant à l'usage. Toute la famille s'y intéresse jusqu'aux enfants qui y trouvent le moyen économique de satisfaire leur amour des glaces. C'est avec le congélateur que la ménagère retrouve davantage le contact étroit de la pensée et de la rnain. Se réinsérant dans la production, elle éprouve un sentiment qui la revalorise. Le congélateur demande sa collaboration pour être efficace.

Aspirer les poussières

Nous pourrions ici parler de geste à apprendre avec l'aspirateur qui n'est pas un balai, mais que l'on traite encore trop souvent comme tel. L'utilisation de cet appareil, contrairement aux autres, demande plus de temps qu'un simple balayage. Il doit adhérer parfaitement au sol pour lui permettre d'aspirer au maximum les poussières. De ce fait il ne peut pas être manipulé rapidement à l'inverse du balai qui lui, pousse, guidé par la main les poussières devant lui en la déplaçant rapidement. Inutile de signaler le rôle hygiénique de l'aspirateur par rapport au balai. D'autre part, c'est un moteur qui l'anime, donc faible consommation d'énergie. Mais encore faut-il savoir se servir de cet appareil. Puisque aspirer demande une technique lente et appuyée et balayer une technique rapide et légère, on ne peut pas tenir son aspirateur comme on tient son balai. Il faut promener lentement et bien à plat la brosse de l'aspirateur, ce que ne font pas toujours les ménagères, par manque de réflexion sur le savoir-faire de leur appareil, conservant les anciennes habitudes de manipulation de l'outil très différente que représente le balai.

Conclusion

Un outil adéquat, une connaissance de l'outil, un geste adapté à l'outil, c'est ainsi que l'on forme tout bon ouvrier.

Mais quand l'outil est remplacé par une machine qui possède le savoir-faire, ce n'est plus un bon ouvrier qu'il faut former, mais bien un directeur qui sache commander et collaborer intelligemment avec l'ouvrier-robot que représente toute machine.

Contrairement à ce que l'on peut penser, la nouvelle économie domestique demande une formation globale des tâches ménagères, afin de savoir les dominer et surtout les commander. Cette formation ne peut pas être faite une fois pour toutes, mais devrait profiter largement d'un enseignement permanent, à une époque aussi mouvante et rapide en inventions que la nôtre.

Il s'agit d'être capable de choisir nos aides techniques en fonction des réels besoins de notre temps.

Les outils et machines offerts à notre époque pour la vie quotidienne en famille, sont plus souvent produits pour servir une politique de consommation que par souci de répondre aux vrais besoins des usagers. D'où l'affluence de gadgets inutiles et tentants sur tous les marchés et dans tous les secteurs ; ces derniers temps, c'est celui des jouets d'enfants qui a été exploré.

Les préhistoriens ont pris, les premiers, conscience de l'importance spécifique globale des outils dans l'évolution de l'homme, tant comme moyen que comme conséquence.

Le machinisme domestique, tout comme le machinisme industriel, fait partie de l'évolution de l'homme. Nous devons nous en servir comme moyen sans nous laisser nous asservir par l'automatisme, mais savoir reconnaître et utiliser à bon escient, tout ce qui est gain de temps et économie d'énergie humaine pour nous maintenir en bonne santé. Reste ensuite à chacun à garder, suivant ses besoins et ses compétences, la part de créativité qui lui convient dans la vie quotidienne domestique. La machine est utile, comme l'argent elle ne crée pas le bonheur, mais elle y contribue dans la mesure où l'homme s'en sert comme moyen et non comme fin, ne supprimant pas l'équilibre du geste et de la pensée mais les développant, permettant ainsi l'épanouissement de la personne.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 juillet 2024 7:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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