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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Suzy Castor, L'occupation américaine d'Haïti. (1988)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Suzy Castor, L'occupation américaine d'Haïti. Port-au-Prince, Haïti: une publication du CRESFED (Centre de recherche et de formation économique et sociale pour le développement), 1988, 3e édition, 320 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, Licencié en sociologie de la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la direction du CRESFED le 11 juillet 2019 de diffuser ce livre, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

L’occupation américaine d’Haïti

Avant-propos

Comme le notait Marc Bloch, l'incompréhension, du présent naît fatalement de l'ignorance du passé. La compréhension du cas haïtien est impossible sans l'étude de toute son évolution historique, et en particulier sans la connaissance du fait transcendantal qu'a constitué l'intervention des États-Unis. Cette intervention a représenté un véritable nœud où se sont conjugués à la fois les résultats du processus de l'histoire nationale depuis l'indépendance, le phénomène de l'expansion impérialiste et la gestation de nouveaux traits propres de l'évolution du pays dans les dernières décennies.

Paradoxalement, cette période n'a reçu, malgré son importance, toute l'attention qu'elle méritait. Peu d'études ont contribué à sa connaissance. La bibliographie de base qui s'y réfère se limite au livre de Raymond Leslie Buell, The American Occupation of Haïti publié en 1929 ; à celui d'Arthur Millspaugh, ancien conseiller financier américain en Haïti, Haiti under American control publié en 1937 ; et à l'œuvre de Dantès Bellegarde, ministre de l'éducation pendant l'occupation, La résistance haïtienne, publiée en 1937. L'apport de chacune de ces études est très précieux mais elles ne manquent pas de traduire leurs positions partisanes que ce soit du point de vue officiel américain ou celui d'un secteur de la bourgeoisie haïtienne. Elles ne sont ni plus ni moins que d'irremplaçables témoignages de l'époque, présentés par des acteurs participants... Cependant, réalisées pendant l'occupation ou à la fin de celle-ci, elles n'ont pu [10] bénéficier de la perspective du temps. Comme dirait Marx, "devant ce fragment de la réalité, elles n'ont pas disposé de l'étape supérieure qui en révélant les effets des événements passés leur aurait permis de capter et de valoriser adéquatement cet événement".

À quelques décennies du débarquement des marines en Haïti, l'intérêt pour cette période historique - si obscure au niveau national, totalement inconnue sur le continent - a recommencé à se manifester. En 1956, Hogarth Nicolas a eu le grand mérite de rappeler le thème à l'attention nationale dans son livre L'occupation américaine, la revanche de l'histoire... Dans une récente étude (1971) The United States Occupation of Haiti 1915-1934, le professeur américain Hans Schmidt Jr. envisage le thème dans la position de l'académicien libéral américain qui voit l'événement de l'extérieur. Même en reconnaissant que l'occupation n'a pas modifié profondément la vie de la majorité des haïtiens, il souligne "les substantielles réalisations" auxquelles elle a donné lieu et ne fait aucune référence à l'attitude populaire face à l'intervention, ni ne tente de situer l'occupation dans la trame globale de l'histoire haïtienne.

À cause du manque de recherches sur le phénomène, de l'importance fondamentale qu'il a prise dans le développement historique haïtien depuis plus d'un demi-siècle et de la nécessité de rechercher dans le passé les origines des faits présents, une vision haïtienne du phénomène devait le saisir à partir de sa dimension interne et externe, dans sa totalité et ses projections. Surtout parce que, dans les dernières années, l'ombre d'une nouvelle intervention américaine - devenue réalité dans la voisine république Dominicaine en 1965 - plane sur l'avenir haïtien, menaçant tout effort tendant à l'exercice effectif de la souveraineté et à [11] une régénération hors des lignes tracées par la première intervention de 1915.

En réalité, l'occupation militaire américaine a constitué pour Haïti un de ces événements externes qui accélèrent ou qui freinent le processus historique naturel des peuples. Alors qu'au début du XXe siècle, une crise aiguë ébranlait les fondations de la nation haïtienne sous l'impulsion de certaines forces sociales cherchant à atteindre un nouvel équilibre, l'action de puissants facteurs externes modifia ce processus. Les États-Unis entrèrent alors dans une phase accélérée de leur développement capitaliste dont l'étape impérialiste était le point culminant ; ils avaient comme objectif important de leur stratégie d'expansion la domination de l'Amérique Latine. Celle-ci a revêtu plusieurs formes, depuis la subtile diplomatie du dollar jusqu'à la brutale intervention militaire, le BIG STICK appliqué surtout dans la zone des Caraïbes.

Dans le cadre de cette politique, les troupes américaines débarquèrent en Haïti en 1915, y demeurant jusqu'en 1934. Cette intervention - la plus longue de l'époque - a constitué un cas concret d'impérialisme, c'est-à-dire que les monopoles engagés dans l'agrandissement de leur sphère d'autorité ont exercé leur pouvoir hégémonique. Elle a, en même temps, engendré un ordre de facteurs de cause qui ont déterminé ou conditionné dès lors le développement socio- économique du pays en maintenant en vigueur un système périmé, intégré au système de domination des États-Unis.

Elle a ainsi coïncidé avec le phénomène impérialiste tel qu'il fut défini par Lénine qui signale, comme caractéristique intrinsèque, la politique de nouveau partage du monde effectué par le capitalisme monopoliste aux dépens des pays coloniaux ou formellement dépendants. "Le capital [12] financier - souligne Lénine - est une force considérable, on peut dire décisive, dans toutes les relations économiques et internationales ; il est capable de subordonner et subordonne effectivement, même les états qui jouissent de l'indépendance politique complète. Mais on comprend que la subordination la plus avantageuse, la plus commode pour le capital financier est celle qui apporte avec elle la perte d'indépendance politique des pays et des peuples soumis".

Le bien-fondé de cette affirmation se confirme avec une étonnante exactitude dans le cas que nous étudions, lorsqu'on apprécie le rôle de la National City Bank dans l'intervention américaine en Haïti. Comme l'a reconnu, en 1936, l'ancien Haut-Commissaire, le major Smedley D. Butler, devant un comité du Sénat américain : “J'ai servi pendant 30 ans et quatre mois dans les unités les plus combatives des forces armées américaines, l'infanterie de marine.

Je crois que durant ce temps j'ai agi comme un bandit hautement qualifié au service des grandes affaires du Wall Street”.

L'impact de cette force externe de caractère économique, technologique, politique et militaire a perturbé la dynamique interne de la société haïtienne. Il a donné lieu à un certain remodelage du système jusqu'alors en vigueur, système instauré avec l'éclatement de la société coloniale et esclavagiste à la suite de la révolution nationale libératrice (1789-1804). La nouvelle mise en ordre interne a, en outre, inséré Haïti dans une relation de dépendance d'un type nouveau ; elle n'a pas réussi à modifier dans sa substance le système socio-économique et politique, ni à imprimer aux structures un nouveau dynamisme orienté vers le développement. Au contraire, elle a renforcé le vieux système absolu post-esclavagiste, accentuant la déformation des structures [13] de caractère féodale-mercantiliste dépendantes et le caractère oppressif des institutions, socio-politiques, obtenant une plus grande domination de la société haïtienne aux desseins de pillage et d'hégémonie de l'impérialisme américain.

Je suis reconnaissante, envers des collègues et professeurs de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université Nationale Autonome du Mexique, pour leurs remarques.

Ma gratitude et ma profonde admiration à Gérard qui, par ses conseils, ses encouragements, ses critiques, suggestions et sa révision constante dans toutes les étapes de cette recherche, a permis sa réalisation.

Mexico, D.F. mai 1971

[14]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 1 septembre 2019 6:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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