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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-François Cardin, “La CSN et le syndicalisme de combat (1960-1975).” In ouvrage sous la direction de Yves Bélanger et Robert Comeau, La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale, pp. 33-38. Québec: Les Presses de l’Université du Québec, 1998, 335 pp. [M. Bélanger nous a accordé le 22 mai 2005 l’autorisation de diffuser en libre accès libre à tous l’ensemble de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[33]

La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale

PREMIÈRE PARTIE
La CSN et l’évolution du mouvement ouvrier

“La CSN
et le syndicalisme de combat
(1960-1975).”

Jean-François CARDIN

Dans un premier temps, en guise d’introduction, nous situerons rapidement le contexte général des années 1960-1975. Puis, nous tenterons de retracer l’évolution de la CSN à travers trois périodes, trois tableaux, soit les années 1960-1966, 1966-1970 et 1970-1975.

L’évolution du contexte économique et sociopolitique

Entre 1960 et 1966, le Québec vit sa fameuse Révolution tranquille. Les intellectuels et les groupes progressistes de l’époque, dont la CSN, ont alors la conviction que la société québécoise est en train de vivre un certain dégel social et politique. La Révolution tranquille, c’est beaucoup de choses, mais nous pourrions la ramener à trois thèmes majeurs.

Cette période se caractérise d’abord par l’avènement de ce qu’on a appelé le néo-nationalisme, un nationalisme positif, basé sur des valeurs modernes, un nationalisme d’affirmation dont l'institution-levier sera désormais l’État. La Révolution tranquille, c’est donc aussi la nécessité impérative de redéfinir et de reconstruire l’État québécois dans le sens de l’État-providence, un État technocratique qui, tout en restant dans le cadre du capitalisme libéral, se veut le grand définisseur de l’évolution de la société.

Un troisième élément à mentionner à l’égard de la Révolution tranquille, c’est que tous ces changements rapides, et perçus alors comme « révolutionnaires » par plusieurs, vont générer un certain climat d’euphorie dans les secteurs progressistes de la société qui, au début, partagent les grands objectifs de la Révolution tranquille. Mais en même temps, celle-ci va générer, comme sous-produit non prévu, une somme énorme d’espoirs de changement et d’expectatives dans la société.

La période qui suit, soit les années 1966 à 1975-1976, est marquée par les enjeux sociaux découlant des changements de la Révolution tranquille. Si on ramène à l’essentiel les termes du débat, on a d’un côté ceux qui pensent que le rattrapage institutionnel dont avait besoin le Québec est désormais accompli et qu’il faut maintenant freiner, voire stopper, le rythme des réformes. [34] Vous avez de l’autre une série de groupes progressistes qui pensent au contraire que la Révolution tranquille n’était qu’un début, qu’elle ne constituait en fait que les préparatifs initiaux d’un chantier beaucoup plus vaste, d’une transformation plus profonde du Québec dans le sens du socialisme et de l’affirmation nationale.

Par ailleurs, après 1966, le Québec vit, comme ailleurs en Occident, une dynamique de confrontation sociale portée par les jeunes, notamment les jeunes travailleurs syndiqués issus des premières cohortes de la génération du baby-boom. Cette contestation repose sur une critique des valeurs sociales traditionnelles, du régime capitaliste et de la société de consommation. Au Québec, ce mouvement sera intégré aux débats proprement québécois entourant les enjeux de la Révolution tranquille - dont la question nationale - pour créer une chimie particulièrement explosive à compter de 1968-1969. Bref, le Québec des années 1965-1970, c’est un Québec qui fait douloureusement le bilan de sa Révolution tranquille dans le cadre d’un débat très polarisé.

Voilà, pour l’essentiel, le contexte dans lequel évolue la CSN entre 1960 et 1975. Voyons comment a évolué le mouvement entre 1960 et 1966.

Les années 1960-1965 : croissance et optimisme

En juin 1960, avec l’élection du Parti libéral de Jean Lesage, la CSN a en quelque sorte « gagné ses élections », comme beaucoup d’éléments progressistes de la société. Celui qui dirigera le mouvement de 1961 à 1965, Jean Marchand, est lui-même proche de « l’équipe du tonnerre ». Dans l’ensemble, la direction de la centrale se montre favorable aux nombreux changements qu’opère le nouveau gouvernement et aux objectifs généraux des tenants de la Révolution tranquille. La CSN acquiesce ainsi aux objectifs de planification économique qui motivent la création de structures telles que la SGF, SOQUIP ou SIDBEC. Elle pratique aussi la « participation », un des mots d’ordre de l’heure, en siégeant sur plusieurs organismes tels que le Conseil d’orientation et la Caisse de dépôt.

La Révolution tranquille vient également modifier le monde du travail et des relations patronales-syndicales, ce qui concerne plus directement la CSN. Il faut attendre l’été 1963 pour que le gouvernement Lesage présente sa pièce de résistance dans ce domaine, le bill 54, qui se veut une refonte de la législation ouvrière en un nouveau code du travail moderne. Ce projet de loi rencontre toutefois une vive résistance de la part du mouvement syndical, notamment de la CSN qui en rejette la première version. Cette attitude s’explique en bonne partie par la combativité des employés des secteurs public et parapublic, qui vivaient alors des négociations difficiles avec l’État à l’intérieur d’un cadre de négociation contraignant et paternaliste hérité du duplessisme et qui les privaient toujours du droit de grève. Ces employés [35] cherchaient notamment à opérer un certain rattrapage au niveau de leurs conditions de travail. La détermination des employés de l’État et des organisations syndicales va obliger le gouvernement à refaire ses devoirs et à adopter en 1964 une législation qui, cette fois, s’avère nettement avant-gardiste, en donnant notamment un droit de grève limité aux employés de l’État.

La même année, en 1964, le travail d’organisation de la CSN auprès de ces travailleurs avait abouti à la création du Syndicat des fonctionnaires provinciaux. L’année suivante, ce syndicat s’affilie à la CSN, un choix qui n’en est pas un, diront certains, puisque le gouvernement interdisait l’affiliation à une centrale ayant des liens directs avec un parti politique, ce qui excluait automatiquement la FTQ, alliée du NPD. Au cours de la période et même après 1965, d’autres catégories d’employés de l’État vont également joindre les rangs de la centrale. De même, dans la métallurgie, dans le commerce et dans certains autres secteurs, les effectifs accusent une augmentation marquée.

Ayant su miser sur la croissance du nombre des employés de l’État, la CSN voit donc ses effectifs doubler durant la première moitié des années 1960. En 1966, elle représente plus de 30% des syndiqués québécois. La présence des employés du secteur tertiaire devient donc déterminante dans le mouvement, des membres qui ont une culture syndicale fort différente de ceux qu’ils viennent rejoindre, qui eux se recrutaient surtout dans le secteur secondaire privé. Cette intégration rapide et massive des employés de l’État au sein de la CSN constitue sans aucun doute le phénomène marquant de la vie du mouvement durant cette première moitié des années 1960 et va s’avérer un héritage déterminant dans son évolution ultérieure. Passons à la période suivante, celle des années 1966-1970.

Les années 1966-1970 :
montée de la contestation sociale


Cette période est marquée par la montée de l’agitation sociale au Québec, un phénomène que l’on observe aussi ailleurs en Occident. Mais dans sa dynamique proprement québécoise, cette phase de confrontation est issue en bonne partie de la désillusion et du désenchantement de tout un pan de la société québécoise vis-à-vis les espoirs suscités par la Révolution tranquille, une Révolution tranquille qu’il fallait maintenant mener beaucoup plus loin dans le sens du changement. Une contestation qui résulte aussi de la combativité accrue des forces nationalistes et indépendantistes, qui opèrent alors une jonction avec la contestation sociale. De ce moment jusqu’aux années 1980, contestation sociale rime avec affirmation nationale des Franco-Québécois. Sur la scène des relations de travail, on assiste, à compter de 1966, à une nette augmentation du nombre et de l’intensité des grèves.

Encore là, la CSN est aux premières loges. Elle s’affirme plus que jamais, avec les autres centrales syndicales, comme un acteur déterminant de la scène [36] sociale québécoise. Dès son premier rapport moral, celui de 1966, le nouveau président de la CSN, Marcel Pépin, jette un regard critique sur la société québécoise issue de la Révolution tranquille et sur le nouveau rôle de l’État, une société qui demeure fondamentalement capitaliste et un État qui, à ses yeux, est loin d’avoir donné sa pleine mesure. Cette analyse critique se précise et se radicalise par la suite, principalement parce que les secteurs de la société avec lesquels la CSN s’identifie de plus en plus, ce qu’on a appelé les mouvements populaires, se multiplient et se radicalisent eux-mêmes à un rythme rapide après 1967.

Se sentant dépassées sur sa gauche par cette vague de contestation, les organisations syndicales vont alors chercher à se mettre au diapason, d’autant plus que le mouvement syndical est directement interpellé par ce discours qui, non sans exagération, l’accuse souvent de collusion avec le « super-pouvoir » capitaliste. La CSN sera la première des trois grandes centrales à opérer officiellement ce virage, au moment où certains conflits de travail prennent souvent l’allure de véritables conflits sociaux que viennent soutenir et politiser des groupes populaires militants. Certaines de ces grèves, comme celle de Lagrenade Shoes, en 1966, ou de la Régie des alcools, en 1968, reçoivent même un appui plus explosif, celui du Front de libération du Québec (FLQ), une « aide » plus nuisible que profitable aux yeux de la direction de la centrale.

Au congrès d’octobre 1968, dans son rapport moral Le Deuxième front, Marcel Pépin joint la voix de sa centrale à celle des autres groupes contestataires. La CSN se lançait donc officiellement dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs en dehors de l’entreprise. Aussitôt, le Conseil central de Montréal deviendra, avec son président Michel Chartrand, le porte-flambeau de ce « deuxième front ».

Un autre facteur de la radicalisation idéologique de la CSN, à la fin de la décennie, découle de la politisation croissante des relations de travail dans les secteurs public et parapublic. Il devient en effet évident aux yeux de beaucoup de militants que l’État-employeur n’hésitera pas à avoir recours à l’État-législateur pour mettre fin à des conflits dans ces secteurs. C’est d’ailleurs ce que semblait indiquer, dès 1967, l’adoption du projet de loi 25, une loi spéciale forçant le retour au travail de certains enseignants en grève. Mais la négociation avec un employeur commun, l’État, va générer un autre type de retombée, en favorisant une dynamique de rapprochement entre la CSN et les deux autres centrales syndicales, la FTQ et la CEQ. Cela mènera à des prises de position communes sur certains sujets non directement liés à la négociation collective, telle F assurance-maladie, ou à une plus grande concertation au plan de Faction politique, comme en témoigne la tenue des colloques intersyndicaux dans les différentes régions du Québec en 1969-1970.

Cette période se termine avec la Crise d’octobre 1970. Suite aux enlèvements organisés par le FLQ, la CSN, de concert avec la FTQ, la CEQ et [37] d’autres groupes comme le Parti québécois (PQ) et le journal Le Devoir, est alors amenée à intervenir vigoureusement sur la place publique pour dénoncer ce qui était alors perçu comme un coup de force du gouvernement fédéral. Avec ses alliés du moment, la direction de la CSN condamne avec vigueur l’action du FLQ, et plaide pour la négociation afin d’éviter que les otages ne soient sacrifiés sur l’autel de la raison d’État. Mais le dérapage que l’on redoutait survint. Le fédéral réactiva la Loi des mesures de guerre et fit emprisonner près de 500 personnes. Les raffles policières conduisirent à l’arrestation de membres de la CSN, des gens qui étaient généralement associés à la frange la plus militante du mouvement.

Durant ces événements, qui mettent tout le mouvement sur la corde raide, la CSN joue un certain rôle de leadership au sein de la coalition dont elle fait partie, et elle pousse encore plus loin le rapprochement entamé avec la FTQ et la CEQ. Toutefois, si la Crise d’octobre contribue à raffermir son virage vers un syndicalisme de combat et un nationalisme proprement québécois, cet événement contribue par le fait même à creuser encore le fossé entre les tenants d’un syndicalisme traditionnel et ceux qui sont plus décidés que jamais à poursuivre dans la nouvelle voie.

Les années 1970-1975 :
un projet de société socialiste


Après octobre 1970, la contestation sociale se poursuit de plus belle, mais sur de nouvelles bases. Désormais, elle se fait moins à travers une myriade de petites organisations au caractère plus ou moins anarchique que par le biais d’organisations plus solides et plus disciplinées, comme le Ralliement des citoyens de Montréal (RCM), le PQ, les groupes marxistes et, surtout, le mouvement syndical.

Tandis que la FTQ et la CEQ adoptent à leur tour un discours plus critique envers F État et sa collusion avec le grand capital, la CSN est amenée en 1972 à rejeter plus nettement que jamais le système capitaliste et le super-pouvoir économico-politique qu’il a généré au Québec, pour le remplacer par un projet de société radicalement différent : un projet de société socialiste. Bien qu’il reste à définir avec plus de clarté, on propose alors un socialisme démocratique, misant sur le modèle coopératif, confiant à l’État un rôle accru dans l’économie, un modèle de socialisme à inventer et qui devra, de toutes façons, être adapté à la réalité québécoise.

Quant à la question nationale, la CSN poursuit avec une certaine prudence le rapprochement entamé durant la période précédente à l’égard du néonationalisme québécois. Si l’expérience d’octobre 1970 accentue encore davantage la critique du régime fédéral, et si une partie croissante des militants et des membres appuie le PQ, la centrale continue officiellement, au début des années 1970, à se méfier de l’option indépendantiste. De son côté, le Conseil central de Montréal se prononce clairement pour cette option en 1972. Par [38] contre, sur la question linguistique, la CSN continue, comme elle le fait depuis 1969, à appuyer l’unilinguisme français ; c’est ainsi qu’elle qualifiera de trop timide la Loi 22 en 1974.

Si, au plan idéologique et du discours, la CSN vit des développements majeurs, c’est aussi sur le terrain que son avenir se joue. La tendance à l’unité intersyndicale, que l’on observait depuis la fin des années 1960, aboutit en 1972 à la mise en place d’un front commun CSN-CEQ-FTQ lors de la ronde de négociations avec l’État dans les secteurs public et parapublic. Le gouvernement ne réussit pas à s’entendre avec le Front commun, notamment sur la question des salaires. L’impasse survient en mars et en avril 1972, alors que les employés du Front commun débraient massivement. Le gouvernement réplique par des injonctions, puis par une loi spéciale. La direction du Front commun recommande finalement le retour au travail, mais le gouvernement prend prétexte du fait que les trois chefs des centrales avaient auparavant recommandé de passer outre aux injonctions dans les hôpitaux pour les traîner en cour pour outrage au tribunal et les condamner à un an de prison. À la CSN, ces événements créent des dissensions parmi les syndiqués, divisent le comité exécutif et, plus grave encore, précipitent un schisme qui couvait depuis longtemps.

En effet, le virage idéologique qu’entreprit la CSN après 1966 ne faisait pas l’unanimité et suscitait des oppositions à la grandeur du mouvement, notamment aux plus hauts niveaux de la centrale. Plusieurs estimaient que la direction ne reflétait pas l’opinion générale des membres et que le mouvement était maintenant contrôlé par une poignée d’activistes marxistes. En mai 1972, comprenant qu’ils ne pourraient reprendre le contrôle du mouvement, les dissidents, provenant surtout des secteurs traditionnels d’emploi, quittèrent la CSN pour fonder une nouvelle centrale, la Centrale des Syndicats démocratiques (CSD), tandis que d’autres syndicats affiliés la quittaient pour former des unions indépendantes. En un an, la CSN perdit environ 70000 membres, soit le tiers de ses effectifs. En 1976, à la fin de notre période, la CSN ne représentait plus que 19% des syndiqués québécois.

Cette perte d’effectifs n’allait pas faire de la CSN un mouvement social moins présent ou moins influent. La scission sera même vue par les éléments progressistes comme une bonne chose, puisque désormais le mouvement allait fonctionner davantage à l’unisson. Au milieu des années 1970, les débats idéologiques s’étaient estompés. Après dix ans de forte turbulence, marquée par l’émergence d’un syndicalisme de combat, la CSN allait naviguer, pour un temps du moins, en eaux plus calmes.

[328]

Jean-François Cardin

Jean-François Cardin enseigne présentement l’histoire au campus de Rouyn-Noranda de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Son mémoire de maîtrise sur l’impact du mouvement felquiste et de la Crise d’Octobre sur les centrales syndicales québécoises a fait l’objet d’une publication en 1990 aux Éditions du Méridien. Il détient depuis 1992 un doctorat en histoire octroyé par l’Université de Montréal. Sa thèse portait sur l’évolution des travailleurs de la métallurgie de Montréal durant la période de l’après-guerre, soit de 1945 à 1960. Il est également coauteur d’un Guide des archives des unions internationales à Montréal, publié en 1987.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 15 juin 2024 18:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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