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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pétain et le pétinisme. (essai de psychologie). (1953)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Marquis Marc Pierre de Voyer d'Argenson, Pétain et le pétinisme. (essai de psychologie). Les Éditions Créator, 1953, 182 pp. Une édition numérique réalisée par Michel Bergès, bénévole, directeur de la collection “Civilisations et politique”.

[15]

PÉTAIN ET LE PÉTINISME.
(essai de psychologie)

Avant-propos

Les historiens futurs de la France auront quelque peine à faire le récit des tristes années qui s’étendirent de l’invasion allemande à la Libération. Comment expliquer, en effet, qu’une nation si fière de sa gloire, et plus particulièrement de sa gloire militaire, ait refusé pour elle-même les sacrifices qu’elle avait vu d’un cœur léger certains de ses alliés s’imposer pour la cause commune ? Qu’elle ait jeté ses armes alors que d’autres combattaient encore ? Que, fût-ce un instant, elle ait regardé avec indifférence ce dilemme : vivre diminuée sous l’égide d’un ennemi vainqueur ou devoir sa délivrance à un effort de guerre à quoi sa propre participation serait presque nulle ? Le peuple, dira-t-on, fut trompé par ses chefs. Mais à quoi donc attribuer la ferveur dont on entoura un vieillard qui avait certes eu ses heures de gloire, mais que son âge avait paru vouer à l’oubli et qui ne reparaissait sur la scène que pour convier la France à commettre une lâcheté ? Comment un appel à la honte nationale suffisait-il à rendre à des politiciens décriés ou à donner à des inconnus la confiance du pays ? Et par quel étrange phénomène le champion étoile du défaitisme trouvait-il [16] ses plus ardents partisans chez ceux que leur rang social, leur profession, le passé de leurs familles paraissaient désigner pour être les plus jaloux des gardiens de l’honneur national ?

Trouverait-on réponse satisfaisante à ces questions qu’un nouveau problème, plus malaisé encore à résoudre, s’offrirait aux historiens. Après quatre ans d’épreuves et d’humiliations la France fut enfin délivrée ; elle retrouva, en même temps que son indépendance, un rang honorable parmi les nations victorieuses. Les Français ne devaient-ils point se livrer aux transports d’une allégresse universelle et durable ; prendre courageusement leur parti des privations inévitables en songeant à l’horreur à quoi ils venaient d’échapper; répudier enfin d’une voix unanime les mauvais bergers qui avaient voulu mener le pays dans la voie des compromis avec l’envahisseur et que l’événement avait condamnés de façon si éclatante ? Or, en fait, la joie qui accueillit la Libération puis la victoire, pour sincère qu’elle eût été, ne se prolongea guère. Les préoccupations du présent l’emportèrent très vite sur les souvenirs du passé. Et quand on songeait à ceux-ci, ce n’était pas toujours pour se louer d’avoir vu finir l’humiliation nationale. Déjà, dans le moment même où l’ennemi, si arrogant la veille, fuyait devant les libérateurs, quelques esprits chagrins affectaient de ne point partager la joie environnante et d’être en proie à de graves inquiétudes au sujet du lendemain. Avec les années, de tels sentiments s’étendirent et devinrent plus intenses. On se lamenta sur les malheurs du temps, sur le triste sort de la France mal gouvernée, sur les dangers menaçants. On [17] en vint à comparer la fâcheuse situation du pays après la Libération à celle qu’il avait avant ce grand événement et il apparut chez bien des Français cette chose surprenante et abominable : la nostalgie du temps de la honte. Bientôt, des regrets murmurés on en vint à l’apologie ouverte. Il se forma une légende épique où les hommes de Vichy tenaient le rôle de paladins de l’honneur national et de la grandeur française. Et peu s’en fallut qu’au regret du régime du maréchal ne s’ajoutât, chez certains, le regret du gendarme allemand qui en formait le soutien.

De ces aberrations psychologiques, on a donné des raisons simplistes : ambition des uns, avidité des autres, tentatives désespérées d’anciennes oligarchies dirigeantes de ressaisir leurs privilèges au prix de l’indépendance nationale. Ces explications comportent assurément une part de vérité, mais elles sont incomplètes et laissent de côté certains des éléments du problème. L’opposition des sentiments du peuple à ceux de la bourgeoisie (si exploitée à des fins politiques après la Libération) n’existait point en 1940. La nation presque unanime accueillit l’armistice avec joie et en acclama l’auteur. Dans quelques villes et villages, la population, au premier aspect des uniformes verts, ne manifesta que de la curiosité, parfois mêlée d’une certaine sympathie. C’était, à tout le moins, de la résignation qui accueillait l’envahisseur et celui-ci dut se muer en occupant et se rendre odieux par ses exactions et ses crimes pour soulever une haine où la souffrance matérielle avait souvent plus de place que la fierté nationale blessée.

[18]

Un autre fait indéniable est l’existence d’un nombre assez considérable de gens parfaitement désintéressés, sincèrement patriotes, ardemment antiallemands et pourtant admirateurs enthousiastes de l’homme à qui la défaite avait pu seule donner le pouvoir et qui n’eût pu s’y maintenir que par le triomphe de l’ennemi. C’est peut-être là le plus curieux de tous les paradoxes que l’on rencontre dans l’étude du pétinisme.

Il est certain que bien des détails obscurs de l’histoire du régime de Vichy seront mieux compris à mesure que les acteurs, grands et petits, de cette tragi-comédie livreront leurs souvenirs au public et que seront ouvertes des archives cachées. Mais la lumière ainsi obtenue ne sera point suffisante. Tout d’abord, les « mémoires » sont rarement sincères, soit que leur auteur cherche délibérément à se montrer aux lecteurs sous le jour le plus favorable, soit que, de bonne foi, il s’abuse sur les mobiles qui le guidaient au temps où se produisaient les événements qu’il raconte. (Qu’on se rappelle les conversions de septembre 1944 avec l’oubli du passé collaborateur ou attentiste — oubli sincère à force de naïveté.) Puis, les documents peuvent bien éclairer tous les aspects d’un fait ; leur secours est presque nul s’il s’agit de rechercher les mobiles secrets des actions et plus encore de déterminer les causes d’un phénomène psychologique. Peut-être ici, un mot entendu en passant, un silence un peu trop prolongé, l’expression fugitive d’un regard, seraient-ils d’une utilité plus grande. Mais pour faire usage de ces éléments de vérité, de nature si fluide, il convient de les fixer avant que l’écoulement du temps ne les ait effacés ou [19] du moins déformés. Il n’est guère souhaitable que l’histoire des événements soit écrite trop tôt ; l’examen psychologique doit, au contraire, être tenté dans les moindres délais.

L’on n’a point eu ici le propos présomptueux de répondre à toutes les questions qui peuvent être posées. Le but de cet essai est plus modeste. On a voulu seulement apporter une légère contribution à la connaissance d’une période de notre histoire, à laquelle un Français ne peut songer sans que le rouge ne lui monte au front, mais qu’on ne pourra sans danger ensevelir dans l’oubli que lorsqu’aura cessé l’étrange aberration de ceux qui en font ou en écoutent encore l’apologie. L’auteur croira la tâche accomplie si ces pages, qui sont sincères, peuvent servir en même temps à réfuter quelques sophismes et à jeter quelques lueurs sur une époque obscure.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 18 septembre 2022 11:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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