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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Pitirim Sorokin, Tendances et déboires de la sociologie américaine (1956)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Pitirim Sorokin, Tendances et déboires de la sociologie américaine. Paris: Aubier, Éditions Montaigne, 1959, 401 pp. Collection Sciences de l'homme. Traduit de l'Américain par Cyrille Arnavon. Titre original: Fads and Foibles in Modern Sociology and Related Sciences (1956). Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.

Préface

par Georges Gurvitch

M. Pitirim Sorokin, qui jouit d'une renommée mondiale et dont les nombreux livres sont traduits dans presque toutes les langues, n'a pas besoin que je le présente aux lecteurs français. Auteur d'ouvrages remarquables consacrés aux recherches empiriques, tels que Social Mobility, 1926, Principles of Urban Sociology, 1929, A Source Book in Rural Sociology (3 volumes, 1930-1931) et Time-Budget of Human Behavior, 1939, Pitirim, Sorokin est plus connu encore par sa contribution de premier plan à la sociologie générale, dont nous relèverons ici plus particulièrement Contemporary Sociological Theories, 1928 (traduction française, 1935), Socio-Cultural Causality, Space Time, 1943 et Society, Culture and Personality, 1947 (synthèse très informée de l'ensemble de sa théorie). Sa grande œuvre, où se combinent une immense érudition historique, la recherche statistique et la théorie sociologique : Social and Cultural Dynamics (4 volumes, 1937-1941), représente un effort intéressant pour poser d'une façon nouvelle les problèmes de la sociologie de la connaissance. Si l'on ajoute que Sorokin fut le fondateur de la « Section de sociologie » à l'Université de Harvard, section qu'il a présidée pendant de très longues années, on se rendra compte de tout ce que la sociologie américaine doit à l'auteur du présent ouvrage. 

Ayant eu comme maîtres, d'une part le sociologue historisant Maxime Kovalevsky, d'autre part les fondateurs du behaviorisme, Pavlov et Bechterev, Sorokin a été un des premiers à appliquer les conceptions behavioristes à la réalité sociale et à employer en sociologie, d'une façon suivie, les méthodes quantitatives. C'est même la raison de ses premiers grands succès aux États-Unis, où il lut considéré pendant très longtemps comme un des principaux promoteurs de la recherche empirique et de la quantification en sociologie. 

Le caractère pathétique de la très sévère et convaincante critique à laquelle Sorokin soumet les exagérations, le simplisme et le technicisme outré de la recherche empirique, répandus dans la sociologie américaine de ces vingt dernières années, vient du fait que cette critique est formulée par un savant qui, loin d'avoir été défavorable à la quantification et à l'application des mathématiques à la sociologie, a très longtemps encouragé leur emploi extensif. Cependant, il s'est aperçu, par étapes, de la pente dangereuse de la sociologie américaine vers la « testocratie », la « testomanie »et la « quantophrénie ». Il a : constaté que ces outrances ruinaient l'objet même de l'étude de la sociologie : la société humaine et l'homme dans la société, et que, même dans les cas les plus favorables, ces outrances n'avaient réussi qu'à enfoncer des portes ouvertes. C'est pourquoi Sorokin a pris la décision courageuse de crier « casse-cou, », de dénoncer le danger et d'aller contre le courant. 

Les critiques immanentes (au point de vue de la conséquence interne) – souvent très spirituelles, et toujours approfondies – auxquelles cet auteur soumet la plupart des procédés et des techniques d’investigation de la sociologie américaine, possèdent une très grande valeur. Les analyses de Sorokin seront particulièrement bienvenues en France où de jeunes chercheurs – même de formation philosophique – se laissent leurrer bien trop aisément par les facilités illusoires et plutôt mécaniques que paraissent fournir les formules quasi mathématiques et les procédés les plus discutables de la recherche américaine. Au moment même où aux États-Unis se dessine une saine réaction contre ces formules et ces techniques qui ne conduisent nulle part, si ce n'est à la manie de proférer d'un air grave des tautologies et d'éliminer toute explication par une « sociographie » le plus souvent faussée, on assiste en France au déferlement de la mode américaine et à l'abandon de la « théorie ». 

S'il est plutôt réconfortant de voir surgir aux États-Unis une conscience de plus en plus claire de la nécessité de la jonction entre théorie sociologique et recherche empirique se nourrissant et se fécondant réciproquement, il est déplorable d'observer qu'en France on s'enfonce de plus en plus dans les erreurs et les échappatoires les plus plates, déjà dépassées de l'autre côté de l'Atlantique. Espérons que cette étape ne sera pas de longue durée et ceci malgré des encouragements et des pressions, qu'on, doit parfois constater, en faveur de la domination de la platitude sociologique. [1] 

Nous serions comblés d'aise si les critiques percutantes de Sorokin permettaient à nombre de chercheurs français de reprendre conscience des problèmes effectifs qui se posent et des limites des procédés quantitatifs en sociologie, ainsi que de résister à toutes les tentations dont ils sont parfois victimes. Nous faisons confiance à l'esprit critique et au courage intellectuel qui firent toujours la distinction des savants français. 

Dans son livre, M. Sorokin ne s'arrête d'ailleurs pas au seul travail destructif... plus qu'utile, cependant, dans la situation actuelle. Dans les derniers chapitres de son livre, il essaye de résumer ses propres conceptions et de procéder à une critique pour ainsi dire transcendante des techniques de recherches qu'il rejette. Cet effort de reconstruction, en lui-même très justifié et louable, paraîtra peut-être à beaucoup de lecteurs français bien trop dogmatique et bien trop fondé sur un intuitionnisme spiritualiste qui n'est nullement obligatoire pour le sociologue – pas plus, d'ailleurs qu'aucune autre préconception philosophique (le sensualisme, par exemple). Dois-je avouer que je suis enclin à partager ces réserves ? 

Mais ceci dit, je ne puis m'empêcher d'admirer sincèrement le livre de Sorokin et son exceptionnelle honnêteté intellectuelle. Je reste persuadé que ce livre fera le plus grand bien à la sociologie française qui dans sa phase actuelle a grand besoin d'être débarrassée de ses mauvaises herbes, de mener une guerre sans merci contre les solutions de facilité et de prendre un nouveau départ. 

Je serais très heureux si le public partageait mon sentiment et faisait au livre de Sorokin le succès qu'il mérite, et ceci en toute indépendance à l'égard de l'évaluation des principes positifs qu'il fait valoir dans ses conclusions. 

GEORGES GURVITCH.


[1] Celle-ci paraît avoir choisi, Quelques exceptions près, comme champ de prédilection, la sociologie industrielle…



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 mai 2008 7:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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