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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Principes d'économie politique. Tome I: livres I, II, III et IV (1890)
Préface de la première édition, 1890


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alfred Marshall, (1842-1924), professeur d'économie politique à l'Université de Cambridge, Principes d'économie politique. (1890) Tome I : Livres I, II, III et IV. (1890) (544 pp.) Texte de la 4e édition anglaise traduit de l'Anglais par F. Savaire-Jourdan (professeur d'économie politique et de science financière à la Faculté de droit de l'Université de Bordeaux). Reproduction de la première édition française publiée à Paris en 1906 chez V. Giard et Brière. Paris: Gordon & Breach, 1971. Collection: Réimpressions G + B, Sciences humaines et philosophie..

Préface de la première édition
juillet 1890



Les conditions économiques changent constamment, et chaque génération envisage les problèmes de son temps d'une façon qui lui est propre. En Angleterre, ainsi que sur le Continent et en Amérique, on poursuit à l'heure actuelle les études économiques avec plus d'ardeur que jamais; mais toute cette activité a simplement montré, de la façon la plus claire, que la science économique est, et doit être, d'un développement lent et continu. En considérant l'œuvre de la génération actuelle on pouvait croire, tout d'abord, qu'une partie de ce qu'elle a de meilleur se trouvait en antagonisme avec l'œuvre des anciens économistes ; mais lorsqu'il se fut écoulé assez de temps pour qu'elle fût mise à sa vraie place, et pour que ses angles brusques aient été émoussée, on s'aperçut qu'elle ne créait pas de véritable solution de continuité dans le développement de la science. Les nouvelles théories ont complété les anciennes, elles les ont étendues, développées, et parfois corrigées; elles leur ont donné souvent un autre aspect en insistant d'une façon différente sur les divers points ; mais elles les ont très rarement renversées.

Le présent ouvrage est une tentative faite pour présenter dans une forme moderne les vieilles théories, en s'aidant de l'œuvre nouvelle qu'a produite notre époque, et en se référant aux problèmes nouveaux qui s’y posent. Son but général est indiqué dans le Livre I ; à la fin de ce Livre est donné un bref aperçu des principaux objets des recherches économiques, et des principaux résultats pratiques auxquels ces recherches aboutissent. Conformément aux traditions anglaises, il y est entendu que le rôle de la science est de réunir, de grouper et d'analyser les faits économiques et d'utiliser les connaissances, tirées ainsi de l'observation et de l'expérience, pour déterminer ce que doivent être les effets immédiats et les effets postérieurs des divers groupes de causes ; il est entendu aussi que les lois économiques expriment des tendances formulées dans le mode indicatif, et non des préceptes éthiques dans le mode impératif. Les lois et les raisonnements économiques constituent simplement une partie des matériaux, que la conscience et le sens commun ont à utiliser, pour résoudre les problèmes pratiques, et pour établir les règles qui peuvent servir de guide dans la vie.

Mais les forces éthiques sont au nombre de celles dont les économistes ont à tenir compte. On a bien, il est vrai, fait des efforts pour construire une science abstraite en considérant les actions d'un « homme économique », qui ne serait soumis à aucune influence éthique, et qui rechercherait son avantage pécuniaire avec sagesse et énergie, mais mécaniquement et égoïstement. Ces efforts n'ont pas réussi ; ils n'ont même pas été poussés complètement, car jamais on n'a considéré l'homme économique comme parfaitement égoïste. Personne ne sait, mieux que l'homme économique, endurer la peine et la privation, dans le but non égoïste de pourvoir aux besoins de sa famille; on a toujours tacitement admis que les motifs qui normalement le guident, comprennent les affections de famille. S'il en est ainsi, pourquoi n'y comprendrait-on pas aussi d'autres motifs altruistes, dont l'action est assez uniforme dans une même classe, à une même époque, et dans le même lieu, pour qu'on puisse les ramener à une règle générale? Il ne semble pas y avoir de bonne raison pour les exclure. Aussi, dans le présent ouvrage, nous considérons comme action normale celle que l'on peut attendre, dans certaines conditions, des membres d'un groupe industriel ; parmi les motifs dont l'action est régulière, aucun n'a été exclu pour cette raison qu'il serait altruiste. Si l'ouvrage a quelque caractère spécial, on peut peut-être dire qu'il se trouve dans l'importance qui y est donnée à cette application, ainsi qu'à d'autres, du principe de continuité.

Il n'y est pas seulement appliqué à la qualité éthique des motifs par lesquels un homme peut être guidé dans le choix des fins qu'il poursuit, mais aussi à la sagacité, à l'énergie et à la hardiesse avec laquelle il les poursuit. C'est ainsi que nous insistons sur le fait qu'il existe une gradation continue depuis les actes d'un homme d'affaires, basés sur des calculs réfléchis et d'une portée lointaine, et exécutés avec vigueur et habileté, jusqu'à ceux des gens ordinaires qui n'ont ni le pouvoir, ni la volonté, de diriger leurs intérêts à. la manière des hommes d'affaires. Avoir une disposition normale à l'épargne, une disposition normale à supporter une certaine peine pour une certaine rémunération pécuniaire, ou une aptitude normale à chercher les marchés les meilleurs pour acheter et pour vendre,, ou à chercher l'occupation la plus avantageuse pour soi-même ou pour un de ses enfants : - toutes ces phrases, et d'autres semblables, ont besoin de se référer aux membres d'une classe particulière de gens, dans un lieu et dans un temps donnés. Mais, une fois cela entendu, la théorie de la valeur normale est applicable aux actes de gens vivant en dehors des affaires, tout aussi bien, quoique avec une moindre précision de détail, qu'à ceux du marchand ou du banquier.

De même qu'il n'y a pas de ligne bien marquée de division entre une conduite qui est normale et celle qui doit être provisoirement négligée comme anormale, de même il n'y en a pas non plus entre les valeurs normales d'une part, et, d'autre part, les valeurs « courantes », ou « de marché », ou « occasionnelles ». Ces dernières sont les valeurs sur lesquelles les accidents du moment exercent une influence prépondérante ; alors que les valeurs normales sont celles qui seraient en définitive réalisées, si les conditions économiques considérées avaient le temps de produire leur complet effet sans être troublées. Mais il n'y a pas d'abîme infranchissable entre elles ; il y a une gradation continue des unes aux autres. Les valeurs que nous pouvons regarder comme normales, si nous pensons aux changements qui se produisent d'heure en heure dans une bourse des marchandises, sont seulement des valeurs courantes si l'on considère toute une année : et des valeurs qui sont normales lorsqu'on envisage le cours d'une année, ne sont que des valeurs courantes si l'on considère l'histoire d'un siècle. Car l'élément de temps, qui est le centre des principales difficultés de presque tous les problèmes économiques, est lui-même continu : la Nature ne connaît pas de division absolue entre longues périodes de temps et périodes courtes ; mais on passe des unes aux autres par des degrés imperceptibles, et ce qui est une période courte pour un problème, se trouve être une période longue pour un autre.

C'est ainsi, par exemple, que la plus grande partie de la distinction, mais non pas, cependant, toute la distinction, entre la rente et l'intérêt du capital, repose sur la longueur de la période que nous avons en vue. Ce qui est légitimement considéré comme un intérêt pour un capital « libre » ou « flottant », ou pour des capitaux nouvellement placés, gagne à être traité comme une sorte de rente - une quasi-rente, dirons-nous ci-dessous - pour des capitaux placés depuis longtemps. De même il n'y a pas de ligne nette de démarcation entre des capitaux flottants et des capitaux qui ont été immobilisés dans une branche particulière de production, ni entre capitaux nouvellement placés et capitaux placés depuis longtemps ; on passe d'un groupe à l'autre graduellement. De même encore la rente du sol ne se présente pas comme une chose distincte par elle-même, mais comme l'espèce principale d'un genre étendu ; quoique elle présente, il est vrai, des particularités propres qui sont, en théorie, comme dans la pratique, d'une importance vitale.

De même, quoiqu'il y ait une ligne bien nette de séparation entre l'homme lui-même et les instruments dont il se sert, et quoique l'offre et la demande de travail humain, avec les efforts et les sacrifices que celui-ci exige, offrent des particularités qui leur soient propres et que ne présentent pas l'offre et la demande des biens matériels : néanmoins, après tout, ces biens matériels sont eux-mêmes généralement le résultat du travail de l'homme; la théorie de la valeur du travail, et celle de la valeur des choses faites par lui, ne peuvent pas être séparées : elles sont les parties d'un tout, et, bien que les différences qui existent entre elles pour les détails soient grandes, elles se ramènent pour la plupart, lorsqu'on les examine, à des différences de degré, plutôt que de nature. De même que, en dépit des grandes différences de forme entre les oiseaux et les quadrupèdes, une idée fondamentale se retrouve à travers toutes leurs formes : de même, la théorie générale de l'équilibre de la demande et de l'offre est une idée fondamentale, qui se retrouve à travers les diverses parties du problème central de la Distribution et de l'Échange (1).

Une autre application du principe de continuité est celle qui concerne l'emploi des termes. On a toujours été tenté de classer les biens économiques en des groupes nettement définis, à l'égard desquels un certain nombre de propositions brèves et tranchantes puissent être exprimées, afin de satisfaire à la fois le besoin que les étudiants ont d'une précision logique, et la faveur que la masse montre aux dogmes qui ont l'air d'être profonds, tout en étant pourtant d'un maniement aisé. Mais il semble qu'on ait eu tort de céder à cette tentation, et de tracer des lignes artificielles de démarcation là où la Nature n'en avait marqué aucune. Plus une théorie économique est simple et absolue, plus est grande 'la confusion qu'elle entraîne lorsqu'on essaye de l'appliquer à la pratique, si les divisions auxquelles elle se réfère ne se trouvent pas dans la vie réelle. Il n'y a pas dans la réalité de division nette entre les choses qui sont et celles qui ne sont pas des capitaux, ni entre les choses nécessaires à la vie et celles qui ne le sont pas, ni encore entre un travail productif et celui qui ne l'est pas.

La notion de continuité en ce qui concerne l'évolution est commune à toutes les écoles économiques modernes, qu'elles subissent surtout l'influence de la biologie, à la suite d'Herbert Spencer, ou celle de l'histoire et de la philosophie, que l'on trouve dans la Philosophie de l'Histoire de Hegel et dans les études éthico-historiques parues récemment sur le continent et ailleurs. Ce sont les deux influences qui ont agi, plus que toute autre, sur le fonds des idées exprimées dans cet ouvrage ; mais, quant à leur forme, ces idées ont été surtout influencées par la conception mathématique de l'idée de continuité telle qu'elle se trouve dans l'ouvrage de Cournot, Principes mathématiques de la théorie des richesses. Il a enseigné qu'il est nécessaire de se mettre en face de la difficulté que nous avons à considérer les divers éléments d'un problème économique comme n'étant pas déterminés l'un par l'autre dans une chaîne de causation, A déterminant B, B déterminant C, et ainsi de suite, mais comme se déterminant tous mutuellement les uns les autres. L'action de la nature est complexe; on ne gagne finalement rien à prétendre qu'elle soit simple, et à tenter de la décrire dans une série de propositions élémentaires.

Sous l'influence de Cournot, et, à un moindre degré, de de Thünen, j'ai été amené à attacher une grande importance à ce fait que nos observations de la nature, dans le monde moral, comme dans le monde physique, portent bien moins sur des quantités totales (agregate quantities), que sur des variations de quantités (increments of quantities), et que, en particulier, la demande d'une chose est une fonction continue, dont la différentielle limite (increment marginal) (
Note 1), en supposant une position d'équilibre stable, est égale à la différentielle (increment) correspondante du coût de production de cette chose. Il n'est pas facile d'arriver à une idée claire et complète de la continuité à ce point de vue sans l'aide des mathématiques, ou des diagrammes. L'emploi de ces derniers n'exige pas de connaissances spéciales, et ils expriment souvent les conditions de la vie économique plus exactement, comme aussi plus aisément, que ne le font les sciences mathématiques; aussi ont-ils été employés comme moyens supplémentaires d'illustration dans les notes de cet ouvrage. Les démonstrations du texte ne reposent jamais sur eux, et ils peuvent être négligés; mais l'expérience semble montrer qu'ils permettent de saisir plusieurs principes importants mieux qu'on ne peut le faire autrement.

La principale utilité des mathématiques pures dans les questions économiques semble être d'aider les gens à noter rapidement, brièvement et exactement, leurs pensées pour leur propre usage ; ainsi que de leur donner la certitude qu'ils ont assez, et pas trop, de prémisses pour leurs conclusions (c'est-à-dire que leurs équations sont en nombre ni plus, ni moins grand que leurs inconnues). Mais lorsqu'il faut employer beaucoup de signes, cela devient très pénible pour tout autre que pour l'auteur lui-même. Le génie de Cournot insuffle une nouvelle activité intellectuelle à tout homme qui entre en contact avec lui, et les mathématiciens de sa force peuvent, en employant leurs armes favorites, se diriger jusqu'au centre de quelques uns des plus difficiles problèmes de la théorie économique, dont les bords seuls ont été jusqu'à présent effleurés ; pourtant on peut se demander si c'est pour un lecteur un bon emploi de son temps que de lire d'interminables transcriptions de théories économiques en calculs mathématiques qui n'ont pas été faits par lui. Quelques-unes des applications du langage mathématique, qui m'ont paru les plus utiles pour mon usage personnel, ont été néanmoins ajoutées, à titre d'exemples, dans un appendice (
Note 2).

J'ai à exprimer ma reconnaissance pour l'aide que plusieurs Personnes m'ont donnée dans la préparation de ce volume pour l'impression. Ma femme m'a aidé et conseillé à tout instant pour le manuscrit et pour les épreuves, et je dois beaucoup à ses indications, à sa sollicitude et à son jugement. M. 3. N. Keynes et M. L. L. Price ont lu toutes les épreuves, et ne me les ont jamais renvoyées sans les avoir beaucoup corrigées ; M. Arthur Berry et M. A. W. Flux m'ont été d'un grand secours pour l'appendice mathématique; enfin mon père, M. W. H. B. Hall et M. C. J. Clay m'ont aidé sur quelques points particuliers.

Juillet 1890.


Note:

(
Note 1) L'expression de différentielle « limite » (increment « marginal ») est en harmonie avec les méthodes de pensée de de Thünen et m'a été suggérée par lui, quoiqu'il ne s'en serve pas en réalité. Elle a été, depuis quelque temps, employée couramment par les économistes autrichiens, sur l'initiative du professeur Wieser, et elle a été adoptée par M. Wicksteed. Lorsque l'ouvrage de Jevons parut, j'adoptai son mot « final » : mais j'ai été peu à peu convaincu que « marginal » est meilleur.

Dans la première édition, cette note impliquait à tort que l'on trouve dans de Thünen la trace de l'expression, aussi bien que de l'idée de increment marginal.

(
Note 2) Beaucoup des diagrammes de cet ouvrage ont déjà été imprimée, et je saisis cette occasion pour donner leur histoire. M. Henry Cunningham, qui suivait mes cours en 1873, me voyant ennuyé de ne pouvoir dessiner une série d'hyperboles rectangulaires, inventa pour cela un bel et original instrument. Il fut présenté à la Cambridge Philosophical Society en 1873, et, pour expliquer son emploi, je lus une étude (résumée dans les comptes rendus, partie XV, pp. 318-199) dans laquelle je décrivais, à peu près comme je le fais ci-dessous, livre V, chap. V et VIII (chap. XI et XIII de la quatrième édition), la théorie des diverses positions que prennent les valeurs d'équilibre et les valeurs de monopole. Pendant les années 1875-1877, je menai presque à bonne fin le projet d'un traité sur The Theory of Foreign Trade, with some allied problems relating to the doctrine of Laissez-Faire (De la théorie du commerce étranger, et de quelque& problèmes voisins touchant la doctrine du « Laissez faire »). Le première partie de ce traité s'adressait à tous les lecteurs, taudis que la seconde avait un caractère technique ; presque tous les diagrammes qui sont maintenant au livre V, ch. V, VII et VIII (ch. XI, XII, XIII de la quatrième édition) sy trouvaient, rattachée au problème des effets de la protection douanière sur le maximum de satisfaction sociale ; il y en avait d'autres, relatifs au commerce étranger, Mais, en 1877, je me mis à travailler à mon ouvrage Economics of Industry ; ensuite je fus atteint d'une maladie qui a presque interrompu mes études pendant plusieurs années. Pendant ce temps, le manuscrit du premier traité, que j'avais eu en vue, restait inemployé. C'est de lui que parle le professeur Sidgwick dans la préface de son livre Political Economy. Avec mon consentement, il choisit quatre chapitres (ne se suivant pas) de la seconde partie, et les imprima pour être distribués sans être mie dans le commerce. Ces quatre chapitres contenaient la plus grande partie de la substance du livre V, ch. V et VII, mais non du ch. vin (ch. XI et XII, mais non ch. XIII de la quatrième édition) du présent ouvrage, et en outre deux chapitres traitant de l'équilibre du commerce étranger. Ils ont été envoyée à beaucoup d'économistes en Angleterre et sur le Continent : c'est d'eux que Jevons parle dans la préface à la seconde édition de sa Theoyy (p. XLV) ; plusieurs de leurs diagrammes sur le commerce étranger ont été reproduite, avec d'aimables remerciements, par le professeur Pautaleoni dans ses Principii di Economia Pura (récemment traduits en anglais).

Retour au texte de l'auteur: Alfred Marshall, économiste anglais Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 04 avril 2003 17:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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