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Collection « Les auteur(e)s classiques »

HISTOIRE CRITIQUE DE JÉSUS-CHRIST Ou Analyse raisonnée des Évangiles (1770)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Henri Thiry, baron d'Holbach (1723-1789), HISTOIRE CRITIQUE DE JÉSUS-CHRIST Ou Analyse raisonnée des Évangiles, à partir d’un facsimilé de la Bibliothèque nationale de France. Reprod. d'une éd. s.l.n.d., [Amsterdam, 1770], VIII-XXXII-398 p. Une édition numérique réalisée par un bénévole, professeur d'université à la retraite, qui demande à conserver l'anonymat.

Préface

Les Évangiles sont entre les mains de tout le monde, & cependant rien de plus rare que de trouver des Chrétiens vraiment instruits de l’histoire du fondateur de leur Religion ; d’un autre côté, parmi ceux qui ont lu cette histoire, il est plus rare encore d’en trouver qui aient osé sérieusement l’examiner. Il faut pourtant convenir que l’ignorance des uns & le peu de réflexion des autres, sur un objet qu’ils regardent néanmoins comme infiniment important, peuvent venir du dégoût que doit naturellement causer la lecture du Nouveau Testament. En effet il règne dans cet ouvrage un désordre, une obscurité, une barbarie de style très propres à dérouter les ignorants, & à repousser les personnes éclairées. Il n’est guère d’histoire, soit ancienne soit moderne, qui n’ait plus de méthode & de clarté que celle de Jésus-Christ, & nous ne voyons pas que l’Esprit Saint, qu’on en suppose l’auteur, ait surpassé, ni même égalé un grand nombre d’historiens profanes, dont cependant les écrits ne sont point de la même conséquence pour le genre humain. Nos Théologiens conviennent eux-mêmes que les Apôtres étaient des hommes grossiers & peu instruits. Il ne paraît pas que l’Esprit de Dieu, qui les inspirait, se soit mis en peine de rectifier ces défauts en eux ; au contraire, il semble les avoir adoptés lui-même, s’être accommodé à la faiblesse des lumières de ses organes, & leur avoir inspiré des ouvrages dans lesquels on ne rencontre ni le jugement, ni l’ordre, ni la précision que l’on trouve dans quelques écrits humains. En conséquence les Évangiles nous présentent un assemblage confus de prodiges, d’anachronismes, de contradictions, dans lequel la critique est forcée de s’égarer, & qui ferait rejeter tout autre livre avec mépris.

 

C’est par des mystères que l’on dispose les esprits à respecter la religion & ceux qui l’enseignent. On peut donc soupçonner que l’obscurité de ces écrits n’y a pas été répandue sans dessein. En matière de religion il est à propos de ne jamais parler bien clairement. Des vérités simples & faciles à comprendre, ne frappent pas aussi vivement l’imagination des hommes, que des oracles ambigus & des mystères impénétrables. D’ailleurs Jésus-Christ, quoique venu tout exprès pour éclairer le monde, devait être pour le plus grand nombre des hommes une pierre d’achoppement. Tout annonce dans l’Évangile le petit nombre des élus, la difficulté du salut, le danger de raisonner ; en un mot tout semble prouver que Dieu n’a envoyé son cher fils aux nations que pour leur tendre un piège, & pour qu’elles ne comprissent rien à la religion qu’il voulait leur donner. En cela l’Eternel n’a paru se proposer que de jeter les mortels dans les ténèbres, dans la perplexité, dans une défiance d’eux-mêmes, dans des embarras continuels qui les obligeassent de recourir à chaque instant aux lumières infaillibles de leurs Prêtres, & de rester à jamais sous la tutelle de l’Église. Ses Ministres, comme on sait, possèdent exclusivement le privilège d’entendre & d’expliquer les saintes Ecritures, & nul mortel ne peut se promettre d’obtenir le bonheur futur s’il n’a pour leurs décisions la soumission qui leur est due.

 

Ainsi il n’appartient point au Vulgaire d’examiner sa religion : à l’inspection seule de l’Évangile tout Chrétien doit être convaincu que ce livre est divin, que chaque mot qu’il contient est inspiré par l’Esprit Saint [1], & que les explications que l’Église lui donne de cet ouvrage céleste, sont pareillement émanées du Très-Haut. Dans les premiers siècles du Christianisme, ceux qui embrassèrent la Religion de Jésus n’étaient que des gens de la lie du peuple, par conséquent très simples, peu versés dans les Lettres, disposés à croire toutes les merveilles qu’on voulut leur annoncer, Jésus lui-même dans ses prédications ne s’adressa qu’a des hommes grossiers ; il ne voulut avoir affaire qu’a des gens de cette trempe ; il refusa constamment d’opérer des miracles en présence des personnes les plus clairvoyantes de sa nation ; il déclama sans cesse contre les Savants, les Docteurs & les riches, en un mot contre ceux dans lesquels il ne pouvait trouver la souplesse requise pour adopter ses maximes. Nous le voyons continuellement vanter la pauvreté d’esprit, la simplicité, la foi [2].

 

Ses Disciples, & depuis les Ministres de l’Église, ont suivi fidèlement ses traces ils ont toujours représenté la foi, ou la soumission aveugle, comme la première des vertus, comme la disposition la plus agréable à Dieu, la plus nécessaire au salut. Ce principe servit toujours de base à la Religion Chrétienne, & surtout à la puissance du Clergé. En conséquence les Pasteurs, qui succédèrent aux Apôtres, eurent le plus grand soin de soustraire les Évangiles aux regards de tous ceux qui n’étaient pas initiés aux mystères de la Religion. On ne montrait ces livres qu’à ceux dont on avait éprouvé la foi, c’est-à-dire, qu’on savait disposés d’avance à les regarder comme divins. Nous voyons que cet esprit mystérieux s’est perpétué jusqu’à nos jours. La lecture de l’Évangile est en plusieurs pays rigoureusement interdite au commun des Chrétiens, surtout dans la Communion Romaine, dont le Clergé est le plus au fait de la manière de gouverner les hommes. Le Concile de Trente a décidé de la façon la plus formelle que c’est à l’Église seule qu’il appartient de juger du véritable sens des Ecritures & d’en donner l’interprétation [3].

 

Il est vrai que la lecture des Livres saints est permise, & même recommandée aux Protestants, c’est-à-dire, à ceux des Chrétiens qui se sont depuis quelques siècles séparés de l’Église Romaine ; bien plus, il leur est enjoint d’examiner leur Religion ; mais la foi doit toujours précéder cette lecture & suivre cet examen ; en sorte qu’avant de lire, un Protestant est tenu de croire que l’Évangile est divin ; & l’examen qu’il en fait n’est valable que lorsqu’il y trouve ce que les Ministres de sa secte ont résolu qu’il y trouvât ; sans cela il est regardé comme un impie, & souvent il est puni de son peu de lumières.

 

Il faut donc conclure que le salut des Chrétiens n’est attaché ni à la lecture ni à l’intelligence de l’Évangile & des Livres saints, mais à la ferme croyance que ces livres sont divins. Si par malheur la lecture ou l’examen qu’il en fait ne s’accordent pas avec les décisions, les interprétations, les commentaires de l’Église (c’est-à-dire, des Prêtres, qui, préposés à chaque secte, règlent sa façon particulière de lire & d’entendre les Ecritures) il est en danger de se perdre & d’encourir la damnation éternelle. Pour lire l’Évangile, il faut commencer par avoir de la foi, c’est-à-dire, être disposé à croire aveuglément tout ce que ce livre contient ; pour examiner cet Évangile, il faut encore de la foi, c’est-à-dire, être fermement résolu à n’y trouver rien que de saint & d’adorable. Enfin pour entendre l’Évangile, il faut encore de la foi, c’est-à-dire, une ferme persuasion que nos Prêtres ne peuvent jamais ni se tromper eux-mêmes, ni vouloir tromper les autres, dans la façon donc ils expliquent le livre que nous lisons.

 

« Croyez, nous disent-ils, sur notre parole, que ce livre est l’ouvrage de Dieu lui-même ; vous seriez damnés si vous osiez en douter. Ne pouvez-vous rien comprendre à ce que Dieu vous y révèle ? Croyez toujours : Dieu s’est révélé pour n’être point compris. [4]. La gloire de Dieu est de cacher sa parole ; ou plutôt, en parlant d’une façon inintelligible, Dieu ne vous fait-il pas connaître qu’il veut qu’on s’en rapporte à nous, qui sommes les confidents de ses importants secrets ? Vérité dont vous ne pouvez douter, vu que nous persécutons dans ce monde, & nous damnons dans l’autre quiconque ose récuser le témoignage que nous nous rendons à nous-mêmes ».

 

Quelque vicieux que ce raisonnement puisse paraître à des profanes, il suffit à la plupart des Croyants ; en conséquence, ou ils ne lisent point l’Évangile, ou s’ils le lisent, ils ne l’examinent point ; ou s’ils l’examinent, c’est avec des yeux prévenus, & dans la ferme résolution de n’y trouver que ce qui sera conforme à leurs préventions & aux intérêts de leurs guides. D’après ses craintes & ses préjugés un Chrétien se croit perdu lorsqu’il trouve dans les Livres saints des raisons de douter de la véracité de ses Prêtres.

 

Avec ces dispositions il n’est point surprenant de voir les hommes persister dans leur ignorance, & se faire un mérite de repousser les lumières que la raison leur présente. C’est ainsi que l’erreur se perpétue, & que les peuples, de moitié avec ceux qui les trompent, accordent à des fourbes intéressés une confiance sans bornes dans la chose qu’ils regardent comme la plus importante à leur propre bonheur. Cependant les ténèbres répandues depuis tant de siècles sur l’esprit humain, commencent à se dissiper ; malgré les soins tyranniques de ses guides soupçonneux, l’homme semble vouloir sortir de l’enfance où tant de causes réunies s’efforcent de le retenir. L’ignorance dans laquelle le Sacerdoce nourrissait les peuples crédules est au moins disparue pour un grand nombre de personnes ; le despotisme des Prêtres s’est affaibli dans plusieurs Etats florissants ; la science a rendu les esprits plus libres, & bien des gens commencent à rougir des fers honteux dans lesquels le Clergé a fait longtemps gémir & les Rois & les peuples. En un mot l’esprit humain semble faire des efforts en tout pays pour briser ses chaînes.

 

Cela posé, nous allons examiner sans préjugés la vie de Jésus-Christ Nous ne puiserons nos faits que dans les Évangiles mêmes, c’est-à-dire, dans des mémoires respectés & avoués par les Docteurs de la Religion Chrétienne. Nous emploierons les secours de la critique pour éclaircir ces mêmes faits. Nous exposerons de la façon la plus simple la conduite, les maximes & la politique d’un Législateur obscur, qui depuis sa mort s’est acquis une célébrité, à laquelle il n’y a pas lieu de présumer qu’il ait prétendu de son vivant. Nous considérerons dans son berceau une Religion, qui, destinée d’abord uniquement à la populace la plus vile de la nation la plus abjecte, la plus crédule, la plus stupide de la terre, est devenue peu à peu la maîtresse des Romains, le flambeau des nations, la Souveraine absolue des Monarques Européens, l’arbitre des destinées des peuples, la cause de l’amitié ou de la haine qu’ils se portent, le ciment qui sert à fortifier leurs alliances ou leurs discordes, le levain toujours prêt à mettre les esprits en fermentation.

 

En un mot nous verrons un artisan, enthousiaste mélancolique & jongleur maladroit, sortir d’un chantier pour séduire des hommes de sa classe ; échouer dans tous ses projets, être puni comme un perturbateur public, mourir sur une croix, & cependant après sa mort devenir le Législateur & le Dieu d’un grand nombre de peuples, & se faire adorer par des Etres qui se piquent de bon sens.

 

Il y a tout lieu de croire que si l’Esprit Saint eût prévu la fortune éclatante que devait faire un jour la Religion de Jésus ; s’il eût pu pressentir qu’elle dût être par la suite des temps reçue par des Rois, des Nations civilisées, des Savants, des personnes de la bonne compagnie ; s’il eût soupçonné que cette Religion pouvait être examinée, analysée, discutée, critiquée par des Logiciens ; il y a, dis-je, lieu de croire qu’il nous aurait laissé sur la vie & la doctrine de son fondateur des mémoires moins informes, des faits mieux circonstanciés, des preuves plus authentiques, en un mot des matériaux mieux digérés que ceux qui nous restent. Il eût choisi des Ecrivains plus habiles que ceux qu’il a inspirés, pour transmettre aux nations les harangues & les actions du Sauveur du monde ; il l’eût du moins fait agir & parler d’une manière plus digne d’un Dieu ; il eût mis dans sa bouche un langage plus noble, plus clair, plus persuasif ; il eût employé des moyens plus sûrs de convaincre la raison rebelle & de confondre l’incrédulité.

 

Rien de tout cela n’est arrivé ; l’Évangile n’est qu’un Roman Oriental dégoûtant pour tout homme de bon sens, & qui ne semble s’adresser qu’à des ignorants, des stupides, des gens de la lie du peuple, les seuls qu’il puisse séduire [5]. La critique n’y trouve nulle liaison dans les faits, nul accord dans les circonstances, nulle suite dans les principes, nulle uniformité dans les récits. Quatre hommes greffiers & sans lettres passent pour les véritables auteurs des mémoires qui contiennent la vie de Jésus-Christ ; c’est sur leur témoignage que les Chrétiens se croient obligés d’admettre la Religion qu’ils professent, & d’adopter sans examen les faits les plus contradictoires, les actions les plus incroyables, les prodiges les plus étonnants, le système le plus décousu, la doctrine la plus inintelligible, les mystères les plus révoltants !

 

Cependant, en supposant que les Évangiles que nous avons entre les mains sont des auteurs à qui on les attribue, c’est-à-dire ont été véritablement écrits par des Apôtres ou des Disciples des Apôtres, ne semblerait-il pas que par là même leur témoignage devrait être suspect ? Des hommes que l’on nous annonce comme ignorants & dépourvus de lumières, n’ont-ils pas pu se tromper ? Des Enthousiastes, des Fanatiques très crédules n’ont-ils pas pu s’imaginer avoir vu bien des choses qui n’ont jamais existé, n’ont-ils pas été les dupes de la séduction ? Des imposteurs, fortement attachés à une secte qui les faisait subsister, & qu’ils avaient par conséquent intérêt de soutenir, n’ont-ils pas pu attester des miracles & publier des faits dont ils connaissaient très bien la fausseté ? D’un autre côté les premiers Chrétiens, par une pieuse fraude, n’ont-ils point pu par la suite ajouter ou retrancher des choses essentielles aux ouvrages qu’on attribue à ces Apôtres ? Au moins est-il certain qu’Origène se récriait déjà dans le troisième siècle contre la corruption des manuscrits. Que dirons-nous, dit-il, des erreurs des copistes, & de la témérité impie qu’ils ont de corriger le texte ? Que dirons-nous de la licence de ceux qui se mêlent d’interpoler ou d’effacer à leur gré ? Toutes ces questions forment sans doute des préjugés légitimes contre ceux à qui l’on fait honneur des Évangiles, & contre la pureté du Texte de ces Évangiles mêmes. Au reste, il est très difficile de s’assurer avec quelque degré de certitude si ces Évangiles sont des auteurs dont ils portent les noms. En effet tout nous prouve que dans les premiers siècles du Christianisme il y eut un très grand nombre d’Évangiles différents les uns des autres, composés pour l’usage des diverses Églises, & des diverses sectes de la Religion Chrétienne. Cette vérité a été reconnue par les historiens Ecclésiastiques les plus accrédités [6]. Il y a donc lieu de soupçonner que ceux qui composaient ces Évangiles, dans la vue de leur donner plus de poids, ont pu les attribuer à des Apôtres ou des Disciples, qui dans le vrai n’y avaient eu aucune part. Cette idée un fois adoptée par des Chrétiens ignorants & crédules, a pu se transmettre d’âges en âges, & passer à la fin pour indubitable dans des temps où il n’était plus possible de constater ni les auteurs ni les faits rapportés.

 

Quoi qu’il en soit, parmi une cinquantaine d’Évangiles dont le Christianisme fut inondé dans son commencement, l’Église, assemblée en Concile à Nicée, en choisit quatre seulement, & rejeta tous les autres, comme apocryphes, quoiqu’ils n’eurent rien de plus ridicule que ceux qui furent admis. Ainsi au bout de trois siècles (c’est-à-dire, l’an 325 de l’Ere Chrétienne) des Evêques décidèrent que ces quatre Évangiles étaient les seuls que l’on dût adopter, ou qui eussent été véritablement inspirés par le St Esprit. Un miracle leur fit découvrir cette importante vérité, difficile à démêler dans un temps déjà très éloigné de celui des Apôtres. On plaça, dit on, pêle-mêle les livres apocryphes & les livres authentiques sous un autel ; les Pères du Concile se mirent en prières pour obtenir du Seigneur qu’il permît que les livres faux ou douteux restassent sous l’autel, tandis que ceux qui seraient vraiment inspirés par le Saint Esprit viendraient se placer d’eux-mêmes sur cet autel, ce qui ne manqua pas d’arriver. C’est donc de ce miracle que dépend notre foi ! C’est à lui que les Chrétiens doivent l’assurance de posséder des Évangiles vrais, ou des mémoires fidèles sur la vie de Jésus-Christ ! C’est là uniquement qu’il leur est permis de puiser les principes de leur croyance & les règles de la conduite qu’ils doivent tenir pour se procurer le salut éternel !

 

Cela posé, l’autorité des livres qui servent de base à la Religion Chrétienne, n’est fondée que sur l’autorité d’un Concile, c’est-à-dire, d’une assemblée de Prêtres & d’Evêques, Mais ces Evêques & ces Prêtres, juges & parties dans cette affaire à laquelle ils étaient visiblement intéressés, n’ont-ils pas pu se tromper ? Indépendamment du miracle apocryphe qui leur fit distinguer les vrais Évangiles des faux, ont-ils eu quelque ligne propre à leur faire distinguer les écrits qu’il fallait admettre de ceux que l’on devait rejeter ?

 

On nous dira que l’Église, assemblée dans un Concile général, est infaillible ; que l’Esprit Saint l’inspire alors, & que ses décisions doivent être regardées comme celles de Dieu lui-même. Si nous demandons où est la preuve que l’Église jouisse de cette infaillibilité, on nous répondra que l’Évangile l’assure & que Jésus-Christ a formellement promis d’assister son Église de ses lumières, jusqu’à la consommation des siècles. Sur quoi les incrédules répliqueront que l’Église ou ses Ministres se font donc des droits à eux-mêmes, vu que c’est leur autorité qui seule établit l’authenticité des livres dans lesquels leur autorité propre est établie, ce qui est visiblement un cercle vicieux. En un mot une assemblée d’Evêques & de Prêtres a décidé que les livres qui leur attribuent une autorité infaillible ont été divinement inspirés.

 

Malgré cette décision, il nous reste pourtant encore quelques difficultés sur l’authenticité des Évangiles. En premier lieu l’on pourrait demander si la décision du Concile de Nicée, composé de 318 Evêques, doit être regardée comme celle de l’Église universelle ? Tous ceux qui formaient cette assemblée ont-ils été parfaitement d’accord entre eux ? N’y eut-il point de disputes entre ces hommes inspirés par l’Esprit Saint ? Leur décision fut-elle unanimement acceptée ? L’autorité séculière de Constantin n’eut-elle pas beaucoup de part à l’acceptation des Décrets de ce fameux Concile ? Dans ce cas ne serait-ce pas la puissance Impériale qui aurait, bien plus que l’autorité Spirituelle, décidé de l’authenticité des Évangiles ? En second lieu beaucoup de Théologiens conviennent que l’Église universelle, quoique infaillible dans le dogme, peut errer dans les faits : or il est évident que dans le cas dont il s’agit le dogme dépend de faits. En effet avant de décider si les dogmes contenus dans les Évangiles sont divins, il eût fallu savoir, à n’en pouvoir douter, si les quatre Évangiles en question ont été réellement écrits par les auteurs inspirés à qui on les attribue, ce qui est visiblement un fait. Il aurait fallu savoir de plus si ces Évangiles n’ont jamais été altérés, tronqués, augmentés, interpolés, falsifiés par les différentes mains par lesquelles ils ont passé pendant le cours de trois siècles ; ce qui est encore un fait. Les Pères du Concile ont-ils pu nous garantir infailliblement la probité de tous les dépositaires de ces écrits, l’exactitude de tous les copistes ? Ces Pères ont-ils pu décider sans appel que pendant un si long temps personne n’eût inséré dans ces mémoires des récits merveilleux ou des dogmes inconnus des écrivains que l’on en suppose les auteurs ? L’histoire Ecclésiastique ne nous apprend-elle pas que dès l’origine du Christianisme il y eut des schismes, des disputes, des hérésies & des sectes sans nombre, & que chacun des disputants fondait également son opinion sur l’Évangile ? Du temps même du Concile de Nicée ne trouvons-nous pas que l’Église entière était divisée sur l’article fondamental de la Religion Chrétienne, je veux dire, sur la Divinité de Jésus-Christ ?

 

Ainsi en regardant la chose de près, nous trouverons que le Concile de Nicée fut le véritable instituteur de la Religion Chrétienne, qui jusqu’à lui errait à l’aventure, ne savait à quoi s’en tenir, ignorait si Jésus était un Dieu, n’avait point d’Évangiles authentiques, manquait d’une loi sûre, n’avait aucun corps de doctrine à laquelle on pût se fier. Un nombre d’Evêques & de Prêtres, très petit en comparaison de ceux qui composaient toute l’Église Chrétienne, & ces Evêques, très peu d’accord entre eux, ont décidé de la chose la plus essentielle au salut des nations. Ils ont décidé de la Divinité de Jésus ; ils ont décidé de l’authenticité des Évangiles ; ils ont décidé que d’après ces Évangiles leur autorité propre devait être réputée infaillible ; en un mot ils ont décidé de la foi. Cependant leurs décisions seraient demeurées sans force si elles n’eussent été appuyées de l’autorité de Constantin ; ce Prince fit prévaloir l’opinion de ceux des Pères du Concile qui surent pour un temps l’attirer de leur côté [7], & qui parmi cette foule d’Évangiles & d’écrits, dont le Christianisme était inondé, ne manquèrent pas de déclarer divins ceux qu’ils jugèrent les plus conformes à leurs opinions particulières, ou à la faction dominante. Dans la Religion, comme ailleurs, la raison du plus fort est toujours la meilleure.

 

Voilà donc en dernier ressort l’autorité d’un Empereur qui décide des points capitaux de la Religion Chrétienne ! Cet Empereur, très peu sûr de sa foi, décide jusqu’à nouvel ordre, que Jésus est un Dieu consubstantiel à son père, & force d’admettre comme inspirés les quatre Évangiles que nous avons entre les mains ; c’est dans ces mémoires, exclusivement adoptés par quelques Pères du Concile de Nicée ; par eux attribués à des Apôtres, ou à des témoins irréprochables, inspirés par l’Esprit Saint ; par eux proposés comme devant servir de règle aux Chrétiens, que nous allons chercher les matériaux de notre histoire. Nous les présenterons avec fidélité ; nous comparerons & nous rapprocherons les récits, souvent discordants, qu’ils contiennent ; nous verrons si les faits qu’ils nous offrent sont dignes de Dieu & propres à procurer aux hommes les avantages qu’ils attendent. Cet examen pourra nous mettre à portée de juger sainement de la Religion Chrétienne, du degré de confiance que l’on doit avoir en elle, de l’estime que l’on doit faire de ses leçons & de ses dogmes, de l’idée que l’on peut se former de Jésus son fondateur.

 

Quoique pour composer cette histoire nous nous soyons fait la loi de n’employer que les Évangiles, c’est-à-dire, des matériaux approuvés par l’Église,nous n’osons pourtant nous flatter qu’elle plaise à tout le monde, ni même que l’Église adopte notre travail. Les rapprochements que nous ferons, les interprétations que nous donnerons, les réflexions que nous présenterons aux lecteurs ne seront pas toujours entièrement conformes aux vues de nos guides spirituels, dont la plupart sont ennemis de tout examen. Mais nous leur représenterons que la critique donne un nouveau lustre à la vérité ; que rejeter tout examen c’est reconnaître la faiblesse de sa cause ; que ne vouloir pas qu’on la discute c’est avouer qu’elle est incapable de soutenir aucune épreuve.

 

Si l’on nous dit que nos idées sont entièrement opposées aux décisions des Conciles, des Pères, de l’Église universelle ; nous répondrons que d’après les livres sacrés la résistance n’est pas toujours un crime ; nous nous appuierons de l’exemple d’un Apôtre, à qui la Religion Chrétienne a les plus grandes obligations, que dis-je ! à qui seul elle doit peut-être son existence. Or cet Apôtre se glorifie d’avoir résisté en face au grand St Pierre, ce Chef visible de l’Église, établi par Jésus-Christ lui-même pour paître son troupeau, & donc par conséquent l’infaillibilité est pour le moins aussi probable que celle de ses successeurs, & même que celle de l’Église assemblée en Concile Oecuménique.

 

Si l’on nous taxe d’innover, nous nous appuierons de l’exemple de Jésus-Christ lui-même, qui fut regardé comme un novateur par les Juifs, trop entêtés de leur antique loi, & qui fut le martyr de la réforme qu’il voulait introduire. Cependant nous déclarons hautement n’avoir nulle envie de l’imiter en cela ; nous ne voulons prêcher que jusqu’au martyre exclusivement. Si la doctrine qu’on présente déplaît, comme l’auteur ne prétend point à l’inspiration divine, il laisse à chacun la liberté de rejeter ou d’admettre ses interprétations, & sa façon d’envisager les choses. Il ne menace point de tourments éternels ceux qui résisteront à ses arguments ; il n’a point assez de crédit pour promettre le ciel à ceux qui s’y rendront ; il ne prétend ni gêner ni séduire ceux qui ne pensent pas comme lui ; il voudrait seulement tranquilliser l’esprit, adoucir le fiel & calmer les passions de ces personnes zélées, toujours prêtes à tourmenter leurs semblables pour des opinions, qui peuvent ne pas paraître également convaincantes à tout le monde ; il se propose de faire sentir la ridicule cruauté de ces hommes de sang qui persécutent pour des dogmes, qu’ils ne comprennent point eux-mêmes. Il ose se flatter que ceux des lecteurs qui liront cet examen de sang-froid reconnaîtront qu’il est très possible de douter de l’inspiration des auteurs Evangéliques & de la mission divine d’un Charlatan de Judée, sans cesser pour cela d’être honnête homme & raisonnable.

 

Ceux qui pourraient s’irriter contre cet ouvrage sont priés de se souvenir que la foi est un don du ciel, que pauvreté n’est point vice, que si les Juifs n’ont point cru aux prodiges du Christ, dont ils furent les témoins, il est très pardonnable d’en douter au bout de dix-huit siècles, surtout en trouvant ces merveilles transmises par des Ecrivains que le Saint Esprit n’a pas jugé à propos d’inspirer uniformément ni de mettre d’accord les uns avec les autres. 

Enfin les dévots embrasés sont instamment suppliés de modérer leur sainte fureur, & de permettre à la douceur, si recommandée par leur divin Sauveur, de prendre quelquefois la place de ce zèle amer & de cet esprit persécuteur qui fait tant d’ennemis à la Religion Chrétienne & à ses Docteurs. Qu’ils se souviennent donc que, si c’est à la patience ou à la tolérance que le Christ promet la possession de la terre, il est bien à craindre que peu à peu l’orgueil, l’intolérance, l’inhumanité ne fassent détester les Ministres de l’Église, & ne leur fasse perdre cet empire sur les esprits qui leur parait si doux. S’ils veulent régner sur des hommes raisonnables, il faut qu’ils leur montrent de la raison, des lumières, & surtout des vertus plus utiles que celles dont depuis longtemps l’Évangile infecte les sociétés. 

Jésus a dit de la façon la plus claire, bienheureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre ; à moins que les interprètes ne trouvassent que cela signifie qu’il faut persécuter, exterminer, égorger ceux que l’on veut attirer. 

S’il était permis de citer la maxime d’un profane à côté de celle du fils de Dieu, nous rapporterions ici celle du profond Machiavel, qui dit que les Empires se soutiennent par les mêmes voies par lesquelles ils se sont établis. C’est à force de douceur, de patience & de prévenances que les Disciples du Christ sont parvenus dans l’origine à faire adopter la Religion Chrétienne. Leurs successeurs n’ont usé de violence que lorsqu’ils se sont vus appuyés par des Tyrans dévots. Depuis ce temps l’Évangile de la paix à été le signal de la guerre ; les Disciples pacifiques de Jésus, devenus des guerriers implacables, se sont traités les uns les autres en bêtes féroces : l’Église s’est vue perpétuellement déchirée par des dissensions, des schismes, des factions. Si l’esprit primitif de patience & de douceur ne revient promptement au secours de la Religion, il est à craindre qu’elle ne devienne l’objet de la haine des nations, qui commencent à sentir que la morale est préférable à des dogmes obscurs, & que la paix vaut mieux que les fureurs sacrées des Ministres de l’Évangile.

 

On ne peut donc, pour leur propre intérêt, exhorter trop vivement à la modération. Qu’ils imitent leur divin Maître qui jamais n’employa le pouvoir de son Père pour exterminer les Juifs, dont il avait tant à se plaindre : il ne fit point descendre des armées du ciel pour établir sa doctrine ; il aima mieux se livrer lui-même au bras séculier, que d’y livrer les mécréants, que ses prodiges & ses raisons victorieuses ne pouvaient persuader. Quoiqu’il fût dépositaire de la puissance du Très-Haut ; quoiqu’il fût évidemment inspiré par son Esprit Saint ; quoiqu’il eut à ses ordres tous les Anges du Paradis, nous ne voyons pas qu’il ait fait de grands miracles sur l’esprit, de ses auditeurs ; il leur permit de rester dans leur aveuglement, quoiqu’il ne fût venu que pour les éclairer. Nous ne pouvons douter qu’une conduite si sage n’ait eu pour objet de faire sentir aux Pasteurs de son Église, (auxquels nous ne trouvons pas qu’il ait légué un pouvoir de convaincre & de convertir plus efficace qu’il n’avait lui-même) que ce n’est point par la violence que l’on peut apprivoiser les esprits avec des choses incroyables, & qu’il ne serait pas juste de forcer les autres de comprendre ce que, sans des grâces d’en-haut, l’on serait dans l’impossibilité de comprendre soi même, ou ce que, même avec ces grâces, on ne comprend que très imparfaitement.

 

Mais il est temps de terminer la préface peut-être déjà trop longue, d’un ouvrage, qui, même sans préambule, pourra bien ennuyer le Clergé & donner de l’humeur aux dévots, & surtout aux dévotes. L’auteur se rend justice & croit en avoir assez dit pour être en droit de se promettre d’être attaqué par une nuée d’Ecrivains, obligés par état de repousser ses traits & de défendre, bien ou mal, une cause très intéressante pour eux. Il s’attend à voir après sa mort son livre cruellement flétri, sa réputation déchirée, ses arguments mis en pièces ou tronqués. Il s’entendra traiter d’impie, de blasphémateur, d’Antéchrist ; il aura le chagrin de se trouver surchargé de tous les titres que les aboyeurs d’Israël sont dans l’usage de prodiguer à ceux qui les inquiètent. Il n’en dormira pas moins ; mais comme il pourrait se faire que son sommeil l’empêchât alors de répondre, il croit devoir faire entendre d’avance à ses pieux antagonistes que des injures ne sont pas des raisons. Il fait plus ; il leur lègue un avis charitable, auquel les défenseurs de la Religion ne font pas communément assez d’attention. Ils sont donc avertis que si dans leurs savantes réfutations ils ne parvenaient point à résoudre complètement toutes les objections qu’on leur oppose, ils n’auraient rien fait pour leur cause. Les défenseurs infaillibles d’une Religion dans laquelle on assure que tout est divinement inspiré, sont tenus de ne point laisser un seul argument en arrière, & doivent se persuader que répondre à un argument n’est pas toujours l’anéantir. Ils voudront bien encore se souvenir, qu’une seule fausseté, une seule absurdité, une seule contradiction, une seule bévue bien démontrées dans l’Évangile suffiraient pour rendre suspecte, & même pour renverser l’autorité d’un livre qui doit être parfait en tous points, s’il est vrai qu’il soit l’ouvrage d’un être infiniment parfait. Un incrédule, n’étant qu’un homme, est quelquefois en droit de raisonner très mal, mais il n’est jamais permis à un Dieu ou à ses organes ni de se contredire ni de déraisonner.


[1] Le sentiment de la plupart des Théologiens est que le Saint Esprit a révélé aux Ecrivains sacrés jusqu’à l’orthographe des mots qu’ils ont employés, jusqu’aux points & aux virgules ; mais en supposant la réalité de cette inspiration des Ecrivains sacrés, elle ne suffirait pas encore ; il faudrait de plus que l’on pût nous garantir que tous les Copistes & tous les Moines des siècles d’ignorance, qui nous ont transmis les Ecrits révélés, n’ont fait aucunes fautes en les transcrivant ; un point ou une virgule déplacés, suffisent, comme on sait, pour altérer totalement le sens d’un passage.

[2] Nous voyons que Jésus-Christ inculque la foi dans tous ses discours & surtout dans St Mathieu chap. XXI vers. 21, 2, dans St Marc chap. XVI. vers. 16. Celui qui a de la foi, transportera des montagnes. Celui qui croira & sera baptisé, sera sauvé, etc. Plusieurs Sectes Chrétiennes croient d’après ces passages que la foi même dans les oeuvres, suffit pour sauver.

[3] V. Concil Trilent Sess. IV. Le Cardinal Pallavicini, dans son histoire du Concile de Trente, tranche toute difficulté en disant que toute la foi des Chrétiens n’est fondée que sur un seul article, à savoir, sur l’autorité infaillible de l’Église.

[4] Proverbes de Salomon. Ch. XXV. vers. 2. C’est sur cette maxime odieuse, & déshonorante pour la Divinité, que tous les Mystères sont fondés. De quel droit St Justin reprochait-il aux Païens l’impiété d’un de leurs Poètes qui avait dit que les Dieux la plupart du temps s’amusaient à tromper les hommes ? Toute la Bible n’est-elle pas un piège continuel tendu à l’esprit humain ? Toute la conduite du Christ, suivant l’Évangile même, n’est-elle pas un piège tendu aux Juifs, afin qu’en écoutant ils n’entendissent pas, & qu’en voyant, ils ne crussent point au Messie ?

[5] Victor de Tunis nous apprend que dans le VIe siècle l’Empereur Anastase fit corriger les Évangiles comme des ouvrages composés par des sots ou des gens sans lumières. Messala consule, Anastasio Imperatore jubente, Evangelia tanquam ab idiotis Evangelistis composita, reprehenduntur & emendantur.

[6] Voyez Tillemont, Tome II pag. 47. 257. 438. St Épiphan. Homil 34. Le célèbre Henri Dodwell assure que ce ne fut que sous le règne de Trajan, ou même d’Adrien, c’est-à-dire plus d’un siècle après J. C., que l’on fit un recueil ou Canon des Ecrits qui composent le Nouveau Testament : ces Ecrits jusqu’alors avaient été cachés dans les archives des Églises, & étaient entre les mains des Prêtres, qui pouvaient en disposer à leur gré. V. H. Dodwelli dissertationes in Irenaeum, pag. 66. & suiv. (On peut encore y joindre l’ouvrage profond de M. Fréret, publié en 1766 sous le titre d’Examen des Apologistes de la Religion Chrétienne.) Au reste il est évident que parmi les Docteurs des premiers Chrétiens il s’est trouvé un grand nombre de pieux faussaires, qui, pour faire valoir leur cause, ont supposé & forgé des Évangiles, des Légendes, des Romans, des Oracles de Sibylles, en un mot des ouvrages dont l’imposture & la folie ont été si frappantes, que l’Église elle-même a été forcée de les rejeter. Pour se convaincre du fait on n’a qu’à jeter les yeux sur l’ouvrage qui a pour titre : Codex Apocryphus Novi Testamenti publié par J. A. Fabricius Hamburgi 1719. La mode de faire des Romans Evangéliques n’est pas encore passée dans l’Eglisc Romaine. Un jésuite nommé le P. Jérôme Xavier, Missionnaire en Perse, composa en langue Persanne une histoire ridicule de Jésus, de sa mère & de St Pierre, qui a été publiée en Persan & en Latin sous le titre de Historia Christi Persica. in 4to. Lugd. Batav. 1639. Tout le monde connaît l’histoire du peuple de Dieu, tout récemment publiée par le R. P. Berruyer. On sait que dans le 13e siècle les Frères Mineurs composèrent un livre sous le titre d’Évangile éternel. En un mot dans tous les temps, des Chrétiens, soit orthodoxes, soit hérétiques, se sont pieusement occupés à tromper les simples. Quelques-uns ont été jusqu’à supposer des ouvrages à Jésus, dont nous avons une Lettre au Roi Abgare. Il est bon de remarquer que des Auteurs approuvés par l’Église, tels que St Clément Romain, St Ignace Martyr, St Justin, St Clément d’Alexandrie, ont cité des passages qui ne se trouvent point dans les IV Évangiles qu’on admet à présent. Quand la Religion Chrétienne fut établie & eut été adoptée par des personnes moins stupides que les premiers adhérents, les chefs de l’Église, craignant de se rendre méprisables eux-mêmes, firent un triage parmi les recueils de fables dont on était inondé, et déclarèrent apocryphes des ouvrages qu’ils jugèrent capables de décréditer les auteurs respectables à qui on les attribuait.

Il paraît cependant que ces ouvrages avaient été précédemment admis & cités par des Docteurs moins difficiles que leurs successeurs. Ces Ecrits, dont quelques-uns nous restent, prouvent & l’effronterie de leurs fabricateurs, & l’imbécillité des premiers Chrétiens, à qui l’on présentait de semblables Romans.

[7] L’Histoire Ecclésiastique nous prouve que Constantin par la suite persécuta St Athanase, l’exila à Trêves, & mourut Arien, Son fils Constantius vécut & mourut dans la même secte. Bien plus, le P. Petau, Jésuite, ainsi que d’autres Savants, a cru qu’avant le Concile de Nicée l’Église était Socinienne ou Arienne. Au moins est-il certain que le mot consubstantiel, qui fut adopté & consacré par ce Concile, avait été proscrit & condamné par le Concile d’Antioche, tenu contre le fameux Paul de Samosate. Mais nos Docteurs ont la ressource de dire avec St Augustin que les anciens Conciles généraux eux-mêmes sont corrigés par des Conciles postérieurs : Ipsa plenaria Concilia priora a posterioribus emendantur : ou bien ils nous diront avec le Cardinal de Cusa que l’Église, en changeant d’avis, nous oblige de croire que Dieu en change aussi. C’est ainsi que le Clergé se joue des Chrétiens !


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 avril 2007 7:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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