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Collection « Les auteur(e)s classiques »

LA CRIMINOLOGIE. Étude sur la nature du crime et la théorie de la pénalité. (1890)
Préface de la première édition française, 1887


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Raffaele GAROFALO, LA CRIMINOLOGIE. Étude sur la nature du crime et la théorie de la pénalité. Paris: Ancienne Librairie Germer Baillière et Cie., Félix Alcan, Éditeur, 1890. 2e édition entièrement refondue, 452 pp. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, bénévole, guide au Musée de La Pulperie de Chicoutimi, Ville de Saguenay.

Préface de la 1re édition française, 1887


Naples, le 1er décembre 1887


(p. XIV) Ce livre n’a pas pour but de discuter encore une fois le problème abstrait, et peut-être insoluble, de la responsabilité morale individuelle. Il ne contiendra qu’un essai sur la pénalité coordonné à une étude expérimentale du criminel, sans aucune généralisation des idées qui en découlent. Ce n’est qu’au point de vue de la science pénale qu’on y soutiendra l’impossibilité de se servir de principe du libre arbitre, et la nécessité d’asseoir cette science sur une base différente e plus solide.  Dans ce livre, point de métaphysique, l’auteur ayant pensé que toute conception de ce genre doit être écartée d’une science qui dérive d’une nécessité sociale, et dont le but est essentiellement pratique. C’est sur les faits bien constatés qu’il a cru devoir fonder des inductions, et c’est par là qu’il s’est vu obligé de combattre la théorie généralement acceptée, qui, selon lui, est en contradiction flagrante avec les résultats des recherches scientifiques de notre époque.

(p. xiv) Ce livre est fait pour trancher un désaccord frappant entre la logique judiciaire et l’intérêt social.

On ne peut disconvenir qu’au point de vue moral, la responsabilité individuelle est de beaucoup amoindrie par les mauvais exemples reçus dès l’enfance, par la contagion du milieu ambiant, par les traditions de famille ou de race, par de tristes habitudes enracinées, par la violence des passions, par le tempérament, etc. Si tout le monde est d’accord sur ce point-là, comment ne pas en voir les conséquences d’après la théorie du droit pénal ? Du moment que la responsabilité serait amoindrie, le coupable serait toujours excusable dans ces différents cas ; selon qu’on donnerait à ces circonstances une importance plus ou moins grande, la peine devrait varier en proportion, et être réduite à un minimum insignifiant lorsqu’il serait possible de prouver la force extrême de l’impulsion au crime.

Or, il n’y a presque pas de coupables qui n’aient pour eux des circonstances atténuantes de ce genre ; il n’y a pas de crime où il ne soit aisé d’en découvrir. On n’a qu’à fouiller un peu et voilà qu’il en jaillit de tous côtés. C’est dire que les seuls criminels qui nous paraîtraient inexcusables seraient ceux pour lesquels on ne serait pas donné cette peine. On a beau répliquer qu’il ne s’agit que de mauvais penchants et que la libre volonté de l’homme peut toujours en triompher. Mais, comment s’y prendra-t-on pour mesurer la part qui revient à ces penchants, et celle qui (p. xv) revient au libre arbitre ! Comment faire d’ailleurs pour arrêter le progrès de l’anthropologie, démontrant que les plus grands coupables ont presque tous une organisation psycho-physique anormale ! La dépendance de la pénalité du principe de la responsabilité morale devrait donc avoir pour conséquence l’acquittement des assassins les plus féroces, du moment que l’on prouve leur extrême brutalité naturelle ou la toute puissance de leurs impulsions criminelles ; elle devrait, en tout cas, produire un adoucissement toujours plus grand des peines à mesure que les causes des mauvais penchants deviendraient plus connues et évidentes.

La répression agirait donc dans un rapport tout à fait inverse à la perversité et à l’incorrigibilité des criminels. Qu’on ne nous dise pas que nous avons tort de nous alarmer, et qu’on n’en arrivera jamais au point de déclarer l’impunité du crime. Les idées philosophiques d’une époque exercent une influence irrésistible même sur ceux qui essayent de lutter contre elles. Cela explique la pente qui entraîne déjà la justice pénale et qui en fait une digue impuissante, à tous moments envahies par la marée montante de la criminalité. On a beau protester contre les verdicts d’acquittement du jury, contre l’indulgence des magistrats. C’est après tout, le triomphe de la logique ; seulement ce triomphe est aux dépens de la sécurité et de la moralité sociale. Impossible d’y remédier, à moins qu’on ne déplace le critérium de la pénalité (p. xvi) en le reconduisant aux principes de la nécessité sociale et en abandonnant celui de la responsabilité morale de l’individu.

La société ne s’inquiète pas du crime autant qu’elle le devrait, ni à l’égard de la prévention. Le fait que, dans nos sociétés civilisées, plusieurs milliers de personnes sont égorgées chaque année par des gens qui en veulent directement à leur vie ou à leur argent [1] , et que des centaines de millions d’épargnes deviennent la proie de l’activité malfaisante, est bien plus grave, ce me semble, que presque toutes les questions dont on fait tant de cas dans les débats parlementaires. Le spectacle des boucheries et des pillages est d’autant plus hideux que la vie devient plus pacifique et moins incertaine. Malheureusement, on se borne à les déplorer, ces scènes de sauvagerie, ces anachronismes sanglants, que l’on considère comme des cas exceptionnels, parce qu’il arrive rarement qu’on en est témoin, et parce qu’on croit toujours que le danger en est immensément reculé.

Mais, voilà que la statistique arrive ; elle additionne (p. xvii) les chiffres ; elle concentre les sommes éparses de la douleur sociale ; elle nous montre un champ de bataille où le carnage a été, elle réunit en un seul cri terrible les gémissements des blessés, les pleurs de leurs parents ; des légions d’estropiés défilent, à la lueur de l’incendie qui vient de détruire des maisons. Quel est l’ennemi qui a ainsi désolé cette contrée ? C’est un ennemi mystérieux, inconnu à l’histoire ; son nom c’est le criminel!

Que fait la Société pour prévenir tant de malheurs! Rien ou bien peu. Elle a tarifié les délits parce qu’on appelle l’échelle des peines, c’est-à-dire qu’elle oppose à chaque délit le mesure plus ou moins grande d’une souffrance présumée et conventionnelle, réduite, par le progrès, à un genre unique, la détention dans une maison, où le prisonnier est pour un certain temps logé, nourri vêtu et chauffé aux frais de l’État. Les quelques mois ou les quelques années de condamnation se passent ; le terme arrive et le délinquant redevient un libre citoyen, comme tous les autres, sans qu’on ait plus même le droit de rappeler ses crimes ; on prétend qu’il les a expiés, qu’il a payé ce qu’il devait à la Société, qu’on doit dorénavant le présumer honnête. Tout cela n’est que pure rhétorique. La vérité est que le criminel n’a rien payé ; c’est l’État qui vient de faire des frais pour son entretien, c’est-à-dire de faire peser une nouvelle charge sur les contribuables, en ajoutant ainsi (p. xviii) quelque chose aux dommages produit par le délit. Le criminel ne s’est pas amendé moralement ; la prison n’opère pas de tels miracles, il s’en faut de beaucoup ; il n’est pas terrorisé, parce que notre système pénitentiaire est si doux qu’il n’effraye personne ; d’ailleurs même s’il en avait souffert, il se hâterait d’oublier, car le souvenir des douleurs physiques s’efface bien vite. Le criminel reste donc ce qu’il était, et par surcroît, on le replace dans le même milieu où il vivait avant sa condamnation, pour qu’il y retrouve les mêmes tentations et les mêmes occasions qui l’ont poussé sur la mauvaise voie.

Ce que je dis s’applique, en général, aux systèmes de pénalité dominant en Europe. Je n’ignore pas, du reste, qu’il y a des exceptions, qu’en France surtout on s’est préoccupé de la question et que moyennant la relégation des récidivistes, on a tâché de diminuer les ravages des malfaiteurs habituels, quoique cette loi, vivement attaquée, n’ait eu jusqu’à présent qu’une application très limitée. Malgré tout, on peut dire que la France est peut être le seul État de l’Europe continentale, où l’on ne reconnaisse pas encore l’empire absolu d’aucune théorie juridique pour ce qui regarde la pénalité. Le principe de la défense contre les ennemis naturels de la Société y est beaucoup mieux entendu qu’ailleurs, et, par un accord tacite, c’est à ce principe qu’on a souvent subordonné tous les autres. Mais il est temps de proclamer à haute voix que la (p. xix) science pénale n’a pas d’autre but et que c’est à ce but que tous les efforts des criminalistes doivent conspirer. Il s’agit d’une fonction éminemment sociale, et qui doit être soustraite aux vues étroites et aux sophismes de l’école juridique.

Aux yeux du peuple, les codes, la procédure et le pouvoir judiciaire lui-même ont l’air de s’entendre pour protéger le criminel contre la société, plutôt que la société contre le criminel. C’est le rôle des hommes d’État de renverser ces termes, de détruire cette idée et de justifier le sacrifice annuel de plusieurs le sacrifice annuel de plusieurs centaines de millions dépensés dans la lutte contre le crime, lutte qui, jusqu’à aujourd’hui, a été presque stérile, ou du moins n’a pas donné les résultats qu’on aurait eu le droit d’en espérer.

Naples, le 1er décembre 1887.



[1] Ceci n’est pas une exagération. De 1881 à 1887, le chiffre moyen annuel des meurtres dans les principaux États d’Europe (la Russie exceptée) a été de 9,208, ainsi partagés : Autriche, 689 ; Hongrie, 1,231 ; Espagne, 1,584 ; Italie, 3,606 ; Allemagne, 577 ; France, 847 ; Belgique, 132 ; Hollande, 35 ; Angleterre, 318 ; Écosse, 60 ; Irlande, 129. Si on y ajoutait la Suède, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Roumanie, la Serbie, le Monténégro, la Bulgarie, la Russie, la Grèce, on atteindrait pour sûr le chiffre de 15,000 environ. Quant à l’Amérique, dont je ne possède pas les statistiques, je lis dans un journal que les États-Unis à eux seuls sonnent plus de 3,000 meurtres par an.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 17 août 2009 7:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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