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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Jean Escarra (1885-1955, Le droit chinois (1936)
Introduction


Une édition numérique partielle (le tiers environ) de l’ouvrage de Jean Escarra (1885-1955, Le droit chinois (1936). Paris: Éditions Henri Vetch, Pékin, 1936. Librairie du recueil Sirey, 1936. 466 pages de texte. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Introduction

Dans la mesure où elle est autre chose qu’une fiction, l’opposition traditionnellement établie entre l’Orient et l’Occident ne se rencontre nulle part plus nette que dans le domaine du droit.

Les peuples dits de civilisation occidentale vivent tous, à des degrés variables, sur une conception gréco-romaine de la loi. L’esprit méditerranéen, s’il est l’essentiel du patrimoine des races latines, inspire encore de larges portions du droit en vigueur dans les pays musulmans, anglo‑saxons, germaniques, slaves même. Là, à un degré plus ou moins élevé, la loi est révérée comme une chose sacro‑sainte — « reine des dieux et des hommes » — , comme un impératif catégorique s’imposant à tous, définissant et réglant, d’une manière abstraite, les conditions et les effets de toute forme d’activité sociale. Là, des tribunaux fonctionnent, dont le rôle est, non seulement d’appliquer la loi, mais très souvent de l’interpréter et parfois de la « dire », au cours de débats contradictoires dans lesquels tous les intérêts sont représentés et normalement défendus. Là, enfin, des jurisconsultes édifient, au cours des âges, une œuvre d’analyse et de synthèse, un corps de « doctrine » tendant à épurer et à perfectionner sans cesse les éléments techniques du système juridique positif.

Ces caractères s’effacent à mesure que l’on s’avance vers l’est. Aux extrémités de l’Asie, la Chine, dans le puissant faisceau de valeurs spirituelles et morales qu’elle a créé et qu’elle a longtemps projeté sur tant de nations voisines : Corée, Japon, Annam, Siam, Birmanie, n’a fait à la loi et au droit qu’une place inférieure. A travers les institutions juridiques, elle n’a voulu reconnaître que l’ordre naturel, n’exalter que la « règle morale ». D’es­sence uniquement pénale, et très sévères, les sanctions ont eu surtout un rôle d’intimidation. L’État et son délégué, le juge, ont vu leur intervention amoindrie en face de l’omnipotence du chef de clan ou de guilde, du père de famille, de l’administrateur en général, traçant à chacun ses devoirs dans son domaine respectif, réglant les conflits d’après l’équité, les usages, la coutume locale. Relativement rares ont été les commentateurs et les théoriciens du droit chez ce peuple de lettrés, pourtant si positif : « On ne lit pas des codes », a dit un jour le poète Sou Che.

Si l’on songe qu’en dépit des apparences, l’influence, sur l’Extrême-Orient, de la civilisation occidentale demeure peu profonde et que, particulièrement en Chine, le tableau qui vient d’être tracé était, hier encore, intact, on admettra l’intérêt qui s’attache à cette conception chinoise du droit, si différente de nos idées méditerranéennes. 

Les notions fondamentales 

L’un des plus anciens principes directeurs de l’âme chinoise est la croyance à l’existence d’un ordre de la nature et à l’efficacité d’une concordance entre celui-ci et l’ordre social. Cette croyance a conduit les Chinois à une conception du droit naturel qui leur est demeurée propre et qu’on ne peut saisir qu’en faisant à peu près table rase des théories occidentales sur le sujet.

Avant d’être à la base d’un enseignement philosophique, la croyance à l’ordre naturel paraît avoir pris naissance à l’aube de la civilisation chinoise, au cours des fêtes saisonnières d’anciennes communautés paysannes. De ce fait essentiel, la démonstration semble avoir été donnée d’une manière décisive par M. Granet.

On conçoit qu’un groupe humain, ayant acquis, par des observations répétées, une certaine connaissance des phénomènes naturels, établisse ensuite, à l’imitation de ceux‑ci, des règles d’organisation sociale. L’alternance du jour et de la nuit, par exemple, déterminera les périodes de travail et de repos. La succession des diverses saisons de l’année présidera aux tâches de l’agriculture. Il n’y a rien là de spécifiquement chinois et cette influence directe de l’ordre universel sur l’ordre social, commune à toutes les civilisations, est tellement inéluctable qu’elle opposera toujours une borne infranchissable à la transformation radicale de cet ordre par un excès d’apports artificiels.

L’originalité relative du fait chinois est qu’ici les hommes ne se sont pas contentés d’imiter la nature. Ils ont cru qu’en obéissant aux règles dont elle leur fournissait le modèle, ils exerceraient une influence favorable sur le cours des phénomènes, tandis que l’ordre naturel serait troublé s’il survenait un trouble dans l’ordre social. De là, l’intuition d’une concordance, d’une solidarité, d’une interaction, pour tout dire, entre l’univers et la société. « Les animaux hibernants, par exemple, s’enfermaient dans leurs retraites quand les hommes se retiraient dans leurs maisons ; la régularité de telles récurrences permit de concevoir à l’image des pratiques humaines les usages de la nature : on les perçut solidairement ».

Si cette intuition a son principe, comme le pense M. Granet, dans les fêtes saisonnières qui représentent la plus primitive religion chinoise, elle est demeurée à la base de la vie quotidienne, depuis celle du chef suprême jusqu’à celle du plus humble artisan. Avant d’être utilisées par l’école confucéenne comme une sorte de code des règles sociales, les chansons du Che king, résidu d’un folklore beaucoup plus vaste, ont célébré « les correspondances qui existent de fait entre les événements de la nature et les observances des hommes ».

C’est ainsi que certaines règles techniques du mariage, passées dans les rituels, et, par leur intermédiaire, dans les codifications dynastiques, ont probablement leur lointaine origine dans la constatation de ces concordances et la croyance à leur efficacité. Porter des fourrures en été, des étoffes légères en hiver, risque de produire le froid ou le chaud hors de saison. Une union consommée en dehors de l’époque de la montée de la sève et du renouvellement de la nature risque d’être inféconde et malheureuse.

De même, la conduite de l’empereur aura sa répercussion dans le Ciel, c’est-à-dire dans l’ordre universel. Quand la nature est en bon ordre, c’est signe que l’empire est bien administré. Si elle est troublée, c’est que quelqu’un — c’est-à-dire le prince, responsable de l’ordre universel, — a commis quelque faute. La nature du désordre permet de déterminer celle de la faute. Un texte célèbre établit cette concordance : des pluies excessives annoncent l’injustice du souverain ; une sécheresse prolongée, ses erreurs ; la chaleur intense, sa négligence ; le froid extrême, son inconsidération ; un vent violent, son apathie.

On n’insistera jamais trop sur cette notion fondamentale. Scientifiquement élaborée par le confucéisme, l’intuition des Chinois primitifs est devenue un principe directeur de la mentalité de leurs descendants. Assurer l’exacte conformité de l’ordre social à l’ordre de la nature a été de tous temps regardé comme la fonction essentielle du prince. Tout est rapporté au Ciel, tout procède du Ciel. Le Ciel enseigne qu’il y a des règles et des rites ; il incombe au prince, sur la base de cet enseignement, d’établir les « cinq relations », les « cinq rites ».

Ce thème est répété à l’infini, tout au long d’une immense littérature. Il reviendra rituellement toutes les fois qu’il sera question de droit, dans les histoires dynastiques, dans les encyclopédies, dans les préfaces des codes.

Retour au livre de l'auteur: Jacques Bainville, historien Dernière mise à jour de cette page le mardi 28 février 2006 13:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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