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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Essais de vulgarisation scientifique et questions haïtiennes. (1952) [2016])
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Dr J.C. Dorsainvil, Essais de vulgarisation scientifique et questions haïtiennes. Port-au-Prince, Haïti: Les Éditions Fardin, 2016, 166 pp. Reproduction de l’édition de 1952 publiée par l’Imprimerie Théodore. Une édition numérique réalisée par Wood-Mark PIERRE, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et membre du Réseau des bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti.

[xxi]

Essais de vulgarisation scientifique et questions haïtiennes.

Introduction

[xxi]

[xxii]

[xxiii]

LE DOCTEUR J. C. DORSAINVIL
SA VIE ET SES ŒUVRES
 [1]

Quelques jours avant sa mort, le Docteur Dorsainvil qui aimait parler des choses sérieuses en badinant me racontait l’histoire d’un prêtre qui l’avait cité en chaire sur le ton emphatique du pasteur des âmes : « Mes frères, écoutez ce qu’a dit le Docteur Justin Dorsainvil ». C’était au fort de la grande campagne des rejetés. Dans l’esprit du prêtre, il devait s’agir, sans doute, de Vodou. Et le maître, de reprendre alors avec son large sourire moqueur : Mais où donc a-t-il appris que je m’appelle Justin ? — Comment ! Remarquai-je, vous ne vous appelez pas Justin ? — Mon cher, je m’appelle Jean Chrysostome Dorsainvil — Justin pour mes intimes ». C’est en effet le nom qui est porté sur son acte de naissance. Il est né le 20 Décembre 1880 à la Rue Joseph Janvier, dans l’une des deux petites maisons situées derrière le cimetière de Sainte-Anne, en face des pompes funèbres du vieux François Ambroise, si connu dans la ville sous le nom de Ti Couli. De parents modestes, il était le dernier né d’une famille de neuf enfants dont cinq garçons et quatre filles. Trois d’entre eux étant morts en bas âge, il ne restait que trois filles, dont Mme. Henri Augustin et trois garçons. Ces trois garçons : J. B. Dorsainvil, qui a laissé un nom d’historien de talent, auteur d’un ouvrage sur le droit constitutionnel haïtien, d’une Histoire d’Haïti, ancien Ministre Plénipotentiaire à Londres ; J. J. Dorsainvil et J. C. Dorsainvil lui-même.

Dans la vie de cet homme, il semble que la nature n’ait rien épargné, sans excepter la légende, pour en faire un prédestiné. Correspondance ou coïncidence ? Tous ces faits-là, il les appelle, dans sa métaphysique, de « l’inexpliqué ». En tout cas, cet « inexpliqué » a fait qu’Alexandre Pétion n’est pas mort sous les décombres [xxiv] de la maison natale, grâce au dévouement d’une bonne. De l’inexpliqué encore peut-être le fait suivant : l’on raconte, en effet, que le petit Justin, à peine âgé de trois mois, était couvert de petite vérole. Les médecins, appelés à son chevet, entr’autres le Docteur Aristomène Zéphir, avaient désespéré du cas : l’enfant était trop petit pour faire les frais de la terrible infection. Une nuit, le père eut l’heureuse idée de recommander à la mère de ne pas se coucher dans la maison sans une bouteille d’huile d’olive.

Quelle a été la vertu de cette petite cuillerée d’huile d’olive qui a tiré l’enfant de ce spasme fatal survenu ce jour-là vers minuit ?

Vous le demanderez au secret qui enveloppe l’existence des hommes prédestinés : l’enfant guérit grâce aux soins maternels. Le dévouement maternel a souvent suppléé à l’insuffisance de la science.

Mais voici l’âge de 5 ans, âge où les petits citoyens prennent allègrement le chemin de l’école. On le place à l’École des Frères de l’instruction Chrétienne du Quartier, qui était, alors, logée dans le local actuel du Collège St. Vincent de Paul.

C’est précisément à cette époque que, le jour de la prise d’armes sous Florville (28 Janvier 1891), il eut accidentellement, à la procession de la Fête-Dieu, son chapeau de laine troué par une balle. Il se tira de cette mésaventure, heureusement, sain et sauf. L’on raconte, au surplus, que ce fut après mille recherches effectuées de droite et de gauche, que les parents finirent par le retrouver tout hors de lui-même, avec trois autres petits. Et le père garda, dit-on, ce chapeau pendant longtemps comme un précieux souvenir.

Puis, il fut acheminé à l’école privée que dirigeait Hyppolite Benjamin. Il y acheva ses études primaires, les parents l’envoyèrent ensuite au Lycée National pour ses études secondaires. C’était à cette époque, l’âge d’or de cette brillante institution dont l’esprit démocratique de Pétion dota la République. Le Lycée était florissant.

Il est évident qu’une critique peu intelligente et passionnée n’hésitera jamais à adresser toutes sortes de reproches, sans discrimination au gouvernement du Général Salomon, mais là où elle sera toujours forcée de s’arrêter, c’est quand il s’agira de reconnaître la valeur de son œuvre d’éducation des masses et de préparation des cadres.

[xxv]

En plaçant au Lycée National de Port-au-Prince une mission étrangère composée d’agrégés, le Président Salomon avait compris qu’aucune réforme de l’instruction Publique ne pouvait sortir d’effet sérieux si à sa base ne se trouvaient placés la compétence et le mérite. Cette belle marque de capacité consacrée par l’ancienneté, le travail, la valeur morale, la technique et une vraie conscience professionnelle, ce sens aigu des nécessités du gouvernement et une compréhension si nette des obligations et des conséquences morales de l’enseignement public normalement organisé, avec l’élément qui convient, à sa place, donnèrent — comme résultat très encourageant — la formation de cette magnifique pléiade d’hommes de réelle culture, au nombre desquels les générations subséquentes ont salué un Mirabeau Drice, Périclès Tessier, Windsor et Dantès Bellegarde, Seymour Pradel, Price Mars, Sténio Vincent, Damoclès Vieux, Amilcar Duval, Pétion Jérome — j’en passe — et le Docteur J. C. Dorsainvil.

Après avoir achevé de brillantes études, il sortit lauréat du concours d’Histoire d’Haïti organisé par le Département de l’Instruction Publique et entra en 1900 à l’École de Médecine dont le Directeur était alors le Dr. J. E. Jeanty. Il avait alors 20 ans.

Là au milieu des Numa Déjean, Jules Fleury, Raymond Cabèche, Pétion Coles, Marc Narcisse, Perpignan, Faublas, Antoine Dorival, J. C. Dorsainvil se distingue comme un étudiant d’une intelligence extraordinaire. Travailleur infatigable, il donnera si bien qu’à la veille d’achever ses études médicales avec d’autres camarades, tel un Edouard Roy, un Félix Coicou, un Benony Hyson ou un Pétion Coles, l’Ecole trouvera en lui un professeur-assistant, tandis qu’à la même époque, en compagnie de Numa Déjean, Félix Coicou, Pétion Coles et Clément Lanier, il devenait assistant provisoire à la Polyclinique Péan. Peu de temps après, l’institution de la Rue Capois édifiée à grands frais par le maître généreux que les disciples saluent dans le Dr. Léon Audain, la polyclinique Péan allait se fermer sans avoir organisé le concours pour le recrutement des « assistants définitifs ». Elle fit place à l’Ecole de Bactériologie du savant, ancien interne des Hôpitaux de Paris et par-dessus tout, homme de conscience. J. C. Dorsainvil a toujours gardé un pieux souvenir de son passage à la Polyclinique. Sur ses lèvres, c’était des anecdotes qui revenaient souvent pour marquer l’attachante et sympathique figure du patron, bon  [xxvi] prince et plein d’élégance dans ses manières. Il aimait pareillement rappeler la tenue correcte et l’attitude encourageante d’un de ses anciens professeurs, le Docteur Ménos.

Peu de temps après sa sortie de l’École de Médecine en 1905, il dut se rendre à Aquin, sur la demande de la famille Castor, La province réclamait ses services. Ce fut dès lors, à travers le pays, le commencement d’une série de pérégrinations qui ne devaient s’arrêter que quelques mois avant sa mort et dont il nous laisse le meilleur profit dans le petit chef-d’œuvre qui s’intitule « Les Lectures Historiques ». Toutefois, son absence pour le moment fut de courte durée. La ville natale le rappela. À peine revenu à Port-au-Prince, il alla occuper une chaire de professeur à l’École Lancastérienne que dirigeait alors H. Jones. À la suite de l’horrible fusillade du 15 Mars, ce fut J. C. Dorsainvil qu’on choisit pour remplacer dans la chaire de Philosophie du Lycée Pétion, Massillon Coicou que toute une jeunesse avait vénéré comme un professeur bienveillant, à la pensée subtile et au verbe d’une suprême élégance.

L’homme était lancé. Le Professeur débutait brillamment dans la plus difficile succession, en inaugurant avec maîtrise, avec talent, cette méthode sûre, cette recherche des bases scientifiques de la connaissance, qui devait caractériser toute sa vie.

Vers la même époque, voici que Clément Magloire recrute de jeunes hommes de son âge pour la fondation d’un quotidien. J. C. Dorsainvil en est du nombre, au premier rang, mais cette histoire vous a déjà été contée par Me Félix Magloire : « Le Matin, écrit Me. Magloire, revendique, avec fierté, le privilège d’avoir compté le Dr. J. C. Dorsainvil parmi ses premiers rédacteurs dont Constantin Mayard, Dr. B. Hyson, Auguste Magloire, Charles Moravia. « Il fut de la toute première équipe qui contribua à donner au nouveau quotidien sa belle tenue scientifique. Questions de médecine, d’hygiène, d’éducation, d’administration furent la part précieuse que prodigua le Dr. J. C. Dorsainvil à notre publication qui lui en a toujours gardé un vif et affectueux souvenir ».

Ne vous en étonnez pas. Oui, toutes sortes de questions passaient déjà sous sa plume débutante. Je relève des titres dans « Le Matin » de 1908 : Évolution Sociale, Des Idées Collectives, [xxvii] Évolution et Mentalité, la Fin de l’Éducation, l’Éducation dans la Race, etc. Ces articles ! Des promesses magnifiques ! Car n’allez pas croire que ce n’est là que du jargon littéraire sous la plume d’un jeune homme. Tout y passe déjà, vous dis-je, les théories philosophiques les plus avancées, les sociologues en vue, des économistes en renom, des connaissances géographiques déjà étendues, tout, même l’ethnologie, a déjà marqué sa place dans l’œuvre magnifique. Mais écoutez cette phrase, elle est extraite de la « Fin de l’Éducation ». « Sans doute, la rigueur d’un fait physiologique ne se reproduit pas exactement pour le phénomène social. L’analogie, pour être éloignée, n’existe pas moins et nous saisissons pourquoi un biologiste comme H. Spencer a voulu les assimiler complètement. Comme l’organisme animal, l’organisme social â des lois qui règlent son maintien et son accroissement et qui, lorsqu’elles sont violées, déterminent des perturbations, véritables maladies du corps social. »

Et comme tout dans la vie se tient, est-il besoin alors d’expliquer son avancement dans la vie sociale. Ces articles de valeur, les relations qu’il s’était acquises ne tardaient pas à lui attirer la confiance des gouvernants. C’était le temps où l’on utilisait les cerveaux, où le jeune homme était recherché pour sa valeur morale et sa compétence. Le Dr. Dorsainvil qui vécut alors dans l’intimité successive de trois Chefs d’État ne tarda pas à occuper de suite des fonctions de Chef de Division à l’Agriculture, Chef de Division à l’instruction Publique, Directeur Général de l’Enseignement Urbain et la dernière en date, celle d’inspecteur Général de l’Enseignement Rural.

Entre temps, une affreuse catastrophe s’était abattue sur le pays. Sous la poussée de nos turpitudes nationales et des meneurs sans conscience, l’occupation américaine était venue aider à continuer le travail de démolition de l’œuvre des ancêtres — pour l’honneur et le bonheur du peuple haïtien.

Meurtri dans son orgueil et déchiré dans sa chair, le journaliste qui n’avait jamais perdu ses droits, se réveille de son assoupissement et sort alors au grand jour, en plein soleil, revêtu de sa cuirasse étincelante pour se mettre au service de la patrie. Presque toutes ses œuvres ont été d’abord publiées comme des articles de journaux ou à titre d’études de revues. Sur une période de [xxviii] vingt-cinq ans et plus, elles s’échelonnent marquées d’une documentation considérable, pour l’enseignement de la jeunesse et l’évolution de son pays. Son premier ouvrage : « L’échec d’Hier et l’Effort pour l’Avenir » est une conférence mise en brochure en 1915. Il y étudie les causes lointaines ou proches de nos malheurs. Devant le « lamentable fiasco » de nos lettrés au gouvernement, « laissant réaliser pleinement leur vie » seulement aux illettrés qui n’ont pas eu à consulter Bluntschli et Grotius, « tels un Soulouque, un Nord Alexis, un A. Simon », l’orateur conclut : « Monsieur Max Nordau, dans son ouvrage — « Le Sens de l’Histoire » nous indique charitablement les qualités qui nous manquent. Nous ne contestons pas, dit-il — et nous résumons — certaines qualités d’imitation et d’assimilation de la race noire. Qu’il y ait aux États-Unis et en Haïti des noirs, poètes, orateurs, avocats et journalistes de talent, cela ne détruit pas le sens de notre thèse. La civilisation des blancs n’est pas que cela, elle est dans une série d’actes d’invention ou de création ». Et le Conférencier continue : « Au vrai, si nous n’avons pas inventé la machine à vapeur ou la télégraphie, essayons, pour donner un premier démenti à Max Nordau, d’inventer un ordre social qui garantisse au moins notre existence » [2]. L’ouvrage se ferme sur le miracle splendide des peuples pratiquant l’escalade, haletant et hors d’haleine dans la montagne de la civilisation, à la file, l’un derrière l’autre, les plus forts devançant les plus faibles qui s’arrêtent en chemin dans la course incessante et ininterrompue.

Et puis bientôt, ce sont « Problèmes Haïtien », problèmes d’organisation où l’enseignement du peuple, sa vie économique reviennent comme un thème fondamental, « Militarisme et Hygiène Sociale » qui raconte la misère de nos vieux paysans éloignés de leurs foyers, jetés en garnison à une extrémité de l’Ile selon le caprice du Pouvoir militaire. Syphilis, Tuberculose, tous les vices et l’effondrement de l’économie nationale en sont le résultat.

Maintenant, voici le « Problème de l’Enseignement Primaire en Haïti » aux vues larges, un inventaire détaillé, d’une documentation abondante, envisageant tous les problèmes, problèmes d’ordre matériel, psychologique, moral, l’instituteur rural, l’instituteur [xxix] urbain, le budget de l'Instruction Publique, l’Inspection médicale des Ecoles et tout cela dit dans quel langage, avec quelle connaissance du milieu, quel sens complet des choses. Comment commenter en quelques lignes hâtives des pages qui ont coûté des nuits et des veilles et un labeur de bénédictin, l’œuvre de toute une existence. Ecoutez plutôt : « Maintenant, quel peut être le but politique de notre enseignement primaire, car un enseignement qui est une chose éminemment sociale a nécessairement un but politique ? La démocratie est un régime de lumière. En appelant chacun à prendre sa part de responsabilité de la vie de tous, elle se donne la mission tacite de rendre chaque unité apte à remplir cette tâche délicate. Lorsqu’elle renie cette mission, elle n'est qu’une ploutocratie sans vertu, comparable à ces vieux arbres qu’un reste de sève charge d’une dernière floraison, mais qui sont rongés au cœur par la vermine que la pourriture de mort y accumule.

Socialement, notre enseignement primaire doit poursuivre un double but. Dans sa partie rurale, il sera un effort pour faire du paysan un homme, un citoyen. Il sera encore la base de construction de la famille rurale sur un plan plus économique, moins étouffant, et, ajoutons-nous, plus moral. Qu’en pensez-vous, prêtre catholique, pasteur protestant, quand le paysan laborieux, en vue de répondre aux exigences de son travail qui sollicite des bras, se donne une petite armée de femmes. N’est-ce pas autant de goules qui épuisent le plus clair de ses revenus à la recherche du charme qui attachera à l’une d’elles les faveurs définitives du maître. L’idéal de toutes ces femmes engagées dans cette sorte de harem, n’est-ce pas d’être la « femme-caille » ? Vous nous direz encore que cela est de l’imagination. Nous avons pourtant bien connu de ces braves paysans qui, sans être des Ngan-Ngan, entretiennent aussi de 6 à 10 femmes. Il importe donc que la charrue remplace le plus possible les bras trop agissants de ces dernières.

Dans les villes, l’enseignement primaire doit viser à la constitution d’une classe moyenne, formée en grande partie d’ouvrier honnêtes, sérieux. Cette petite armée flottante de gens qui ont entrevu tous les métiers sans en posséder aucun à fond, et qui vous sabotent la commande avec une inconscience qui n’a d’égal que leur arrogance, doit disparaître. De cette classe ainsi individualisée, sortiront avec le temps et les circonstances favorables [xxx] les éléments d’une élite plus saine, capable, avec plus de modération, de reprendre notre histoire interrompue par des désastres amenés par l’imprévoyance de sa devancière » [3].

A très peu de distance, au « Problème de l’Enseignement Primaire en Haïti » succéderont des « Lectures Historiques ». Ce seront l’histoire, la géographie, passées en revue magistralement en quelques pages, le fait vivant mis à jour par une interprétation magnifique, savante, le milieu expliquant la formation des populations diverses, multiples, au demeurant, originales du pays. Ce petit livre est destiné aux classes supérieures des écoles primaires.

Puis s’annonce alors dès 1925 la série des œuvres maîtresses : « Organisons nos Partis Politiques » où l’auteur désolé de voir « l’action commune pour notre libération d’une tutelle, incompatible avec la dignité d’un peuple... s’émietter dans une triste compétition de personnes » se met à l’œuvre pour aider à la constitution de cadres déterminés, appuyés sur un programme aux lignes précises, dans le but de donner une nouvelle impulsion à l’œuvre commencée. Il faut lire le Chapitre II intitulé « Les États-Unis et Haïti » pour sentir à quel point l’homme avait un sens aigu des réalités internationales, ses connaissances profondes des problèmes généraux des États-Unis, ses vues merveilleuses sur son avenir et même ses prédictions. Il faut relire les directives qu’il donne à l’action haïtienne dans la lutte contre l’occupant. « Les États-Unis, dit-il, tiennent énormément à leur réputation de grande démocratie libérale. L’Union est un des rares pays qui, même lorsqu’ils font un mauvais coup, cherchent à le fortifier par tous les moyens, aux yeux de la conscience universelle. Le cas d’Haïti en est un démonstratif exemple ».

Et plus loin : « Dans le grand corps social américain si étrangement disparate, il y a toujours lieu de compter sur un réveil brusque du vieil esprit puritain. Aussi une saine politique en Haïti devra s’appliquer à cultiver ou à faire naître aux États-Unis même une opinion favorable au pays. Dans nos rapports avec l’Amérique Latine, il y a nécessairement une double question à envisager : l) la sympathie que nous pouvons susciter en notre faveur dans les groupements de couleur ; 2) l’effort qu’il [xxxi] faut déployer pour nous faire mieux apprécier par la presse et les gouvernements des républiques latino-américaines ».

Et les conseils de sagesse et de prudence reviennent encore. Mais alors, entre nous, n’est-ce pas la marche qui a été suivie en 1930 par la presse haïtienne, les associations, les ligues et dans toutes les réunions publiques pour le recouvrement de nos droits souverains de peuple libre ? C’est, à la même époque, qu’il publiera avec la collaboration des Frères de l’instruction Chrétienne, l’Histoire d’Haïti. Une des idées dominantes de l’œuvre est que l’Histoire est avant tout une science morale. L’Historien n’a pas le droit, au risque de se diminuer lui-même, d’exposer devant la jeunesse des écoles, les héros de la nation comme des modèles de l’immoralité, les peindre au milieu de leurs vices, de leurs faiblesses ou de leurs inconséquences. Tous ceux-là qui ont connu le Dr. J. C. Dorsainvil savaient quel cas il faisait de l’histoire officielle de ce pays. Telles anecdotes corsées qu’il vous contait sur les vraies causes des fusillades de Geffrard ou de tel commandant d’un arrondissement de province laissaient l’interlocuteur plongé dans un étonnement total au point de se demander, à la suite de Max Nordau, quel sens donner à l’histoire.

L’année 1931 nous apportera « Vodou et Névrose ». Pour avoir l’une des clefs de cette œuvre considérable de médico-sociologie, où l’auteur entreprend de classer la possession vodouique — en règle générale — parmi les névroses, il faut attendre la publication de la Lettre à l’Haïtien dans « Quelques Vues Politiques et Morales ». L’autre clef nous sera donnée seulement en 1937 dans sa dernière production condensée « Vodou et Magie » au chapitre terminal « Faits et Extrapolations ». Ouvrages, tous trois, d’une conception merveilleuse, où le talent dans sa maturité parfaite est arrivé au point culminant de l’adaptation d’un maximum de connaissances théoriques à une compréhension parfaite des besoins de la nature humaine, plus spécialement de l’homme haïtien. Le maître, selon son terme bergsonien favori, est alors en plein dans l’approfondissement du réel. Mais écoutez-le faire la genèse de « Vodou et Névrose » dans « Quelques Vues Politiques et Morales » : « Mes études secondaires achevées et, dès mes premiers efforts intellectuels indépendants, incontrôlés, je fus frappé par le rôle immense, incroyable, joué par le Vodou dans l’idée générale qu’on se fait au dehors du peuple haïtien. Au cours de plusieurs [xxxii] années, à côté de mes études médicales, je m'astreignais à la tâche relativement lourde de lire autant que possible tout ce qu’on avait publié sur ce peuple, depuis surtout sa libération en 1804. Ces efforts me conduisirent à quelques conclusions. « La première, la plus importante à mes yeux, me parut la nécessité d’étudier le Vodou. Bon gré mal gré, ce terme vague dans l’esprit même de mes compatriotes, entrait pour ainsi dire dans la définition de l’haïtien. Et plus loin : « Il me parut indéniable que la crise vodouique se manifestait en dehors de tout milieu d’entraînement, chez les adolescents, ou chez des personnes qui, par leur situation sociale, avaient un intérêt positif à échapper à une telle infirmité. Dès lors, ne fallait-il pas penser à un groupe de phénomènes s’organisant dans le subconscient de la personnalité, échappant au contrôle volontaire et susceptibles d’engendrer pour le moins des modifications fonctionnelles, dynamiques, transitoires, décelables à une observation attentive et où les prédispositions héréditaires et raciales pourraient jouer un rôle effectif ?

« J’orientai mes recherches dans ce sens et je pris l’habitude de considérer la crise vodouique authentique, comme une psychonévrose. Un fait de nouveau indéniable est la participation du terrain hystérique dans l'éclosion de la crise. Celui-ci joue souvent le rôle de cause prédisposante. En thèse générale, je m’occupe plus des faits que des théories. Dans l’état présent de nos connaissances, toutes les théories ne sont que des vues provisoires.

Pour les rendre complètes ou définitives, il faudrait épuiser le Donné. Or, à l’égard de l’explication dernière des choses, nous sommes, selon la remarque de M. Poincaré, dans la situation d’une personne qui suit un spectacle par un trou d’épingle fait au rideau de la scène »...

Le Vodou, donc, selon lui, serait un culte monothéiste, mais donnant dans l’action divine la place principale à des génies, les Vodou » et la crise vodouique, authentique, vraie, un dédoublement du moi, caractérisé par des altérations psycho-biologiques et définies. « Vodou et Névrose » est un livre à lire, parce qu’il constitue la défense la plus savante de la race noire.

Et maintenant faut-il ajouter à cette liste déjà longue l’œuvre inédite « Essai sur la Formation Ethnique et Morale du Peuple [xxxiii] haïtien ». Le savant, au soir de la pensée, s’attelait à l'œuvre définitive de scruter les origines profondes de sa race.

J’ai posé l’homme et j’ai dit, voilà l’œuvre. Mais, au moment de terminer, j’éprouve encore le besoin de préciser cette physio­nomie sympathique, d’en fixer au moins les traits d’une manière plus durable. C’est que, voyez-vous, ils font bien partie de mes souvenirs. Et ces souvenirs, en s’estompant dans le lointain, se teintent d’égoïsme. Vous représentez-vous un noir, au front large, les lèvres minces, la tête d’un développement latéral assez pro­noncé et bien posée sur des épaules larges, le menton saillant des yeux dominateurs derrière d’inséparables lunettes d’écaille, de taille moyenne et de grande corpulence. Vous le représentez-vous dans sa démarche ferme, imposante. Cet être-là, placez-le au milieu de cette splendide galerie que composaient naguère Pauléus Sannon, Probus Blot, Antoine Michel, Félix Viard, Dr. A. V. Carré, Paul Salomon, Molière Civil, Horace Périgord, Antoine Adam Michel, Price Mars et d’autres dont votre servi­teur, à la Rue de l’Enterrement, donnez-lui de l’allant, de la verve, faites sortir de sa bouche des phrases lapidaires dans des mouvements de magnifique éloquence, le geste s’esquissant dans la posture du tribun, qu’il parle de philosophie, d’histoire, d’eth­nographie, d’économie politique, de finances, qu’il dise même des vers et récite de beaux morceaux littéraires de France, de Ste. Beuve ou de Maupassant, Auguste Comte, Henri Poincaré, Bergson, que sais-je encore, reconnaîtrez-vous à ces traits le Docteur J. C. Dorsainvil ? Qu’il fût un savant, qui donc en a jamais douté ? Ouvrez « Vodou et Névrose », lisez le chapitre con­sacré aux « Maladies Surnaturelles », lisez encore « La Psycho-Névrose ». Prenez dans « Quelques vues Politiques et Morales » l’étude intitulée « En marge d’un Livre », prenez la « Lettre à l’Haïtien », la lettre au Dr. Pressoir « À propos de Christophe », allez aux « Faits et Extrapolations » dans « Vodou et Magie » et vous serez convaincu que son information était presqu’encyclopédique.

Et dans Dorsainvil, quel sens de la philosophie ! Qui donc a parlé d’une âme toute nourrie de la culture leibnitzienne, n’est-ce pas Félix Soray ? Leibnitzien, oh ! Oui, il devait l’être aussi, l’homme si attaché à l’approfondissement du réel, à la connaissance [xxxiv] première par les sens. Mais alors avez-vous remarqué aussi, comment cet homme, parce qu’il avait de l’avenir dans l’esprit, montrait un faible particulier pour l’expression de Talleyrand, qu’il répète à peu près dans tous ses ouvrages et aussi pour cette autre de Spencer qui revient comme un leitmotiv : « Il y a une urne de vérité dans les choses fausses, comme il y a une âme de bonté dans les choses mauvaises ». Son univers n’était pas Matière et Esprit. Il était les deux. Et qui redira jamais ses belles disser­tations sur ce foyer central, le soleil, l’astre par excellence. Il répétait souvent, Josué Blain doit s’en souvenir, qu’il ne fallait pas limiter l’infini de Dieu par l’Univers, que s’il était un point du monde où Dieu ne fût pas, il ne serait plus infini. C’était du Panthéisme, où l’on sent percer déjà la charité, l’amour pour tous les êtres, toutes les choses dans la nature, ce panthéisme dont Caro, dans la « Philosophie de Gœthe » revêt si bien la digne physionomie du poète.

De là, qu’il soit demeuré professeur toute sa vie, qui y con­tredira ? Sans égoïsme dans l’esprit, il tendait le document ou donnait le renseignement scientifique sans se faire prier. Son plus vif plaisir, c’était de provoquer la discussion pour enseigner, et quand, comme il arrivait souvent, le mousquetaire tenait en main sa victoire, en un geste élégant il repassait encore l’épée à l’adversaire désarmé. Car c’était un vrai cours qu’il faisait ainsi en se jouant et sans en avoir l’air. Il avait un faible spécial pour les sophistes grecs, ceux-là dont Taine a dit quelque part, qu’il n’est pas une idée dont un sophiste grec n’ait prouvé le pour et le contre avec la même agilité d’esprit. Et cette merveilleuse souplesse de l’intelligence qu’il regardait comme une force universelle, il la mettait au service de cette maïeutique socratique, le vrai art d’accoucher les esprits. Sa psychologie profonde, il la tenait sans doute de son sens des réalités : William James ne dit-il pas dans sa « Philosophie de l’Expérience » que comprendre une idée, c’est l’éprouver pratiquement et qu’il n’y a de connaissance rationnelle que dans l’action.

Aristocrate, certes, mais aristocrate de la pensée, il s’accom­modait mal du voisinage des foules. Et niché dans son observa­toire où il puisait toutes les consolations du cœur et de l’esprit, il ne pouvait rien entendre, ni avoir aucun goût pour les convenances [xxxv] sociales. D’ailleurs, même quand il eût voulu s’y adapter, son esprit était trop pénétré de lumière, de vérité et de poésie, pour se complaire dans une vie de mensonges et de conventions factices. Il n’avait d’égard que pour la vraie valeur. Et par-dessus tout, il attachait un prix infini à la valeur morale.

Chez lui, chez cet apôtre de l’action sociale, l’avocat de l’amé­lioration morale du peuple, il n’y avait pas de place pour les charlatans. Dans ses ouvrages, si vous prenez la peine de les ouvrir, vous trouverez, à chaque page, un plaidoyer en faveur de l’instruction du Peuple. Je cite le Problème de l’Enseignement Primaire — l’Échec d’Hier — Quelques Vues Politiques et Morales — Vodou et Névrose — Cherchez-vous un homme aux idées constructives ? Mais c’est la matière de tous ses ouvrages. En particulier, ouvrez quelques Vues Politiques et Morales, le Problème de l’Enseignement Primaire, qu’est-ce qui a été réalisé dans le pays depuis une vingtaine d’années qui ne s’y trouve. L’Inspection des Ecoles, elle a été réalisée en 1926. Il en posait les bases dans le Problème de l’Enseignement Primaire paru en 1922, la loi sur le déboisement, les constructions des cités ou­vrières, l’exploitation forestière et établissement de pêcheries, la création de lignes modestes de navigation reliant Cuba, la Jamaïque, etc. à notre pays, la création d’un atelier de constructions de navires de cabotage à l’ouest de la Maison Centrale des Arts et Métiers, l’organisation civile des départements. Mais ouvrez, ouvrez donc « Quelques Vues Politiques et Morales » et vous trouverez tout cela et bien d’autres choses encore. C’est une mine, une mine inépuisable que l’œuvre de cet homme !

Ceux qui ne l’ont pas connu ont souvent cru voir en lui un homme bourru, pétri de préjugés. Et cependant, dépouillé de sa cuirasse de défense, c’était l’homme le plus simple du monde.

Lisez telle page consacrée à Pétion dans les lectures historiques, ouvrez le « Problème de l’Enseignement Primaire » où il dit, en se plaignant de l’état d’ignorance où a été laissé le peuple : « C’est donc qu’on a toujours remarqué que le mal existe, mais pour des raisons qu’on n’osait pas publiquement afficher, les deux larrons en faisaient un sujet de rhétorique officielle, car nous n’entendons pas que celui-ci fasse retomber tout le poids de la faute sur celui-là et réciproquement ». Allez chercher le préjugé, après cela, dans l’homme. Savez-vous qu’il disait souvent à ses [xxxvi] intimes de ne jamais se mêler de conspirer avec les gens dans ce pays sous aucun prétexte de couleur. S’il lui arriva sans doute quelquefois de paraître autrement qu’il n’était, comme je vous dis, c’était l’effet de sa cuirasse.

Patriote, son œuvre est tout imprégnée de l’amour de sa patrie et de sa race. Et quand il fallut se dévouer, on le vit en 1930, descendre dans l’arène, on le vit se donner tout entier à l’œuvre, frapper des coups d’estoc pour la libération. Ceux qui ont vécu ces heures troublantes savent quel fut son apport à la Ligue d’Action Constitutionnelle, de quelle autorité il jouissait dans tous les milieux politiques, quel crédit était accordé à ses opinions. Patriote, il fit mieux, pour rester en accord avec ses doctrines, il s’inscrivit en tête de liste au nombre des fondateurs du Parti National Travailliste et, refusant catégoriquement un ministère que le Président Roy l’avait prié d’accepter, il voulut mener la cam­pagne de 1930 comme tous les simples citoyens pour le triomphe des desiderata. Déçu dans ses espérances, il refusera encore des ministères. Il en a toujours refusé. Il n’a jamais voulu être Minis­tre de l’instruction Publique. Lisez le « Problème de l’Enseignement Primaire », vous trouverez peut-être là la cause de cette attitude. Il ne voulait pas être un ministre-fantôme. Il poussait même l’affirmation plus loin. Il répétait souvent qu’un homme qui se respecte ne doit pas être ministre dans ce pays. Oserai-je dire alors, même en forçant un peu la comparaison, qu’il y avait du Georges Clemenceau en Dorsainvil ?

En tout cas, dans les deux caractères, l’on serait à l’aise pour parler de patriotisme et de philanthropie. Si l’un est presque un athée, l’autre affirme à plusieurs reprises que son esprit « se meut sans hostilité contre aucune forme supérieure de religion, irréductiblement dans le libre examen ». Si l’un, à part de petites peccadilles de jeunesse dans l’affaire de Suez, est un titan de la grandeur morale, l’autre est un irréductible. Si l’un ne voit partout que la grandeur de la France, l’autre est un haïtien farouche.

Dorsainvil voyage aux États-Unis en Octobre 1934. Il prononce des discours, des conférences dans tous les milieux, à New-York, à Chicago, sur la demande du Dr. Herskovitz, à Philadelphie. Les américains, congénères ou blancs, sont émerveillés de son don d’improvisation. Il a un succès considérable. Dans cette [xxxvii] tournée, avant tout, sa pensée va plutôt à son pays. Mais il y a encore autre chose. Clémenceau n’a jamais voulu être candidat à la présidence parce qu’il s’attendait à ce qu’on vînt la lui offrir. Je ne pousserai pas le parallèle jusque-là, je m’arrête ici.

Après avoir tracé ce tableau de la vie de l’homme et de ses œuvres, il m’est en effet difficile d’oublier l’heure où je le vis s’affaisser tout d’un coup. Malade, depuis de longues années, il portait cependant sa maladie allègrement. Mais les fortes réactions morales sont quelquefois les plus terribles meurtriers de l’organisme. Souffrant dans sa chair et dans son sang, il s’était, peu de temps avant la fin, revêtu de sa cuirasse, il parlait très peu. Sa santé s’était depuis quelques jours notablement altérée au point de causer de vives inquiétudes par moment à ses intimes. Les Docteurs Catts Pressoir, Molière Civil, M. Mesjnin Gabriel, Arsène Pompée, Klébert Jacob, Lélio Dalencour, Blain et d’autres encore dont votre serviteur, qui le voyaient chaque jour ou à peu près, gardent encore ce souvenir de l’homme qui ne songeait pas à mourir. Il tenait à la vie par toutes ses fibres. Cependant, juste au moment où l’on pouvait fonder les plus chères espérances, brusquement le tableau s’assombrit. Et, en moins de vingt-quatre heures, devant la consternation d’une famille sidérée, l’épouvante des amis et une infinie tristesse que tout le monde ressentit au plus profond du cœur, l’inéluctable se réalisa. Le Docteur J. C. Dorsainvil agonisait à la salle Privée de l’Hôpital Général, dans la petite chambre située à l’extrémité Sud-Ouest de la salle. C’était le Mardi 8 Septembre 1942. Sur le lit tout blanc, pas un souffle bruyant. C’est à peine si un mouvement léger soulevait par moments sa poitrine oppressée. Son front restait serein gardant jusqu’à la dernière minute le secret de sa noble attitude. L’homme était étendu sur sa couche qui chancèle, percevant déjà sans doute « les chants de l’azur et le tintement des étoiles ». Sa dernière parole, dans la matinée, peu avant de tomber dans le coma, avait été pour affirmer d’abord les rigueurs du détermi­nisme scientifique en arguant dans un dernier effort de sa voix chevrotante, qu’une consultation de médecin faite la veille avait dû avoir posé des indications précises pour le malade. Puis, tandis que je sortais pour chercher une réalisation à son vœu exprimé, c’était l’autre affirmation, spontanée, volontaire, à la religieuse qui venait se pencher sur son chevet : « Faites venir le prêtre », [xxxviii] avait-il ajouté. C’était sa dernière conclusion. Magnifique unité dans la vie d’un homme et loyauté ultime du savant qui faisait toujours deux champs distincts dans la pensée et dans les sentiments : celui de la science et celui de la croyance. À la minute suprême, la science vaincue, n’ayant pu donner la solution du problème, cédait humblement le pas à la croyance, la seule plan­che de salut qui reste à l’homme dans le naufrage universel.

L’homme qui avait su conduire une vie respectable jusqu’au bout, après l’avoir honorée d’une production remarquable, ne pouvait avoir une fin déloyale. Homme d’action et de pensée dans l’exis­tence quotidienne, il le resta jusqu’à la dernière minute où il conserva toute sa lucidité d’esprit, toute la mécanique de sa logique. Sa dernière opération mentale fut une délibération entre la croyance et la science. Sa volonté s’exprima : Il sut choisir son parti. Ce fut celui de la croyance. Il suivit le Christ de son enfance résolument jusqu’au bout.

Il mourut le 8 Septembre 1942 à 9 hres 40 du soir. La farce est maintenant consommée. Je ne terminerai pas cette trop longue mais fort incomplète étude sans ajouter ceci : que quelque sentiment que l’on puisse professer à l’égard de l’homme, il est impossible de ne pas reconnaître, avec de la bonne foi, qu’il y a dans ses idées de la grandeur et de la tenue morale dans sa personne. Sa vie demeure un des illustres exemples à offrir à l’admiration de la jeunesse et à la méditation des hommes publics. Dans le recul du temps, quand les passions se seront apaisées, nos cœurs trouveront plus de justice pour honorer ce grand ouvrier méconnu des destinées de la patrie.

Dr. Périclès C. VERRET
Avocat



[1] Extrait d’une Conférence prononcée, sous ce titre, par le Dr. Périclès VERRET (20 Décembre 1942).

[2] L’Échec d’hier et l’Effort pour l’Avenir — Dr. J. C. Dorsainvil, p. 25.

[3] Le Problème de l’Enseignement Primaire en Haïti — Dr. J. C. Dorsainvil, pages 103-104.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 15 juillet 2019 11:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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