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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Benjamin Crémieux, “Le roman italien contemporain.” Un article publié dans la Revue de synthèse historique, tome 19, no 3 [no 57), 1909, pp. 323-247. Une édition numérique réalisée par Daniel Boulagnon, bénévole, professeur de philosophie au lycée Alfred Kastler de Denain (France).

[323]

Benjamin Crémieux (1888-1944),

Écrivain français

Le roman italien contemporain.” [1]

Un article publié dans la Revue de synthèse historique, tome 19, no 3 [no 57), 1909, pp. 323-247.

La statistique nous apprend qu’il a été publié en Italie, de 1889 à 1909, environ deux mille romans : c’est un chiffre inférieur de beaucoup à celui de la production française durant la même période, imposant néanmoins. Cela suffit-il pour nous permettre d’affirmer qu’il existe un roman italien contemporain ? Car il y a, en Italie même, des critiques qui le contestent [2]. Il semble bien cependant que, malgré la grande diversité des œuvres, le caractère encore régionaliste de beaucoup d’entre elles, les innombrables variétés de formes et de sujets, on y puisse discerner assez nettement quelque orientation commune de tendances et quelque unité dans les conceptions.

Piccolo mondo maderno de Fogazzaro, Dopo il perdono de Matilde Serao, Dopo il divorzio de Grazia Deledda, Gli Ammonitori de Giovanni Cena, l’illustrissimo d’Alberto Cantoni, Una Donna de Sibilla Aleramo, sont des œuvres fort différentes ; une même impression s’en dégage pourtant : impression d’idéalisme, impression d’un effort pour poser et résoudre les problèmes les plus graves de la vie morale et sociale.

Durant l’époque qui suivit la constitution de l’unité, il semble que les auteurs italiens aient eu pour objet de faire connaître les unes aux autres les diverses provinces, de préciser le caractère des groupements divers qui devaient désormais former la grande patrie. Ne serait-ce pas là une cause inconsciente de la vaste et curieuse littérature [324] régionaliste, qui a triomphé de 1875 à 1895 environ ? Décrire minutieusement, inlassablement, paysages, hommes, coutumes de tel ou tel coin de la péninsule ; découper en tranches — en « tranches de vie » — l’Italie entière est alors l’unique ambition des romanciers : Giovanni Verga s’applique à noter la vie sicilienne ; Matilde Serao, la vie de Naples ; d’Annunzio, à ses débuts, ne songe qu’à chanter sa Pescara natale.

Au même moment débordait de France la grande vague naturaliste : les romanciers italiens s’y abandonnèrent, s’en laissèrent envelopper, pénétrer. Mais le régionalisme littéraire — conséquence imprévue de la nationalisation politique — fut bien un produit indigène, et non pas seulement, comme d’aucuns l’ont prétendu, une mauvaise imitation sans largeur de l’art d’un Zola ou d’un Maupassant.

Il est essentiel de marquer que ce triomphe du vérisme, qui fut insolent, ne fut jamais assez absolu pour étouffer toute protestation, tout retour offensif du roman idéaliste, dont le public depuis l’époque romantique, n’avait cessé de conserver le souvenir et le goût. Le chef-d’œuvre de Manzoni, moralisateur, finement psychologue, éminemment idéaliste, continuait à être lu et si on n’imitait plus directement les Fiancés, beaucoup leur demandaient encore le meilleur de leur inspiration : un De Amicis, par exemple, ou un Fogazzaro, chez lequel Benedetto Croce a relevé tant de traces d’une profonde et en partie inconsciente influence de Manzoni.

D’autre part, si les romans naturalistes de Zola avaient, au delà des Alpes, un retentissement considérable et des imitateurs nombreux, une œuvre d’idées, un roman à thèse comme le Disciple de Paul Bourget, passionnait tout le monde littéraire italien. Nombreux sont les romanciers qui, répondant à l’enquête entreprise, en 1895, par M. Ugo Ojetti, parlaient du Disciple et en signalaient l’influence. Celle des penseurs allemands ou russes ne saurait non plus être oubliée : Fogazzaro s’est enivré, un temps, de Schopenhauer ; et dans l’Innocente, un des premiers romans de D’Annunzio, ne voit-on pas aux prises la morale de Nietzsche et celle de Tolstoï ?

La critique elle-même souhaitait un art national plus complet. Arturo Graf, en 1892, s’élevait, dans un violent article [3], contre la formule vériste et n’hésitait pas à prédire l’avènement d’un roman [325] nouveau : « Puisque la vie est faite de réalité et d’idéal tout ensemble, concluait-il, il y aura une littérature plus compréhensive et plus haute, qui saura en les conciliant exprimer à la fois l’une et l’autre. »

Le vérisme au surplus ne pouvait être qu’une crise passagère. Il méconnaissait trop la tradition artistique italienne, qui fut toujours plus attachée à l’expression intérieure qu’à la représentation purement descriptive, et le goût qu’ont eu de tout temps les Italiens pour la théorie, pour la discussion, leur besoin de tout expliquer, de « se rendre compte », qui est si caractéristique, par exemple, du génie d’un Machiavel. Finalement libérés de la préoccupation unitaire (qui avait dominé tout leur romantisme), les Italiens devaient s’abandonner à nouveau à leur penchant pour les débats philosophiques et pour les idées générales.

Des habitudes littéraires créées par l’école vériste, combattues et en partie conservées par la nouvelle inclination à la littérature d’idées, est né le roman contemporain italien, souvent encore régionaliste, mais non plus exclusivement descriptif, pénétré d’idées morales ou sociales en rapport avec les besoins généraux de la nation.

Le souci patriotique n’en est pas absent. La jeune Italie, avide d’occuper la place à laquelle lui donnent droit ses fastes et son activité renouvelée, a un nombre presque infini de problèmes à se poser et à résoudre. Non seulement les problèmes communs aujourd’hui à tous les pays civilisés : rapports du capital et du travail, condition de la femme dans la société moderne, etc., mais bien d’autres encore, spécifiquement italiens : la persistance du « campanilisme », des rivalités de ville à ville, de province à province, par exemple ; la question méridionale où se mêlent pour la compliquer inextricablement tant de facteurs moraux, économiques, politiques ; l’important phénomène de l’émigration ; l’hostilité du Vatican et du Quirinal, pour ne citer que les principaux.

Les romanciers ont naturellement compris quelle matière riche, d’une élaboration relativement aisée, pouvaient devenir ces conflits si passionnants, si faciles à résoudre en drames. Ils pouvaient de plus utiliser à leur guise les bons moules de romans, coulés par Fogazzaro ou la Serao, Verga ou d’Annunzio — sans oublier Manzoni ; — ils n’avaient qu’à en modifier le contenu. Ainsi favorisée par les circonstances, l’analyse, très vile, a pu se substituer à la [326] description, l’étude des rapports se substituer à celle des faits.

Naturellement aussi, cette première réaction contre le vérisme s’est marquée par des excès. On a vu, vers 1895, un bon nombre de romanciers, parmi lesquels plusieurs véristes repentis, Matilde Serao en tête, s’intituler « Chevaliers de l’Esprit » et vaticiner un art spiritualiste par opposition au vérisme qui avait été la manifestation littéraire de l’esprit scientifique et matérialiste. Mais ce ne fut pour la plupart qu’une mode, un moyen de corser d’un remords religieux les voluptés défendues, ou encore qu’un catholicisme à la Huysmans, se complaisant à adorer des vierges, — pourvu qu’elles fussent de Botticelli, — et à s’exalter au Stabat Mater, — à condition qu’il fût de Pergolesi et que les chanteurs sortissent du Conservatoire. Le véritable mouvement spiritualiste, dont le modernisme est la plus grandiose manifestation, n’a pas tardé à se restreindre à quelques romanciers (Fogazzaro est le plus grand d’entre eux), sincèrement hantés par la préoccupation de l’au delà, par le problème des relations de la science et de la religion, du catholicisme et de la démocratie.

Quoi qu’il en soit, le roman « à idées » semble avoir triomphé en Italie, bien que tout vestige de vérisme n’ait pas disparu. Il est à peu près certain que le vérisme laissera des traces, ne serait-ce que ce sens aigu du réel qui a été l’apport de cette école, et qui ne s’émoussera plus. Toutefois, ce qui doit demeurer du vérisme est encore loin d’être fondu avec les conceptions idéalistes nouvelles, et il en résulte quelque hybridisme dans le Roman italien contemporain. Cette fusion intime, on peut toutefois la souhaiter, l’espérer même dans un délai prochain ; il n’est pas déraisonnable de croire qu’elle se marquera par quelques chefs-d’œuvre.

*
*    *

Il est facile de réunir en groupes distincts les romanciers véristes ou ceux qui se rattachent à la tradition que M. Albertazzi [4] appelle manzonienne et bourgeoise. Il n’en va plus de même lorsqu’il s’agit d’écrivains plus récents : chacun d’eux s’efforce de manifester quelque originalité, se montre jaloux de son indépendance ; et ce serait forcer la réalité que de vouloir les assembler sous des [327] en-têtes trop précis. Nous les rapprocherons, selon leurs tendances dominantes, pour la commodité de l’exposition, mais en marquant ici, une fois pour toutes, que la plupart de ces romanciers, ayant abordé plusieurs genres, mériteraient une place dans divers groupes, que, partant, nos rapprochements ne sauraient avoir qu’une valeur approximative.

Salvatore Farina, l’auteur de Amour aveugle et de Monsieur Moi [5] Anton-Giulio Barrili, dont le roman Ainsi qu’en songe [6] fut tenu un temps pour un chef-d’œuvre, continuent la tradition manzonienne et bourgeoise, à laquelle peuvent se rattacher aussi les livres de De Amicis.

Edmondo de Amicis [7] par ses récits bourgeois ou populaires, simples, sains, peut-être un peu terre-à-terre a connu les plus grands succès : en particulier Cœur [8], narration de la vie scolaire d’un petit garçon, se lit dans, toutes les écoles d’Europe, a atteint quatre cents éditions et a été traduit jusqu’en chinois. Qu’il décrive la vie du soldat (La Vie Militaire [9]), celle de l’instituteur primaire (Le Roman d’un Instituteur [10]) ou celle des émigrants (Sur l’Océan [11]), De Amicis le fait avec la même précision souple et aisée, s’arrêtant à décrire tel ou tel petit détail : un coin de paquebot ou le plumier d’un écolier, se complaisant à de légères observations psychologiques ou morales, s’attendrissant comme Daudet sur le malheur de ses héros, en arrivant môme à une sensiblerie larmoyante dont Carducci, entre autres, s’est moqué. Il a vu et rendu à merveille la vie quotidienne, sans la dominer jamais assez pour devenir un romancier vraiment puissant. Mais s’il ne put réaliser le grand roman socialiste qu’il rêvait, il a du moins admirablement réussi à raconter les mille et une petites aventures, les mille et un menus incidents dont on peut être témoin, par exemple dans un tramway (La Voiture de tous [12]), ou à analyser, non sans débonnaire scepticisme, les divers aspects de ce que nous nommons l’amitié (Les Amis [13]), ou encore à faire la psychologie de la lettre anonyme. Il manque un peu de relief et de continuité dans la peinture de ses personnages principaux ; mais il excelle à [328] camper des silhouettes prises dans la vie. II se soucie peu d’inventer d’ailleurs : les sujets lui manquent-ils dans son pays, il part à leur recherche en Hollande, en France, en Espagne, au Maroc, et il rapporte de tous ces voyages autant de livres alertes, d’une lecture facile, divertissants. Bref une série de tableaux, de types, d’observations, de faits, — un Kaléidoscope à intentions éducatrices, du même style pur et clair qui semble toujours s’adresser à des lecteurs jeunes ou de culture médiocre, tel est en gros l’œuvre de De Amicis.

Mme Neera [14] romancière bourgeoise, qui néglige son style, mais prétend « étudier les désirs et les aspirations de la femme, la noblesse de ses aptitudes et de sa mission, ses amours, ses chagrins, ses désillusions, son triomphe [15] », est tenue en Italie pour une des plus sincères, aimables et expertes analystes de l’âme féminine. Quelquefois elle est simplement romanesque : témoin Crèvecœur [16]. Dans d’autres romans (Ame solitaire, le Roman de la fortune [17]), elle examine des cas psychologiques, — on pourrait presque dire sociaux, — raconte la misérable existence d’une femme laide ou d’une vieille fille. Mais elle n’observe bien qu’une moitié de l’humanité — l’humanité féminine — et ses caractères d’hommes, le plus souvent de second plan, manquent de consistance.

Girolamo Rovetta [18], lui aussi, écrit des romans que l’on peut nommer bourgeois, par la qualité sociale des héros et par la morale qui se dégage de ses aventures souvent fort immorales. Plus dramaturge que romancier, c’est par leurs qualités dramatiques que valent surtout ses romans. Ils convergent tous vers une scène principale ; ce qui ne les empêche pas, du reste, d’être touffus, chargés — parfois surchargés — d’épisodes et de détails. Rovetta n’a échappé à aucune influence italienne ou étrangère, mais il s’est joué, parmi toutes, avec une aisance de grand seigneur. La Baraonda [19], histoire d’un brasseur d’affaires milanais, Matteo Cantasirena, et de ses deux nièces, Mater Dolorosa [20] ou Le Lacrime del Prossimo [21], ses meilleures œuvres, intéressent par leur vivacité et par l’analyse assez poussée de quelques personnages. L’héroïne de [329] Mater Dolorosa, la mère qui sacrifie d’abord sa passion à son honneur, puis son honneur à son amour maternel, est un caractère admirablement établi. Il y a de l’Octave Feuillet en lui, et, seulement aux plus mauvais moments, du Georges Ohnet.

De Marchi qui fut comparé à Dickens après l’apparition de son Demetrio Pianella [22] et qui dans On ne badine pas avec le feu [23] a écrit avec émotion le récit d’une série de douloureux et discrets sacrifices, rattache l’école bourgeoise à l’école proprement vériste, dont au surplus Rovetta, De Amicis ont bien reçu aussi quelque empreinte.

Giovanni Verga [24] est le plus pur des véristes. Deux inspirations bien différentes animent son œuvre : l’inspiration mondaine, l’inspiration populaire et, plus particulièrement, sicilienne. Ses premiers livres, mondains, les moins originaux, écrits à l’imitation des romans français, sont, selon la phrase de Benedetto Croce, « des représentations d’âmes et d’intelligences que la société, avec sa recherche de la richesse et du plaisir, son culte de la matérialité, — la société des banquiers et des jouisseurs où la table et la femme sont l’unique idéal, — contamine et empoisonne ».

Puis vient la période vériste où il donne toute sa mesure : dans la Vie aux champs [25] dans les Nouvelles paysannes [26] il exprime les tristes et violentes histoires siciliennes dont il avait l’âme pleine depuis l’enfance. Il y met en scène des cas de passions insensées, primitives, meurtrières, où le plus brutal des amours entre sommairement en conflit avec la plus étroite et la plus excessive des conceptions de l’honneur. Cavalleria Rusticana en est un des types les plus complets. Les douleurs de la vie de ces paysans méridionaux, leur fatalisme résigné, il nous les fait sentir profondément comme il les sent lui-même en dépit de sa volonté d’objectiver. Son style ramassé, sec, contribue toujours à l’impression, qu’il dépeigne les fureurs de l’ardeur sexuelle ou les malheurs d’une fille de ferme. Mais ces qualités de force et de sobriété lui ont surtout servi dans les deux premiers romans du cycle : Les Vaincus (I Vinti). Notons à ce propos combien les romans cycliques, après les Rougon-Macquart, furent à la mode en Italie : [330] d’Annunzio, Beltramelli, bien d’autres y ont sacrifié. Verga n’a d’ailleurs écrit que les deux premiers romans de ce cycle qui devait représenter toutes les classes de la société successivement. Les Malavoglia [27], c’est l’histoire d’une honnête famille de pêcheurs que l’ordre de choses nouveau, après 1870, prive d’abord d’un fils réclamé par la caserne — ce fils finira du reste contrebandier et homicide — et qu’une suite de fatalités précipite à la débâcle. Maître don Gesualdo [28] est d’un niveau social un peu plus élevé que les Malavoglia ; c’est un entrepreneur de bâtisses enrichi : il sera un vaincu lui aussi, pour avoir voulu jouer au M. Jourdain, en épousant une fille de condition, et il mourra seul renié à la fois par ses anciens pairs et par son gentilhomme de gendre... Au cœur de ce vérisme, apparaît déjà la préoccupation sociale, ou tout au moins, à la façon de Zola, celle d’une histoire naturelle et sociale.

Federigo de Roberto [29], méridional aussi comme presque tous les meilleurs véristes, a précisé en la développant cette nouvelle conception du roman historique dont les Malavoglia étaient une ébauche. Après avoir analysé — unissant les procédés du vérisme pur et les formules du roman psychologique — un homme assoiffé de bonheur, une femme honnête mais qui cesse de l’être pour avoir été trop avide d’illusions (l’Illusion[30], il a publié ses Vice-rois [31] : on sent l’influence des théories Lombrosiennes dans l’histoire de cette lignée sicilienne, aristocratique et dégénérée, des Uzeda, dont il narre les chroniques depuis l’an 1855 jusqu’en l’an 1879 : peut-être pourtant la famille des Vicerè se sauvera-t-elle grâce à l’énergie de Consalvo, qui, délaissant les conceptions féodales de ses parents, voyagera, s’initiera aux idées modernes et se lancera dans la vie politique active...

Luigi Gapuana [32]  a lentement évolué du vérisme intégral jusqu’à une sorte d’éclectisme, où se mêlent analyses et descriptions, après avoir, dans l’intervalle, usé de la méthode scientifique, sans tomber dans ses excès. Son Marquis de la Roccaverdina [33] indique à merveille, comparé à Giacinte [34], l’élargissement de son art. Il y raconte l’histoire d’un grand propriétaire sicilien qui marie son amante à [331] un de ses fermiers, moyennant la promesse que celui-ci n’approchera jamais de trop près sa femme légitime. Mais le paysan manque à son devoir, son maître le tue, laisse punir un innocent, purge sa conscience en confessant son crime à un prêtre qui meurt bientôt, et il vivrait tranquille si des hallucinations — qui ne sont pas des remords du reste — ne venaient épouvanter son âme et troubler sa raison. Ce livre bien construit et bien rempli intéresse ; il y a cependant un certain déséquilibre qui cause quelque malaise : l’auteur n’est point parvenu à mener de front la représentation des faits et l’analyse de l’âme superstitieuse, primitive, mais envahie de sentiments complexes de son héros. C’est un de ces produits hybrides que nous signalions plus haut.

Mais c’est sans doute Matilde Serao [35] qui est le plus grand des romanciers véristes. Depuis George Sand, nulle femme n’a eu ce feu, cette vigueur, cette fougue tempérée d’attendrissements ; et c’est bien à George Sand encore qu’il faut la comparer si l’on considère la masse de romans romanesques et de romans de représentation sociale qu’elle a accumulée. Influencée par Zola, par Stendhal, par Bourget, par tant d’autres, elle n’en reste pas moins personnelle, et toutes les impressions qu’elle enregistre dans ses récits, elle les a vraiment éprouvées elle-même. Son imagination admirablement nette, limpide et vive, a eu le privilège de pouvoir emmagasiner puis élaborer sans cesse et sans fatigue : fille de journaliste, elle a été élevée dans la vie fiévreuse de Naples et de Rome. Ajoutez une disposition naturelle à l’indulgence et à la compassion, une pénétration complète « de la passionnalité érotique féminine », un style qui semble avoir absorbé « le parler abondant, les gestes expressifs, la foule des couleurs crues, l’émotivité soudaine et irréfrénable qui est dans la vie et dans les créatures qu’elle peint », et vous comprendrez comment elle a pu réaliser ce Pays de Cocagne [36], où elle figure la vie entière de Naples tendue vers le jeu du Lotto, et les ruines — après les espérances démesurées — qu’apporte cette passion funeste dans toutes les classes sociales : tous ces drames dans un cadre de carnaval délirant, de processions et de baptêmes. Ses défauts, ce sont le manque de sobriété, de tenue logique, le manque d’invention aussi, l’incapacité de « tramer une intrigue ample et nouvelle » [332] ou de manier des idées. Aussi triomphe-t-elle dans les récits plus brefs, dans les nouvelles. Elle eut vers 1895 une crise de mysticisme dont témoignent son livre Au pays de Jésus [37], et plus tard une nouvelle : Sœur Jeanne de la Croix [38]. Mais elle était bien trop païenne, trop superficielle aussi, pour persister. Après le pardon [39] n’en montre plus trace ; et déjà en 1901, malgré la lettre-préface à Paul Bourget qui précède Suor Giovanna, elle en était presque libérée.

C’est encore au mouvement vériste qu’on peut rattacher deux écrivains de nouvelles, très différents l’un de l’autre, mais également intéressants : Salvatore di Giacomo et Renato Fucini. Le vérisme a remis en vogue en Italie le genre du conte, qui s’adapte si bien au génie de la race — Boccace, Sacchetti, tous les « novellieri » du Quattrocento en font foi — ; et on a même vu des livres entiers de nouvelles sur un sujet donné, assez restreint : Il ventre di Napoli de la Serao, La Carrozza di tutti ou Gli Amici de De Amicis, et d’autres encore.

Salvatore di Giacomo [40] est Napolitain et peint comme Matilde Serao la vie du grand port, en prose, en vers aussi : ses sonnets en dialecte sont des merveilles, et ses romances napolitaines sont parmi les plus simplement et les plus langoureusement belles. Il est attiré « par les spectacles tragiques, humoristiques, macabres, mélanges de férocité et de tendresse, de sens comique et de passion, d’abrutissement et de sentimentalité [41] ». Et il fait souvent penser à certaines des meilleures pièces de notre Grand-Guignol. Ses héros, ce sont des femmes perdues, des « gouapes », des camorristes, des saltimbanques, des ivrognes, des vieux, des mendiants. Le cadre de ses « bozzetti » : des rues sales, des hôtels borgnes, des hôpitaux, des prisons (Dans la vie[42]. Souvent sa nouvelle n’est qu’un simple fait divers, mais de ce rien il crée de l’art. L’élaboration artistique est même chez lui si parfaite qu’on ne saurait distinguer les nouvelles prises à même la vie de celles où l’auteur a inventé. C’est bien encore du vérisme, mais avec une poésie, une fantaisie symbolique singulières : l’auteur, en effet, n’est presque jamais absent de son récit, il le conte lui-même, et il sait arrêter de temps à autre [333] la narration des faits pour exprimer la mélancolie d’un crépuscule, la tristesse des hôpitaux, etc.. La sincérité de son tempérament, l’intensité et la sobriété de son art lui valent toute l’estime des lettrés italiens ; il serait à souhaiter qu’elles lui valussent aussi celle des lecteurs français.

Renato Fucini [43] est Toscan. Il a des Toscans la mesure, « l’arguzia », la langue admirablement pure et qui coule de source. Lui aussi doit aux Muses une part de son succès : ses sonnets humoristiques en dialecte pisan le firent très vite populaire. Ses récits des Veillées de Neri [44], tour à tour divertissants et pathétiques, mettent en scène les paysans de la Maremme toscane. On pourrait les situer, littérairement, à mi-chemin des Contes de la Bécasse et des Lettres de mon moulin. Voici l’histoire de ce joli petit chien que des paysans ont recueilli et qu’ils prennent pour le diable, parce qu’il fait des grâces dressé sur ses pattes de derrière ; ils le tuent, mais quelle désillusion est la leur, quels reproches ne se renvoient-ils pas quand ils apprennent la forte somme que promettait un colonel à qui lui aurait ramené le petit chien : c’est à rebours, mais aussi joliment troussée, la fable de la Laitière et du pot au lait. Voici l’histoire de l’idiot de la Maremme qui tua jadis par jalousie et fut envoyé en galère. Voici celle, admirable, de la pendule, si ténue qu’elle ne saurait se raconter mais dont les détails sont délicieux... Pathétique sobre, comique fin, élégance, simplicité, ce sont les dons essentiels de Renato Fucini, mais il en a bien d’autres...

La littérature régionale est innombrable. Bornons-nous à citer A. Beltramelli [45], qui a représenté les paysans et les citadins de la Romagne, Giulio de Frenzi (que nous retrouverons l’un et l’autre parmi les romanciers sociaux), Amilcare Lauria [46], loué par Luigi Capuana, qui, outre des romans sur Naples (Donna Candida, Le pauvre don Camillo[47], a écrit des récits militaires et patriotiques (Les Garibaldiennes[48] et des romans de pure passion, Sulla Lyona [49] par exemple, histoire « d’amour et de mort », où l’on voit une « femme fatale » tuée à la fin par l’homme qu’elle a séduit ; Grazia Deledda [50] enfin.

[334]

Ces quinze dernières années ont vu l’apparition puis la rapide consécration de cette artiste singulière, à la fois vériste crue et idéaliste impénitente, à qui on a pu attribuer presque du génie, en dépit de ses maladresses et de ses manques de goût. À peu d’exceptions près, l’action des romans de G. Deledda a la Sardaigne pour cadre. Elle nous donne des paysages, de la vie de son île natale une vision directe, riche en couleurs, exempte — au moins dans ses premiers livres — de littérature sinon de délayage, et ce parfum de terroir, cette fraîcheur d’impression et de rendu firent beaucoup pour le succès immédiat de romans comme Ames honnêtes, Elias Portolu [51] son chef-d’œuvre peut-être. Dans Après le divorce [52], elle a joint une thèse sociale à la peinture des mœurs sardes : elle y raconte l’histoire d’un paysan condamné pour un crime, dont la femme divorcée (l’auteur suppose le divorce entré dans la législation italienne) s’est remariée. Le vrai coupable se dénonce à son lit de mort, le paysan revient de galère, et sa femme ne sait en le revoyant que tomber dans ses bras. Moralité : le divorce aurait de mauvais effets dans les campagnes. La quasi-absurdité de la thèse n’empêche pas cette œuvre d’intéresser et les scènes pittoresques d’y abonde : la scène ou Giacobbe Dejas, piqué par une tarentule, se confesse meurtrier, tandis que sept vierges, sept épouses, sept veuves chantent les « scongiuri » pour qu’il guérisse, ne sort plus de la mémoire dès qu’on l’a lue. Grazia Deledda n’a peut-être pas un style très pur, des idées très justes sur la réalité, mais elle a le sens de la vie...

Ajoutons pour en finir avec le vérisme les noms de Carlo del Balzo [53] qui a beaucoup écrit sur Paris et qui, des descriptions de la vie provinciale, est passé à des sujets d’intention politico-sociale (Les huîtres[54] ; Giuseppe de Rossi [55] qui observe et invente bien (Sainte-Hélène[56] ; P. de Luca [57], vigoureux auteur de Aux portes du bonheur [58], scènes de la vie du peuple napolitain (un barbier phtisique, une vieille repasseuse, des étudiants qui font du socialisme dans les quartiers pauvres dans l’espoir d’y rencontrer de bonnes fortunes...), auteur également des Ambitieuses [59], scènes de [335] la vie bourgeoise ; Edoardo Scarfoglio, mari de Matilde Serao, plutôt publiciste que romancier, Ugo Valcarenghi dont le vérisme s’affine de sentiment. Et notons que peu ou prou on trouve chez tous ces écrivains l’expression de préoccupations sociales.

Il en va de même des romanciers psychologues, procédant de Benjamin Constant, de Bourget, des Concourt, depuis Gualdo et Giuseppe Giacosa jusqu’à Ugo Fleres, Novi, Marco Praga (plus connu comme auteur dramatique), ou encore Lucio d’Ambra, dont l’Oasis [60] est un joli livre fin et bien conduit (sur ce thème, bien approprié au genre, et d’ailleurs classique : un homme, abandonné par sa femme, se prend d’une amitié amoureuse pour une étrangère, qui l’abandonne à son tour ; il retrouve, au lit de mort de leur enfant, l’épouse coupable, — et la reprend, vaincu par la crainte de la solitude...)

Et voici maintenant le grand nombre des romanciers qui de préférence choisissent parmi les faits de la vie humaine ceux qui constituent les questions sociales, et représentent volontiers les âmes dans leurs relations avec la société. Cela n’empêche ni les passions individuelles de se déchaîner, ni les descriptions faites au cours du roman d’être précises ; et le roman en acquiert un intérêt de plus, une dignité particulière.

Il ne faut point songer à inventorier dans le détail cette production ; tout au plus peut-on essayer de donner un insuffisant aperçu des auteurs et des œuvres les plus caractéristiques. Alfredo Oriani, dans l’Holocauste [61] nous montre la honte et la douleur d’une bonne et pauvre fille poussée par sa mère et une voisine à se vendre, qui finit par en mourir ; dans l’Ennemi [62], il met en scène une conjuration russe. La même vigueur de touche, la même émotion communicative se retrouvent dans l’Or, l’encens et la myrrhe [63], livre de nouvelles. Roberto Bracco [64], qui collabore régulièrement au journal Le Matin, est un dramaturge puissant, non sans ressemblance avec l’académicien français Eugène Brieux. Ses nouvelles aussi témoignent d’un cœur avide de dénoncer les maux de l’humanité et prompt à combattre les injustices sociales (Grimaces humaines, Grimaces joyeuses, Grimaces tristes[65]. Guglielmo [336] Anastasi [66] a écrit des livres à thèse, lourds de vie et d’altruisme (Le Salut, l’Unique Amour) ; Ugo Ojetli [67] qui, depuis, nous le verrons, est devenu plus sceptique et moins enthousiaste, a donné le Vieux [68], récit des angoisses d’un vieil homme qui sent venir la mort avec épouvante, de ses jalousies contre les jeunes qui ont, eux, toute une existence — bonne ou mauvaise — à vivre, cri de protestation en faveur des générations ascendantes. A. Beltramelli nous a montré dans ses Hommes rouges [69] premier roman de son cycle le Carnaval de la Démocratie (Il Carnevale della Democrazia), des anarchistes romagnols, au surplus peu redoutables, un maire anticlérical dont une fille est enlevée par le rejeton d’une vieille marquise bigote, et bien des cancans et bien des nigauderies de petite ville, le tout sur le mode railleur. Luciano Zuccoli [70] s’est plaint dans Roberta [71], à tort ou à raison, que les Italiens fassent passer l’amour avant les préoccupations sociales. A. Baccelli dans le But représente son héros, déçu par l’amour, ne trouvant de but à assigner à sa vie que la science. A. Albertazzi s’est appliqué dans Ave à décrire un chassé-croisé : un curé convertit un socialiste, mais il y perd sa foi. Citons encore A. Colautti, Rivalta, l’auteur de Sylvestre Bonduri ; Vannicola ; d’Aquino.

Mais l’œuvre la plus représentative de ces tendances est l’admirable roman de Giovanni Cena [72] les Avertisseurs [73]. G. Cena, le poète profondément humain de Madre et de Homo, a posé dans ce livre, mémoire (ne faudrait-il pas dire réquisitoire ?) soi-disant rédigé par un correcteur d’imprimerie, quelques-uns des problèmes les plus angoissants de l’heure présente. Martino Stanga, le héros, de souche campagnarde, autodidacte, parvenu par son énergie à conquérir cette place de correcteur où il satisfait sa passion pour la lecture, occupe à Turin, au cœur d’un quartier populaire, une mansarde dans une de ces maisons-casernes que l’auteur appelle pittoresquement Aeropolis. Stanga aime passionnément le peuple, dont il est issu ; il l’aime comme il pourrait le faire d’une femme, prêt pour lui à quelque sacrifice que ce soit. Et il souffre passionnément de toutes les douleurs qui oppriment ses voisins de mansarde : le poète phtisique, le vieux savetier résigné, la prostituée, un ivrogne et sa [337] famille. D’autres spectacles dans la rue, une visite à la Maternité (le problème de la naissance est un des plus profondément traités dans ce livre), ses lectures d’écrivains matérialistes et socialistes portent au paroxysme cette fièvre de soulager ses semblables, les pauvres, d’introduire en ce monde plus d’équité, partant, croit-il, plus de bonheur. Et tandis qu’il se consume de désespoir social, son ami le poète, près de mourir, oublie dans les bras d’une femme aimée le songe du bonheur universel. Mais rien ne saurait détourner de ses pensées Martino Stanga. Las d’édifier des systèmes dont il sent trop bien la vanité, il en arrive à concevoir la légitimité de l’action directe, mais il s’arrête à temps. Il ne tuera pas le roi, il se tuera lui-même, envoyant le récit de ses tourments, les motifs de sa détermination à l’Avanti et à la Petite République, et son suicide sera un avertissement peut-être salutaire à la société, un encouragement à ceux qui, isolés, souffrent plus du malheur social que de leur infortune particulière. Ce roman où les faits sont certes narrés avec la plus émouvante vigueur, mais dont un grand nombre de pages est consacré à développer des idées et des sentiments, n’est pas exempt de confusion, ni de grandiloquence, mais tel qu’il est, fervent et bouillonnant, il passionne, inquiète, contraint à s’élever au-dessus des contingences pour réfléchir et discuter. C’est un livre qui nous prend au cœur...

Bien qu’on ne puisse parler proprement d’une littérature féministe en Italie, les femmes ont une tendance, du reste bien naturelle, à s’inquiéter des problèmes qui intéressent leur condition, soit vis-à-vis de l’homme, soit vis-à-vis de la société. Ajoutons que la bonne volonté de toutes ces femmes écrivains ne suffit pas toujours à empêcher les incertitudes, les contradictions, les incohérences... La pureté platonique que prêche par exemple Madame Yolanda, dans les Inoubliables ou dans les Trois Maries, ne tarderait pas à devenir inquiétante pour l’avenir de la race.

Il faut savoir gré à Madame Rosselli de s’être élevée contre l’importance accordée à la virginité physique de la femme dans sa pièce L’Âme [74]. Mais son indulgence ne s’étend pas aux fautes suivantes, commises consciemment, et elle n’admet point que l’homme pardonne à sa femme adultère (Félicité perdue[75].

Dora Melegari [76], qui écrit indifféremment en français ou en italien [338] s’est essayée dans le roman historique (Les trois Capitales[77], où elle a essayé, sans réussir parfaitement, de fournir les raisons secrètes d’actes politiques, dont les motifs étaient déjà révélés. Elle doit ses plus grands succès à ses livres d’Essais, mi-métaphysiques, mi-moraux, dont le mode de présentation rappelle un peu celui de Maeterlink, dans le Trésor des Humbles ou le Temple enseveli. Féministe, libre-penseuse, altruiste, c’est dans Faiseurs de peines et faiseurs de joies [78] qu’elle a résumé le plus nettement ses généreuses idées.

Une place d’honneur revient à Sihilla Aleramo dont le roman Une femme [79] (le seul qu’elle ait écrit) a suscité pour la hardiesse de ses thèses les plus vifs débats, mais une admiration unanime pour les qualités de force et d’émotion sincère qui s’y révélaient. Bien qu’il soit d’une matière et d’une allure très personnelles, nouvelles même, ce livre dans sa complexité ne laisse pas d’en rappeler cent autres à la mémoire, depuis Madame Bovary jusqu’à Maison de poupée. Mais l’héroïne admirablement équilibrée de ce récit, née dans l’industrielle Italie septentrionale, élevée en garçon, très instruite, n’a rien des aspirations vagues et romantiques d’Emma Bovary, quoiqu’elle soit à un moment dans une situation analogue ; ce n’est pas une fade sentimentalité qu’elle souhaite, mais elle veut vivre pleinement, librement sa vie de femme. Elle n’est pas davantage pour son mari la gentille poupée, joliment habillée avec laquelle on joue, quoique sa conduite à la fin du drame soit la même que celle de Nora ; non, elle est l’esclave de son séducteur, devenu son époux. Sa mère délaissée par son père, résignée à tout, a souffert jusqu’à devenir folle ; elle, représentante de la nouvelle génération, à la pensée plus mûrie, à la volonté mieux trempée, saura se révolter contre son mari ignorant, étroit d’esprit et de cœur, despotique, honteusement malade. Elle ne supportera pas dans la pleine conscience de ses droits, de sa supériorité morale, la tyrannie de cet homme : mais la rançon de sa liberté reconquise sera la plus terrible qui se puisse ; elle devra, en fuyant, abandonner l’enfant qu’elle chérit plus que tout au monde, qui lui a donné aux heures d’affaissement le courage de vivre, et qui plus tard peut-être la haïra et ressemblera à son père. Conseillée par une sorte de prophète elle se vouera à la [339] lutte sociale et se consolera dans l’apostolat. Cette conclusion logiquement déduite a pu choquer mais elle n’ôte rien à la valeur d’art de ce roman, qui est grande : il contient, entre autres, des pages sur l’amour maternel qu’on égalera difficilement ; elle n’enlève rien non plus à la force de la thèse principale, qui est la nécessité du divorce.

Des écrivains ont proclamé la supériorité intellectuelle et surtout morale des femmes de la petite bourgeoisie et du peuple en Italie — et plus généralement dans tous les pays méridionaux — sur les hommes de même condition. C’est une des idées essentielles de Reduce par Madame Luisa di San Giusto, roman où l’on voit demeurer seule gardienne du foyer, l’héroïne Luisa, consciente et énergique, tandis que son frère et son mari sont des faibles et des paresseux.

Hanté par les questions sociales, mais plus spécialement par celles qui se rapportent aux croyances contemporaines, aux conflits individuels ou généraux entre la religion et l’athéisme, la religion et l’amour sensuel, Antonio Fogazzaro [80] est peut-être le plus grand romancier de l’Italie contemporaine. D’autres ont pu être les imitateurs plus directs de Manzoni ; nul, depuis Manzoni, n’a exprimé aussi éloquemment et passionnément que Fogazzaro les théories évangéliques et éthiques qui triomphaient dans les Promessi Sposi. L’histoire de personnages ardents et amoureux, que leur volonté, soutenue et éclairée par une foi mystique, amène à surmonter les pires obstacles, telle est la trame de tous les romans de Fogazzaro, depuis Daniele Cortis jusqu’au Saint. Fogazzaro a du reste un système complet : religieux, métaphysique, moral, politique. Il croit conciliable le darwinisme et le catholicisme. Il est libéral et démocrate-chrétien. Il veut que l’art cherche son inspiration dans les idées évolutives d’un Spencer, pour montrer les types supérieurs en formation, il veut un art qui par conséquent se confonde avec la morale. À la vérité toutes ces théories, quand il les applique vraiment, gâtent un peu ses livres où l’art véritable demeure, selon le mot de B. Croce, « sinon inférieur, du moins extérieur ». Mais par fortune le vigoureux tempérament d’artiste de Fogazzaro se fait jour souvent en dépit de lui-même. Ce tempérament est celui d’un poète idéaliste et sensuel, qui sent [340] profondément la volupté, et la redoute. Mais il ne peut empêcher que presque toujours chez lui « Dieu ait pour entremetteuse la volupté ».

Piccolo monda antico (1895) reste son chef-d’œuvre, sans doute pour celle raison qu’il a laissé inexprimées jusqu’aux dernières pages ses préoccupations morales, et qu’il a développé en pur artiste le contraste entre Louise, forte et athée, et son mari Franco, faible et pieux. Le héros de Petit monde d’aujourd’hui [81], Pietro Maironi, est le fils de Louise et de Franco : il est catholique fervent, et homme très sensuel. Et nous le voyons décidé à ne pas être infidèle à sa femme, enfermée dans un asile de fous, malgré la tentatrice Jeanne Dessalle, qui répugne du reste aussi à l’amour physique, on ne sait trop pourquoi, peut-être à cause des brutalités d’un mari dont elle est séparée. Ils se frôlent longuement sans jamais céder à leur mutuel désir. Il y a — qu’on pardonne l’expression — presque du sadisme dans leur cas : « Jeanne tend les lèvres mais presse en même temps le bouton de la sonnerie électrique par prudence ». Lorsque la femme de Pierre meurt, il a des hallucinations, il tremble, il entend des voix ; il renoncera à sa fortune et se retirera du monde.

Nous le retrouvons dans le Saint [82] : c’est lui-même qui est le Saint. Mais Jeanne Dessalle ne se résigne pas à être abandonnée ; elle luttera contre Dieu lui-même pour lui arracher l’amour de Pietro qui ne la craint plus désormais, et prétend même la convertir, sauver son âme de pécheresse. Il semble qu’il y réussisse, à son lit d’agonie, et Jeanne ne baise que le Crucifix qu’on a mis sur la poitrine de Pietro mort. Au reste, dans le Santo, l’intérêt est plutôt dans les théories hardies du saint sur l’Église et la science, sur l’Église et le peuple. L’entrevue de Pie X et de Pietro, peut-être imitée de Zola, ne laisse pas d’être saisissante et de faire réfléchir. Bref, le Santo est plus un livre de doctrine et de propagande qu’un roman.

Ces analyses sèches de deux livres vivants et touffus ne laissent pas soupçonner quel poète exquis s’y montre Fogazzaro, habile à surprendre et à fixer les contrastes et les nuances du sentiment ou à évoquer les paysages émouvants de son pays de Valsolda, ni quelle veine comique, distinguée et sincère, il possède : dans [341] Piccolo mondo moderno, par exemple, les conseillers municipaux, le commandeur sont des types de ridicules dessinés d’un crayon léger, amusé — et amusant.

Les phénomènes d’hypnotisme, de suggestion, de télépathie qui sont pour Fogazzaro les signes de l’union à venir de la science et de la foi ont été mis par lui en roman dans Malombra. Et c’est à l’intérêt pour ces phénomènes que l’on doit en partie les romans de E. A. Bufti [83] : V Automate [84], encore entaché de scepticisme, l’Ame [85] où domine l’hallucination, l’Immoral [86] qui achève la défaite du positivisme, le triomphe du spiritualisme ; — le Maléfice occulte [87] de Luciano Zuccoli, — sans parler de certaines pages du Feu Mathias Pascal par l’humoriste Pirandello où l’on voit tourner des tables et des morts feindre de se manifester.

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Les romans de Gahriele D’Annunzio [88], qui sont aussi connus en France qu’en Italie, ne sauraient prendre place dans aucune de ces catégories. Ils demeurent à part. Du reste dans ces dix dernières années G. d’Annunzio n’a publié qu’un seul roman le Feu (Il Fuoco), en 1900 ; et son génie multiforme n’a guère animé que des poèmes lyriques ou dramatiques. Le Feu est un exemple de ce roman esthétique dont le Piacere (l’Enfant de Volupté) est sans doute le modèle à peu près parfait. Comme dans les Romans de la Rose, dans ce premier roman du Cycle de la Grenade, il a prétendu « infuser la torture intime de son esprit, les oscillations douloureuses de son âme, le terrible tourment de son intelligence et de son cœur émerveillés devant les mystères, les phénomènes les plus troubles et les plus ardents du plaisir, de l’amour, de la volupté et de la mort ». On retrouve exaspéré dans le Feu tout le nietzschéisme de l’Innocente (l’Intrus) et — sans aucun tempérament de morale tolstoïenne, — cette théorie, prise chez Gœthe dans le Traité des affinités électives, que l’artiste ne doit pas être soumis à la morale du commun. La part d’immoralisme ou d’amoralisme, la part aussi d’autobiographie scandaleuse qu’il y a dans [342] ce roman, ont provoqué une réaction violente et qui dure encore contre le d’annunzianisme. Car il faut bien savoir que nulle part D’Annunzio n’est aussi contesté que dans sa patrie. Combien des beautés du Feu a fait négliger le parti pris ! D’Annunzio n’a, dans aucun écrit, été plus virtuose des sensations et des mots que dans ce roman. La description de la fête nocturne sur la lagune ou celle du labyrinthe sont des pages d’un art achevé. Certaines analyses — les angoisses de la Foscarina par exemple — sont saisies et rendues avec une acuité merveilleuse. Et surtout Venise, où se meuvent les héros du Feu, vit d’une existence étrange, morbide, surnaturelle ! La transparence chaude et humide de sa lumière, de son ciel, de ses eaux ; le son de ses cloches au crépuscule ; les merveilles de ses palais et de ses fresques sont exprimées dans ce qu’elles semblent avoir justement de plus subtil et de plus inexprimable, de plus indéfini — et de plus infini aussi dans une minute de défaillance…

Ce début de 1910 a vu la publication de la première partie d’un nouveau roman de D’Annunzio, depuis longtemps attendu Forse che si, for se che no (Peut-être oui, peut-être non) où il décrit des sensations d’aéroplane et représente comme dans la Ville morte un frère amoureux de sa sœur…

Il n’y a pas à proprement parler de romanciers qui imitent D’Annunzio. Ce qui n’empêche pas un certain nombre d’écrivains indépendants et symbolistes d’avoir subi profondément, surtout à leurs débuts, son influence. Bornons-nous à citer le nom de Giuseppe Bremati.

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Une tendance du roman italien d’aujourd’hui, qui n’est pas la moins intéressante, reste à examiner : c’est l’humorisme, forme « vingtième siècle » de l’idéalisme ; l’humorisme qui ne donne pas des choses et des êtres une représentation brute et unilatérale, mais en montre les faces diverses, soumet à l’analyse les facultés mêmes d’analyse des personnages étudiés et se plaît aux oppositions et aux rapprochements aussi irrationnels que la vie ou les associations d’idées. L’œuvre humoristique « naît du contraste entre la chaleur de la sensibilité et le froid de la réflexion ».

L’Italie contemporaine possède plusieurs humoristes aimables, [343] et peut-être pas très profonds, comiques fins et narquois plutôt, tels que Alfredo Panzini [89], l’auteur de la Lanterne de Diogène [90] et de Petites histoires du vaste monde [91] ; Gaudolin, créateur de l’article humoristique illustré ; Luigi-Antonio Villari [92] le conteur de A Trente ans et des Historiettes du Boiteux [93] ; Ugo Ojetti auteur de nouvelles aimablement désabusées, observateur finement satirique, sinon très profond, des travers de la vie contemporaine ; chroniqueur verveux, aisé et qui, par instants, rappelle un peu Abel Hermant. Les routes du Péché, le Cheval de Troie, Mimi et la gloire [94] sont d’agréables recueils de contes, la plupart mondains, d’une psychologie amusante et vraie, témoin le cas de Mimi, qui adore un amant dont elle ignore l’identité ; dès qu’elle apprend qu’il est un artiste célèbre, sa passion se transforme, et elle finit par préférer la gloire de l’artiste à l’homme lui-même. Italo Mario Palmarini [95] dans les Oiseaux [96], nous dit l’aventure du professeur de clarinette Frassillo Pellechio qui, ayant vécu solitaire, abandonné de tous, se voit entouré et choyé parce, qu’il a gagné au lotto, et finalement jette son argent à l’égout.

Mais voici deux humoristes vraiment remarquables : Alberto Canton et Luigi Pirandello.

La renommée d’Alberto Cantoni a été en grande partie posthume. Son esprit bizarre, fumeux, sa façon d’écrire en se moquant du public furent — nul snobisme ne s’en étant mêlé — réputés haïssables. Son talent est en effet critique, et il intitule « critiques » ses nouvelles Au beau pays là-bas... [97] ; il y passe au crible toutes les notions d’art, de vie, et il ne reste, l’opération achevée, qu’un bien maigre tas de bon grain. Mais son œuvre la plus accessible est sans doute l’Illustrissime [98]. Le sujet en est mince : pour obéir au caprice d’une cousine qu’il aime, un comte milanais, gros propriétaire terrien, se fait, sans dévoiler son identité, engager comme journalier chez un de ses propres métayers. Tout le roman consiste dans le récit des cinq jours qu’il y passe en cette qualité. Mais ces cinq jours, narrés par le menu, et avec un agrément infini, suffisent à l’auteur pour nous faire connaître la vie et l’âme [344] profonde de ces paysans du Nord de l’Italie, mal nourris de polenta, fourbes, envieux, passionnés. Les formules ingénieuses abondent et les descriptions amusantes, mais ces détails comiques et cette perpétuelle ironie n’empêchent pas Cantoni d’exprimer toute la tristesse de ces existences, ou encore, en toute poésie, la beauté d’un paysage ou d’une heure. Et lorsqu’« on vient d’en rire, il faudrait en pleurer... »

Luigi Pirandello [99], qui reconnaît Cantoni pour son maître, n’est ni moins conscient, ni moins maître de son art que lui. Et sans doute est-il un philosophe de plus d’ampleur ! Il s’est fait en Italie le théoricien de l’humour et quelques-unes des définitions qu’il en donne sont assez curieuses pour mériter d’être rapportées : « L’humorisme, écrit-il, consiste dans le sentiment du contraire provoqué par la spéciale activité de la réflexion qui ne se cache pas, qui ne devient pas, comme ordinairement en art, une forme du sentiment, mais son contraire, tout en suivant pourtant pas à pas le sentiment comme l’ombre le corps.. L’artiste ordinaire ne fait attention qu’au corps, l’humoriste au corps et à l’ombre ; et parfois plus à l’ombre qu’au corps ; il note toutes les plaisanteries de cette ombre, comment elle s’allonge tantôt et tantôt s’accourcit comme pour faire des grimaces au corps, qui pendant ce temps ne la calcule pas et n’y prend pas garde. » Ou encore : « L’humorisme est un phénomène de dédoublement dans l’acte de la conception ; il est comme un Hermès Bifrons dont un visage rit des pleurs de l’autre visage. » Aussi a-t-il intitulé Hermès Bifrons [100] un de ses recueils de nouvelles.

Pirandello a été, il est encore un grand observateur de faits et d’idées, et c’est justement sa faculté trop pénétrante d’observation qui l’a conduit à son scepticisme pessimiste. Car il est pessimiste et sceptique ; non pas qu’il ait jugé essentiellement mauvaise la nature humaine et soit demeuré triste de cette constatation, mais il en a sondé l’irrémédiable faiblesse : faiblesse dont les hommes n’ont pas la pleine conscience, dont souvent même ils n’ont pas conscience du tout, ce qui les fait agir d’une façon orgueilleuse, vaine, absurde pour la plus grande joie et pour la plus grande tristesse de l’observateur. Le déterminisme est la loi absolue de ce monde et nous vivons dans l’ignorance totale de son mécanisme ; nous n’en connaissons [345] que quelques aspects, toujours les mêmes. Recommencer la vie, à quoi bon ? dit un des personnages de Pirandello, ce serait retrouver toutes les douleurs avec les quelques joies de l’existence, « il faudrait encore reperdre sa mère ». Ces joies elles-mêmes sont sans aucune réalité. Un vieillard retourne aux lieux qui jadis l’émerveillèrent et reste déçu, et les arbres lui disent : « Tu as mal fait, vieux, de revenir... Nous étions pour toi des arbres géants et superbes, mais vois-tu bien maintenant ? nous avons toujours été comme ceci, laids et rabougris. » Et qui pourrait soupçonner les conséquences incalculables de la moindre de nos actions. « Une mouche obstinée qui t’ennuie, un mouvement que tu fais pour la chasser, peuvent dans six, dans dix, dans quinze ans, être pour toi la cause de qui sait quel malheur. » Pirandello ne sera donc dans la vie qu’un spectateur, et c’est la seule conduite raisonnable ; il nous le dit en vers : « J’observe [appuyé contre un bec de gaz] marcher la foule diverse qui me passe devant en divers sens ; j’observe les femmes peu, les hommes davantage... Mieux vaut, opines-tu, ami, observer les femmes. Eh bien ! regarde-les, toi ! »

Cette sagesse amère et nihiliste de Pirandello nous rappelle aussitôt celle d’Anatole France. Pirandello a encore de France l’esprit tourné vers l’érudition, et volontiers il pédantise ironiquement : « Don Elie, écrit-il par exemple, eut toutes les peines du monde à détacher [la scène est dans une vieille bibliothèque] d’un traité fort licencieux De l’art d’aimer les femmes, trois livres par Anton- Muzio Porro, de l’an 1571, une Vie et mort de Faustin Materucci, Bénédictin de Polirone, que certains appellent bienheureux, biographie éditée à Mantoue en 1625. L’humidité avait fraternellement collé l’une à l’autre les reliures des deux livres. » Ailleurs il appelle Copernic « ce chanoine polonais » ; ou encore il s’amuse, comme A. France, à d’aimables oppositions de mots : « Les livres de philosophie... ils pèsent tellement, et pourtant qui s’en repaît et les digère vit dans les nuages. »

Il conviendrait d’étudier en détail chacune de ses œuvres principales : Le Tour, Blanches et noires, L’Exclue [101]. Bornons-nous à quelques lignes sur les Farces de la mort et de la vie [102] et sur Feu Mathias Pascal [103], le seul de ses livres qui ait été traduit en français. Les Beffe della morte et della vita sont des contes à sujets [346] macabres, d’une invention bizarre, parfois presque hoffmannesque : Nouvelles du monde, journal écrit par un vieux célibataire, qu’il adresse à son meilleur ami, mort depuis peu, après cinq ans de mariage avec une trop jeune femme ; il l’avait épousée contre le gré de son camarade, à qui elle est tout à fait antipathique... ce qui ne l’empêchera pas de l’épouser en secondes noces. Soleil et Ombre : le vieux et honnête Liberto Ciurma a volé quatre cents francs dans la caisse qui lui était confiée ; l’inspection est pour le lendemain. Il décide de se noyer. Une plage est voisine, il y va, y trouve des amis qui le contraignent à rire et à faire bombance jusqu’au soir ; et il reprend le chemin de son village comme en un rêve. Mais quand il est près d’arriver, la réalité l’agrippe à nouveau : il s’empoisonne. Le tre carissime, histoire de trois jeunes filles pauvres qui trouvent à se bien marier, mais seulement après qu’elles ont renoncé à demeurer honnêtes.

La donnée du Fu Mattia Pascal aurait pu prêter à des quiproquos de vaudeville ; elle est le point de départ d’une étude psychologique fouillée très avant. Il s’agit d’un pauvre homme qui fuit loin d’une épouse et d’une belle-mère acariâtres, vers l’Amérique, mais qui s’arrête en route, ayant trouvé la fortune à la roulette de Monte-Carlo. Or on a retrouvé contemporainement dans son village un noyé qu’on a pris pour lui et enterré sous son nom. Mathias décide alors de vivre en marge de l’état-civil, sauf de préjugés et de liens sociaux. La meilleure partie du livre qui commence ici est presque impossible à analyser : c’est l’exposé des joies qu’il éprouve d’abord de sa liberté totale, puis de son léger ennui, qui va s’aggravant, puis des difficultés qui s’accumulent (il est volé mais ne peut porter plainte ; il aime une femme dont il est adoré, mais comment pourrait-il l’épouser puisque légalement il n’existe pas ?). Finalement il rentre dans son village préférant la servitude sociale à la solitude absolue, pire que toutes les contraintes.

Il y aurait à éclaircir, à propos de ce roman, tout ce que doit Pirandello aux seconds romantiques allemands. L’idée fondamentale du Fu Mattia Pascal ne ressemble-t-elle point un peu à celle du Pierre Schlemihl, l’homme qui a vendu son ombre, de Chamisso ? « Quel fruit tirer de mes aventures ? demande Mathias à Don Elie. — Au moins celui-ci, répond l’autre, hors de la loi, hors de ces particularités, qu’elles soient joyeuses ou tristes, qui nous font nous, cher Mathias Pascal, il n’est pas possible de vivre. »

[347]

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L’examen sommaire de ces derniers romans justifie-t-il donc le pessimisme de certains critiques et y a-t-il lieu vraiment après avoir pris connaissance de cette production complexe et touffue de désespérer du mouvement italien ? Non certes. Le roman italien contemporain, comme l’Italie entière, est dans un âge trouble mais réel de progrès. N’est-ce pas ce que l’on peut souhaiter de mieux à un peuple et à une littérature, s’il est vrai que les apogées sont fatalement suivis par les décadences ?

Benjamin CRÉMIEUX.



[1] Bibliographie : Benedetto Croce, études critiques in La Critica (An. I-VII) ; — Adolfo Albertazzi, Storia dei genui letterari : il Romano, Milano, Vallardi ; — Ugo Ojetti, Alla scoperta dei letterati, Milano, Dumolard ; 1895 ; — Jean Doruis, Le roman italien contemporain, Paris, Ollendorf, 1907 ; Maurice Muret, La littérature italienne d’aujourd’hui, Paris, Perrin et Cie, 1906.

[2] Par exemple, Guido Biagi, in Athenœum (1903).

[3] Arturo Graf, Foscolo, Manzoni e Leopardi, 2e édit., Turin, Lœscher.

[4] Storia dei generi letterari : Romanzo, p. 292.

[5] S. Farina, né en Sardaigne en 1846. — Amor bendalo (1881). — Il signor lo (1883).

[6] Barrili, né en 1836. — Come in sogno (1875).

[7] Né à Otneglia en 1846, mort en 1907.

[8] Cuore (1886).

[9] Bozzetti della vita militare (1869).

[10] Romanzo di un maestro (1890).

[11] Sull’ Oceano (1889).

[12] La Carrozza di tutti (1899).

[13] Gli Amici (1888).

[14] Née en 1855.

[15] Préface de le Idée di una donna (1904).

[16] Crevalcore (1907).

[17] Anima sola (1904) ; Il romanzo della fortuna (1906).

[18] Né à Brescia en 1853.

[19] La Baraonda (1894).

[20] Mater dolorosa (1882).

[21] Le lacrime del Prossimo (1888).

[22] Demetrio Pianelli (1890).

[23] Col fuoco non si scherza (1901).

[24] Né à Catane en 1840.

[25] La Vita dei Campi (1880).

[26] Novelle Rusticane (1883).

[27] I Malavoglia (1881).

[28] Maslro don Gesualdo (1889).

[29] Né en 1866 à Naples ; mais habite la Sicile.

[30] L’Illusione (1891).

[31] I Vicerè (1893).

[32] Né à Mineo (Sicile) en 1839.

[33] Il Marchese della Roccaverdina (1901).

[34] Giacinta (1880).

[35] Né à Patras en 1856.

[36] Il Paese di Cuccagna (1891).

[37] Al paese di Gesù (1895).

[38] Suor Giovanna della Croce (1901).

[39] Dopo il perdono (1904).

[40] Né à Naples en 1862.

[41] B. Croce in La Critica, I, 6.

[42] Nella Viia (1903).

[43] Né à Monterotondo marittimo (Grosseto) en 1843.

[44] Le Veglie di Neri (1882).

[45] Né en 1875.

[46] Né à Naples en 1854.

[47] Donna Candida (1891), Il povero don Camillo (1897).

[48] Le Garibaldine (1904).

[49] Sulla Lyona (1901).

[50] Né à Nuovo (Sardaigne) en 1872.

[51] Anime oneste (1896), Elias Portolu (1903).

[52] Dopo il divorzio (1904).

[53] Né à San Martino Valle Claudina en 1853.

[54] Le ostriche (1901).

[55] Né à Rome en 1861.

[56] Sant’Elena (1899).

[57] Né à Sessa Aurunca (Terra di Lavoro) en 1865.

[58] Alle porte della felicità (1902).

[59] Le Ambiziose (1905).

[60] L’Oasis (1902).

[61] L’Olocausto (1899).

[62] Il Nemico (1894).

[63] Oro Incenso Mirra (1904).

[64] Né à Naples en 1862.

[65] Smorfie umane (1905), Smorfie gaie (1908), Smorfie triste (1908).

[66] Né à Milan 1874.

[67] Né à Rome en 1871.

[68] Il Vecchio (1898).

[69] Gli uomini rossi (1904).

[70] Né en 1871.

[71] Hoberla (1897).

[72] Né à Montanaro Canavese (Piémont) en 1870.

[73] Gli Ammonitori (1904).

[74] L’Anima (1898).

[75] Felicità perduta (1901).

[76] Née à Lausanne en 1849.

[77] Le tre capitali (1901).

[78] Artefici di pene, artefici di gioie (1908).

[79] Una donna (1907).

[80] Né à Vicence en 1842.

[81] Piccolo mondo moderno (1901).

[82] Il Santo (1905).

[83] Né à Milan en 1868.

[84] L’Automa (1891).

[85] L’Anima (1893).

[86] L’Immorale (1894).

[87] Il Maleficio occulto (1903).

[88] Né à Francavilla al Mare en 1864.

[89] Né en 1863.

[90] La lanterna di Diogene (1907).

[91] Piccole storie del monde grande (1901).

[92] Né à Naples en 1866.

[93] A trent’anni (1896). Slorielle dello Zoppo (1898).

[94] Le vie del Peccato (1902), Il cavallo di Troia (1904) ; Mimi e la gloria (1906).

[95] Né à Rieti en 1865.

[96] Gli Uccelli (1905).

[97] Nel bel paese là... (1904).

[98] L’Illustrissimo (1905).

[99] Né à Girgenti en 1867.

[100] Erme bifronte (1906).

[101] Il turno (1902), Bianche e nere (1904) ; L’esclusa (1901).

[102] Beffe della morte e della vita, 1re série (1902) ; 2e série (1903).

[103] Il fu Mattia Pascal (1904).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 21 novembre 2022 9:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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