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Collection « La désintégration du Québec et des régions »
Martin Blais, philosophe, « Radiographie d'une mort fine ». Un article publié dans Le Chien de Socrate, chapitre 19 (pp. 235 à 244). Chicoutimi: Les Éditions JCL inc, 2000, 254 pages. L'article est resproduit ici intégralement et accessible sur Internet avec l'autorisation de l'Éditeur, Les Éditions JCL inc.


Voici le texte intégral de l'article de M. Martin Blais, philosophie, publié dans Le Chien de Socrate, en 2000:


« Je m'apprêtais à mettre fin à ma séance de dépeçage de l'actualité quand mon chien m'est arrivé avec le livre de Charles Côté et Daniel Larouche, publié au début de l'an 2000, aux Éditions JCL : Radiographie d'une mort fine. Sous-titré : Dimension sociale de la maladie au Québec. Il s'agit bien d'une radiographie de la société québécoise; on y voit des choses qui échappent à l'œil.

Dédié « à tous ceux et celles qu'irritent les écarts entre les discours qu'ils entendent et la réalité qu'ils connaissent », cet ouvrage va choquer les auteurs de ces discours, dont les décisions ont des répercussions désastreuses dans le domaine de la santé des populations régionales.

Umberto Eco fournit l'une des deux épigraphes du chapitre premier - l'introduction : « Les livres ne sont pas faits pour être crus mais pour être soumis à l'examen. » Après avoir lu le livre, et relu bien des passages, j'avoue que les auteurs n'invitent pas leurs lecteurs à croire sans preuves, tellement abondent les données soumises à l'examen. Aucun avancé n'est gratuit; tout est basé sur des « données officielles publiées et vérifiables ». Il serait facile de porter un jugement de valeur sur cet ouvrage, mais il est presque téméraire d'en présenter un compte rendu, tellement le texte est dense et les propos, spécialisés. Cependant, sans être sociologue, on peut suivre assez facilement la trajectoire des auteurs et tirer beaucoup de profit à lire, relire et méditer ce savant texte.



De prime abord, les auteurs distinguent justement deux notions du langage spécialisé : « système de santé » et « système de soins ». La plupart des lecteurs sont déjà étonnés - ils le seront davantage par la suite - d'apprendre que ces deux expressions ne sont pas interchangeables. Familiers avec le « système de soins », l'idée même d'un « système de santé » leur est tout à fait étrangère.

Le «
système de santé », c'est l'ensemble organisé de mécanismes, de fonctions et d'activités qui, à l'échelle d'une collectivité, contribuent à assurer la santé du plus grand nombre. Font partie du « système de santé » les réseaux d'aqueduc, les systèmes d'égout, la collecte des ordures, l'épuration des eaux, les équipements sportifs, l'emploi, etc. Bref, le « le système de santé », c'est tout ce qui, de loin, prévient la maladie. Par contre, le « système de soins » ou le « système de services » évoque l'ensemble organisé de fonctions instituées dans le but de stabiliser l'état ou de restaurer la santé des personnes affectées de certains problèmes organiques. Atteint d'un cancer au poumon, on ne disserte pas sur le système de santé : on recourt au système de soins.

Cette distinction permet de comprendre le sous-titre de l'ouvrage: Dimension sociale de la maladie au Québec. C'est la santé entravée, sinon compromise davantage par le « système de santé » que par le « système de soins ». En effet, ce dernier peut être « efficace, moderne et performant » en dépit du premier. Il est très difficile, sinon impossible, pour un contribuable qui ignore la distinction entre ces deux notions, de percevoir que la redistribution des fonds publics peut détruire le « système de santé » de certaines régions au profit d'autres régions, tout en maintenant un système de soins efficace, moderne et performant.

MM. Côté et Larouche ne tardent pas à pointer du doigt leurs cibles : « ... ce livre parle des conséquences découlant des choix faits depuis la Révolution tranquille par les institutions responsables d'assurer des conditions comparables de santé et de développement à l'ensemble des populations régionales du Québec. [...] « ... certaines orientations décisionnelles majeures prises et maintenues depuis le début des années 1970 sont, dans les faits, en train de défaire le Québec ». Ces propos de CC et DL ne sont pas des affirmations gratuites : leur justification va suivre, basée sur des faits et non sur des discours.


Au chapitre 2, CC et DL cherchent à identifier, puis à valider un indicateur du niveau de consommation de services - en santé physique - des populations régionales, puisque c'est entre les régions que le ministre répartit le financement des besoins de chacune. Par consommation de services, ils entendent l'ensemble des jours d'hospitalisation de courte durée; sont donc exclus les soins d'un jour et les troubles mentaux. L'ampleur des écarts de cette consommation ne manque pas d'étonner : du simple au double, entre la région de Laval et celle de la Gaspésie. Après avoir examiné différents indicateurs du niveau de consommation de services, ils constatent que le niveau de revenu est un indicateur très nettement supérieur à bien d'autres : plus le revenu d'une population est élevé, plus est faible sa consommation en services de santé. À l'échelle des populations régionales du Québec, il est vrai de dire : « riches et en santé » ou « pauvres et malades ». CC et DL comparent ensuite le taux d'inoccupation - chômeurs, assistés sociaux, handicapés, personnes âgées - et le revenu. Ils arrivent à la conclusion que, parmi tous les indicateurs connus, le taux d'inoccupation est un meilleur indicateur du niveau de consommation de services des populations régionales que le niveau de revenu.


Au chapitre 3, CC et DL cherchent à expliquer le niveau différent de consommation entre les régions : l'Outaouais et la Gaspésie, par exemple. Le niveau d'inoccupation, retenu au chapitre 2, comme indicateur principal du niveau de consommation des soins de santé, n'explique pas tout. Des phénomènes de divers ordres sont indissociables du niveau de consommation : la structure d'âge des populations, le stress, la malnutrition, l'environnement (insalubrité et pollution), les décisions médicales d'hospitaliser ou non, etc. Ce chapitre rend disponibles « les concepts aptes à mesurer et à expliquer entièrement le niveau de consommation de services des populations régionales ». En théorie et logiquement, avaient-ils précisé au début du chapitre.


Le chapitre 4 soumet à deux niveaux de vérification le modèle théorique développé au chapitre 3 : 1) vérification des éléments « sémantiques »; 2) vérification des relations « syntaxiques ». Les six variables exogènes décrites au chapitre 3 constituent les véritables facteurs explicatifs du modèle; elles en sont une vérification mathématique, c'est-à-dire qu'elles expliquent 100 % de la variance du modèle. Le taux d'inoccupation explique 82,7 % de la variance du taux de jours d'hospitalisation; l'historique du peuplement, 7,3 %; les pratiques professionnelles différentielles, 3,5 %; l'organisation des services, 2,7 %; la performance des établissements, 3,7 %; enfin, l'erreur du modèle, 0,1 %. Voilà pour la vérification dite sémantique. La vérification syntaxique va consister à mesurer les rapports de causalité existant entre les variables du modèle. Cette vérification couvre plus de vingt pages et fait appel à des connaissances de modèles d'analyse causale que je ne possède pas; je me garderai bien d'en tenter un résumé.


Le chapitre 5 développe le concept d' « état de santé des populations ». Le premier venu sait par expérience ce que signifie l'état de santé d'une personne et son propre état de santé; mais il peut facilement penser que CC et DL se permettent une jolie métaphore en parlant de l'état de santé d'une population - celle de la Gaspésie, par exemple, ou de l'Estrie. Selon eux, ce n'est pas une figure de rhétorique, mais un fait. Dans le cas d'un individu, on parlera de maladies; dans le cas d'une population, on parlera de morbidité, c'est-à-dire d'un ensemble de causes qui peuvent produire la maladie dans telle région plus. que dans telle autre. (Le mot morbidité revient constamment dans le texte; le lecteur qui ne s'en forme pas une idée claire, la première fois qu'il le rencontre, devra y revenir pour bien comprendre la suite de la démonstration.) Dans le cas d'un individu, on parlera de mortalité; dans le cas d'une population, on parlera d'exode des citoyens ou, plus spécifiquement, de désintégration démographique.


Le chapitre 6 est coiffé d'un titre savant : Certaines dysfonctions létales pour les systèmes sociaux. Au haut de toutes les pages de ce chapitre, on lit, plus simplement: Le rôle des idées. Une dysfonction est un trouble dans le fonctionnement; létal, bien connu au Texas, vient du latin letalis, mortel. CC et DL vont comparer les systèmes biologiques aux systèmes sociaux. Certains troubles de fonctionnement peuvent affecter les deux. Les uns sont manifestes, les autres ne le sont pas. Ces derniers sont les plus redoutables, car ils évoluent à l'insu des sujets. Parfois, ils sont devenus irréversibles avant que des interventions ne soient entreprises pour inverser le processus. Il semble exister une certaine « parenté » entre le développement des cancers dans les organismes biologiques et la centralisation géographique des ressources vitales dans les collectivités humaines. Ainsi en est-il dans un pays où l'on constate l'existence de mécanismes objectifs qui drainent vers certains grands centres les ressources nécessaires à toutes les régions et à toutes les villes pour exister et prospérer : drainage de la production matérielle, financière et démographique.


Le thème du chapitre 7 est annoncé en dernière page du précédent. « Dans le cas de la société québécoise, il existe une certaine idéologie qui propose une orientation historique disposant explicitement du sort de la plupart des régions du Québec au profit de quelques-unes seulement. » Tout le chapitre est consacré à l'analyse du discours émanant de cette idéologie. CC et DL entendent démontrer objectivement le caractère prioritaire des droits collectifs sur les droits individuels : droit au travail, à l'éducation, à la santé, à un revenu décent... Le respect de ces droits individuels présuppose le respect des droits collectifs. Or nous assistons à l'érosion progressive des droits collectifs au Québec depuis la Révolution tranquille.

Ce chapitre 7 contient des choses étonnantes pour le commun des citoyens. Au temps du premier ministre Trudeau, une étude avait été commandée par le ministère de l'Expansion économique régionale. Son mandat: proposer à l'État les orientations à retenir en matière de développement économique régional pour le Québec. Selon CC et DL, le rapport de cette étude constitue « un jalon de toute première grandeur pour comprendre le but et l'objet des pratiques centralisatrices exercées depuis lors par les deux paliers gouvernementaux, le provincial et le fédéral ».

Le vrai problème réside dans le fait que l'activité économique et, spécialement, les entreprises dynamiques se déplacent du Québec vers l'Ontario et s'installent surtout à Toronto. Pour mettre fin à l'hémorragie, il faut contrebalancer la concurrence exercée par Toronto en créant au Québec un pôle d'attraction aussi puissant. Ce doit être, évidemment, Montréal.

Le titre qui suit en dit long sur le « succès » de l'entreprise :
Autopsie du désastre. Dès 1983, la vérification des résultats atteints permit de constater que 42 % de la population du Québec habitaient dans une municipalité ayant subi une perte sèche de ses effectifs démographiques globaux entre 1971 et 1981. La désintégration des collectivités locales et régionales se pointait comme un phénomène social mesurable, dont il fallait à tout prix enrayer l'expansion, à défaut de pouvoir l'inverser. Le titre suivant est désespérant : Les faits sont accablants, mais rien ne sera fait pour changer le cours des choses.

Dans les dernières pages de ce bouleversant chapitre, CC et DL exposent
deux moyens - employés par ceux qui refusaient de changer le cours des choses - de faire disparaître l'information sur les processus sociaux mettant en cause l'avenir du Québec. Le premier touche la manipulation de l'information sur la démographie des populations régionales; il permit de gommer toute trace des mouvements démographiques témoignant de la progression constante de la désintégration des populations régionales, depuis les débuts de la Révolution tranquille. Le second moyen touche les données socio-économiques servant à caractériser l'état de pauvreté de ces populations : seuil de faible revenu, taille des familles, etc. On en arrive à déclarer pauvre une famille de Montréal et riche une famille de la Basse-Côte-Nord, les deux disposant du même revenu.


Le chapitre 8 a été pour moi l'un des plus troublants : Un vieux fond d'orientation que la réforme de la santé n'a pas changé. En d'autres mots, les décideurs ne changent pas de cap. Le cap, il est donné par le rapport de Higgins, Martin et Raynauld, dont il a été question au chapitre 7. Si le rapport de la commission Castonguay-Nepveu l'avait emporté sur l'autre, les moyens à mettre en oeuvre auraient été diamétralement opposes : au lieu de renforcer les communautés les plus fortes en anémiant encore davantage les plus faibles, on aurait fait le contraire.

La réforme de la santé, opérée depuis 1993, n'a pas eu pour objet de faire autre chose, mais de faire différemment ce qui se faisait avant la réforme. CC et DL dénoncent les discours invoqués pour maintenir l'orientation Higgins, Martin, Raynauld : 1) la consommation de services lourds dans les régions découle des ressources disponibles; 2) l'utilisation de critères inadéquats aux fins de la répartition du financement. On en arrive au résultat aberrant suivant : plus la consommation de services est forte, moins on est subventionné; moins la consommation est forte, plus on est subventionné.


Le chapitre 9 : Le salaire de l'inertie, est un bilan. Après avoir parcouru cet ouvrage, on n'imagine pas que le bilan soit flatteur pour les décideurs. « Il ressort de ces analyses, affirment CC et DL, que, malgré les discours affirmant le contraire, le régime de santé du Québec n'a jamais agi comme s'il avait pour finalité d'améliorer l'état de santé et le bien-être des populations. » Ici, il importe de se rappeler la distinction posée dès le début entre un « système de santé » et un « système de soins ». On a développé un système de soins moderne et performant, sans se soucier de guérir le mal à la source.


Enfin,
le chapitre 10 : Conclusion. Enfin, au sens logique du terme, selon Le Petit Robert! Et non au sens affectif! En matière de politique sociale, CC et DL affirment que les institutions politiques et administratives maintiennent, par les moyens utilisés, un cap sur des résultats diamétralement opposés aux objectifs prescrits par la Loi : « Au Québec, le problème ne consiste pas à mai faire les bonnes choses; il consiste précisément à bien faire les mauvaises choses. » On s'apitoie sur le sort du malade, mais on laisse intacts les mécanismes qui créent sa souffrance. Dimension sociale de la maladie, dit le sous-titre de l'ouvrage, qui se termine sur des « perspectives d'avenir ».

Les auteurs en voient deux.
La première donne le frisson; je la cite en entier, puisqu'elle est déjà un résumé : « Selon un premier point de vue, les populations existent au service des intérêts politiques et ceux-ci, au service des intérêts financiers. Cette perspective a, semble-t-il, fondé les orientations de l'État au cours de la Révolution tranquille. Elle débouche maintenant sur une situation où l'existence même des populations rendues dépendantes, improductives et insolvables devient un fardeau économique qu'il faut supporter sous forme d'assistance sociale, d'assurance-chômage, de soins de santé, etc. Dans cette perspective, l'exode des jeunes - instruits de préférence - et des vieillards - riches de préférence - le suicide, la recrudescence de la mortalité et l'euthanasie logent objectivement du côté des solutions et non du côté des problèmes à résoudre. »

La deuxième perspective d'avenir présente des populations vouées à subir les conséquences multiples du non-emploi chronique dans un Québec hautement productif et affranchi des servitudes étatiques, l'État ayant progressivement disposé de son pouvoir de dépenser. La majorité des citoyens devraient être exclus du travail productif et rémunéré. L'essentiel de leurs préoccupations porterait alors sur des questions vitales comme : Quoi manger? Comment se vêtir? Où loger? Comment se chauffer?

Ces perspectives d'avenir me semblent un peu sombres. D'une part, les producteurs auront besoin de consommateurs; d'autre part, les pauvres deviendront plus dangereux qu'ils ne sont présentement. Leur part de la richesse collective, ils la revendiqueront de façon efficace. La richesse est là, on le sait. Le problème en est un de partage. D'ailleurs, quand ils décrivent l'avenir, les sociologues font-ils encore oeuvre de sociologues?

Le dernier titre : Que doit-on faire? J'en attendais beaucoup, mais cette page et demie est avant tout un résumé du travail effectué. Sauf un court paragraphe : « Cet effort de vérité n'a cependant pas la propriété intrinsèque de changer le cours des événements. Seuls les femmes et les hommes compétents, qui y trouvent quelque vérité et qui le veulent suffisamment, peuvent poser les gestes qui permettraient de mettre fin à une orientation qui, de façon de plus en plus évidente, mène notre système social à un cul-de-sac, et le destin de nos enfants à des lendemains incertains. »

Radiographie d'une mort fine, sous-titré : Dimension sociale de la maladie au Québec, est un ouvrage solidement structuré, documenté on ne peut plus, et combien troublant pour tout lecteur qui se donne la peine de le lire attentivement et de le méditer. À une époque où le roman tapisse les vitrines de nos librairies; où les romanciers envahissent nos écrans de télévision, ce livre n'a que la faiblesse inhérente à son genre : MM. Charles Côté et Daniel Larouche ne pouvaient pas le présenter comme de la sociologie romancée...

Retour aux auteurs: Charles Côté et Daniel Larouche Dernière mise à jour de cette page le lundi 6 février 2006 5:28
Par Jean-Marie Tremblay
 



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