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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean Ziegler, Le livre noir du capitalisme. ” (1998)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean Ziegler, Le livre noir du capitalisme. Pantin, France: Le temps des cerises, 1998, 427 pp. Une édition numérique réalisée par Roger Gravel, bénévole, Québec. [L'auteur nous a accordé le 29 janvier 2018 son autorisation de diffuser en libre accès à tous ces huit livres ci-dessous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

LE LIVRE NOIR DU CAPITALISME

Introduction

LE LIBÉRALISME TOTALITAIRE

Maurice Cury

Le monde dominé par le capitalisme, c’est le monde libre, le capitalisme, qu’on n’appelle plus désormais que libéralisme, c’est le monde moderne. C’est le seul modèle de société, sinon idéal, du moins satisfaisant. Il n’en existe et n’en n’existera jamais d’autre.

C’est le chant unanime qu’entonnent non seulement les responsables économiques et la plupart des responsables politiques, mais aussi les intellectuels et journalistes ayant accès aux principaux médias : audiovisuel, presse, grande édition, généralement entre les mains de groupes industriels ou financiers. La pensée dissidente étant non pas interdite (libéralisme oblige !) mais canalisée dans une quasi clandestinité. Voilà pour la liberté d’expression dont se gargarisent les tenants de notre système libéral.

La vertu du capitalisme est dans son efficacité économique. Mais au bénéfice de qui et à quel prix ? Dans les pays occidentaux, qui sont la vitrine du capitalisme alors que le reste du monde en est plutôt l’arrière-boutique, examinons les faits.

Après sa grande période d’expansion au XIXe siècle, due à l’industrialisation et à la féroce exploitation des travailleurs, le mouvement qui s’est précipité au cours des dernières décennies a amené la quasi-disparition de la petite paysannerie dévorée par les grandes exploitations agricoles, avec pour conséquence la pollution, la destruction des paysages et la dégradation de la qualité des produits (et cela aux frais du contribuable puisque l’agriculture n’a cessé d’être subventionnée), la quasi-disparition du petit commerce de proximité, particulièrement d’alimentation au profit de la grande distribution et des hypermarchés, la concentration des industries en grandes firmes nationales puis transnationales qui prennent de telles proportions qu’elles ont parfois des trésoreries plus importantes que celles des États et font la loi (ou prétendent la faire), en prenant des mesures pour renforcer leur pouvoir sans contrôle, ainsi avec l’Accord multinational sur l’investissement (AMI) au dessus des États. (L’United Fruit est le patron de plusieurs États d’Amérique latine.)

Les dirigeants capitalistes pouvaient craindre que la disparition de la petite paysannerie, de l’artisanat et de la petite bourgeoisie industrielle et commerciale ne renforçât les rangs du prolétariat. Mais le « modernisme » leur a procuré la parade avec l’automatisation, la miniaturisation, l’informatique. Après le dépeuplement des champs, nous assistons à celui des usines et des bureaux. Comme le capitalisme ne sait ni ne veut partager le profit et le travail (nous le voyons avec les réactions indécentes et hystériques du patronat sur les 35 heures, mesure pourtant bien timide) nous arrivons inéluctablement au chômage et à sa cohorte de désastres sociaux.

[8]

Plus il y a de chômeurs, moins on indemnise et moins longtemps. Moins il y a de travailleurs, plus on prévoit de diminuer les retraites. Cela semble logique et inéluctable. Oui, si l’on répartit la solidarité sur les salaires. Mais si l’on prend en considération le produit national brut qui a augmenté de plus de 40 % en moins de vingt ans alors que la masse salariale n’a cessé de diminuer, il en va tout autrement ! Mais ce n’est pas dans la logique capitaliste !

Près de vingt millions de chômeurs en Europe, voilà le bilan positif du capitalisme !

Et le pire est à venir. Les grandes firmes européennes et américaines dont les bénéfices n’ont jamais été aussi prospères annoncent des licenciements par centaines de milliers. Il faut “rationaliser” la production, concurrence oblige !

On se félicite de l’augmentation des investissements étrangers en France. Outre les dangers pour l’indépendance nationale, on peut se demander si ce n’est pas la baisse des salaires qui encourage les investisseurs.

Les chantres français du libéralisme — du « modernisme » ! — (voyez Alain Madelin !) ne jurent que par l’Angleterre et les États-Unis qui seraient les champions de la réussite économique et de la lutte contre le chômage. Si la destruction des protections sociales, la précarité de l’emploi, les bas salaires et la non-indemnisation à brève échéance des chômeurs qui les fait disparaître des statistiques sont l’idéal de M. Madelin, je ne pense pas qu’il soit celui des travailleurs de ce pays.

Aux USA, paradis du capitalisme, 30 millions d’habitants (plus de 10 % de la population) vivent sous le seuil de pauvreté, et parmi ceux-ci les Noirs sont en majorité.

La suprématie des États-Unis dans le monde, la propagation impérialiste et uniformisatrice de son mode de vie et de sa culture ne peuvent satisfaire que des esprits serviles. L’Europe ferait bien d’y prendre garde et de réagir, elle qui en a encore les moyens économiques. Mais il lui faudrait aussi la volonté politique.

Pour aider aux investissements productifs, dans l’industrie ou les services, le capitalisme a la volonté de les rendre concurrentiels face aux investissements financiers et spéculatifs à court terme. Comment cela ? En taxant ces derniers ? Pas du tout, on baissant les salaires et les charges sociales !

C’est aussi une manière de rendre l’Occident concurrentiel avec le Tiers Monde. On a d’ailleurs commencé en Grande-Bretagne à faire retravailler les enfants. Le vassal des États-Unis, pas plus que son suzerain, n’a d’ailleurs ratifié la charte interdisant le travail des enfants.

Pris dans le cercle infernal de la concurrence, le Tiers Monde devra encore baisser les coûts et enfoncer un peu plus ses habitants dans la misère, puis ce sera de nouveau le tour de l’Occident…

Jusqu’à ce que l’ensemble du monde entier soit entre les mains de quelques transnationales, majoritairement américaines, et qu’on n’ait quasiment plus besoin de travailleurs, sinon d’une élite de techniciens… Le problème alors sera pour le capitalisme de trouver des consommateurs au-delà de cette élite et de ses actionnaires… et de maintenir la délinquance née de la misère.

[9]

L’accumulation de l’argent — qui n’est qu’une abstraction — empêche la production de biens d’équipement et de biens élémentaires utiles à tous.

Le livre noir du capitalisme est déjà écrit devant nous dans son « paradis ». Qu’en est-il de son enfer, le Tiers Monde ? *

Les ravages, en un siècle et demi, du colonialisme et du néocolonialisme sont incalculables, pas plus qu’on ne peut chiffrer les millions de morts qui lui sont imputables. Tous les grands pays européens et les États-Unis sont coupables. Esclavage, répressions impitoyables, tortures, appropriation, vol des terres et des ressources naturelles par les grandes compagnies occidentales, américaines ou transnationales ou par des potentats locaux à leur solde, création ou dépeçage artificiel de pays, imposition de dictatures, monoculture remplaçant les cultures vivrières traditionnelles, destruction des modes de vie et des cultures ancestrales, déforestation et désertification, désastres écologiques, famine, exil des populations vers les mégalopoles où les attendent le chômage et la misère.

Les structures dont s’est dotée la communauté internationale pour réguler le développement des industries ou du commerce sont entièrement entre les mains et au service du capitalisme : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation de coopération et de développement économique, l’Organisation mondiale du commerce. Ces organismes n’ont servi qu’à endetter les pays du Tiers Monde et à leur imposer le credo libéral. S’ils ont permis le développement d’insolentes fortunes locales, ils n’ont fait qu’accroître la misère des populations [1].

Dans quelques décennies, le capitalisme international n’aura quasiment plus besoin de main-d’œuvre, automatisation oblige ! Les laboratoires américains étudient les cultures in vitro, ce qui ruinera définitivement le Tiers Monde agricole (et peut-être l’agriculture française, deuxième exportateur mondial). Au lieu de partager les biens, ce sera le chômage que les travailleurs du monde entier se partageront définitivement [2].

Pourtant des services essentiels concernant l’instruction, la santé, l’environnement, la culture, l’entraide ne seront pas ou plus assurés parce qu’ils ne dégagent pas de profits et n’intéressent pas le secteur privé, parce qu’ils ne peuvent être rendus que par les États ou la communauté des citoyens auxquels le libéralisme veut ôter tout pouvoir et tous moyens.

Quels sont les moyens d’expansion et d’accumulation du capitalisme ? La guerre (ou la protection, à l’exemple de la maffia), la répression, la spoliation, l’exploitation, l’usure, la corruption, la propagande.

La guerre contre les pays indociles qui ne respectent pas les intérêts occidentaux. Ce qui fut autrefois l’apanage de l’Angleterre et de la France, en Afrique et en Asie (les derniers soubresauts du colonialisme aux Indes, à Madagascar, en [10] Indochine, en Algérie ont fait des millions de morts), est aujourd’hui celui des USA, nation qui prétend régenter le monde. Les États-Unis n’ont pour cela cessé de pratiquer une politique de surarmement (qu’ils interdisent aux autres). Nous avons vu s’exercer cet impérialisme dans toutes les interventions directes ou indirectes des États-Unis en Amérique latine et particulièrement en Amérique centrale (Nicaragua, Guatemala, Salvador, Honduras, Grenade), en Asie, au Viêtnam, en Indonésie, à Timor (génocide proportionnellement plus important que celui de Khmers rouges au Cambodge — près des deux tiers de la population — génocide perpétré dans l’indifférence — quand ce n’est pas avec la complicité — de l’Occident), guerre du Golfe, etc. [3]

La guerre ne se fait pas seulement par les armes mais peut prendre des formes inédites : par exemple, les États-Unis n’ont pas hésité à aider la secte Moon en Corée pour lutter contre le communisme, les fascistes dans l’Italie d’après-guerre, ils n’ont pas hésité à armer ou subventionner les intégristes islamistes comme les Frères musulmans ou les Talibans en Afghanistan. La guerre peut prendre aussi la forme d’embargos contre les États indociles (Cuba, Libye, Irak), ô combien meurtriers pour les populations (plusieurs centaines de milliers, voire des millions de morts en Irak).

La spoliation est la cause évidente de l’utilisation de la force. Si l’on veut cambrioler une maison où sont les habitants, il vaut mieux posséder une arme.

Les pratiques du capitalisme sont proches de celles de la maffia, c’est sans doute pourquoi celle-ci prolifère si bien dans son terreau.

À l’instar de la maffia, le capitalisme protège les dirigeants dociles qui laissent sans vergogne exploiter leur pays par les grandes sociétés américaines et transnationales. II consolide ainsi — quand il ne les met pas en place — des dictatures, plus efficaces pour protéger les biens des entreprises que les démocraties.

Ses armes sont indifféremment la démocratie ou la dictature, le négoce ou le gangstérisme, l’intimidation ou le meurtre. Ainsi, la CIA est sans doute la plus grande organisation criminelle à l’échelon mondial.

L’usure, autre procédé mafieux : comme la maffia prête au commerçant qui ne peut jamais s’acquitter de sa dette et finit par perdre sa boutique (ou la vie), on incite les pays à investir, souvent artificiellement, on leur vend des armes pour qu’ils aident à lutter contre les États indociles, et ils doivent rembourser éternellement les intérêts cumulés de la dette, on devient alors maître de leur économie.

Répression et exploitation vont de pair : répression antisyndicale (qui fut légale autrefois), maintenant non avouée mais qui s’exerce toujours dans les entreprises, surveillance répressive, milices patronales criminelles [4], syndicats suscités par les patrons (CFT) et répression contre toute contestation ouvrière radicale [5]. La possibilité d’exploiter est à ce prix. Et nous savons, depuis Marx, que l’exploitation du travail est le moteur du capitalisme. Les économies occidentales profitent, dans le Tiers Monde, de la pire exploitation : l’esclavage, et dans leurs pays du servage d’immigrés clandestins.

[11]

La corruption : Les multinationales disposent de telles influences ou de telles pressions financières ou politiques sur l’ensemble des responsables publics ou privés qu’elles étouffent toute résistance dans leurs tentacules de pieuvre.

La propagande : pour imposer son credo et justifier le surarmement, ses actes délictueux et ses crimes sanglants, le capitalisme invoque toujours des idéaux généreux : défense de la démocratie, de la liberté, lutte contre la dictature « communiste », défense des valeurs de l’Occident, alors qu’il ne défend le plus souvent que les intérêts d’une classe possédante, qu’il veut s’emparer de matières premières, régenter la production du pétrole ou contrôler des lieux stratégiques. Cette propagande est propagée par des gouvernants économiques et politiques, une presse et des médias serviles. Ce sont Les chiens de garde déjà dénoncés par Nizan, la Trahison des clercs vilipendée par Julien Benda [6].

Partisans du libéralisme, laudateurs des États-Unis, je n’ai pas entendu votre voix s’élever contre la destruction du Viêtnam, le génocide indonésien, les atrocités perpétrées au nom du libéralisme en Amérique latine, contre l’aide américaine au coup d’État de Pinochet qui fut un des plus sanglants de l’histoire [7], la mise à mort des syndicalistes turcs ; votre indignation était quelque peu sélective, Solidarność mais pas le Disk, Budapest mais pas l’Algérie, Prague mais pas Santiago, l’Afghanistan mais pas le Timor, je ne vous ai pas vus vous indigner quand on tuait des communistes ou simplement ceux qui voulaient donner le pouvoir au peuple ou défendre les pauvres. Pour votre complicité ou votre silence, je ne vous entends pas demander pardon.

Maurice Cury

Maurice Cury est poète, romancier, essayiste, scénariste de cinéma et de télévision, auteur radiophonique et théâtral. Dernières parutions : Les orgues de Flandre (roman), La Jungle et le désert (poèmes et textes) E. C. Éditions, Le Libéralisme totalitaire.

Président du Conseil permanent des écrivains, vice-président du Syndicat national des auteurs et compositeurs.


* Dans le dictionnaire du XXe siècle (Fayard), Jacques Attali avance le chiffre d’une personne sur quatre vivant aux USA sous le seuil de pauvreté. Dans le monde, près de 3 milliards d’individus disposent de moins de 2 dollars par jour, 13 millions meurent de faim chaque année et les deux tiers des humains ne bénéficient d’aucune protection sociale.

[1] Lire Philippe Panure, Le Village monde et son château, le Temps des Cerises, 1995.

[2] Lire Jeremy Rifjin, La Fin du travail, La Découverte, 1996.

[3] Lire Noam Chomsky, Les Dessous de la politique de l’Oncle Sam, Écosociété, EPO, le Temps des Cerises, 1996.

[4] Lire Marcel Caille, Les Truands du patronat, Éditions sociales, 1977.

[5] Lire Maurice Rajsfus, La Police hors la loi. Le Cherche-midi, 1996.

[6] Lire Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, Liber — Raison d’agir, 1997.

[7] Lire Chili, Le Dossier noir, Gallimard, 1974.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 31 mai 2018 19:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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