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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean Ziegler et Youri Popov, Un dialogue Est-Ouest. (1987)
Avant-propos de Youri Popov


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean Ziegler et Youri Popov, Un dialogue Est-Ouest. Lausanne, Suisse: Pierre-Marcel Favre / ABC, 1987, 191 pp. Collection: “Les grands entretiens”. Une édition numérique réalisée par Roger Gravel, bénévole, Québec. [L'auteur nous a accordé le 29 janvier 2018 son autorisation de diffuser en libre accès à tous ces huit livres ci-dessous dans Les Classiques des sciences sociales.

[19]

UN DIALOGUE EST-OUEST

Avant-propos

de Youri Nicolaïevitch Popov

[20]

[21]

Malgré son apparente spontanéité, l’idée de ce livre est loin d’être le fruit du hasard. Les auteurs — c’est l’évidence — vivent des « mondes » différents, leurs opinions divergent sur le plus grand nombre des problèmes, mais il est vrai qu’ils vivent aussi sur la même planète, et plus précisément, sur le même continent. Il se trouve que leur « maison » — l’Europe — n’est pas tellement grande…

Les progrès scientifiques et techniques créent de nouvelles facilités pour les relations entre l’Est et l’Ouest. Dans ce cas concret ils ont permis d’assurer les conditions techniques du dialogue. En quelques instants on communique par téléphone entre Genève et Moscou. Pour se rencontrer, il suffit de prendre l’avion et au bout de trois heures se retrouver soit à Genève, soit à Moscou. Mais ce même progrès scientifique et technique assure d’autres possibilités : une fusée dotée d’une tête nucléaire, lancée à partir de l’Europe occidentale atteindrait le territoire de l’Union soviétique en 5, 6 minutes… et cela est évidemment vrai dans le sens inverse. Dès lors, il ne s’agit plus de problèmes techniques, mais politiques. Il s’ensuit que le dialogue Est-Ouest, est non seulement techniquement possible mais absolument nécessaire sur le plan politique.

D’autres facteurs rendent le dialogue plus que jamais opportun et utile : les pourparlers officiels menés par les gouvernements durent déjà depuis des dizaines d’années. Ils se heurtent aux difficultés les plus sérieuses. Certains déclarent même qu’ils se trouvent dans une impasse. Sans doute faut-il être réaliste. Je le sais et je ne pense nullement qu’un dialogue non officiel peut remplacer des décisions de niveau gouvernemental. Mais, j’estime que dans le monde d’aujourd’hui il n’est pas possible d’observer les choses du dehors, en spectateur neutre.

[22]

Les pourparlers soviéto-américains au sommet à Genève (1985) ont beaucoup contribué au commencement d’un dialogue positif qui peut servir de point de départ pour le remplacement de la confrontation, de la course aux armements par une coopération inter-étatique.

Tout le monde parle de l’esprit de Genève. Pour la première fois depuis de nombreuses années des millions de gens sur notre planète ont un espoir — celui de voir vers la fin de notre siècle le monde débarrassé d’armes nucléaires et chimiques.

Les nouvelles propositions soviétiques exposées dans la Déclaration du Secrétaire général Gorbatchev, faite le 15 janvier 1986, et confirmées par les décisions du xxviie congrès de PCUS, ont donné une impulsion puissante au développement de l’esprit de Genève. Ces propositions reflètent des traits nouveaux dans l’approche de l’Union soviétique de l’actuelle situation internationale.

La proposition de liquider complètement et partout les armements nucléaires a été formulée d’une façon concrète. Cette proposition comprend des délais et des étapes précis pour sa réalisation.

Les nouvelles initiatives soviétiques dans le domaine de la politique extérieure représentent un ensemble de mesures visant à arrêter définitivement la course aux armements. Il s’agit de réduire les armes nucléaires stratégiques, les missiles de moyenne portée ; de ne pas laisser pénétrer ces armes dans l’Espace ; de liquider toutes les armes de destruction massive, de réduire substantiellement les armes conventionnelles.

Les nouvelles propositions soviétiques donnent une réponse claire aux mouvements occidentaux pour la paix dont les principaux slogans sont : « Non aux fusées en Europe ! », « Pas d’armes dans l’Espace ! », « Le développement grâce au désarmement ! » Et puis les nouvelles propositions soviétiques tiennent aussi compte des intérêts dans le domaine de la sécurité des États-Unis et des autres pays capitalistes, comme par exemple, de la France et de la Grande-Bretagne.

Les nouvelles propositions soviétiques enlèvent tous les obstacles — réels comme spéculatifs — qui existent dans le [23] domaine du contrôle. Il est de notoriété générale que le problème du contrôle a toujours été pour les États-Unis un objet de spéculations. L’administration américaine a toujours essayé de prouver que si elle n’était pas prête de conclure des accords pour la réduction des armes nucléaires, ce n’était que parce que l’Union soviétique serait soi-disant une « société fermée », où il serait impossible de contrôler la réalisation de tels accords. À présent, l’Union soviétique a rendu impossible l’utilisation de tels arguments.

Je voudrais souligner encore une chose relative aux nouvelles propositions soviétiques. Ces propositions, de M. Gorbatchev, confirmées par les décisions du xxviie congrès du PCUS, représentent un plan concret de désarmement, formulé en des termes compréhensibles et accessibles à tous. Il est vrai que parfois des propositions de désarmement étaient présentées sous une forme tellement compliquée et embrouillée, qu’on avait l’impression qu’elles s’adressaient à des spécialistes militaires, des diplomates de haut rang et d’hommes d’État expérimentés. À présent, ces propositions sont « traduites » dans la langue des hommes, compréhensible à un simple ouvrier, à un simple paysan. Actuellement, tout homme peut prendre une position claire sur les problèmes compliqués du désarmement.

Des intellectuels de divers pays prennent, depuis longtemps, part aux mouvements contre la guerre. Il faut pourtant faire une observation lorsque l’on parle de l’attitude antimilitariste des intellectuels : alors que des médecins, des physiciens, des généraux même se rencontrent régulièrement et mènent des discussions très animées sur les problèmes de la guerre et de la paix, je n’ai pas eu jusqu’ici connaissance de telles rencontres et discussions régulières sur ces mêmes thèmes entre professeurs de sciences sociales enseignant dans les universités de l’Est et de l’Ouest. Aujourd’hui, c’est bien la première fois qu’un tel dialogue a lieu et est livré au public sous forme de livre. Ce livre ouvre une voie.

Une question se pose : un dialogue est-il réellement possible entre des hommes de l’Est et de l’Ouest dont les idéologies sont si différentes ? L’objectif essentiel de ce livre est de prouver que cette possibilité existe. Dans le monde où nous [24] vivons, ce simple fait a déjà en lui-même une importance indiscutable.

Poursuivons : l’idée communément avancée est qu’au terme de toute discussion idéologique il doit y avoir obligatoirement un vainqueur et, par conséquent, un vaincu. J’estime qu’il existe une autre solution. Peut-on d’ailleurs avoir la naïveté de croire qu’un professeur puisse convertir un autre professeur à son idéologie ? C’est impossible. Mais ce qui est possible pour chacun c’est d’écouter avec attention les arguments de l’autre, de les respecter sans pour autant être dans l’obligation de les accepter. J’ai la conviction que des principes de réflexion existent qui devraient rendre le dialogue possible sans pour autant remettre en question les convictions idéologiques profondes de chacun. Je nourris l’espoir que si notre dialogue s’avère fructueux, d’autres intellectuels seront tentés de nous imiter.

Les discussions surgies à l’occasion du 10e anniversaire de la signature de l’Acte final de la Conférence européenne d’Helsinki sont loin de s’apaiser. J’ai parfois l’impression qu’on parle beaucoup plus qu’on agit réellement.

Ce livre sera une contribution modeste mais réelle pour faire passer dans la vie de tous les jours l’esprit d’Helsinki et ses principes fondamentaux :

  • élargir les contacts entre les hommes, entre des organisations non gouvernementales ;
  • renforcer la coopération culturelle internationale ;
  • développer plus largement les échanges d’information.

L’Acte final place en tête de la déclaration la reconnaissance de l’égalité des souverainetés nationales, le respect des droits qui s’attachent à cette souveraineté. Ceci implique l’engagement de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre pays. C’est cet esprit des accords d’Helsinki que j’ai voulu respecter.

Les principaux objectifs que les auteurs se sont fixés en prenant l’initiative d’écrire ce livre ont, en grande partie, déterminé le caractère et la forme du dialogue poursuivi. Ils ne représentent ni leurs gouvernements, ni des organisations [25] officielles, pas plus que des partis politiques. Ils ne parlent naturellement qu’en leur nom propre. C’est leur seule responsabilité qui est engagée. Enfin, nous sommes convenu de ne pas nous placer l’un vis-à-vis de l’autre en position de « juge » ou de « procureur ».

Je voudrais apporter trois précisions qui me semblent indispensables. La lecture de la préface écrite par Jean Ziegler me donne l’impression que le professeur suisse prétend me rendre service, me faire une fleur, en acceptant avec condescendance de ne pas mettre au centre de notre discussion les problèmes relatifs à la démocratie, aux libertés individuelles en Union soviétique. Moi, je pense que de sa part, ce n’est pas « une fleur », mais plutôt une nécessité. Car notre dialogue est consacré à un thème concret : la menace de la fin de l’humanité. Évidemment, des discussions intenses peuvent être menées sur d’autres problèmes également. Par exemple, sur les problèmes liés au SIDA, à la pollution de l’air, à mille autres sujets…

Pour ce qui est des problèmes de la démocratie, des libertés et des droits de l’homme en Union soviétique, non seulement, je n’ai pas peur de les aborder, mais je m’engagerais volontiers dans une discussion approfondie et sérieuse sur ces problèmes avec mes collègues occidentaux. À ce propos, je doute de la possibilité de la publication en Occident d’une telle discussion…

Deuxième remarque sur les idées qui semblent tellement chères au professeur Jean Ziegler. C’est sa conception de la « raison d’État » qui m’intéresse. Je ne peux pas la passer sous silence, d’autant plus qu’elle a un rapport direct avec le thème central de notre débat.

Jean Ziegler se prononce contre toute raison d’État, indépendamment de sa nature de classe, de sa genèse historique. Ce qui veut dire qu’il estime que toute action inspirée par la raison d’État est toujours inévitablement dirigée contre l’individu, contre les intérêts de la personne humaine. Il est possible que je donne une interprétation trop limitative du concept de la raison d’État, mais je pense que j’ai réussi à exprimer le sens que lui donne Jean Ziegler.

Cette façon de voir les choses de Jean Ziegler me met dans une situation embarrassante. Eh oui, je n’ai nullement l’intention [26] de cacher le fait qu’en parfait accord avec mes convictions, je défends les initiatives de l’Union soviétique ! Pourquoi ? Certains auront une réponse toute prête : « Vous le faites parce que dans l’État totalitaire, il n’y a pas de liberté individuelle ! Que vous le vouliez ou non, vous êtes obligé de défendre la raison d’État ».

Eh bien, ma réponse est simple : je défends la « raison d’État » de l’Union soviétique dans le domaine de la guerre et de la paix parce qu’elle répond tout à fait à nos intérêts personnels, à ceux de ma famille et de mes enfants.

Prenons, par exemple, les nouvelles propositions soviétiques de M. Gorbatchev du 15 janvier 1986. Pouvez-vous me dire ce que l’Union soviétique pourrait faire de plus ?

Au cours de nombreuses discussions auxquelles j’ai participé en Occident, j’ai entendu l’argument suivant : les deux superpuissances ressemblent à deux béliers qui se rencontrent sur une passerelle étroite au-dessus du gouffre nucléaire. Aucune des deux bêtes ne veut céder le passage. La solution ? Que l’un cède quand même le chemin à l’autre. Autrement dit, certains Occidentaux essaient de mettre en œuvre la logique suivante : « Si vous, les Soviétiques, êtes tellement épris de paix, pourquoi n’allez-vous pas plus loin encore que les initiatives que vous avez formulées à Genève ? Tant pis si les Américains n’ont pas décrété de moratoire sur les essais atomiques ! Vous, les Soviétiques, vous devez absolument prolonger le moratoire. Et puis vous devriez procéder unilatéralement à la réduction de 50% du nombre de vos missiles stratégiques. »

Je défends les positions de l’Union soviétique et les mesures qu’elle a prises après la rencontre à Genève parce qu’elles visent à assurer ma propre sécurité, celle de ma famille, celle de mon peuple. Mais revenons à nos béliers qui se font face sur la passerelle étroite. Si l’un d’eux décide de changer de position, de tourner le dos à son adversaire et de s’en aller, qui peut garantir qu’il ne recevra pas un coup en traître ? Vu l’absence actuelle de confiance entre les États, je pense qu’il serait également naïf d’exiger des États-Unis de désarmer unilatéralement. La seule solution dans la situation actuelle est que les deux adversaires se mettent à reculer progressivement pour quitter en même temps la zone dangereuse au-dessus du gouffre nucléaire. C’est justement ce que propose [27] l’État soviétique. Et c’est pour ça que je soutiens ses propositions.

La dernière remarque : à l’échelle universelle, la menace d’extermination nucléaire qui pèse sur l’humanité n’est pas une question technique, mais un problème politique et social, qui concerne TOUS les hommes de la planète. Le dialogue est indispensable.

Youri Nicolaïevitch Popov
Moscou, mars 1987

[28]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 14 mai 2018 19:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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