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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean Zacklad, Pour une éthique. Livre II. L'être au féminin. (1981)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean Zacklad, Pour une éthique. Livre II. L'être au féminin. Paris: Éditions Verdier, 1981, 145 pp. Collection: Les Dix Paroles. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée par le fils de l’auteur, Manuel Zacklad, professeur titulaire de la Chaire Expressions et cultures au Travail du CNAM, le 2 décembre 2010, de diffuser toutes les publications de son père dans Les Classiques des sciences sociales.]


[9]

POUR UNE ÉTHIQUE.

Livre II. L’être au féminin. (1981)

Introduction


Des documents écrits en langue grecque, chinoise, allemande ... on infère l'existence d'une pensée grecque, chinoise, allemande... Inférera-t-on semblablement l'existence d'une pensée hébraïque ou juive à partir des textes écrits en Hébreu ou se référant aux textes hébraïques ? Et si l'on répond positivement, cette pensée sera-t-elle comprise comme l'expression d'une philosophie, d'une religion, d'une volonté nationale, humaniste, morale... ? Représente-t-elle une expérience mystique ou spéculative ou existentielle ?

Si par pensée, l'on désigne le travail de construire des systèmes qui intègrent des données éparses dans le cadre d'une certitude unitaire ou bien - changement dans la continuité - l'enrichissement selon l'air du temps des anciennes thématiques, alors il n'existe pas de pensée de l'Hébreu ou bien, ce que l'on présente comme telle est le remaniement des pensées ambiantes au nom d'un hébraïsme évanescent. Il n'y en a pas non plus si l'on prétend transmettre un message non-humain hétérogène aux interférences de nos savoirs et opinions.

Le fait est, pourtant, que la littérature de l'Hébreu s'est trouvée exclue de ces interférences, qu'elle constitue le « refoulé » de la culture, que les échos qui en parviennent traduisent un compromis entre elle et telles figures culturelles, aussi ruineux pour elle que pour la cohérence de ces figures. Le fait d'être refoulé, cependant, ne constitue pas un gage d'authenticité. Se réfugier dans le secret peut aussi bien être signe que l'on est encore inapte à l'exposition publique. Pourquoi, dans ces conditions, cultiver un champ qui n'a pas encore fait la preuve qu'il est universalisable et vérifiable ? Refuge à l'abri des incertitudes, déviances et stérilités ambiantes ?

Impossible n'est pas Hébreu. On entre dans la littérature spéculative hébraïque comme on entre en religion ou plutôt comme on refuse d'entrer en religion, pour faire la preuve qu'il est intéressant et fécond de tenter cette démarche qui, précisément, semble impossible : refus d'un cadrage limitatif, parallèle au refus historique des hommes parlant Hébreu d'entrer dans les codages institutionnels.

[10]

Quand un univers mental se disloque faute d'avoir fait place aux éléments susceptibles de le renouveler, se voit clairement quels sont ces éléments qui ont été refoulés et l'on postule qu'ils réapparaissent identiques à eux-mêmes à chaque éboulement. La pensée de l'Hébreu ? - La garde de ces évidences qui ont fulguré en ces moments de désarroi –évidences qui, loin de constituer un système de derrière le rideau, forment la cohérence d'un point de vue. La pensée de l’Hébreu ? - Rien d'autre que le germe de la pensée de quiconque se localise en cette exacte perspective : voir d'où procèdent les renouvellements. Pas une ou des doctrines ; rien qu'un germe. Pas de matériaux historiques ou idéels spéciaux ; rien qu'une règle pour ordonner n'importe quel matériau.

Si donc on cultive le champ hébraïque, c'est que, actuellement, on est en train de trouver un contenu précis pour une exigence précise de renouvellement, c'est qu'il se vérifie que pointer vers l'inédit, c'est identiquement retrouver le même très ancien point de vue : besogne verbale en laquelle tout un chacun enseigne et est enseigné, anticipe et s'enquiert du passé.

Ceci pour rendre compte du fait que l'autre besogne, celle d'écrire, est seulement un adjuvant de la première car, en tous temps, un texte hébraïque spéculatif a été soit la notation d'une instruction orale, pour fixer la dimension du champ et vérifier la continuité de la même optique, soit la compensation à une chute de l'oralité. En aucun cas, l'on n'instruit ou l'on ne fait comprendre par et dans le rapport scripteur-lecteur. L'écrit draine vers la parole. Tâche inéluctable. L'écrit est assumé par un scripteur, lequel prend en charge un contenu qui ne lui appartient pas, qui a couru, d'une manière réglée mais libre entre les interlocuteurs.

Si Dieu n'existe pas, tout est permis. Si Dieu existe, toute initiative est secondaire. On ne croira pas que ces deux fondations jumelles et concurrentes, de la mort de Dieu et du fidéisme, sont des maladies du langage - seulement. Nous serons sortis d'embarras quand la question de l'interlocuteur non-humain aura été mise au clair. Nous sommes, pour l'heure, loin du compte et l'on supposera que cette question sera la dernière à être résolue. D'avoir lancé le défi d'une réflexion sur le divin, d'avoir commencé par la fin, cela n'a pas été seulement le lancement d'une pierre d'attente : promesse d'une intelligibilité à venir, pour l'heure impossible. Ce fut surtout la levée d'une hypothèque. Le Dieu de la métaphysique et de la religion, [11] on impute communément à l'hébraïsme d'en avoir été l'initiateur, comme si les Hébreux avaient été les premiers athées ou les premiers croyants du monothéisme. La référence de leur histoire, plus que nationale, plus que religieuse, est communément entendue comme une variante des cadrages nationaux, religieux ou idéologiques. Tant que cette interprétation prévaut, la recherche et la redécouverte du germe sont aussitôt stérilisées. Où l'on donne un contenu immédiatement intelligible, fût-ce dans le mystère, au concept de « Dieu d'Israël » et l'on prend le parti des censeurs, ou l'on travaille à lever la censure, auquel cas il faut se résigner à admettre que le principe même de l'intelligibilité spéculative est, au départ, parfaitement inintelligible : un simple défi aux codes de l'intellection. Le « Nom du dieu en quatre grammes », l'énoncer, cela ne peut que faire ricaner Bouvard et Pécuchet, hausser les épaules à Diafoirus, irriter le tenant de la foi du charbonnier. Mais inversement, feindre son inexistence ou son inessentialité, ce serait se rendre complice de l'effacement généralisé du Nom de l'homme et de la banalisation des noms propres. La pratique traditionnelle du traditionnaire consiste à énoncer des propositions bivalentes. Tel les comprend dans la sécurité de l'anonymat. Tel autre y trouve la réponse à la question : « Qui est ? » L'un s'enferme dans le rond des questions : « Qu'est-ce que l'être ? Qu'est-ce qui se passe ? Comment ça fonctionne ? » L'autre entend qu'un « je »pointe qui n'est ni ineffable, ni « empirico-transcendantal », ni mystico-psychologique... Avoir commencé par une réflexion sur le divin, cela signifiait - ce qu'au fond nul n'ignore - que ce qui est dernier « in ordo cognoscendi » est premier « in ordo essendi ». Derrière la malice du rabbin qui, dans le brouillage de la communication commune, termine son allocution par la formule consacrée : « celui qui doit comprendre comprendra », se cache, pour une communication claire différée, le germe d'un discours extrêmement précis et éclairant.

Revenons sur terre pour demander : qu'est-ce qui, au nom de l'Hébreu, est à dire en premier lieu quoiqu'à un rang éloigné dans la chaîne déductive ? Quel est l'élément dont la censure accroît le malaise dans la civilisation ?

On a glosé à l'infini sur les caractères parcellaire et arbitraire des sciences humaines, sur les découpages qu'elles opèrent dans le phénomène, non en raison des clivages de l'objet mais de par la diversité discordante des méthodes et des points de vue. Nous formulons l'hypothèse que ces découpages créent comme un trou noir ou un [12] point aveugle. Ici, la société est prise dans les rets des Pouvoirs imbriqués. Là, l'individu se constitue dans la chronologie de ses tensions, infantiles, adolescentes et adultes. Et l'on voit bien que l'affectivité circule entre l'intra-individuel et l'intra-social, peut-être ici les jeux des passions, là, ceux du sentiment. D'où les conflits des scolastiques contemporaines : - l'une des racines de l'histoire collective plonge dans la constitution affective des individus - laquelle s'alimente des tensions sociales. Les conflits intérieurs font de l'individu un monarque déchu qui, dans le collectif, se retrouve en position de despote-esclave. Le point aveugle, le trou noir, on le cherchera dans la forme non vue de la souveraineté. Désignons-la par un terme métaphorique : « la Reine » ; la Reine qui exerce un « Pouvoir » en tant que femme, qui transporte sa féminité comme pouvoir de décision dans le domaine public. On ne parle pas de la reine des contes enfantins, « archétype » de l'inconscient ; non plus que des dynasties des anciens régimes, mais de « l'être » qui se trouve masqué/désigné ici et là. Serait-ce que ce qui est en train d'exister d'une manière de plus en plus consistante dans la modernité ne trouve pas de désignations adéquates dans nos langages et de place dans nos catégories ? Que des socialités naissantes, maîtresses d'elles-mêmes, sont interprétées comme des variations des Pouvoirs phallocratiques ? Que nos mentalités encore imprégnées des représentations d'un Dieu-père et d'un Dieu-roi ne laissent place que pour un féminisme de simple protestation ? Que, de l'hébraïsme, rien n'a filtré de Ruth, ancêtre du roi David, de la reine Esther... et que l'incarnation du divin dans une mère ou une fille sont des métaphores plus cocasses que sa présentation en un père ou un fils ?

Si un déplacement radical de nos catégories est à opérer sur ce point, nous ne prétendons pas y procéder ici. Qui aurait la naïveté de décliner une « théorie de la femme dans la Bible et dans le judaïsme » ou d'apporter une pièce manquante à la masse considérable d'idées sur le Pouvoir ou le féminin ? Nous savons tout et l'on vient trop tard... Et si ces savoirs ne sont pas rigoureux et vérifiables, nul coup de baguette magique ne les rendra tels. Une déconstruction des savoirs ne conférera pas miraculeusement une nouvelle lucidité. Il n'est que de trouver ou retrouver un angle de visée : anamnèse d'un non-savoir qui, sans doute, semblera complexe et peu clair en un premier temps.


L'écrit, ici, doit laisser envisager la possibilité d'un décryptage – [13] dans l'oralité - des textes hébraïques. A l'une des extrémités de l'arc, le texte biblique : le maximum d'expressivité. Expression de quelle idée ? Impossible de le détecter, donc foisonnement des interprétations. A l'autre extrémité, l'idée énoncée en tant que telle mais amputée de toute tentative de l'exprimer, ce qui lui donne, pour le premier regard, l'apparence d'un hiéroglyphe : telle qu'en elle-même, Vilna change la Bible.

D'un côté la Bible - et l'on voudra bien nous suivre dans le projet de ne pas l'aborder comme un document. Le scripteur est animé par des intentions extrêmement précises qu'il coule dans le document. Nous voulons nous situer du côté du scripteur. On s'appuie sur le choix de cette modalité d'écriture plutôt qu'une autre, sur cet ordre des énoncés plutôt qu'un autre pour vérifier le parallélisme entre l'intention et l'effectuation de l'acte d'écrire.

De l'autre côté, l'école de Vilna du XVIIIe siècle. Le maître de Vilna (le Gaon) a laissé, en guise de testament, quelques feuillets qui contiennent la quintessence de son enseignement : aphorismes en langage codé, parfaitement indéchiffrables. Nous avons passé l'année à l'étude du commentaire de ces aphorismes (liqoutim) rédigé par un des plus proches disciples du gaon [1]. Ici aussi, nous demandons qu'on nous suive dans le projet d'une lecture an-historique. Nous ne nous demandons pas si les thèmes et expressions sont le produit d'une évolution, s'inscrivent dans une filiation, en particulier s'ils sont des développements des thèmes bibliques et médiévaux. Nous plaçant dans une perspective de synchronisme, nous considérons ces textes comme une simple répétition des textes antérieurs, mais décalés dans le sens de la plus haute spéculation. Jamais la leçon de l'Hébreu ne s'est dite (ou ne s'est tue) d'une manière plus abrupte, plus étrangère à toute contingence et à tous les accommodements que demande la diffusion d'une leçon rendue accessible à tel auditeur particulier. Nous sommes, avec ces textes, au moment de la grande déchirure. Non seulement une part du [14] judaïsme européen renonce à se synchroniser avec l'histoire de la culture européenne mais encore, en cette part, la coupure entre le désir des enseignants de se mettre en phase avec la population pieuse (hassidisme) et celui de maintenir la leçon en son intégralité et sa densité devient irrémédiable. Comme les Esséniens jadis, mais d'une manière beaucoup plus radicale, les maîtres de Vilna optent pour la culture du noyau de l'alliance dans le désespoir d'y introduire immédiatement leurs contemporains. Au moment où la Révolution française inscrivait dans l'histoire l'esprit du siècle des Lumières, l'Hébreu, en sa pureté, se coupant des mentalités anciennes, se déconnectant des courants nouveaux, offre le visage d'une référence inconditionnelle et désincarnée dans l'attente sans doute d'un accolement ultérieur entre le meilleur de ce qui surgira dans l'histoire et le jeu de langage le plus exact et le plus déshistorialisé. Durant deux siècles, pour le meilleur et pour le pire, les rationalités occidentale et hébraïque vivront en deux sphères non communicantes.

Nous voulons aussi attester la continuité de la chaîne initiatique et donc faire état du relais médiéval. C'est le même Gaon de Vilna qui, ici, commente les vieux Tiqouné ha Zohar, qui s'alimente au relais le plus prestigieux et qui, là, s'offre au décryptage de ses disciples. Nous avons traduit quelques passages des Tiqounim dans « Pour une Éthique, Livre I - De Dieu ». On verra ainsi en quoi consiste le relais, comment les médiévaux assument le moment le plus sombre de l'exil géographique et spéculatif A mi-chemin entre la répétition des textes antiques et la répétition de l'idée pure, l'auteur anonyme des Tiqounim a éveillé les esprits, de la manière la plus étonnante et la plus efficace, à la compréhension du sens.

La « Reine », on se la dit en termes de « la reine Esther ». Comprendre qui elle est, c'est l'essentiel de notre propos. Esther transporte dans le Politique « l'identité » féminine, découverte de Sarah à Ra'hel et Léa. Avec elle, le sentiment passe à l'acte. Notre enquête débute avec Ève, quand le contraire de l'acte (la séduction) assassine le sentiment. Apparaîtra-t-il que le début de notre histoire a constitué comme une expérience en laboratoire des opérations que la modernité est en train de réaliser ?


J'exprime ici ma vive reconnaissance à M. Benny Lévy, dont j'ai mis à profit les corrections et les conseils.



[1] Rabbi Isaac Eizik Haver. Nous avons traduit quelques-uns de ses textes que nous avons placés en exergue de la plupart des chapitres de ce livre et nous en avons donné un choix plus ample dans l'annexe qui le conclut. Les passages cités sont précédés à chaque fois d'un chiffre qui renvoie aux pages de la seule édition qui a vu le jour jusqu'à présent, celle de Varsovie en 1889, sous le titre de Sefer Liqouté ha GRA (recueil d'aphorismes du Gaon Elie de Vilna). Cet ouvrage a été récemment reproduit photographiquement en Israël.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 18 novembre 2011 11:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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