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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean Zacklad, LES DEUX MODÈLES DE LA RELIGION.(1988)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean Zacklad, LES DEUX MODÈLES DE LA RELIGION. Paris: Éditions Bibliophane, 1988, 135 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée par le fils de l’auteur, Manuel Zacklad, professeur titulaire de la Chaire Expressions et cultures au Travail du CNAM, le 2 décembre 2010, de diffuser toutes les publications de son père dans Les Classiques des sciences sociales.]


[9]

Introduction


« ... et paix aux hommes de bonne volonté » : cette paix qui se traduit par la plus interminable polémique ; laquelle commença à l'encontre des empires archaïques, se poursuivit durant l'acculturation antique, durant le règne des grandes religions et se continue aujourd’hui dans le cadre de l'opposition : pour ou contre l'identification de Soi au sein des nationalités. Ceci est notre premier préjugé que, si la condition terrestre s'assume dans le conflit, de se poser soi-même en une perspective d'intégration d'éléments concourants dilate le conflit en une cosmique lutte à mort.

La lutte de Jacob avec l'ange nocturne implique qu'il n'est plus pertinent de prendre d'autres hommes pour adversaires ou de négocier des conflits intérieurs. L'unique adversaire reste le nocturne, la fatalité qui brouille les cartes, les méconnaissances de l'ami, les complicités avec les dénaturations. À l'échelle de tous les millénaires et de toutes les facettes de l'existence, Jacob s'applique à devenir Israël : prévalence de la paix impossible sur les agressions stochastiques.

Polémique au dehors qui traduit, dans l'interne, deux tranquilles plénitudes ; nuit du combat entre les paisibles jours d'avant et jours d'après. Parce qu’hier il fera jour, la transition entre l'acquis d'hier et celui que l’on attend bute sur la force et la fallacieuse logique du mauvais ange.

Qui suis-je, en propre ? En termes de Jacob, cela s'explicite en deux femmes et onze enfants. Tranquille complétude, morphogenèse rythmée en laquelle la ruse épaule la candide argumentation. En notre commun univers où temps et lieux sont brouillés, « Je deviens » par le paisible ajustement, en moi-même, de ce qui m'est propre. Intériorisation. Diasporique, cependant, je ne dispose ni de temps ni de lieu propres dans l'extériorité de l'univers. Intégration en moi-même [10] de mes éléments, l'Objet du désir est mon intégration à ma juste place dans l’univers commun ; et cette place existe, de l'autre côté de la frontière. L'Objet propre existe pour le Désirant qui s'est posé en ses dimensions propres. Entre l'un et l'autre, la somme de toutes impropriétés s'interpose : la nuit la plus longue livrée au pouvoir du mauvais ange.

Je me réfère à « la Bible ». Vue de l'extérieur, elle énonce l'intense polémique. Du côté de la Vie, des personnages qui guerroient. Du côté du Sens, des interpellations qui accusent. La tranquille complétude qu'elle recèle, elle n'apparaît pas tant que l'on croit que les Sens dérivent de la Vie (que, de l'Histoire, des documents exsudent) ou que la Vie illustre la genèse du Sens. J'ai tort de me référer à « la Bible », à l'Écrit. La référence, elle est le jeu de renvoi de la Vie et du Sens, le jeu de renvoi d'une oralité qui se cristallise en un Écrit et d'un Écrit qui relance l'oral. La tranquille complétude, elle est dans les Formalités inapparentes qui animent ces jeux de renvoi qui, d'une manière brouillée, se poursuivent le long des siècles. Avant « la Bible », l'immensité des temps pré-alphabétiques ; après elle, l'immense complexité des acculturations : deux immensités qui brouillent les Formalités. Entre l'avant et l'après, un univers petit, profondément déchiré mais justement assez petit, assez rudimentaire pour que la Raison pacificatrice des conflits s'y laisse discerner.

S'agit-il de Religion (nationale ou universaliste, cosmique ou trans-cosmique) dans la référence hébraïque ? Selon l'idée commune de la Religion, le fait est ambigu et chacun apporte là-dessus ses préjugés particuliers. Nous préférons adopter le préjugé inverse. En regard de ces Formalités qui hantent l'histoire hébraïque, c'est la Religion qui est ambiguë. L'ambiguïté du Sentiment s'y traduit en des thèses qui ne le sont pas moins. Des messages créent leur code, des jeux de langage suscitent leurs propres catégories... ce qui est à décrypter. Il serait vain « d'interpréter », d'être pour ou contre, pour et contre la Religion avant de la traduire en un langage univoque. Avant d'être annonce d'un Mystère, la Religion est l'énigme qui ne saurait se percer ni d'un point de vue extérieur à elle (le social, le psychisme, l'histoire, l'esprit ... ) ni d'un point de vue intérieur, critique ou apologétique. Notre premier préjugé.

La morphogenèse, quant à nos affaires, est travail d'intégration, à [11] chaque fois révisable : les singularités qui en appellent à l'ensemble qui les nourrit, les principes d'intégration qui se saisissent de mille singularités, stabilité de la mouvance ; et nous croyons qu'aucune « Morphè » n'opéra jamais une intégration heureuse, que les singularités en sont contraintes autant qu'intégrées, que les Ensembles y sont fragiles et instables. Nous croyons que ni les singularités n'émergèrent en leur spécificité, ni les Ensembles ne se posèrent selon leur exigence propre, contaminés qu'ils étaient par les quasi-singularités contingentes qu'elles régentaient.

Il faut bien reconnaître que la Religion a été le plus puissant facteur d'intégration qui soit, que son ambiguïté a été l'outil par lequel des sécessions se colmatent, des réserves d'insoupçonnées virtualités font irruption dans les organisations existantes. Un palliatif à l'absence d'une morphogenèse proprement dite ?

Notre second préjugé est que les temps présents nous font assister à la disparition d'un opérateur d'intégration. Les grands principes - civiques, éthiques... - ou font survivre des bribes d'anciennes intégrations ou aident à leur déconstruction. L'ambiguïté de la Religion qui fit son triomphe travaille actuellement contre elle. La vacance d'une « Morphè » proprement dite laisse en face-à-face un mondialisme de fait et la désintégration des mentalités ; que n'importe quoi vale n'importe quoi.

Vit-on une méta-morphose en catimini ? L'usure des « Morphè » obsolètes et l'invention d'une nouvelle ? La double allégresse de liquider des certitudes et d'en susciter d'autres, sur fond de nihilisme ? Notre deuxième préjugé nous fait croire à une consonance entre le très ancien projet de morphogenèse et l'impatience présente de donner Forme à partir des singularités comme telles. La Religion a raison, la Religion a tort. Au fur et à mesure que l'ambiguïté se lèvera, que nos Formalités éclaireront les antiques symbolismes, le rapport entre les singularités désenclavées et les Ensembles cohérents se substituera à leur amalgame. La Religion a tort en ce qu'elle fait écran entre la polémique essentielle et nos débats actuels. Elle a raison dans la mesure où l'on déchiffrera en elle la communication brouillée entre d'invariantes Raisons de prendre position et les prises de position effectives qui s'inventent au jour le jour.

[12]

Nos réflexions sont une dérive à partir de la considération de Qumran. Supposons qu'il ne soit pas un épisode de l'histoire religieuse - transition entre les Juifs et l'Occident, entre les ères polythéiste et monothéiste - mais le lieu étrange où les repères éthiques, politiques, religieux s'abolissent. Supposons qu'en une période de transition - celles d'il y a deux millénaires ou d'aujourd'hui - des enfants perdus se trouvent expulsés d'une appartenance aux grands corps constitués, de filiations terminales ou inaugurales, hors de tous ancien et nouveau Testaments. Ils se trouvent acculés à assumer leur simple singularité, à ne transporter les transmissions culturelles qu'en des valises de carton. Hantise d'être Juste auprès des magouilles urbaines, de se connecter à l'unique essentiel auprès des complexités indéchiffrables. Qumran : le lyrisme fou d'avoir raison contre tous - et donc d'avoir tort, de se vivre dans l'opposition du Juste et de l'ignominieux, privé de l'opposition du véridique et de l'illusoire.

La Religion coupable d'indulgence à l'égard du système de l'illusion ? La Philosophie, entreprise de raison garder au sein du règne de l'illusion ? La Communauté de la Mer Morte n'est ni philosophique : lui importe d'avoir raison sans souci de ce qu'est la Raison, ni religieuse : les problèmes de la terre ne se résorbent pas dans les solutions célestes. Comme les enfants perdus contemporains se réfugient dans le désert de leur for intérieur, ils projettent - vœu fou - de réinvestir les cités à partir du seul serment, prêté dans le désert, d'accomplir la Loi. Nous rêverons à une réconciliation du désert et de la cité. C'est celle-ci qui intègre, c'est en celle-ci que les morphogenèses se font. Mais c'est en celui-là qu'au sein des croyances, la discrimination des virtualités illusoires et réelles s'effectue.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 novembre 2011 5:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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