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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les processus de reforme et la structuration locale des systèmes.
Le cas des réformes dans le domaine de la santé mentale au Québec
.” (1993)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Deena White, sociologue, “ Les processus de reforme et la structuration locale des systèmes. Le cas des réformes dans le domaine de la santé mentale au Québec.” Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 25, no 1, printemps 1993, pp. 77-97. Montréal: PUM. [Autorisation accordée par l'auteure le 11 janvier 2004].

Introduction

Cet article se veut avant tout un apport à une enquête spécifiquement sociologique sur les processus de réforme. Une telle approche diffère énormément de l'approche administrative, qui cherche à évaluer ou à expliquer l'efficacité relative des politiques et des programmes, ou de l'approche politique qui se préoccupe de la nature et de l'efficacité des organismes et des actions de I'État. L'intérêt de la sociologie pour la réforme se rattache avant tout au domaine plus vaste du changement social; nous nous interrogeons sur le rôle de l'État en tant qu'agent de changement social ainsi que sur la façon dont ce rôle recoupe et rejoint d'autres processus de changement social et avec quels effets. Dans ce contexte, nous ne pouvons prendre comme point de départ de notre enquête les programmes ou les acteurs de l'État, parce que cela laisserait supposer que les changements observés sont directement ou indirectement attribuables aux actions de l'État.

On considère généralement qu'une réforme relève de l'État ou des élites de l'État. On peut aussi faire une évaluation politique de la réforme et, dans ce cas, l'absence ou l'inconsistance des résultats peuvent être attribuées à des objectifs incohérents, à des barrières structurelles, à des résistances ou à des écarts dans le processus de mise en oeuvre (voir par exemple Marks et Scott, 1991). Dans cet article, nous suivons une démarche inverse. Nous voulons adopter le point de vue que réclamait récemment Lisette Jalbert, soit «l'observation systématique des actions-réactions des agents de la base concernés par la réforme» (Jalbert, 1991, p. 254). Au lieu de considérer les actions entreprises par l'État québécois pour mettre en oeuvre sa politique officielle de santé mentale adoptée en 1989, nous nous intéressons plutôt à la façon dont les acteurs locaux se sont appropriés les processus de réforme, parce que nous croyons que cette approche rend mieux compte des effets diversifiés, pour ne pas dire arbitraires, des politiques sociales dans les démocraties libérales contemporaines.

Dans les démocraties libérales, la réforme constitue le mode de change-ment social le plus apparent (1). Comme Boudreau (1987) l'a souligné, chaque génération donne le nom de réforme à ses propres politiques sociales. Pour nous, le concept de réforme signifie toute réorganisation sociale, politique ou économique impliquant l'intervention de l'État et se situant habituellement dans une sphère d'activité bien délimitée. Pourtant, il est trompeur d'appeler réforme une politique spécifique publiée et adoptée par un gouvernement, puisque cela équivaut à confondre réforme et discours. Il est vrai que le discours est un ingrédient important de la réforme, et, lorsqu'une politique officielle vient le légitimer, son influence peut être décisive. Cependant, plus qu'une politique, les processus de réforme englobent une série complexe d'activités visant à provoquer des changements dans la société. Un document politique peut représenter une de ces activités, et il vient s'insérer dans le processus au moment où le gouvernement est suffisamment assuré qu'un consensus accueillera son discours sur le sujet. Inévitablement, toutefois, les changements préconisés par la politique, c'est-à-dire les processus de réforme, ont commencé à apparaître bien avant cela.

Notre recherche est une étude de cas multiples axée sur les développements qui se sont produits dans le réseau des soins de santé mentale de trois localités du Québec. La toile de fond est la réforme provinciale du système de santé mentale qui débute, selon nous, en 1982, pour des raisons que nous expliquerons plus loin, et qui se poursuit encore aujourd'hui (en 1993). Bien que la politique gouvernementale dans ce domaine soit explicitée dans un document officiel qui n'a été publié qu'en janvier 1989 (Ministère, 1989), les grandes lignes de cette politique ont été arrêtées tout au long des années 80, comme le démontrent, au niveau du discours, plusieurs Livres Blancs, nombre de documents administratifs moins officiels, les audiences de deux commissions parlementaires distinctes, plus de 150 mémoires présentés par les groupes professionnels et communautaires en cause ainsi qu'un nombre considérable d'analyses et de débats publics dans les revues et les journaux locaux. Toutefois, la période considérée est aussi une période d'action réformatrice, notamment de nouvelles stratégies de financement et de planification qui font intervenir les groupes communautaires dans un processus élargi de création de nouvelles ressources en santé mentale.

Notre étude vise à comprendre comment, pendant cette décennie, se sont réellement produits les nouveaux développements touchant l'organisation des soins de santé mentale dans des sites spécifiques (2). Deux grandes tendances théoriques en analyse sociale ont influencé notre recherche: tout d'abord, la disparition des frontières rigides entre les analyses structurelles et les analyses de l'action sociale (Bourdieu, 1980; Giddens, 1981, 1984; Offe, 1985; Hindess, 1986, 1988); en second lieu, la transgression de l'opposition entre État et société civile (Held, 1989; Jalbert, 1992; Sales, 1991). Notre article veut saisir le processus de réforme à la base, décrire et interpréter les changements réels en tenant compte de toute la gamme des agents sociaux en cause ainsi que des conditions structurelles de leur action. Sans négliger l'État, nous ne lui accordons pas a priori le premier rôle dans ce processus.

Nous commencerons pas exposer le cadre théorique qui nous a amené à nous intéresser aux dimensions locales des processus de réforme. Puis, après avoir esquissé les conditions globales de la réforme de la santé mentale dans les années 80 au Québec, nous relèverons les éléments importants des processus de réforme dans trois localités différentes. En comparant ces cas, nous pourrons ensuite avancer un certain nombre d'hypothèses liées à l'analyse sociologique de la réforme en tant que processus de changement social et aussi liées aux limites du rôle de l'État en tant qu'agent de changement social par rapport à d'autres acteurs sociaux.


Notes :

(1) Par changement social, nous entendons des changements dans l'organisation discursive et pratique des systèmes sociaux. Bien que les changements sociaux ne prennent pas naissance dans les processus de réforme, ils sont généralement institutionnalisés par ces derniers. Parmi les auteurs qui ont inspiré cette façon de voir sans nécessairement la partager ou la défendre, mentionnons MARRIS (1987), chapitres 6 et 7; HINDESS (1986), p. 125; GIDDENS (notamment 1981). Pour ce qui est de certaines opinions sur le rôle de l'État dans le changement social, mentionnons EVANS, RUESCHEMEYER et SKOCPOL (1985), TOURRAINE (1973) et URRY (1982).

(2) Notre travail de recherche (janvier 1990 à mai 1993) s'est concentré sur cinq localités différentes, bien que nous n'en mentionnions que trois, parce que nous n'avions pas complété la collecte et l'analyse des données des deux autres au moment de soumettre cet article (juin 1992). Notre étude comparative a exigé des entrevues en profondeur avec huit à quinze acteurs clés dans chaque localité, ainsi qu'avec des administrateurs régionaux et provinciaux. Il a fallu aussi analyser les procès-verbaux des réunions de nombreux comités et groupes sociaux. L'auteure désire profiter de l'occasion pour mentionner la précieuse collaboration de Céline Mercier, co-chercheure. Elle désire aussi remercier, pour leur importante contribution, Francine Desbiens et Marie-Claude Roberge, ainsi que d'autres membres du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la prévention de l'Université de Montréal. Cette recherche était généreusement financée par le Programme national de recherche et de développement en santé de Santé Bien-Être Canada. On peut obtenir le protocole détaillé de cette enquête (White, Mercier et Desbiens, 1991).

Retour au texte de l'auteure: Deena White, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le Samedi 06 novembre 2004 09:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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