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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Petite typologie philologique du « moderne » au Québec (1850-1950).
Moderne, modernisation, modernisme, modernité. Note critique
” (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Philippe Warren, “Petite typologie philologique du « moderne » au Québec (1850-1950). Moderne, modernisation, modernisme, modernité. Note critique”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, XLVI, no 3, septembre-décembre 2005, pp. 495-525. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Recherches sociographiques nous ayant demandé d'écrire un compte rendu du stimulant collectif Constructions de la modernité au Québec, dirigé par Ginette MICHAUD et Élizabeth NARDOUT-LAFARGE, nous avons accepté avec d'autant plus d'enthousiasme de nous livrer à cet exercice que, après plus de vingt ans de travaux sur la question de la modernité, nous espérions une sorte de bilan critique. Se voulant un retour sur le champ de recherche ouvert avec la parution de L'Avènement de la modernité culturelle au Québec, en 1986, sous la direction d'Yvan LAMONDE et Esther TRÉPANIER, l'ouvrage de Michaud et Nardout-Lafarge vise à cerner certains motifs dans le domaine des arts, de l'historiographie et de la littérature avec d'autant plus d'originalité et de finesse que les contributions sont signées par des chercheurs de très grand talent. Comment se fait-il, dès lors, que la définition de la modernité ne fasse pas l'objet, nous ne disons pas d'un consensus, mais d'un moindre intérêt de la part des auteurs ? Comment donc un important colloque organisé autour de ce thème, que des conférences prononcées sur ce sujet, que le collectif tout entier, enfin, résumant des débats et des discussions étalés sur plusieurs jours, puissent donner le témoignage d'une telle désaffectation théorique, d'une telle négligence définitionnelle ? L'introduction générale (excellente par ailleurs) se borne à évoquer la « labilité extrême du concept » (MICHAUD et NARDOUT-LAFARGE [dirs], 2004, pp. 7-22), un thème que reprend, dans son texte, Élizabeth Nardout-Lafarge, celle-ci évoquant une « lassitude conceptuelle », « une sorte de désintérêt, d'indifférence pour le travail théorique » (MICHAUD et NARDOUT-LAFARGE [dirs], 2004, p. 285). Tout au long du colloque, nous apprend Esther Trépanier dans une note de bas de page (TRÉPANIER, 2004, p. 41), les participants ont discuté en toute innocence des concepts de modernité, modernisme et postmodernité sans trouver nécessaire de leur donner une fondation plus solide que de vagues lieux communs. D'aucuns s'entendent pour dire que la modernité existe, qu'elle s'installe à demeure au Québec en 1960, que nous sommes, nous contemporains, pour ainsi dire dedans et que nous pouvons donc choisir ce qui nous sépare du passé comme frontière entre le moderne et ce qui s'oppose à lui : le conservatisme et le traditionalisme. Pourtant, derrière cette trompeuse évidence, le lecteur en vient à s'interroger sur la validité même de l'objet du discours savant. Il s'impose peu à peu à son esprit, devant l'incurie théorique dont il est le témoin étonné, qu'un certain ménage conceptuel s'impose [1]. 

Ce ménage conceptuel ne saurait être entrepris sans insister d'abord sur l'ancienneté de la question de la modernité au Québec, tradition qui remonte, comme les pages suivantes s'attachent à le démontrer, loin dans le temps, jusqu'au XIXe siècle. Nous ne cherchons pas ici à nier le long débat que les termes tradition et modernité ont suscité chez les praticiens des sciences sociales et les historiens québécois [2] mais seulement à rappeler que ce débat, pourtant ancien et sans cesse repris, a souvent mêlé ensemble, en un nœud de sous-entendus et fausses évidences, une série de considérations hétérogènes et irréductibles. Cette situation se complique du fait que les rares auteurs ayant suivi une définition un tant soit peu consistante n'ont jamais saisi l'occasion de l'expliciter en termes clairs, comme ils l'ont fait, par exemple, pour la notion d'idéologie, de classes sociales ou du libéralisme. Parfaitement au fait qu'il existe une large littérature sur le sujet, nous nous bornons donc à constater que cette littérature, lorsqu'elle adopte une perspective historique, est, d'heureuses exceptions mises à part [3], en partie alambiquée et déficiente, et d'abord parce que les définitions adoptées embrouillent quatre niveaux d'analyse dont nous avons tenté ici de préciser les contours. 

Certes, on n'en finit pas d'être moderne. La modernité est un bien grand mot qui Permet tous les usages. Depuis la Querelle des Anciens et des Modernes au XVIle siècle, l'appropriation du terme moderne par les uns et les autres ne cesse d'étonner ceux qui imaginent le français comme une langue objective et méthodique. À cet égard, la Querelle elle-même ne se laisse pas décrire de manière manichéenne : les Anciens rejetaient le présent sous l'accusation d'être faiblement cosmopolite et étouffant pour l'esprit, tandis que les Modernes affichaient leur respect pour le folklore et les traditions nationales. Il n'en reste pas moins qu'un fossé idéologique les partageait en deux camps inconciliables. Alors que les Anciens croyaient en l'existence du Beau absolu, les Modernes ne fixaient nulle limite au progrès littéraire et ne comprenaient donc pas pourquoi l'humanité s'interdirait de vouloir dépasser Homère ou Virgile. 

Pour sortir des confusions et des contradictions dont, déjà, ce débat fut le théâtre, nous voudrions, dans ce trop bref article, élaborer une typologie grossière (c'est-à-dire heuristique davantage que descriptive) du « moderne » au Québec. Pour ce faire, nous nous appuierons d'abord sur les sources écrites : la presse et les revues. C'est ainsi que nous serons amené à diviser notre typologie en quatre larges catégories : le moderne, le modernisme, la modernisation et la modernité. Il ne s'agit pas, on l'aura compris, d'écrire une histoire philologique d'une modernité québécoise aussi complexe que multiforme mais de circonscrire les conceptions fondamentales du « moderne » en les rattachant à quelques textes qui, sans être fondateurs, n'en demeurent pas moins, à divers degrés, exemplaires. Cet article aurait pour seul mérite d'encourager des chercheurs à nuancer, sinon à réfuter, certaines affirmations trop rapidement énoncées, qu'il n'aura pas été écrit en vain. 

On sera peut-être étonné de se rendre compte à quel point les intellectuels canadiens-français n'ont pas attendu la Révolution tranquille pour saisir conceptuellement les multiples sens du « moderne » dans la tradition religieuse, philosophique et politique occidentale. Sauf pour la quatrième section (celle qui porte sur la modernité), nous insisterons seulement sur l'acceptation positive du moderne, du modernisme ou de la modernisation. C'est en effet un trait normal du conflit des idéologies que cette polarisation entre les partisans de la mode ou du progrès, d'un côté, et les partisans du statu quo ou des traditions, de l'autre. Pour ne pas alourdir le texte, nous avons décidé de placer en conclusion de cursives remarques sur la dénonciation ou la relativisation du moderne au Québec. Cela n'est guère possible dans le cas de la modernité, puisque celle-ci a été conçue au Québec - comme projet social global - uniquement de manière critique, même (et surtout) quand on déclarait refuser l'héritage moderne au nom d'une utopie ultramoderne. Il faudra nous en expliquer brièvement.


[1] Sur diverses acceptions de la modernité dans la littérature occidentale, lire le premier chapitre de Stephen TOULMIN (1990). Pour qui cherche un autre exemple d'indifférence théorique sur le même thème, lire KOLBOOM et GRZONKA (dirs) (2002). Dans l'introduction de cet ouvrage, le lecteur sera confondu de ne pas trouver une définition, serait-elle approximative ou hypothétique, de la « modernité » - et pas davantage de la « tradition », par ailleurs.

[2] Lire McROBERTS (1996) ; FORTIN (1996) et COUTURE (1994).

[3] Au sujet des exceptions, lire THÉRIAULT (2002, pp. 231-232), ainsi que (mais pour ainsi dire en creux de la question du moderne, s'agissant ici de la question du tradionalisme) TRÉPANIER (1995). Quant à nous, la perspective théorique que nous adoptons dans ce texte est inspirée en très grande partie des travaux de FREITAG (1986).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 2 février 2007 15:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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