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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La fermeture du département de sociologie de l’Université de Moncton:
histoire d’une crise politico-épistémologique
.” (2006)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Philippe Warren et Julien Massicotte, “La fermeture du département de sociologie de l’Université de Moncton: histoire d’une crise politico-épistémologique.” Un article publié dans The Canadian Historical Review, vol. 87, no 3, September 2006, pp. 463-496. Toronto: The University of Toronto Press. Projet MUSE, Scolarly journals online. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

« L’université est le lieu par excellence où fleurit l’esprit critique et contestataire. Depuis toujours, c’est dans l’université que les mouvements de critique sociale se sont amorcés et c’est à partir de l’université qu’ils se sont répandus dans la société. Les gouvernements qui veulent régner en paix sur une société soumise commencent par s’assurer le contrôle des universités en y installant leurs créatures et en faisant le procès des professeurs ». 

Guy Rocher, « Réponse », Présentations à la Société royale du Canada, Société royale du Canada, Section des Lettres et des Sciences humaines, année académique 1973-1974, no 29, p.109. 

La citation de Guy Rocher placée en exergue de cet article peut servir de toile de fond à l’analyse historique de la crise ayant mené, en 1969, à la fermeture du Département de sociologie de l’Université de Moncton. En effet, la fin des années 1960 et le début des années 1970 ont posé des problèmes particuliers aux administrations universitaires, quand un paradigme de recherche modernisateur fut confronté à un paradigme de recherche plus critique et que les critères de l’excellence basculèrent d’une consolidation du processus d’industrialisation de la société vers une contestation radicale, par les professeurs et les étudiants, de l’ordre établi [1]. Les administrations académiques tentèrent alors, par des pressions allant jusqu’au renvoi, de refouler hors de l’enceinte universitaire les professeurs trop militants ayant réussi à s’y dénicher un emploi [2]. Certains cas, comme celui de Marlene Dixon, forcée de quitter l’Université McGill en 1974, ont eu droit à davantage de publicité. Ce genre de mesures, décidé sur une base individuelle, apparaît toutefois exceptionnel. Comment se fait-il alors que les événements entourant la fermeture du Département de sociologie de l’Université de Moncton retenu si peu l’attention des historiens [3] ? En 1969, ce ne fut pas un professeur isolé qui fut cavalièrement remercié pour ses services, ce fut un département tout entier qui dut fermer ses portes à la suite de la décision du recteur [4]. Il importe de connaître les raisons d’une telle décision inédite dans les annales de la sociologie canadienne. 

Marlene Dixon déclarait dans un ouvrage qui retrace les événements ayant conduit à son départ de McGill : « The true essence of life and thought in our universities is hypocrisy [...] The simple truth is that people get fired for being nonconformists [5] [...] ». Nous croyons que cette déclaration, pour exagérée qu’elle soit lorsque généralisée à l’ensemble des universités canadiennes, comporte une part de vérité lorsque vient le temps de comprendre la crise de la sociologie acadienne en 1969. Lutte, il y eut bien. Et lutte entre deux interprétations possibles de la pratique sociologique, toujours écartelée entre sa vocation scientifique et sa visée réformiste. Aussi, la thèse de cet article découle directement de la distinction formulée par Max Weber entre le savant et le politique [6], c’est-à-dire entre une conception de la science qui la plie à des critères d’efficacité ou de pertinence sociale immédiate et une autre qui la met au service de l’objectivité scientifique, mais d’une manière davantage dialectique que dans l’épistémolo­gie wéberienne, dans la mesure où cette tension existe pour nous au sein même de la pratique sociologique, comme à la fois la condition de son développement et le défi de sa pratique. 

Ce sont deux conceptions divergentes entre la visée savante et la visée politique qui s’affrontèrent à l’Université de Moncton, avec pour résultat que l’analyse proposée dans cet essai ne saurait opposer, selon un schéma facile, une sociologie neutre et détachée à une sociologie engagée, ni encore une sociologie politiquement progressive à une sociologie réactionnaire, mais deux conceptions différentes, indissolublement scientifiques et critiques, de la pratique sociologique. Cette crise politico-épistémologique qui se noue à Moncton dans les années 1960, et qui conduit, de la part des instances administratives universitaires, à une position de méfiance, puis de rejet d’une science sociale de plus en plus éloignée d’une conception fonctionnaliste et positive, doit être comprise dans le contexte plus vaste de rapides changements sociaux qui emportent à cette époque l’Occident et qui suscitent une reformulation à la fois de l’engagement citoyen et du rôle de la science en société [7]. C’est, du moins, ce que nous tenterons brièvement de montrer en récapitulant les étapes ayant mené au renvoi de quatre professeurs de sociologie de l’Université de Moncton il y a maintenant près de quarante ans.


[1] Sur les mouvements de protestations étudiants dans les années 1960, voir Tim Reid et Julyan Reid, dir., Student Power and the Canadian Campus, Toronto, Peter Martin, 1969 ; Mitchell Cohen et Dennis Hale, dir., The New Student Left, Boston, Beacon Press, 1967 ; et Cyril Levitt, Children of Privilege : Student Revolt in the Sixties, Toronto, University of Toronto Press, 1984. Aussi, pour la période précédente, voir, entre autres, Nicole Neatby, Carabins ou activistes ? : l’idéalisme et la radicalisation de la pensée étudiante à l’Université de Montréal au temps du duplessisme, Montréal, McGill- Queen’s University Press, 1999 ; Louise Bienvenue, Quand la jeunesse entre en scène, Montréal, Boréal, 2003 ; Catherine Gidney, « Poisening the Student Mind ? The Student Christian Movement at the University of Toronto », Journal of the Canadian Historical Association, vol. 8, 1997 ; Karine Hébert, « Between the Future and the Present : Montreal University Student Youth and the Postwar Years, 1945-1960 », dans Michael Gauvreau et Nancy Christie, dir., Cultures of Citizenship in Post-War Canada. 1940-1955, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2003.

[2] Michiel Horn, Academic Freedom in Canada : A History, Toronto, University of Toronto Press, 1999.

[3] Si peu, ou pas du tout, si l’on en croit l’ouvrage récent de Michiel Horn, Academic Freedom in Canada, qui ne consacre aucune ligne à la fermeture du dit département. Ce manque d’attention est d’autant plus remarquable qu’à notre connaissance, la fermeture du département de sociologie de l’Université de Moncton est le seul exemple de cette nature, concernant cette discipline, dans l’histoire universitaire canadienne.

[4] Comme lorsque le gouvernement d’Augusto Pinochet décida la fermeture des départements de sociologie chiliens. Michael Burawoy, « American Sociological Association Presidential Address : For Public Sociology », The British Journal of Sociology, vol. 56, no 2 (2005), p. 259-294.

[5] Marlene Dixon, Things Which Are Done in Secret, Montréal, Black Rose Books, 1976, p. 11-12.

[6] Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[7] Pour le Canada, voir Steven Brooks et Alain-G. Gagnon, Social Scientists and Politics in Canada. Between Clerisy and Vanguard, Montréal et Toronto, McGill-Queens University Press, 1988.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 2 février 2007 15:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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