RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Sexes et technologies de procréation:
« mères porteuses » ou la maternité déportée par la langue...
” (1987)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louise VANDELAC, “Sexes et technologies de procréation: « mères porteuses » ou la maternité déportée par la langue...”. Un article publié dans la revue Sociologie et Sociétés. Vol. 19, no 1, avril 1987, pp. 97-115. Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal. [Autorisation accordée par l'auteure le 19 décembre 2003].

Introduction

En quoi et comment les technologies de procréation telles la fécondation in vitro, l'insémination artificielle, le diagnostic prénatal, la congélation et la vente d'embryons, le phénomène dit des « mères porteuses », etc., modifient-elles les rapports hommes-femmes dans le champ de la reproduction ? Il serait tout à fait présomptueux de prétendre répondre à une telle question en amalgamant les différentes applications des technologies de procréation. En effet, malgré certaines lignes de force communes, ces applications techniques et leurs composantes méritent une analyse détaillée et approfondie au risque, sinon, d'en confondre les prémisses, les enjeux et les implications. 

Nous centrerons donc notre propos, ici, sur un seul type d'application des technologies de procréation, à savoir le phénomène dit des « mères porteuses », et plus spécifiquement sur l'analyse critique de ses constructions lexicales. Aborder ainsi les technologies à partir de l'une des questions les plus largement médiatisées, celle des « mères-porteuses », et cela sous l'angle le plus banal, celui des termes, tels « mère porteuse » et « mère d'emprunt », termes déjà inscrits dans le langage et dans l'inconscient collectif, permettra d'amorcer un travail de critique épistémologique qui éclairera certains des prémisses et des enjeux de l'engendrement contractuel, modifiant dès lors le regard sur cette pratique, sur ses discours et sur l'ensemble des technologies de procréation. 

Cependant, même si notre objet se limite à l'étude de la terminologie relative aux « mères porteuses » et même si l'espace nous manque pour brosser un tableau plus exhaustif de l'impact des technologies de procréation (TDP) sur les rapports de sexes, il nous semble indispensable d'en dégager certaines lignes de force. En effet, bien qu'il soit paradoxal et risqué de présenter ainsi, en préambule, ce qui relève d'une longue démarche d'analyse critique, il s'impose de resituer minimalement ce texte, extrait d'une étude beaucoup plus large sur l'enfantement contractuel et les technologies de procréation (Vandelac, 1986, c,d, 1987). 

Réification, instrumentalisation
et technicisation de l'enfantement

 

Parmi les principales implications des technologies de procréation au niveau des rapports de sexes, soulignons d'abord le processus de réification, d'instrumentalisation et de technicisation de l'enfantement impulsé par ces technologies (TDP). Certes, il n'est pas en soi nouveau que la procréation soit considérée comme une fonction instrumentale, technique et économique, appropriée et contrôlée par la société masculine (Tabet, 1985). Cette fois, cependant, il ne s'agit plus seulement d'un contrôle en amont, portant sur la sexualité et le corps des femmes et sur leur mobilité dans le temps et l'espace, ainsi que d'un contrôle en aval portant sur l'enfant, sa filiation et sa socialisation ; mais il s'agit bien d'un contrôle sur le processus interne de la fécondation et de la gestation, voire d'interventions sur les mécanismes psychiques de l'ovulation [1]. 

Les TDP tendent à réduire l'enfantement, cet acte social hautement symbolique, culturel et politique a une vision techniciste d'échanges de gamètes mâles et femelles. Ainsi, dans l'insémination artificielle par donneur (IAD), le géniteur, concentré en une paillette de sperme, est complètement réifié et la relation hétérosexuelle, éventuellement fécondante, est éliminée au profit d'un subterfuge technique [2]. Dans la fécondation in vitro et transplantation embryonnaire (FIVETE), la relation sexuelle potentiellement fécondante est aussi évacuée, alors que l'ensemble du processus de fécondation est morcelé (traitement hormonal pour provoquer le développement et la maturation de plusieurs follicules [3], prélèvement des ovocytes [4], fécondation in vitro, division cellulaire in vitro (placé en incubateur ou dans le vagin) et réimplantation des embryons in utero dans les 48 heures). Compte tenu des rapports de pouvoir inégalitaires médecins-patientes, tout se passe alors, « comme si les interventions médicales ne concernaient que les organes traités et non la femme dans son intégralité » [Ouellette, 1987: 163] [5]. 

Dans d'autres applications, comme la congélation de sperme, d'ovocyte et d'embryon, ces techniques suspendent l'acte de génération dans le temps, ouvrant un nouvel imaginaire sur la question des origines et risquant fort de bouleverser complètement les rapports de filiation [6]. Enfin, des applications comme l'enfantement contractuel, le don et la vente d'ovocytes et d'embryon, outre la douleur et les risques qu'elles impliquent pour celle qui met au monde un enfant ou qui fournit des ovocytes ou un embryon, sont des applications qui font littéralement éclater le continuum de l'enfantement entre différentes femmes : « mère ovocytaire » fournissant ses ovules, « mère utérine » portant l'enfant et «mère adoptive», paradoxalement appelée «mère sociale». 

Loin de toucher seulement une minorité d'individus, ces technologies modifient profondément l'imaginaire, les représentations et les comportements relatifs à l'engendrement tout en risquant de conduire à une médicalisation outrancière et à une technicisation sans fin de la procréation. Ainsi, l'utérus, opaque et mystérieux, point d'encrage et d'enkystement des fantasmes masculins inquiets et jaloux, comme le dit Laurence Gavarini (1986 : 191) devient la vitrine de l'exploit scientifique. Cette médecine paternaliste, prétendue « fabrique de vie », donnant enfin des enfants aux « petites madames » venant les consulter, est peut-être l'un des plus fabuleux miroirs aux alouettes où se reflètent emmêlées les figures de Narcisse et de Promothée. 

Dans ce contexte de « toute-puissance » scientifique, l'expérience de l'engendrement, est devenue un « must ». Les lenteurs à procréer, les refus psychiques, la parole du corps trahissant l'ambiguïté d'une relation ou les douleurs de la filiation, sont mises à plat et assimilées à des incapacités physiologiques sommées de passer le test ultime de la «puissance médicale». Trop souvent, quelle qu'en soit la cause, toute défaillance du corps est considérée dans sa vision la plus mécaniste appelant aussitôt une réponse médicale. 

Coupables d'être défaillante et coupables de ne pas se conformer au modèle social du-couple-maison-auto-enfant-famille, ainsi qu'aux standards de la féminité, ou de la masculinité, ces individus pour la plupart infertiles et rarement stériles [7] tenteront d'échapper à cette ultime impuissance, véritable scandale pour cette société « toute puissante ». La médicalisation de l'infertilité se présentera alors comme le seul contrepoids permettant d'atténuer les angoisses et la culpabilité de celles et ceux qui, sinon, s'en voudraient toute leur vie de ne pas avoir tout essayé [8]. Cette médicalisation de l'infertilité « coupable » mène souvent à un véritable acharnement procréatif [9] reflétant cette conception contradictoire de l'engendrement, à la fois élément de l'intégrité physique dérivant vers un prétendu « droit » à procréer et à la fois en acte pathologique soumis aux préventions sans fins de la « société assurantielle », pour reprendre l'expression de François Ewald (1986). Et cette conception de l'enfantement comme pathologie-et-donc-droit-à-être soigné-voire-guéri-e, s'enfle à vue d'œil. Ce sont non seulement la grossesse et l'accouchement qui sont de plus en plus médicalisés [10], et cela jusqu'à conduire à l'éclatement de l'intégrité corporelle de la mère [11], mais c'est la décision même d'enfanter, puis la fécondation elle-même [12] qui sont progressivement soumises au contrôle médical [13]. 

Ajoutons à ce tableau que les TDP président à la mise en place d'une véritable techno-économie de la procréation de type médico-institutionnel d'une part, et de type commercial de l'autre [14]. Même si la légitimation médicale (intervention contre la stérilité), humaniste (réponse à la demande douloureuse d'un couple stérile) et scientiste (développements inéluctables incarnant le progrès même) occupe les devants de la scène médiatique, il est clair que cette technicisation croissante de la procréation constitue désormais une nouvelle économie. Pour en saisir les lignes de force et en comprendre l'évolution, il faut d'abord savoir que ces TDP dérivent, pour la plupart, des recherches en reproduction animale visant à accroître la productivité en lait et en viande et à faciliter le commerce international de bêtes de race. Appliquées chez l'humain, souvent par les mêmes équipes de biologistes [15], ces technologies sont d'ailleurs porteuses des tendances qui ont présidées à leur développement en recherche animale, telles la programmation et la taylorisation de la reproduction ainsi que la sélection voire l'eugénisme. 

Ainsi, la programmation temporelle de la fécondation dans le secteur agro-alimentaire glisse lentement, et pour d'autres types de considération économico-techniques (emploi, stabilité économique, vacances et congés) vers la procréation. 

Ainsi, la programmation à tout prix de la conception, figure inversée de la contraception [16], pousse de plus en plus de couples à recourir aux TDP après quelques mois ou un an de relations possiblement fécondantes sans grossesse. Si bien qu'une partie des inséminations par donneur et des fécondations in vitro sont davantage pratiquées pour des couples lents et impatients de procréer que véritablement stériles. 

La taylorisation du processus reproductif chez les animaux, où des vaches porteuses de seconde catégorie assurent la gestation d'embryons de géniteurs et de génitrices de grande race [17], a aussi en quelque sorte « inspiré » le phénomène des «mères dites utérines» qui portent un enfant sans fournir leur propre ovocyte. Quant à la congélation et au commerce de sperme et d'embryons humains [18], dérivant en ligne droite du secteur agro-alimentaire, ces applications élargissent davantage encore ce fractionnement de la procréation dans le temps et dans l'espace ouvrant la voie au commerce international de la procréation [19] et accentuant le contrôle de la «qualité de l'enfant » [20]. 

En quelques années, les TDP ont vu leurs indications et leur champ d'application connaître une étonnante expansion et l'engendrement est de plus en plus intégré dans cette nouvelle économie institutionnelle et/ou marchande, au point où bon nombre de techniques, comme l'insémination artificielle, sont banalisées avant même d'avoir fait l'objet d'un véritable débat social. Par ailleurs, des pratiques comme la FIVETE, présentée, au départ, comme l'ultime recours à la stérilité d'un couple sans enfant, est de plus en plus pratiquée, pour des couples ayant déjà des enfants, pour des femmes ayant déjà été stérilisées [21], pour des hommes ayant certains problèmes de fertilité [22], etc. Quant au recours aux « mères porteuses », d'abord présenté sous le signe de l'altruisme féminin à l'égard de femmes stériles et de couples sans enfants, ce commerce, promu et encadré par plusieurs dizaines d'agences commerciales, a été ouvert dès ses débuts, aux hommes célibataires, ou à des couples transsexuels (Breo and Keane, 1981), ce qui n'a rien à voir avec la stérilité féminine, initialement invoquée, et rien à voir avec des indications dites médicales, à moins de considérer l'incapacité des hommes de mettre au monde un enfant comme une pathologie... 

En fait, l'enfantement contractuel risque fort de glisser, au cours des prochaines années, de sa forme classique de « mère-porteuse » à celle de « mères gestatrices » ainsi que vers le « don » et la « vente » d'ovocytes et d'embryons, voire même vers la gestation extracorporelle dite « mère machine »... 

Ce glissement de l'enfantement vers l'économie de la reproduction, faisant des femmes de simples figurantes de la mise en scène médico-technique, risque de les soumettre de plus en plus à cette conception techniciste et économique de la mise au monde, de les aliéner et de l'enfantement et d'elles-mêmes jusqu'à ce que la « mère-machine » [23] absorbe éventuellement l'expérience humaine de la gestation. Ainsi, après avoir été évincées de la conceptualisation même du discours économique et marginalisées de l'économie sous l'alibi de la procréation et de la reproduction domestique, véritables points aveugles de cette société andocentriste et de son savoir (Vandelac, 1985a, 1986b), certaines femmes seront peut-être dorénavant évincées de l'enfantement et vouées, au nom d'une prétendue libération, à s'assimiler complètement au modèle masculin... Il est pourtant aussi absurde de prétendre que les Noirs se libéreront du racisme le jour où ils seront tous blancs, que de prétendre que la « libération des femmes passe par la « libération » de la gestation ! Cette conception biologisante, où la libération des femmes consisterait à « se libérer de leur propre corps » et non des rapports sociaux hommes-femmes, fait une fois de plus des victimes les coupables, tout en poussant l'aliénation à des sommets encore inégalés. Les femmes seront-elles ainsi contraintes de passer de la barbarie de la maternité esclave (trop souvent imposée et meurtrière) à la décadence (marquée par l'aliénation et l'atrophie des fonctions reproductrices) et cela sans avoir connu la civilisation, c'est-à-dire une véritable reconnaissance sociale, culturelle et symbolique de l'importance de l'origine et de la filiation maternelle ainsi que de la transmission par les mères, par les femmes, d'une culture, d'un langage, de valeurs autres... (De Vilaine et al., 1986:11.) 

L'une des lignes de force des TDP, et notamment de l'enfantement contractuel, est d'inverser la place des sexes dans la procréation, voire d'annuler complètement la mère au profit du géniteur. Sous le signe de la pseudosymétrie des organes et des fonctions reproductrices mâles et femelles, et sous l'alibi d'un prétendu « droit » de la personne à «se reproduire » [24] se sont établies de fausses équivalences entre maternité et paternité. Au point, où dans le cas des « mères porteuses » on fait prévaloir la preuve spermatique de la paternité sur l'expérience humaine de l'enfantement et sur les échanges mère-enfant en cours de gestation (Fonty, 1986; Laing, 1986; Frydmann, 1986). Alors que jusqu'à présent seules la loi, l'Église et la parole de la mère assuraient socialement et rassuraient psychologiquement l'homme de sa paternité, voilà que dans le cas de l'engendrement contractuel, la mère se voit littéralement «déboutée de sa maternité» par l'astuce d'un contrat monétaire et par l'artifice du langage. Comme si, en quelque sorte, la langue qui avait fait le père défaisait maintenant la mère... certains avocats d'agences des « mères porteuses » allant jusqu'à dire que la mère qui accouche d'un enfant n'est pas nécessairement sa mère... 

Dans le cas de la FIVETE, le rôle de la mère est occulté (qui se souvient du nom de celles qui ont porté ces enfants) alors que les biologistes et les médecins deviennent les « pères scientifiques ». laissant d'ailleurs parfois échapper qu'ils «font des enfants aux femmes stériles»... 

Enfin, et c'est sur cet élément que portera surtout l'extrait que nous vous présentons, les TDP dans leur ensemble et l'enfantement contractuel de façon particulière, sont nés d'une langue dominée par les métaphores corporelles, les phantasmes et les codes masculins. Dans le cas des « mères porteuses », cette économie de la procréation s'est d'abord engendrée par les petites annonces des journaux pour ensuite « prendre corps » à travers le discours des médias, des avocats, des médecins et des psychologues. 

D'ailleurs, l'essence même de l'engendrement contractuel est d'assujettir le corps au langage, de faire prévaloir le signe (monétaire et contractuel) sur l'expérience de l'enfantement, le fractionnement du corps («nous la payons pour son utérus » [25], sur l'intégrité physique et psychique d'un être humain. 

Cette désincarnation de l'enfantement constitue une étonnante opération du langage et plus précisément des trois pouvoirs dominants du langage qui, selon Serres [26], constituent aussi les trois pouvoirs dominants de la société moderne à savoir : le langage performatif de l'administration, le langage séducteur des médias et le langage de vérité de la science. Or, l'enfantement contractuel est un exemple magistral de la collusion de ces trois pouvoirs du langage où le pouvoir performatif de l'administration, incarné par les avocats, les agences et les tribunaux, s'associe au pouvoir séducteur des médias et au pouvoir de vérité de la science (médecins et psychologues), pour assimiler l'enfantement aux schémas de la paternité au profit du géniteur-acheteur. 

Après ces quelques lignes de préambule, à la fois déjà trop longues et pourtant trop succinctes, revenons à l'objet de ce texte : la déportation des « mères porteuses » à travers les mots... [27]


[1] Les pompes LHRH utilisées pour mimer et déjouer les messages de l'hypophyse afin de rétablir la fertilité de femmes anorexiques (problèmes d'ordre psychosomatique où les problèmes de relation à la mère sont souvent majeurs), illustrent bien ce forcage et ce court-circuitage médical des défenses et des refus psychologiques de l'engendrement. Mettre au monde un enfant n'est pas une stricte opération technique. Vouloir ainsi gommer, au nom de la toute-puissance médicale, l'inconscient, la longue histoire de sa filiation, vouloir neutraliser, à tout prix, ces refus ou ces barrières psychiques n'est pas sans conséquences pour ces mères, ces pères et ces enfants impliqués. On pourrait faire des remarques semblables pour les indications idiopathiques (stérilité non définies) de l'insémination par donneur (IAD) et de la fécondation in vitro et transplantation embryonnaire (FIVETE). Voir à ce propos Bidlowski et Dayan-Lintzer, 1985.

[2] Dans sa plus simple expression, l'insémination artificielle peut être pratiquée par n'importe qui et n'a rien, en soi, de médical. Cependant, la légitimation de cette pratique a impliqué sa médicalisation croissante : histoire médicale et familiale du donneur, dépistage de maladies transmissibles sexuellement (MTS), dépistage du Sida, contrôle de la qualité du sperme, etc. L'étendue de ces contrôles dépend des centres où le recueil et l'insémination est pratiquée ; certains cabinets privés se dispensant de bon nombre de ces tests. Certains chercheurs travaillant en insémination artificielle s'interrogent, par ailleurs, sur le caractère fortement sélectif de cette pratique et se demandent en quoi cette assurance de la qualité du sperme relève, en fait, de la médecine...

[3] Le traitement hormonal servant à stimuler l’ovulation est pénible (parmi les effets secondaires, les plus fréquents, risques de formation de kystes ovariens, chaleurs, nausées, gains de poids, maux de têtes, etc.). Il est aussi fastidieux (courbes de température, injections quotidiennes, prises de sang, échographies, obligeant ces patientes à se rendre à l'hôpital, tous les jours pendant 10 jours) et coûteux (environ 700$). Selon les équipes, il y aura programmation plus ou moins serrée de l'ovulation, chambardant complètement le cycle habituel, alors que la stimulation, véritable forçage de la production d'ovocytes (ovules) visant à les démultiplier (parfois jusqu'à 8 ou 10 !), sera elle aussi, plus ou moins amplifiée. Outre les malaises immédiats vécus par ces femmes. peu d'études permettent d'analyser les effets à long terme de ces superovulations.

[4] La ponction folliculaire, c'est-à-dire le prélèvement d'ovocytes se l'ait par laparoscopie (sous anesthésie générale) ou encore par voie transvésicale (par le fond utérin ou le fond de la vessie, opération guidée sous échographie et sous anesthésie locale). Cette dernière opération s'avère relativement douloureuse, et une patiente souligne « quand ils font le prélèvement des follicules, ça ne fait pas de bien... J'ai failli perdre connaissance... » (Ouellette, 1987: 69).

[5] Contrairement à la vision techniciste et édulcorée qu'en donnent les médias et les médecins, ces traitements sont loin d'être indolores. «Pendant la quinzaine de jours consacrés au traitement hormonal, les femmes éprouvent, à des degrés divers, des crampes et des maux de tête. Elles se sentent gonflées, ont toujours soif, sont nerveuses ou déprimées. À la fin du traitement, les injections de Pergonal provoquent des chaleurs, des gonflements, des nausées, une perte d'appétit... » (Ouellette, 1987: 68).

[6] Le Centre Hasting, l'un des plus prestigieux instituts de bioéthique américain met en discussion le cas suivant: « Sally, quarante-six ans, divorcée depuis dix ans, a une fille unique de vingt-cinq ans. Elle vient de se remarier avec Frank, un homme de quarante-neuf ans, veuf, sans enfant. Ils voudraient avoir un enfant ensemble mais elle est maintenant stérile. Faut-il autoriser la fille de Sally à lui donner un ovule qui serait fécondé avec le sperme de Frank ? Sally serait à la fois la mère et la grand-mère de l'enfant à naître. Sa fille en serait la mère et la sœur... » (D'adler et Teulade, 1986 : 40).

[7] Les prétendues lenteurs (par rapport à une moyenne fort contestable d'un an de relation fécondante sans conception) et/ou les difficultés à procréer (infertilité) ne sont pas assimilables à l'incapacité totale de procréer (stérilité totale) qui oscille généralement autour de 3% à 5%.

[8] Comme l'ont souligné plusieurs auteures féministes (Corea, Hanmer, Ouellette, etc.), cette culpabilité c'est souvent de ne pas donner d'enfant à son conjoint.

[9] Dans une recherche exploratoire menée, en avril-mai 1986, par une équipe du Conseil du statut de la femme, auprès de 32 femmes en cours de traitement d'infertilité, 11 d'entre elles (34%) étaient en traitement depuis 1 à 3 ans, 8 autres (25%) depuis 4 à 6 ans et 5 autres (16%) l'étaient depuis 7 à 12 ans! (Ouellette, 1987: 71). Les témoignages à cet égard sont nombreux et éloquents «Trois laparoscopies... J'ai eu deux chirurgies, deux laparatomies: des kystes. Et la deuxième fois, ils ont libéré les adhérences qui peuvent empêcher la rencontre. Six ou sept anesthésies en tout. C'est beaucoup parce que moi je ne me considère pas vraiment malade... J'ai subi tout ça. J'ai eu des tests : hystérosalpingographie, et l'insufflation des trompes... » (ibid., 71)

[10] Une Américaine a récemment été trouvée coupable d'infanticide pour négligences en cours de grossesse (Off our backs, novembre 1986).

[11] Une mère porteuse raconte : « J'ai su mener ma grossesse, si l'on peut dire « froidement », par exemple, un peu comme si je faisais une expérience médicale. Insémination artificielle, surveillance mensuelle puis bimensuelle par un gynécologue [...] Je savais dès le départ que cet enfant ne m'appartenait pas, et que je n'avais pas le droit d'éprouver de sentiments maternels à son égard » (Enfants d'abord, 11/1986:24).

[12] En France, on estimait, en 1984, à plus de 10 000, les enfants nés à la suite d'une insémination artificielle. Au Québec, la Régie d'assurance maladie a remboursé entre 1979 et 1984, 34 505 inséminations hétérologues et homologues, ce qui correspond à environ 3 000 grossesses (RAMQ et Jean, 1985 : 34, 35). À cela s'ajoutaient, fin 1985 en France, quelque 600 enfants nés après une fécondation in vitro alors que les tentatives sont, selon certains auteurs, 10 à 12 fois plus élevées (D'adler et Teulade, 1986:24) et pour d'autres jusqu'à 20 fois plus élevées (Marcus-Steiff, 1986). Dans le monde, on estime actuellement à plus de 2 000 le nombre d'enfants nés suite à une fécondation in vitro.

[13] L'augmentation des MTS et leurs effets désastreux sur la stérilité (Beaulieu, 1986), ainsi que les très hauts taux de stérilisation volontaire ajoutés à un âge relativement précoce (en 1979, 60% des vasectomies et deux tiers des ligatures ont été faites sur des individus n'ayant pas atteint 35 ans, l'âge médian étant de 33 ans pour les vasectomisées et de 32 pour les ligaturées (Lapierre-Adamcyk et Marcil-Gratton, 1981) contribuent à élargir la clientèle de la procréation médicalisée...

[14] Nous regroupons dans la première catégorie, l'ensemble des interventions médicales remboursées partiellement ou entièrement par l'État, et dans la seconde, la pratique médicale privée et les intermédiaires en tous genres, notamment les agences de mères porteuses. À titre d'indication des sommes en jeux, soulignons qu'en France un essai de fécondation in vitro coûte entre 15 000 et 20 000 francs (3 000$ à 4 000$ can.). En 1982, un bébé coûtait environ 360 000 francs (72 000$), (Majnoni, d'Intignano, 1986 : 69), estimation qu'il faut pondérer en tenant compte des taux de succès réels tournant autour de 5% pour les meilleurs centres de fécondation in vitro.

[15] C'est le cas des biologistes des principales équipes françaises de FIVETE ayant transité par l'Institut national de recherche agronomique (INRA). On retrouve la même situation au Québec, en Australie, aux États-Unis, etc. (voir entre autres, Corea, 1985 et Dufresne, 1986).

[16] La contraception dure, pilule et stérilet, semble donner l'impression aux femmes qu'elles sont fertiles en tout temps et qu'une fois cette technique interrompue, elles concevront immédiatement. Or, comme le souligne Madeleine Rochon, plusieurs études ont montré les différences de délais de conception selon la méthode contraceptive employée. Ainsi, l'étude de Linn, Schoeben, Monson et al., 1981, portant uniquement sur des femmes fertiles (ayant accouché entre 1977 et 1979 dans un hôpital de Boston) montre que le pourcentage de femmes n'ayant pas encore conçu, après un an d'attente, était respectivement de 24,8, 12,4, 8,5 et 11,9% pour les ex-utilisatrices d'anovulants, du stérilet, du diaphragme ou d'autres méthodes. Pour que 90% de ces femmes (ayant finalement accouché) soient enceintes, il aura fallu 24 mois dans le cas des anovulants, 14 mois dans le cas du stérilet, 10 mois dans le cas du diaphragme et 13 mois dans le cas des autres méthodes (M. Rochon, 1986: 6).

[17] Actuellement, les raisons invoquées sont celles de la stérilité d'une femme, mais il serait cohérent avec les développements déjà observés dans ce secteur que les indications s'élargissent progressivement à des raisons dites de convenance. Le 15 mars 1986, Marianne O. Battani, juge de la circonscription de Détroit au Michigan, a déclaré qu'une femme qui devait accoucher, quelques semaines plus tard, d'un enfant conçu à partir d'ovocyte d'une autre femme et du sperme du conjoint de cette femme, n'était pas la mère de l'enfant dont elle allait accoucher. À la demande de Noel Keane, la juge a déclaré que la vraie mère était la mère génétique tandis que la mère « qui a donné naissance » n'agissait que comme « un incubateur vivant » ! (d'Adler, 1986, b: 63).

[18] La société Fertility and Genetics Research Inc. de Chicago, spécialisée dans le transfert d'embryons humains par voie non chirurgicale a émis pour 4 millions d'actions sur le marché américain sous le sigle « BABY U ». Le 12 décembre 1985, lors de la première réunion de son Conseil d'administration, le responsable de l'étude de marché des donneuses d'embryon, Richard Bernstein soulignait : «Nous pensons que cette affaire a d'énormes possibilités de développement tout simplement parce que la matière première, la femme donneuse existe en abondance et à un coût abordable». [...] En effet la receveuse paiera 2 000$ pour quatre transferts. La donneuse recevra 250$ à 300$ par mois... Ce marché estimé à plus de 50 millions $ par année s'appuie sur un élément déterminant selon Bernstein, à savoir la compassion et l'altruisme des donneuses. « Cette femme », dit-il « a une profondeur de sentiments et un besoin de partager sa fécondité avec d'autres femmes moins heureuses à cet égard, qui transcende sa profession, son statut socio-économique, son niveau d'éducation et son style de vie [...] L'élément dominant de toute notre recherche, celui qui a le plus de valeur pour vous, c'est la découverte que cette bonté, cette générosité, est une valeur transposable au plan national, au plan international et peut-être un jour, qui sait, au plan cosmique dans l'univers spatial... » (D'AdIer et Teulade, 1986, pp. 51-63).

[19] In January 1984 [...] John Stehura, president of Bionetics Foundation, informed me that he was moving into the international arena in surrogate motherhood. «We're bringing girls from the Orient [...] According to the first plan, the woman would be paid nothing for her services. The couple adopting the child would provide the surrogate's travel and living expenses. «Often the're looking for a survival situation They come firom underdevelopped countries, where food is a serious issue »... (Corea, 1985, p. 245).

[20] Il est de règle dans la plupart des contrats d'enfantement de prévoir des échographies, une amniocenthèse ou encore une biopsie chorionique et de stipuler qu'en cas de malformation congénitale ou «d'imperfection majeure», la mère avorte ou garde son enfant...

[21] Une estimation d'André Jean, portant sur une seule cohorte de fécondation in vitro en 1985, évaluait à près de 30% les femmes ligaturées faisant partie de la clientèle en fécondation in vitro du CHUL (André Jean. CSF, 1986:41). On voit se dessiner le même phénomène en France, mais dans des proportions beaucoup moins importantes puisque le Québec détient l'un des plus haut taux au monde de stérilisation volontaire...

[22] L'indication masculine de la FIVETE, en cas d'infertilité du mari, représente actuellement l'indication de fécondation in vitro qui augmente le plus rapidement. Or, aucune étude ne permet de croire à une réelle efficacité de la FIVETE dans ce cas. Les résultats de la première étude menée par les équipes Frydman, Testart, Johannet et al., 1986, aux hôpitaux parisiens de Bicêtre et de Béclère concluent qu'il ne s'agit pas d'une indication probante pour la FIVETE, sauf pour des cas bien spécifiques. Compte tenu des coûts humains subis par la personne non stérile du couple, en l'occurrence la femme, qui est soumise à une série d'interventions lourdes, douloureuses et risquées, pour que leur conjoint puisse être père génétique, ces chercheurs s'interrogent et proposent de limiter ces recherches sur une base essentiellement expérimentale et non plus sur une base large comme c'est présentement le cas (Conférence de P. Johannet, Hôpital Royal-Victoria, Montréal, 11 novembre 1986).

[23] Science fiction ? « Depuis 2050, l’œuf humain peut mûrir, se développer entièrement dans des centres spécialisés, hors de l'utérus maternel... La femme du XXIe siècle, même la femme illettrée, même celle qui ne sait pas compter, a définitivement acquis la maîtrise de la reproduction [...] Le terme grossesse a presque cessé d'avoir un sens. » Jean Bernard, aujourd'hui président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans le Monde, 78/2/1982.

[24] « Le droit à la vie paraît bien impliquer le droit de tout être humain de donner la vie, la liberté de choisir les moyens par lesquels il pourra donner la vie. » Robert Badinter, Garde des Sceaux, dans une allocution devant le Conseil de l'Europe à Vienne, 19-20 mars 1985.

[25] Entrevue de William Handel, directeur de l'une des plus importantes agences américaines de « mères de substitution » (Clarke, 1984:133).

[26] Conférence de Michel Serres, École polytechnique de Montréal, 8 octobre 1986.

[27] Une première version du texte qui suit a été publiée dans la revue féministe canadienne DRF/RFR de l'Université de Toronto en mars 1987.


Retour au texte de l'auteur: Roch Denis, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mars 2007 16:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref