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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louise VANDELAC , “Faim et Soif de Droit et de Liberté. Des enjeux de droit vus par...”. Un article publié dans Bulletin de la ligue des droits et libertés, Numéro Spécial 40 ième anniversaire intitulé: “Une question d’engagement”, Vol XXI, no 3. 2003, pp. 25-26. [Autorisation accordée par l'auteure le 19 décembre 2003].

“Faim et Soif de Droit et de Liberté.
Des enjeux de droit vus par...


Louise Vandelac [1]

« Selon la tradition occidentale, le Droit en soi, se doit d’être le lieu spécifique où se traduit, sous l’idée de justice, la combinaison de valeurs éthiques supérieures et d’utilités sociales relatives. Ainsi, dans la contingence de l’histoire et des faits le droit d’une certaine manière doit faire figure d’absolu. Il est instance de jugement, et non simple alignement sur les faits ni mode d’enregistrement des demandes sociales ou scientifiques. »
Catherine Labrusse-Riou [2] 

 

Comment penser le Droit, un Droit porteur d’espoir de justice et de liberté, quand le sol se dérobe ainsi sous nos pieds, ouvrant, sous le triple impact emmêlé de la cybernétique, des technosciences du vivant et de la globalisation des marchés, la plus profonde fracture anthropologique depuis le néolithique, alors que nous nous engluons dans un cruel double standard à l’égard de nos semblables et qu’une crise écologique sans précédent noirci l’horizon ? 

Pressés par les temps fous de l’univers “consommationnaire” et ses babillages, tout nous éloigne de l’élémentaire lucidité exigeant de prendre la pleine mesure des transmutations auxquelles l’aveuglement de l’époque nous entraînent. Or, même le Droit, trop souvent amnésique de son épistémologie et de sa philosophie, n’y échappe guère non plus, se pliant aux impératifs gestionnaires, tourbillonnant dans la valse des droits et dans le bégaiement de la jurisprudence, tout en restant coi face à des enjeux vitaux de Justice et de Droit… 

Ainsi, à titre d’exemple, nous sommes, d’un côté, complices de génocides hydriques et alimentaires inqualifiables conduisant à éliminer plus de 10 millions de personnes par an, alors que de l’autre, nous amorçons un bricolage et une remodelage inusités du vivant, risquant de nous faire littéralement sortir de l’espèce humaine. 

Actuellement, 1.1 milliard d’humains sont privés d’eau potable, 2,4 milliards sont privés de services sanitaires, (OMS 2000), et sous l’impact des changements climatiques et de leurs catastrophes en cascades, les 2/3 de l’humanité seront acculés, d’ici 2025, à des pénuries d’eau et de services sanitaires, doublées de ruptures de stocks alimentaires. En outre, d’ici 2015, la moitié des populations écartées des projets hydriques élaborés à Johannesburg, soit 50 millions d’individus, sont condamnés à la pénurie, à la maladie et à la mort! Dans un monde quadrillé de dispositifs de communications, de prévision et d’intervention, dans un monde où une fraction des budgets militaires, (où l’équivalent des sommes annuelles consacrées aux animaux domestiques d’Europe et d’Amérique), permettrait d’éviter cet hécatombe, l’alibi des catastrophes naturelles ne peut occulter les responsabilités économiques et politiques. Comment alors qualifier un tel massacre ? Non-assistance à personnes en danger ? Génocide hydrique ? Au-delà des Droits d’accès à l’eau, dont le respect est bafoué, quels sont les dispositifs de sanction des crimes hydriques responsables de la souffrance et de la mort de millions de personnes ? 

En contrepoint de ce monde de faim et de soif, exsangue de justice, l’Occident se concentre sur la santé du corps, un corps à parfaire et à remodeler à corps défendant ou à corps perdus, dans une illusion de toute puissance du désir qui n’a souvent d’égal que l’oubli du corps social. Outrepassant désormais les marquages, piercing, tatouages et autres prétendus plus-values identitaires d’un corps anomique, ces corps s’amusent à conjurer les signes du temps par chirurgies et traitements botox, alors que certains rêvent déjà « d’améliorer » leurs descendants… 

Il est vrai que depuis 30 ans, les palliatifs visant à contourner les problèmes de fertilité, dont la production sociale s’est par ailleurs accélérée, ont inauguré l’engendrement en kit. Ainsi, catalogues de sperme, d’ovocytes et de mères contractuelles, production sérielle d’embryons destinés à naître ou à n’être qu’objets de recherche, sélection du sexe et tri génétique d’embryons, ont ouvert la boîte de Pandore de la dernière métaphore industrielle et de l’ultime métamorphose de cette échappée de nous-mêmes. 

Dans la magie des prolifiques disques de Pétri, certains promettent même des photocopies vivantes, de miraculeuses lignées cellulaires et l’amélioration calibrée des tissus et des organes pour viviers laboratoires, alors que d’autres rêvent de vies « xérox » dupliquées à l’infini. Le descellement de l’être et de son corps, passe ainsi, partie par partie, organes, cellules et gènes, par la paradoxale réification de nous-même, par notre mise en marché, ainsi que par l’amnésie orchestrée des liens charnels les plus intimes à ses propres enfants, rendant, par le commerce postal et internet des gamètes et des embryons, les géniteurs inconnaissables et méconnaissables. Or, au Canada, après 20 ans de débats et $35 millions d’études, nos parlementaires ont simplement laissé les faits accomplis imposer leur loi…Ils ont même réussi, après avoir abandonné deux projets de loi contre le clonage d’humains, à lier l’actuel projet de Loi, à la reconnaissance légale des mères porteuses… 

Bref, la question que pose au Droit, l’actuelle emprise technologique sur le vivant, c’est de savoir si le Droit peut contribuer à penser les mutations de la conception des êtres, autrement qu’en acquiesçant benoîtement à l’emprise techno scientifique. Autrement dit, pour reprendre Catherine Labrusse-Riou, le droit peut-il « être instance de jugement et non simple alignement sur les faits, ni simple mode d’enregistrement des demandes sociales ou scientifiques, demandes, pour l’essentiel, économiquement induites » [3] ?


[1] Louise Vandelac, Ph.D. Professeure titulaire,

Département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement

Directrice du CINBIOSE (Centre interdisciplinaire d'études sur la biologie, la santé, l’environnement et la société, Centre collaborateur OMS-OPS)

Directrice du Groupe de recherche Technosciences du vivant et sociétés: santé, environnement,éthique et politiques publiques

Université du Québec à Montréal, http://www.unites.uqam.ca/cinbiose.

[2] Catherine LABRUSSE-RIOU, « Les implications juridiques de la génétique », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger 1989.1369.

[3] Catherine LABRUSSE-RIOU, « Les implications juridiques de la génétique », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger 1989.1369.


Retour au texte de l'auteur: Roch Denis, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mars 2007 15:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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