RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jocelyne Valois,
Famille traditionnelle et famille moderne, réalités de notre société (1966)


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jocelyne Valois, Famille traditionnelle et famille moderne, réalités de notre société”. Un article publié dans la revue Les Cahiers de droit, vol. 7, no 2, 1965-1966, pp. 149-154. Numéro intitulé: “Recherche interdisciplinaire: la famille”. Québec: revue des étudiants de droit de l'Université Laval. [Autorisation accordée par l'auteure le 12 juin 2006.]

Texte de l'article

S'il est vrai que l'on ne peut comprendre la complexité du présent sans jeter un regard sur le passé, le sociologue qui s'attache à l'étude de la famille moderne se doit d'analyser le contexte traditionnel d'où elle est sortie et qui, surtout, l'a profondément marquée. Il n'est certes pas question de faire ici l'historique des fonctions qu'a assumées la famille à travers les temps, mais de dégager les modalités selon lesquelles cette dernière est susceptible de répondre aux besoins de sécurités économique (ou, si l'on veut, matérielle) et affective de ses membres, dans deux types différents de sociétés. Nous n'établirons pas une causalité dans le processus de changement qui nous intéresse ici, car une considération presque uniquement centrée sur la famille serait alors insuffisante. C'est tout le milieu social et culturel qu'il faudrait étudier. Mais en décrivant des tendances du changement, nous avons quand même à l'esprit que la famille connaît des transformations à la fois selon sa propre dynamique et sous l'impact de la société globale. 

Nous devons en outre remarquer que le fait de privilégier les besoins de sécurités économique et affective peut sembler nous orienter du côté de la psychologie sociale, d'autant plus qu'en ce qui concerne la sécurité affective, nous le ferons principalement par le biais des relations inter-individuelles des membres de la famille. Or sans nous dissocier d'une explication souvent inspirée par la psychologie, le lien que nous conservons implicitement avec le contexte global de valeurs et de normes culturelles dans lequel vit la famille, fonde la dimension sociologique de nos observations. "Entre la vie familiale (privée) et la société globale, les correspondances sont presque évidentes. A travers l'ambiguïté des liens immédiats, simultanément biologiques et sociaux, ou plutôt en raison même de cette ambiguïté, la société agit, transparaît, intervient", écrit Henri Lefebvre en définissant la sociologie de la vie quotidienne. [1] Et pour compléter cette mise au point, mentionnons enfin que la distinction entre la sécurité économique et la sécurité affective ne vise lias à établir une dichotomie dans les fonctions de la famille. Il nous semble toutefois qu'elle indique deux niveaux d'analyse nous permettant d'établir ce que la famille privilégie dans telle ou telle circonstance. Même si un schéma général montre que la famille traditionnelle met l'accent sur la sécurité économique et la famille moderne, sur la sécurité affective, il n'implique pas que la présence d'un type de sécurité entraîne nécessairement la disparition du deuxième. Et il n'empêche surtout pas la réalité d'être complexe. 

*
* *

Il est bien connu que la société traditionnelle se caractérise par une référence à des modèles de comportement dont l'efficacité empirique a été démontrée une fois pour toutes. Une certaine réflexion sur une situation quelconque n'est certes pas absente chez l'homme traditionnel. Mais à l'encontre de l'homme moderne qui, à partir d'une réflexion abstraite, projette dans l'avenir les conséquences probables d'une situation actuelle, l'homme traditionnel se tourne vers les enseignements du passé pour y prélever la solution qu'il estime être la meilleure. Il y à une très forte continuité dans les activités de la vie traditionnelle, et le passé, gage du présent, est une grande source de sécurité. La famille traditionnelle est le cadre privilégié où se transmet cet enseignement du passé, et la sécurité matérielle qu'elle doit assurer à ses membres, est apportée par un travail défini comme la répétition incessante de modèles bien établis. Ainsi, dans le cas de la société traditionnelle canadienne-française, "le travail (agricole) se fait en famille sous la direction du père, et le personnel de l'exploitation se confond d'une manière presque absolue avec celui de la famille même". [2] 

C'est donc le père qui détient formellement l'autorité. C'est lui qui dirige la production et qui, par conséquent, s'occupe de l'apprentissage des enfants dans l'exécution des travaux de ferme. Quant à la mère, elle se voit aussi attribuer un rôle d'éducatrice, dans les travaux de la maison et du potager, et surtout dans la transmission des valeurs religieuses et morales. Mais sa présence se manifeste principalement à travers la relation de confiance qui existe entre elle et ses enfants. Et l'on peut même dire que "c'est par la puissance des liens affectifs qu'elle régit la communauté familiale, sous l'autorité officielle du père". [3] Elle pourrait en outre avoir une emprise encore plus grande que celle qu'on lui reconnaît habituellement, si, à des niveaux plus intimes, telle l'éducation sexuelle et affective, elle savait communiquer avec ses enfants. Et par suite de cette "autorité officielle du père", la situation reste différente de celle où la mère adopterait le leadership total de la famille. [4] 

Avec l'apparition d'une nouvelle société, ce sont les membres en tant qu'individus, et le plus souvent le père seul, qui veillent à la sécurité économique de la famille. Et c'est pourquoi celle-ci ne se définit plus comme une unité de production. Les besoins d'ordre matériel continuent d'exiger satisfaction (et d'ailleurs plus que jamais), mais ils ne s'accompagnent plus d'une organisation proprement familiale du travail., Celui-ci exige en outre de plus en plus d'efficacité et de rationalité, et il s'accompagne d'une impersonnalisation des relations sociales. L'individu doit vivre un très grand morcellement de ses activités, et cette situation lui fait désirer un milieu où il se retrouverait pleinement en tant que personne. Car "dans la nouvelle société qui s'édifie sous nos yeux, les relations personnelles n'ont pas cédé le pas à la vie collective : elles sont au contraire devenues plus intenses et plus profondes. (...) Elles ne sont plus désormais que du ressort de la vie strictement privée : elles sont donc pénétrées davantage de gratuité et relèvent plus purement que jadis de l'affectivité". [5] 

Dans ce contexte, la famille apparaît comme le premier milieu susceptible de connaître cette revalorisation de la personne. Et la sécurité affective que doit apporter la famille moderne, c'est dans les relations inter-personnelles et la place des membres dans la famille que nous pouvons la déceler. Les relations visent en effet à un certain équilibre où chacun est accepté et valorisé selon ses particularités, mais cela ne veut pas dire qu'elles soient statiques. Elles sont au contraire profondément influencées par une redéfinition constante de la vie conjugale à la lumière d'une prise de conscience de ce qu'elle implique. "La vie conjugale telle que nous la voyons évoluer est donc marquée par une individualisation plus grande des différents personnages, par une place plus importante donnée à l'enfant et à l'adolescent, par une plus grande complexité des relations internes, par une forme plus démocratique de l'éducation. Mais c'est surtout la place privilégiée du couple qui est frappante". [6] 

Il est évident que l'image que nous venons de présenter est l'extrême d'une tendance qui fait à peine son apparition. Cette "place privilégiée du couple" dans la famille suppose une capacité de se comprendre mutuellement et de communiquer sur tous les plans, que tous ne possèdent pas également. Il reste cependant que si nous sommes ici en face d'une tendance réelle, les modalités selon lesquelles le couple arrive à se bâtir une vie, méritent d'être toutes considérées comme autant de voies pour atteindre un même but. Et bien que l'individualisation puisse en outre conduire à une indépendance parfois néfaste à l'unité de la famille, l'on ne doit pas oublier qu'elle est aussi le gage d'une autonomie source de complémentarité. Car c'est en autant que l'homme et la femme peuvent collaborer en accord avec leur propre personnalité que le couple qu'ils constituent est susceptible de devenir l'élément central de la famille. 

Mais là ne s'arrêtent pas les difficultés. Cette complémentarité sur laquelle nous insistons, selon quelle forme de division des rôles doit-elle s'exercer ? À l'encontre de la famille traditionnelle, la famille moderne ne peut plus se fier à un modèle unique de la répartition des rôles. Et comme nous le verrons dans l'article concernant les "nouvelles structures d'autorité dans la famille", diverses possibilités se retrouvent dans plusieurs familles d'un milieu identique. La même division des rôles n'est d'ailleurs pas le signe d'une même conception de la famille : ainsi, l'homme et la femme qui s'entendent pour prendre chacun telle ou telle responsabilité, peuvent être tout aussi bien conduits par un désir de séparation quasi totale des tâches, que par celui d'une complémentarité appelant le dialogue. 

Nous devons en outre noter que dans la famille (comme dans la société), l'on a le choix entre accepter des rôles, ou ... les subir. Dans ces conditions, la femme qui se voit attribuer à elle seule la responsabilité de l'éducation des enfants, peut ; s'en charger sans aucune espèce d'inquiétude quant à la justification de cette façon de procéder. Mais il est aussi possible qu'elle sente profondément le poids de cette tâche, et qu'elle déplore par suite la démission de son mari. Avec la nouvelle conception concernant la forme plus, démocratique de. l'éducation", celle-ci est en effet une source de difficultés pour un grand nombre de familles. Une fois de plus, l'on n'a pas de recette unique à laquelle se fier. Et laisser une assez grande autonomie aux enfants suppose plus que jamais que les parents soient capables d'en assumer conjointement le risque. 

Et même si, malgré toutes ces difficultés, la famille arrive à assurer une certaine sécurité affective à ses membres, cela ne veut pas dire qu'elle joue nécessairement le rôle que lui demande la société moderne. En disant que "l'institution domestique est le lieu privilégié où l'homme éprouve qu'il se personnalise d'autant plus qu'il se socialise davantage" [7], Jean Lacroix présente un idéal qui n'est pas toujours réalisé. Il est clair que la famille forme mieux ses membres quand elle les tourne vers la société, mais elle peut aussi leur apporter une grande sécurité affective en les coupant du monde extérieur. "Frustré dans le monde du travail, l'homme transpose dans d'autres univers ses besoins affectifs d'autant plus exaspérés. C'est ainsi que la famille devient facilement une sorte de refuge : dépouillé (...) de ses nombreuses fonctions de jadis, le cercle familial risque de devenir plutôt une compensation pour les avatars de la vie publique qu'une nourriture pour l'engagement dans la cité". [8] Il s'ensuit que les nouvelles valeurs de participation sociale et de loisirs collectifs et formateurs doivent être associées à celles qui modèlent graduellement la famille moderne. Cette dernière ne sera fidèle à son rôle social qu'en autant qu'elle saura doser la part de dépendance et d'indépendance de ses membres, par rapport à ce qu'elle offre. 

*
* * 

La brève image que nous avons esquissée de la famille, et plus particulièrement de la famille moderne, laisse entrevoir combien il est difficile de s'en faire une idée précise. C'est une réalité dynamique qui vit sous nos yeux. et vouloir en saisir l'essentiel est tout aussi présomptueux que fascinant. Certes, nous pouvons dégager les principales tendances vers une redéfinition de la famille, mais nous ne pouvons pas les immobiliser. Et c'est pourquoi nous sommes sceptiques quant à une législation concernant la famille : ce ne sera qu'au moment où la loi pourra respecter la dynamique même de la société, qu'elle deviendra un véritable appui pour les individus. Mais ne disons pas que la venue de ce moment est impossible... 

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE 

 

Sur la famille traditionnelle : 

DAWSON, Nora : La vie traditionnelle à Saint-Pierre, Québec, les Presses de l'Université Laval, 1960. 

GÉRIN, LÉON : L'Habitant de St-Justin, extrait des "Mémoires et compte rendue de la Société Royale du Canada", IIe série, Tome IV, séance mal 1898. 

"La famille canadienne-française : sa force, ses faiblesses", extrait de la Revue trimestrielle canadienne, mars 1932. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] 

Le type économique et social des Canadiens, Éditions de L'A.C.F., Montréal 1938. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] 

MNER, Horace : Saint-Denis, a French-Canadian Parish. Chicago, University of Chicago Press, 1939. 

VARAGNAC, ANDRÉ : Civilisation traditionnelle et genres de vie, Éditions Albin Michel, Paris, 1948.  

Sur les changements à l'intérieur de la famille : 

CHOMBART DE LAUWE, PAUL : "La naissance des aspirations à des formes nouvelles de la famille", dans Recherches sur la famille, 1, Tubingen, J. C. B. Mohr, 1956. 

CHOMBART DE LAUWE, P.-H. et M.-J. : "L'évolution des besoins et la conception dynamique de la famille", dans Revue Française de Sociologie, Vol. I, No 4, oct.-déc. 1960. 

DUMONT, Fernand : "Genèse et signification des univers sociaux contemporains", dans Éducation des Adultes, No 12, janvier 1963. 

GAGNON, Nicole : "La famille, lieu de sécurité affective", dans Service Social, Vol. 12, Nos 1-2. (Université Laval, Québec). 

LACROIX, Jean : Force et faiblesse de la famille, Éditions du Seuil, Paris, 1948. 

LEFEBVRE, Henri : Critique de la vie quotidienne, II, L'Arche éditeur, Paris, 1961. 

MICHEL, Andrée : "Fonctions et structure de la famille", dans Cahiers Internationaux de Sociologie, XXIX, 1960. 

ROCHER, Guy : "Les modèles et le statut de la femme canadienne-française", dans Images de la femme dans la société, (sous la direction de Paul-Henry Chombart de Lauwe), Éditions Ouvrières, Paris, 1964. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] 

STOETZEL, Jean : « Les changements dans les fonctions familiales", dans Pringent, R. : Renouveau des idées sur la famille. Institut national d'études démographiques. Travaux et Documents, Cahier No 18, Presses Universitaires de France, 1954. 

TREMBLAY, M.-A. et FORTIN, Gérald : Les comportements économiques de la famille salariée du Québec. Les Presses de l'Université Laval, Québec, 1964. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]


[1] Henri Lefebvre : Critique de la vie quotidienne, Tome II, L'Arche Éditeur, Paris 1961, p. 144.

[2] Léon Gérin : L'Habitant de St-Justin, (extrait des "Mémoires et Comptes rendus de la Société Royale du Canada". Ile série, Tome IV, séance mai 1898), p. 6.

[3] Guy Rocher : “Les modèles et le statut de la femme canadienne-française”. Dans Images de la femme dans la société (sous la direction de Paul-Henry Chombart de Lauwe), Éditions ouvrières, Paris, 1964, pp. 201... [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[4] La question de l'autorité sera davantage développée dans un autre article : "La nouvelle structure d'autorité dans la famille au Canada français" (Marc-Adélard Tremblay et Jocelyne Valois) (p. 179). [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[5] Fernand Dumont : "Genèse et signification des univers sociaux contemporains", dans Éducation des Adultes, no 12, janvier 1963, p. 7.

[6] P.-H. et M.-J. Chombart de Lauwe : "L'évolution des besoins et la conception dynamique de la famille", dans Revue française de sociologie, Vol. I, No 4, oct.-déc. 1960, p. 413.

[7] Jean Lacroix : Force et faiblesse de la famille, Éditions du Seuil 1948, p. 109.

[8] Fernand Dumont : op. cit., p. 10.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 20 juin 2006 5:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref