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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, le 9 janvier 1985, page 8 — idées.


L’illusion libérale ou la bonne exploitation d’une philosophie bon marché. Réplique

Yves Vaillancourt,
Professeur de philosophie au Collège Ahuntsic de Montréal.
[Autorisation accordée par l'auteur le 6 janvier 2007]

Courriel: vaiy@globetrotter.net

C’est tout un galimatias pseudo philosophique que nous sert Pierre Lemieux dans son article du 20 décembre visant à circonscrire les fondements théoriques du libéralisme actuel. D’entrée de jeu, l’auteur veut étoffer sa crédibilité en nous référant à un ouvrage sur la question qu’il a publié à Paris. Qu’importe!  Voyons la teneur de ses proclamations, et par teneur il faut entendre teneur en vérité.  L’État est un souverain inadmissible, dit-il, et l’efficacité de l’individualisme est démontrée, de façon écla­tante, par les réalisations éco­nomiques.

Pas d’État, ou moins d’État, pas de privilèges coercitifs accordés à des particuliers, résultat: un marché libre, florissant et s’autorégulant. Belle histoire, mais ce n’est même pas ainsi que cela se passe en terre libérale: l’Angleterre tchatchérienne (de Margaret Tchatcher), l’Amérique reaganienne (de Ronald Reagan) et,  aussi, il ne faut pas l’oublier, le Chili de Pinochet (du Général Pinochet, de 1973 à 1995). Que le syndicat des mineurs anglais réclame des salaires décents et des conditions de travail  humaines, et voilà la droite libérale qui pousse l’État à réglementer le droit de grève et, au besoin, à envoyer les forces de l’ordre briser les piquets de grève.

La droite libérale veut la déréglementation, l’évanescence de l’État, mais lorsqu’il s’agit de sauver Chrysler ou la Continental-Illinois Bank de la faillite et de la ruine, c’est drôle, elle ne recourt pas aux mécanismes “régulateurs” du marché: c’est l’État qui accourt à la rescousse. Il est ridicule de contester “l’inadmissible souveraineté de l’État” en matière économique quand la droite libérale accueille à bras ouverts l’énorme stimulant qu’est, aux États-Unis, le budget militaire.  Bref, dans les faits, quant à la protection des riches, il n’y a ni déréglementation, ni retrait de l’État.  Ce que la droite libérale veut déréglementer, ce sont les mé-canismes de protection des plus démunis.

 Évidemment, cette mascarade nécessite une couverture. Cette dernière n’est nulle autre que la noble défense des droits inviolables de l’Homme: “C’est un fait naturel que chaque individu possède le contrôle inaliénable de son cerveau et de son corps, d’où il s’ensuit qu’il en est le propriétaire absolu.”  Belle niaiserie!  Même dans une société autonome, produisant des individus autonomes (ce qui n’est certainement pas le cas dans l’état actuel des choses), pa-reille propriété ne peut être qu’un fantasme.  Ultimement, et sans que cela évacue le rôle de la conscience, le regard qu’un individu jette sur lui-même ne peut être qu’un regard induit par sa propre société.

 À quoi mène donc cette profession de foi, impossible, dans l’individualisme ?  Peut-être qu’après dix ans de libéralisme reaganien, lorsque l’État aura terminé son “inacceptable” mission de Welfare State pour laisser oeuvrer le marché,  et quand les plus pauvres des citoyens, ayant déjà vu réduire de façon drastique et, bien sûr, éclatante, l’aide de l’État, n’auront plus accès aux soins médicaux, et bien peut-être seront-ils effectivement propriétaires absolus de leur cerveau et de leur corps.  Ceux-ci traîneront librement dans la rue sans qu’aucun médecin ou travailleur social, ô sacrilège!  ne vienne en violer la propriété.

 Manifestement, il faut remplacer la notion de droit de l’individu par celle de devoir envers tous les hommes.  La droite libérale proclame bien haut sa philosophie fondée sur les droits de l’Homme (dont le droit au travail qui n’a pourtant jamais procuré de travail à personne), bien qu’elle dénie la responsabilité des puissants vis-à-vis des démunis.  Évidemment, elle fait cela en agitant l’absurdité que cent millions d’individus, dans un même pays, “peuvent tous agir dans leur intérêt personnel sur le marché”.  Seuls les déjà puissants peuvent agir sur le marché dans leur intérêt personnel: personne ne se trompe là-dessus.

 Finalement, où est l’honnêteté quand on fait dire à un auteur connu ce qu’il ne pense surtout pas: l’avant-garde de la gauche contemporaine redécouvre ce génie de la société régulatrice:  “Il est dans l’intérêt général que tous travaillent contre l’intérêt général”, écrit Edgar Morin.  Faut-il croire que ce dernier louange les vertus du marché libre? En fait, sa réflexion va dans un sens tout autre que celui de la réflexion de Pierre Lemieux.  Partant du fait naturel que la désorganisation participe activement à l’organisation, Morin analyse les virtualités d’une transformation radicale de la société, visant à l’émergence d’une société autonome, qui se prend en charge elle-même alors qu’actuellement elle se soumet à ses institutions, État et économistes libéraux compris.  Mais, de la part d’un chantre du reaganisme, on ne pouvait guère s’attendre à mieux que ce racolage philosophique digne de l’illusionnisme de ses idoles politiques.


Retour au texte de l'auteur: Yves Vaillancourt, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 10 septembre 2008 8:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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