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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yves VAILLANCOURT, “Le risque de la souveraineté pour les politiques sociales.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon François Rocher, Réplique aux détracteurs de la souveraineté du Québec, pp. 244-266. Montréal: VLB Éditeur, 1992, 507 pp. Collection: Études québécoises. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 mai 2005 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales]

[244]

Deuxième partie.
LES IMPLICATIONS SOCIALES ET CULTURELLES

Le risque de la souveraineté
pour les politiques sociales
.”

Yves Vaillancourt

L'argumentation des progressistes qui craignent pour l'avenir des politiques sociales

La souveraineté, un risque a prendre y compris pour les politiques sociales

- La difficulté de discerner ce qui est progressiste dans une période de négociation d'un nouveau contrat social
- Attention, il y a encore des forces progressistes au Québec !
- Pourquoi le Québec a-t-il voté si peu pour le PLC et le NPD aux élections fédérales de 1988 ?
- Pourquoi s'est-il trouve des progressistes pour aller à la Commission Belanger-Campeau ?
- Meech, un révélateur du fossé entre deux cultures progressistes
- L'histoire des politiques sociales des trente dernières années au Québec donne confiance
- En finir enfin avec la lourdeur bureaucratique des programmes à frais partagés

Conclusion


Je me souviens d'une conversation sur la Commission Bélanger-Campeau, à l'hiver 1991, avec un ami qui travaillait dans un organisme communautaire voué à la défense des droits des chômeurs. Ce dernier disait craindre que la réalisation de la souveraineté du Québec aille de pair avec l’oubli des intérêts socio-économiques des gens ordinaires. Le débat sur la souveraineté lui apparaissait comme une voie d'évitement qui distrayait la population et les élus politiques des vrais problèmes comme ceux de l'emploi et de la pauvreté. À un moment dans la discussion, il me confia qu'il songeait même, dans l'éventualité d'un référendum sur la souveraineté, à constituer avec d'autres militants d'organismes communautaires un regroupement de personnes qui afficheraient publiquement une position de neutralité pendant le référendum. Je lui ai répondu que j'étais surpris d'apprendre que des progressistes pouvaient songer à rééditer une triste erreur commise par de larges composantes des forces progressistes québécoises, lors du référendum de 1980 ! Évidemment, la discussion ne faisait que commencer !

[245]

Des discussions analogues, j'en ai eu plusieurs au cours des deux dernières années, à l'intérieur comme à l'extérieur du Québec, avec des étudiants, des intervenants sociaux et d'autres personnes engagées dans divers mouvements sociaux. Dans ces échanges, certaines questions reviennent sans cesse : « Si le Québec devenait souverain, qu'est-ce qui nous garantit que nous n'y perdrions pas sur le plan des politiques sociales ? » ; « Est-ce que la souveraineté ne pourrait pas aller de pair avec un virage néo-libéral sur le plan social ? » Pour fonder leurs inquiétudes, plusieurs rappellent que, depuis une dizaine d'années, les propositions néo-libérales ont été mises de l'avant par les gouvernements à Québec comme à Ottawa. Certes, le gouvernement fédéral a fait des coupures dans le programme d'assurance-chômage avec sa loi C-21 en 1991. Mais c'est bien le gouvernement du Québec qui a introduit, depuis 1987, une « réforme de la sécurité du revenu », dont l'approche punitive na rien à envier aux provinces de l’Ouest ! Et sur cette lancée, certains s'empresseront d'ajouter que, pour les politiques sociales, il n'y a pas de distinction à faire entre le Parti libéral et le Parti québécois. La preuve, c'est que la réforme de l'aide sociale des dernières années trouve sa principale source d'inspiration dans un Livre blanc sur la fiscalité des particuliers préparé par Jacques Parizeau en 1984.

Et voilà ! À partir de deux ou trois exemples bien apprêtés, la discussion est scellée et nous risquons de nous retrouver enfermés dans une perspective fataliste : la doctrine néo-libérale serait au poste de commande à Québec comme à Ottawa et, pire encore, elle serait appelée à y rester, peu importe les changements politiques et constitutionnels que nous réserve l'avenir.

Je comprends cette vision fataliste de l'avenir des politiques sociales qui circule dans plusieurs cercles progressistes au Québec et au Canada anglais, mais je ne la partage pas. Ce chapitre sur les obstacles sociaux à la souveraineté me fournit l’occasion de dire pourquoi.

[246]

L'argumentation des progressistes
qui craignent pour l'avenir
des politiques sociales

À la différence d'autres arguments évoqués contre la souveraineté du Québec - pensons à l'argument concernant l'accord de libre-échange -, celui dont on se préoccupe dans ce chapitre a du poids principalement dans les milieux progressistes intéressés à l'amélioration de politiques sociales au Canada et au Québec. En effet, pour les personnes qui ont un penchant pour le conservatisme social, l'éventualité de politiques sociales néo-libérales pourrait devenir attrayante plutôt qu'inquiétante !

Donc, l'argumentation que je développerai dans ce texte s'adresse d'abord à des progressistes qui voient la souveraineté du Québec comme un danger ou un motif d'inquiétude pour l'avenir des politiques sociales au Québec. Ces progressistes dans le champ du social, nous ne les retrouvons pas seulement au Québec, mais aussi dans le reste du Canada où leur nombre semble même avoir augmenté au cours des cinq dernières années. C'est ainsi que les prises de positions favorables au droit à l’autodétermination en provenance de la gauche du reste du Canada sont devenues une denrée plus rare qu'au moment du référendum de 1980.

Les argumentations progressistes déployées présentement, tant au Québec que dans le reste du Canada, pour jeter des doutes sur l'option souverainiste ou pour s'y opposer carrément se rejoignent sur un point fondamental. D'entrée de jeu, elles postulent que les forces progressistes ont connu un net fléchissement au Québec ces dernières années. Elles enchaînent en soulignant que la relance du mouvement nationaliste depuis l'échec de l’Accord du lac Meech se résume à une opération menée par des gens d'affaires et des personnalités politiques traditionnelles dans laquelle quelques leaders syndicaux se sont malheureusement laissés entraîner. Ces argumentations laissent entendre que si Gérald Larose et Lucien Bouchard entrent en contact l'un avec l'autre, comme ce fut le cas dans les [247] élections partielles de Montréal-Sainte-Marie, à l'été 1990, ou à la Commission Bélanger-Campeau en 1990-1991, cela signifie que le projet de société plus progressiste du premier est escamoté au profit de celui, plus conservateur, du second. Puis, une fois qu'on a posé ces affirmations, la conclusion coule de source : advenant la souveraineté du Québec, la doctrine néo-libérale des forces conservatrices serait au pouvoir et, par conséquent, les politiques sociales seraient modifiées à la baisse pour être mieux arrimées aux règles du marché capitaliste.

Si nous examinons de plus près l'argumentation des progressistes sociaux au Canada anglais, nous constatons qu'elle est marquée par un profond attachement à une conception très centralisatrice du fédéralisme. Pour ces progressistes de tradition libérale réformiste, ou social-démocrate, ou marxiste, un gouvernement central fort constitue la meilleure garantie pour le maintien et le développement de normes nationales de qualité pour les programmes sociaux canadiens, lesquels incluent évidemment les programmes québécois.

Depuis les élections fédérales de l'automne 1988 et le débat sur l'Accord du lac Meech, les progressistes du reste du Canada, dans leur défense nationaliste de l'État canadien menacé d'érosion, ont éprouvé de la difficulté à ne pas manifester une certaine amertume à l’endroit du Québec et de la gauche québécoise en particulier. Cette amertume se retrouve dans les Lettres à un ami québécois de Philip Resnick [1]. Les progressistes québécois y sont quasiment mis au ban des accusés pour l'ingratitude manifestée dans le débat sur le libre-échange. Nous aurions manqué d'ardeur dans la défense de l’État central et de ses programmes sociaux menacés de démantèlement par la décentralisation de Meech et l'enlignement sur les normes américaines. C'est donc de la faute du Québec si le gouvernement Mulroney a été réélu en 1988 et si l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis a été adopté par la suite.

Cette vision du Québec et de la gauche québécoise semble gagner du terrain dans divers milieux progressistes [248] au Canada anglais et elle a pour effet d’alimenter le discrédit ou l'indifférence vis-à-vis des enjeux de la lutte du peuple québécois pour sa souveraineté. On la retrouve en partie dans un texte de Reg Whitaker intitulé Quebec and the Canadian Question. Whitaker, en présentant son bilan des élections fédérales de 1988, finit par dire : « Never in Canadian history was a national election fought so clearly along class lines [2]. » Puis, cette hypothèse est utilisée pour analyser la mobilisation nationaliste canadienne qui s'est déployée dans la lutte contre l'Accord de libre-échange. Whitaker explique comment le nationalisme canadien a pris la forme d'une large coalition progressiste coordonnée par le Pro-Canada Network [3]. Dans ce contexte, le Québec devient la province qui, avec l'Alberta, a le moins bien répondu à l'appel de la coalition Pro-Canada. Si les élections fédérales de 1988 constituaient un test pour les forces progressistes dans l'ensemble du Canada, y compris au Québec, il apparaît clairement que les forces progressistes au Québec ont échoué le test en élisant une majorité de députés progressistes conservateurs. Quant aux provinces qui ont élu une majorité de députés du Parti libéral du Canada (PLC) ou du Nouveau Parti démocratique (NPD), elles sortent évidemment gagnantes du concours.

Dans ce type d'analyse faite par Whitaker et d'autres comme Breton et Jenson, les forces progressistes paraissent s'être estompées au Québec ces dernières années. Elles n'ont plus de discours ou d'actions à elles comme dans les années 1960 et 1970. La Commission Bélanger-Campeau est utilisée pour corroborer cette interprétation. Cette commission n'était-elle pas une opération bien contrôlée par les représentants du nouvel entrepreneurship québécois ? Comment se fait-il que des syndicalistes comme Gérald Larose, Lorraine Pagé, Louis Laberge et Jacques Proulx aient si naïvement accepté de se laisser entraîner dans une telle galère ? Whitaker fait alors le commentaire suivant :

[...] the clear majority of the Quebec business community had apparently come to accept sovereignty as both necessary and desirable. The Belanger-Campeau Commission [249] was chaired by two leading business figures. Iabour, significantly, was supportive of a business-led sovereigntist movement [4].

Le reste de l'argumentation est facile à déceler. Si la souveraineté du Québec se réalisait dans la foulée de ce « business-led sovereigntist movement » qui s'est manifesté dans les travaux de la Commission Bélanger-Campeau, comment ne pas prévoir le pire pour les politiques sociales dans un éventuel Québec souverain également mené par des gens d'affaires ?

La souveraineté, un risque a prendre
y compris pour les politiques sociales

En réponse à l'argumentation évoquée ci-dessus, je ne puis pas honnêtement répondre qu'il est possible d'opter pour la souveraineté tout en ayant une police d'assurance étanche qui nous protégerait contre tout risque de détérioration des politiques sociales. Mais cela ne m'empêche pas d'avoir confiance. L’avènement de la souveraineté peut aller de pair avec le maintien et le développement de politiques sociales plus conformes aux besoins de la majorité de la population. Cette confiance n’est pas aveugle. Elle est basée sur un risque calculé. Voici les principales raisons qui la fondent.

- La difficulté de discerner ce qui est progressiste
dans une période de négociation
d'un nouveau contrat social

Les forces progressistes au Québec étaient-elles si impressionnantes en 1980 et seraient-elles devenues si déprimantes en 1990 ? Personnellement, j'ai de la difficulté à le croire. Je ne partage pas les lectures de la conjoncture qui laissent entendre que les forces progressistes se seraient affaissées au Québec. Je n'ai pas la nostalgie des [250] formes de discours, de stratégies et de pratiques qui ont été le propre de la gauche des années 1970. Les nostalgiques oublient trop facilement les travers et les limites de la gauche de 1980. Je ne m'ennuierai jamais du climat de méfiance et de haine, ni du dogmatisme, ni de l'incapacité viscérale de faire des alliances avec ses proches qui prévalaient dans les rangs de la gauche québécoise et canadienne des années 1970.

L’une de nos difficultés présentes vient de ce qu'on vit, depuis la fin des années 1970, au Québec, au Canada et dans d'autres pays, une période de transition sur le plan du contrat social qui régit nos sociétés. À cet égard, ma lecture de ce qui se passe présentement est influencée par la perspective de la théorie de la régulation [5]. En somme, l'âge d'or du contrat social « fordiste [6] » est bel et bien terminé et la gauche, autant que la droite et le centre, doit en prendre note. Un autre contrat social est en cours de négociation. Son contour aura un impact sur les critères à retenir pour jauger les discours et les pratiques des forces progressistes - autant que des forces conservatrices - des années à venir. Or, dans la période actuelle de mutation des règles du jeu, le courant néo-libéral est certes très présent et à l'offensive pour imposer ses propositions. Mais à l'encontre de ce que laissent entendre certains progressistes nostalgiques de la période fordiste enjolivée, ce courant n'occupe pas la totalité du terrain et n'est pas invincible. On sous-estime souvent l'ampleur et la créativité des forces alternatives qui contribuent dans divers lieux à la recherche active du nouveau contrat social. Les points de repère, pour discerner ce qui est progressiste et ce qui ne l’est pas, sont eux-mêmes en train de changer. Cela complique la tâche de ceux et celles qui évaluent les pratiques sociales et politiques présentes et fait surgir de multiples controverses à l'occasion des analyses de conjoncture. Les mêmes événements - pensons à des pratiques de concertation impliquant des syndicalistes et des employeurs comme celles auxquelles a donné lieu le Forum pour l'emploi - sont interprétés comme décevants par certains progressistes et intéressants par [251] d'autres [7]. Cette difficulté existe indépendamment de nos positions sur la souveraineté du Québec. Mais elle se répercute aussi sur nos efforts pour évaluer les éventuelles retombées de la souveraineté sur les politiques sociales.

- Attention, il y a encore des forces progressistes
au Québec !

Je ne partage pas l'analyse de ceux et celles qui suggèrent que le mouvement nationaliste québécois, à la faveur du dépérissement des forces et mouvements progressistes, seraient devenu dans l'après-Meech une opération contrôlée par des gens d'affaires acoquinés avec quelques politiciens traditionnels. Certes, les milieux d'affaires sont devenus plus pesants sur la scène publique au cours des années 1980, si bien que certains comme Fernand Dumont ont pu parler de l'émergence du « magistère des hommes d'affaires », en mal de tout régenter. À cet égard, l'été 1986 a constitué le moment culminant de cette dérive, avec la publication des trois Rapports des sages. Mais à force de vouloir aller trop loin et trop vite, les prêcheurs du néolibéralisme ont contribué eux-mêmes à discréditer leurs propositions. Avec le temps, leurs propos simplistes sur l'État-Provigo sont devenus plus discrets. D’autres représentants des milieux d'affaires, dont Claude Béland, ont fait entendre des voix favorables à l'emploi et aux politiques sociales et ont aidé ainsi les milieux progressistes à développer une analyse plus fine des divers courants qui traversent la communauté des affaires. Une composante du monde des affaires est favorable à la souveraineté du Québec et prête à agir en conséquence, ce qui ne veut nullement dire, comme le suggère Whitaker, que ce groupe serait largement majoritaire.

Mais l'émergence des milieux d'affaires comme acteur social et politique ces dernières années au Québec ne doit pas être interprétée trop rapidement comme l'indice d'un effondrement des forces progressistes. Pour dissiper certains malentendus à ce sujet, il convient de revenir sur les [252] élections fédérales de 1988, sur la Commission Bélanger-Campeau et sur l’échec de l'Accord du lac Meech.

- Pourquoi le Québec a-t-il voté si peu
pour le PLC et le NPD aux élections fédérales de 1988 ?

Aux élections fédérales de l’automne 1988, il est vrai que le Québec a contribué à la réélection du gouvernement Mulroney et, du même coup, à l'avènement de l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Il est vrai également que la plate-forme du Parti progressiste-conservateur, sur les questions économiques et sociales, était plus anti-sociale que celle des deux autres principaux partis en lice, le PLC et le NPD. Mais pour évaluer le vote des Québécois, il faut tenir compte aussi d'un autre facteur, la question nationale québécoise. En votant aux dernières élections, les Québécois ne passaient tout simplement pas un test permettant de mesurer leur conscience de classe face à l’enjeu du libre-échange, même si les choses se présentaient autrement dans le reste du Canada. Comme en 1984, les Québécois ont aussi tenu compte de « la nuit des longs couteaux » de novembre 1981. Cette nuit a été plus vite oubliée dans le reste du Canada, y compris par grand nombre de progressistes du social enchantés de la Charte canadienne des droits et libertés. Mais au Québec, elle est restée un souvenir vivace des manœuvres  douteuses du PLC, appuyées d'ailleurs par le NPD, après la défaite du oui au référendum de 1980. Dans un tel contexte, l'avantage du Parti progressiste-conservateur de Mulroney, vu du Québec, venait de ce que ce parti semblait avoir moins trempé dans le rapatriement unilatéral de la Constitution et avait même promis aux Québécois de réparer le dommage causé.

Ainsi, le vote du Québec, à l'automne 1988, était davantage contre le PLC et le NPD que pour le Parti progressiste-conservateur. Plusieurs progressistes, dont je suis, ont refusé délibérément de donner leur vote au NPD fédéral. En pensant aux politiques sociales, nous sommes heureux chaque fois que le NPD l'emporte dans des élections provinciales, [253] que ce soit en Ontario, en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan. Mais ne nous demandez pas d'appuyer le NPD fédéral au Québec, tant que ce parti nous demandera en même temps de souscrire à sa vision d'un gouvernement central fort et grand maître-d'œuvre du développement des politiques sociales. Nous agirons éventuellement de la même manière lors des prochaines élections fédérales. Dans une lettre que j'ai reçue à l'automne 1991, en même temps que plusieurs autres personnes évaluées, j'imagine, comme pouvant être d'éventuels sympathisants du NPD au Québec, Audrey McLaughlin soulignait que « le Bloc québécois est une formation politique fondée sur une seule question ». J'en conviens. Mais il se trouve que cette question sera cruciale aux prochaines élections et que le NPD s'en occupe mal ! Il se trouve aussi que le Bloc québécois, à la différence du Reform Party dans l'Ouest, est un parti créé pour un moment conjoncturel et non pas pour durer.

- Pourquoi s'est-il trouve des progressistes
pour aller à la Commission Belanger-Campeau ?

Je suis en désaccord avec le point de vue des progressistes québécois et canadiens qui réduisent la Commission Bélanger-Campeau à une opération menée par l'entrepreneurship québécois. Je suis très heureux que les leaders des trois principales centrales syndicales, ainsi que le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA) et le président du Mouvement coopératif Desjardins aient pris la décision, avec l'appui de leurs membres, de participer à cette commission. Bien sûr, sur les 37 membres de la commission, il y avait une surreprésentation des milieux d'affaires, des partis politiques, du sexe mâle, etc. La composition de la commission aurait certes pu être enrichie par l'addition de porte-parole des organismes communautaires, des communautés culturelles et des nations autochtones, etc. Mais ce n'était pas une raison pour faire la fine bouche et regarder passer le train. La présence d'une brochette de souverainistes [254] progressistes au sein de la commission a été un atout extrêmement positif qui lui a permis d'être branchée de façon plus démocratique sur les régions et les mouvements sociaux.

Bien sûr, les progressistes qui ont accepté d'être commissaires ou de présenter des mémoires prenaient un risque. Mais ce risque devait être pris et a donné des résultats concluants. La participation des progressistes aux travaux de la Commission Bélanger-Campeau, en 1990-1991, a été astucieuse et politiquement rentable, en comparaison avec l'immobilisme stérile de larges franges de la gauche au cours de la campagne référendaire de 1980.

Pour illustrer ce que je viens d'avancer, prenons le cas de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). À son congrès de juin 1990, cette centrale a adopté une position à la fois syndicale, claire et cohérente en faveur de l'indépendance du Québec. Par la suite, cette position s'est avérée à mes yeux, tellement plus productive et intéressante, sur le plan de l'impact progressiste réel du mouvement syndical dans la dynamique souverainiste, que ce qui a été fait en 1980. Elle s'est traduite entre autres par la contribution de son président aux débats de la commission. En effet, en rendant publique une argumentation à la fois solide, colorée et progressiste en faveur de la souveraineté, Gérald Larose a contribué à ce que les débats, les assises et les positions de la commission soient plus démocratiques que ce qui aurait été le cas s'il s'était cantonné avec son organisation dans une position attentiste mi-chair mi-poisson, du type de celle adoptée par la CSN sur la question référendaire en 1980.

Je pourrais faire des commentaires analogues au sujet de la contribution de Lorraine Pagé et d'autres commissaires progressistes liés à des mouvements sociaux. Lors des assises publiques de la Commission Bélanger-Campeau, à l'automne 1990 et à l’hiver 1991, je suivais, grâce aux émissions spéciales de Radio-Québec, tard en soirée, les discussions avec les organismes qui ont présenté des mémoires. J'ai pu constater que plusieurs groupes, en particulier dans [255] les régions défavorisées du Québec, ont présenté des mémoires fort riches en teneur démocratique et progressiste et que la présence de progressistes parmi les commissaires a souvent rendu possible le renforcement des passerelles entre ces groupes et la commission.

En conséquence, je ne suis pas d'accord avec Whitaker ou avec Breton et Jenson qui ont des yeux pour repérer une dynamique progressiste dans le mouvement nationaliste canadien en 1988, mais qui n'en ont plus pour lire l'apport des souverainistes progressistes dans la démarche de la Commission Bélanger-Campeau en 1990-1991. Évidemment, pour ceux et celles qui ne voient pas de contributions progressistes dans le mouvement national québécois du début des années 1990, il est difficile d'entrevoir que les politiques sociales pourraient avoir un avenir intéressant dans un Québec souverain.

Il importe de rappeler sans complaisance pour bien cerner le moment actuel et les possibilités de l'avenir qu'à la fin des années 1970, les progressistes québécois ont, de façon générale, fait preuve d'un très maigre sens politique dans les débats et les pratiques en rapport avec le référendum de 1980. Ils étaient « tiraillés » par la mauvaise conscience vis-à-vis de l'option de la souveraineté, banalisée à l'intérieur d'une certaine analyse de classe. Relisez les prises de position alambiquées et tortueuses de la CSN et de la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ) sur le référendum de 1980, sans parler de celles des groupes politiques de gauche !

- Meech, un révélateur du fossé
entre deux cultures progressistes

Le débat sur le lac Meech à la fin des années 1980 a été un révélateur brutal d'un fossé qui sépare, depuis une trentaine d'années, les progressistes dans le domaine social au Québec et dans le reste du Canada. Un révélateur, parce que le fossé entre les deux cultures politiques sur les [256] questions sociales existait déjà avant Meech, même si peu de personnes pouvaient le percevoir.

Certains ont dit que les progressistes québécois étaient demeurés discrets ou muets pendant le débat sur le lac Meech [8]. C'est un fait que nous n'avons pas beaucoup parlé, comparativement aux progressistes anglophones qui se sont abondamment exprimés sur le sujet. Cela ne veut pas dire que nous n’étions pas là ! Certains parmi nous étaient même très attentifs à ce qui se passait et ont tenté à l'occasion d'exprimer ce qu'ils et elles pensaient. J'ai continué au fil de ces années à lire des revues progressistes anglophones comme Canadian Dimension, Perception, Canadian Social Policy Review. J'ai participé à des dizaines de réunions au Conseil canadien de développement social à Ottawa. En outre, tout en vivant ces contacts avec des milieux progressistes anglophones en politique sociale, j'ai eu la chance, en raison de mes recherches, de fréquenter très intimement, ces deux dernières années, aux Archives nationales du Canada, des progressistes des questions sociales des années 1960 et du début des années 1970 [9]. C'est en fréquentant ces deux générations canadiennes-anglaises de progressistes, soit la génération des années 1960 et celle du tournant des années 1980 et 1990, que j'ai mieux compris que le malaise apparu au grand jour dans le débat de Meech était un malaise réchauffé des années 1960. Les progressistes québécois francophones qui ont côtoyé dans les années 1960 les progressistes anglophones dans les réseaux d'action sociale ont souvent ressenti ce que leurs semblables ont ressenti dans le débat sur Meech, soit le malaise résultant du fossé entre deux cultures sociales, dont l'une se retrouve au Québec et l'autre dans le reste du Canada.

Pour les progressistes du Canada anglais sur le terrain social, lesquels se trouvent habituellement à l'aise dans la tradition politique et idéologique du NPD, l'État fédéral demeure toujours le principal levier à privilégier pour le développement et le maintien de programmes sociaux et de standards nationaux. Dans une telle vision, le nationalisme [257] québécois apparaît comme un irritant, même si plusieurs progressistes hésitent à le dire clairement. Cette vision des choses n'a pas été modifiée même si, depuis 1977, l'État fédéral, que ce soit sous la gouverne des Libéraux du temps de Trudeau ou des Tories du temps de Mulroney, joue de facto un rôle clé dans l'érosion des programmes sociaux.

Que ce soit en 1965 au moment des débats entourant la préparation du Régime d'assistance publique du Canada et du medicare, ou en 1977 au moment des débats sur le projet de Loi C-57 sur les services sociaux né de la révision de la sécurité sociale, ou en 1983-1984 au moment des débats sur la Loi canadienne de la santé, ou en 1989 au moment des débats concernant l'article 106A sur le droit de retrait des « programmes cofinancés » de l'Accord du lac Meech, ou en 1991-1992 au moment des débats sur la « charte sociale » du gouvernement NPD de l'Ontario, c'est le même fossé qui réapparaît et crée un malaise. Les Québécois nationalistes qui sont progressistes ne pourront jamais se sentir à l'aise lorsque les progressistes du reste du Canada leur demanderont, même au nom de leur vision progressiste des politiques sociales, de poser des actes de foi en faveur du leadership du gouvernement central dans le développement ou le maintien des programmes sociaux [10].

- L'histoire des politiques sociales des trente dernières années
au Québec donne confiance

Pour mes réflexions sur les politiques sociales d'aujourd'hui et de demain au Québec, je puise beaucoup dans les conclusions de mes recherches sur l'héritage des trente dernières années de politiques sociales québécoises et canadiennes. Les années plus grises que nous avons connues, pendant le deuxième mandat du gouvernement Lévesque et pendant les deux derniers mandats du gouvernement Bourassa, ne m'empêchent pas de penser que le Québec, au cours des années 1960 et 1970, a souvent été à [258] la fine pointe du développement des politiques sociales au Canada. Cela s'est fait d'abord grâce à la vitalité de nos mouvements sociaux qui ont souvent été alertes, vigoureux et créateurs dans les demandes véhiculées en rapport avec les dossiers de politiques sociales. Cela s'est fait aussi grâce à l’ouverture sociale et démocratique qui a permis à certains ministres de la Santé et des Affaires sociales des années 1960 et 1970, comme René Lévesque en 1965-1966, Jean-Paul Cloutier de 1966 à 1970, Claude Castonguay de 1970 à 1973 et Denis Lazure de 1976 à 1981, de prêter une oreille plus attentive aux propositions des mouvements sociaux et des forces sociales progressistes.

Ainsi, à plusieurs reprises au cours des années 1960 et 1970, le Québec, sur une base comparative avec d'autres provinces et le gouvernement fédéral, a fait la preuve qu'il pouvait être à la fine pointe dans la planification et le développement de meilleurs programmes sociaux. C'est ce qui s'est produit dans le dossier du Régime des rentes dans lequel le Québec ne s'est pas contenté de développer son programme, mais a joué un rôle qui a permis de bonifier considérablement le Canada Pension Plan auquel participent les neuf autres provinces depuis 1966. De même, les propositions du Québec depuis le rapport Boucher en 1963 et reprises par la suite par la direction du ministère de la Famille et du Bien-être ont contribué hautement à la préparation de meilleures réformes de l’aide sociale générale au Canada dans la deuxième moitié des années 1960, sans oublier la mise sur pied d'un nouveau programme québécois d'aide sociale qui, au début des années 1970, n'avait rien à envier aux programmes des autres provinces.

Les années 1970, plus nettement au cours du premier mandat du gouvernement du Parti québécois (de 1976 à 1981) mais aussi au temps des deux premiers gouvernements Bourassa (de 1970 à 1976), ont été riches et dynamiques dans plusieurs domaines de politiques sociales. La réforme des services de santé et des services sociaux tout au long des années 1970 a signifié que le Québec a été l'une des provinces canadiennes (avec le Manitoba, la Saskatchewan [259] et la Colombie-Britannique de 1972 à 1975) qui a tenté de développer, dans le champ des services sociaux en particulier, des services plus universels que ceux qui étaient partagés financièrement par le Régime d'assistance publique du gouvernement fédéral. En dépit des obstacles qui ont souvent entravé sa pleine réalisation, la réforme Castonguay-Nepveu, principalement de 1971 à 1981, a permis de faire des choses novatrices sur le plan de l'élargissement des services, de la prévention, de l'intégration, dont le Centre local de services communautaires (CLSC) demeure un symbole ambigu, mais un symbole quand même.

En outre, les efforts déployés dans l’assurance automobile, l'aide juridique, la santé et la sécurité au travail, les services aux personnes handicapées doivent être rappelés.

Encore une fois, l'enjeu ce n'est pas de faire la preuve que le Québec au cours des trente dernières années a été la province la plus avant-gardiste sur le plan des politiques sociales au Canada. L’enjeu consiste plutôt à mettre en relief que le Québec demeure l'une des provinces où, de façon globale, il s'est fait le plus dans le domaine des politiques sociales. Au cours des dernières années, certes, cette riche tradition a été malmenée dans plusieurs dossiers, notamment dans celui de l'aide sociale. Mais ces reculs récents, aussi inquiétants qu'ils puissent être, ne doivent pas devenir le seul point de référence utilisé pour penser l'avenir. Je considère que les mouvements sociaux demandeurs de politiques sociales plus adéquates représentent encore aujourd'hui au Québec une réalité avec laquelle il faut compter, en espérant que les gouvernements des prochaines années se mettront davantage à l'écoute de ces mouvements sociaux.

- En finir enfin avec la lourdeur bureaucratique
des programmes à frais partagés


En 1964, le gouvernement du Québec dirigé par Jean Lesage avait arraché au gouvernement fédéral des arrangements [260] qui permettaient d'entrevoir la possibilité, dès la fin des années 1960, de sortir pleinement des programmes à frais partagés dans le domaine de la santé, de l'assistance publique et de la main-d'œuvre. Une entente avait été négociée entre Québec et Ottawa concernant certains programmes conjoints et, dans le cadre de cette entente, il était prévu que le Québec pourrait dans un avenir rapproché devenir pleinement maître de ses programmes de santé et de ses programmes sociaux, en retour d'une pleine compensation fiscale.

Mais plus de vingt-cinq ans plus tard, il est possible de constater que la sortie des programmes à frais partagés ne s'est jamais réalisée et que le Québec demeure encore dépendant de conditions fixées par le gouvernement fédéral tant pour l'assistance publique (aide sociale et services sociaux) que pour l'assurance-santé régie par la Loi sur le financement des programmes établis de 1977.

Dans ces dossiers qui ont malheureusement été suivis par trop peu de personnes au cours des vingt-cinq dernières années, la bonne foi du Québec a été systématiquement trompée par le gouvernement fédéral, comme j'ai eu l'occasion de le démontrer ailleurs [11]. Aujourd'hui encore, le Québec demeure toujours prisonnier des contraintes administratives gênantes des programmes à frais partagés.

Tant pour les subventions dites « inconditionnelles » qu'il reçoit pour la santé dans le cadre du Financement des programmes établis (FPÉ) que pour les paiements « conditionnels » qu’il reçoit du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC), le Québec, en 1992, demeure toujours soumis à des conditions fédérales. Ces conditions valent, même si les transferts fiscaux représentaient en 1989-1990 près de 65% des sommes totales touchées par le Québec dans le cadre des transferts effectués en vertu du FPÉ et 33,3% des transferts effectués en vertu du RAPC [12].

En 1989-1990, le Québec, avec 26% de la population canadienne recevait 25,7% des transferts effectués en vertu du FPE au Canada, 30,4% des transferts effectués en vertu du RAPC, des Jeunes contrevenants et des autres programmes [261] de santé et bien-être [13]. Ces chiffres suggèrent la possibilité d'une perte financière dans le cas de certains programmes présentement partageables en vertu du RAPC. Mais ce n'est pas une raison de ne pas prendre le risque de s'éloigner du « robinet » fédéral [14].

Le risque doit être pris même en référence aux programmes qui, à première vue, semblent les plus avantageusement soutenus par le fédéralisme canadien. C'est ici qu'on entrevoit l'importance décisive qu'aura une politique sociale de l'emploi dans un Québec devenu maître de sa politique de développement économique autant que de développement social. Tant que le chômage au Québec se situera au-dessus de 10%, il n'est pas nécessaire d'être devin pour penser qu'il y a un risque à assumer pleinement la responsabilité de l'aide sociale, de même que celle de l'assurance-chômage, dont les prestations au Québec représentaient 32,3% des prestations versées au Canada en 1989 [15].

Conclusion

En terminant cet essai, il y a un espoir que j'aimerais partager concernant l'avenir des politiques sociales québécoises. La « bonification » des politiques sociales dans un éventuel Québec souverain ne se mesurera pas seulement à partir d'indicateurs quantitatifs et économiques tels le maintien ou l'augmentation des prestations et des services. À cet égard, la transition en direction d'un nouveau paradigme « post-fordiste » invite les forces progressistes au Québec, comme ailleurs, à donner plus d'importance à des dimensions des politiques sociales qui sans être monnayables ont une importance capitale pour les citoyens et les citoyennes directement concernés par les politiques sociales, soit en tant que consommateurs, soit en tant que dispensateurs. Il s'agit d'un aspect qui s'est détérioré dans plusieurs programmes ces dernières années et qui était [262] déjà en souffrance au moment de l’apogée des politiques sociales fordistes.

Mon espoir c'est que les personnes qui reçoivent tout comme celles qui distribuent les politiques sociales soient traitées plus équitablement et reconnues dans leur dignité de personnes humaines. Je pense en particulier aux dossiers de politique sociale dans lesquels le gouvernement du Québec a déjà une responsabilité importante. Dans les domaines de la santé et sécurité au travail et de la sécurité du revenu, le gouvernement du Québec a permis le retour en force, depuis une dizaine d'années, d'une philosophie punitive qui invite à traiter les bénéficiaires des programmes en présumés coupables. Je pense aussi au système de santé et de services sociaux, à l'heure de la réforme Côté.

L'enjeu dans ces trois domaines des politiques sociales, c'est de sortir du « providentialisme » [16] qui rend les récipiendaires passifs et déresponsabilisés, en retour des chèques et services distribués d'en haut par l'État-providentiel. Les personnes qui dispensent les politiques sociales, autant que celles qui les reçoivent, dans un modèle d'organisation moins hiérarchisé et tayloriste, ne pourraient-elles pas être davantage incluses dans la planification, la gestion et l'évaluation des programmes ?

En somme, le danger de voir les politiques sociales québécoises se détériorer dans l'avenir est un danger réel qui vaut pour le Québec comme pour le reste du Canada, dans un Québec souverain comme dans un Québec partie prenante du fédéralisme canadien. Mais en dépit de ces dangers, des scénarios intéressants pour les politiques sociales peuvent être esquissés, dans la mesure où les forces sociales progressistes, à l'encontre de ce que suggèrent certaines lectures pessimistes, demeurent vivantes au Québec et capables de veiller au grain. Elles devraient être capables d'imposer aux élus politiques québécois leurs propositions sur l'emploi, la fiscalité, la formation de la main-d'œuvre et les politiques sociales, au détriment de celles mises de l'avant par les forces néo-libérales qui ne [263] s'empresseront peut-être pas tant que cela de déménager à l'extérieur du Québec, au lendemain de l'accession à la souveraineté.

[263-266] [Les notes en fin de chapitre ont été converties en notes de bas de page. JMT.]



[1] Philip Resnick et Daniel Latouche, Réponse à un ami canadien précédé de Lettres à un ami québécois, Montréal, Boréal, 1990.

[2] Reg Whitaker, A Sovereign Idea. Essays on Canada as a Democratic Community, Montréal et Kingston, McGill-Queen's University Press, 1992, p. 312.

[3] Whitaker, op. cit., p. 313-315.

[4] Whitaker, op. cit., p. 321.

[5] Voir Alain Lipietz, Choisir l'audace. Une alternative pour le XXIe siècle, Paris, Éditions La Découverte, 1989 ; « Après-fordisme et démocratie », Les temps modernes, n° 524, mars 1990, p. 97-121 ; Paul R. Bélanger et Benoît Lévesque, « La théorie de la régulation, du rapport salarial au rapport de consommation. Un point de vue sociologique », à paraître dans Cahiers de recherche sociologique, hiver 1992. Voir aussi Gilles Breton et Jane Jenson, « After Free Trade and Meech Lake : Quoi de neuf ? », Studies in Policical Economy, n° 34, printemps 1991, p. 199-218. Breton et Jenson font des remarques théoriques pertinentes au sujet de la mutation des paramètres permettant de discerner le discours et l'action de la gauche dans le moment actuel. Mais en lisant leur article, j’ai été déçu de constater que les repères théoriques auxquels ils se réfèrent sont mis à contribution pour analyser la conjoncture au Canada anglais, mais sont oubliés lorsque arrive le moment de faire l'analyse de la conjoncture québécoise. Il en résulte que les pratiques des forces progressistes québécoises sont interprétées abusivement comme étant à la remorque des forces conservatrices.

[6] Le « contrat social fordiste » connaît son apogée au Canada dans les années 1945 à 1975. Il se définit par une extension, à l'ensemble de la société, de règles du jeu d'abord arrêtées par Henry Ford pour son entreprise. Le cap est mis sur la consommation de masse et la production de masse. Les employés de l’entreprise fordiste reçoivent des revenus salariaux plus élevés et une augmentation de leur pouvoir de consommer grâce à la syndicalisation et aux conventions collectives ; en retour de ces avantages, ils acceptent une organisation tayloriste du travail qui sépare les tâches de conception et d'exécution et ils respectent les droits de gérance de l'employeur. De la même manière, avec des politiques sociales fordistes, l'État intervient activement et consciemment pour soutenir le pouvoir d'achat des citoyens. Mais dans la société fordiste, les citoyens qui reçoivent les politiques sociales de l'État-providence doivent se cantonner dans une attitude passive et laisser les experts planifier, gérer et évaluer les programmes. Ainsi, dans le contrat social fordiste, les travailleurs et les citoyens reçoivent davantage d'argent et de services de l'employeur ou de l'État ; mais en retour, ils sont invités à ne pas se prendre en main ; ils acceptent d'être exclus de l'organisation du travail et des programmes sociaux.

[7] Prenons un autre exemple : la participation de représentants des syndicats dans les conseils d'administration des établissements du secteur public. Il y a une douzaine d'années, la gauche de culture fordiste mobilisait pour la non-participation et stigmatisait les tenants de la participation comme étant des « collaborateurs ». Aujourd'hui, un nombre croissant de syndicalistes progressistes, argumentent en faveur de l'inclusion des travailleurs dans l'organisation du travail, même si d'autres continuent de penser que la position de 1979 était la bonne.

[8] Voir à nouveau Breton et Jenson, op. cit.

[9] Je fais référence à des progressistes dans le domaine du bien-être social qui gravitaient pendant les années 1960 au Conseil canadien de bien-être social appelé plus fréquemment le Canadian Welfare Council. Je pense aussi aux « bureaucrates réformistes » qui travaillaient à la Division Bien-être de Santé et Bien-être Canada au temps de Joe Willard et Dick Splane.

[10] Ce malaise, je le ressens souvent lorsque je lis certains documents progressistes sur les politiques sociales issus du Canada anglais. Je fais référence à certains documents récents dans lesquels la critique des coupures des programmes sociaux faites par le gouvernement fédéral est gommée au rappel vibrant de l'apport providentiel du gouvernement central dans le développement des politiques sociales partout au Canada. Je pense ici à des documents récents du Conseil canadien du bien-être social (CNBES) et du Conseil canadien de développement social (CCDS) que les progressistes nationalistes québécois ne pourraient pas aimer sans se renier. Voir CNBES, L'inopportunité des réductions proposées au régime d'assistance publique du Canada, Ottawa, CNBES, mars 1991 ; Les dangers qui guettent le financement de la santé et de l'enseignement supérieur, Ottawa, CNBES, printemps 1991 ; CCDS, Les programmes sociaux du Canada en péril, Ottawa, CCDS, 1990 ; CCDS, « La politique sociale et la réforme constitutionnelle », dossier publié dans Développement social en perspectives, automne 1991.

[11] « Un bilan québécois des quinze premières années du Régime d'assistance publique du Canada (1966-1981) : la dimension constitutionnelle », Nouvelles pratiques sociales, vol. IV, n° 2, automne 1991.

[12] En 1989-1990, le Québec touchait 5 046,2 millions $ pour la santé, les soins complémentaires de santé et l'éducation post-secondaire, en vertu du Financement des programmes établis. Sur ces transferts totaux, la composante financière représentait 1 779,9 millions $, soit 35,2% du total, tandis que la composante fiscale représentait 3 266,5 millions $, soit 64,7% du total. Pour le Régime d’assistance publique du Canada, le Québec recevait 1 678,5 millions $, dont 559,4 millions $, soit 33,3% du total, sous forme de points d'impôt transférés. Mais paradoxalement, en dépit de ses points d'impôt plus considérables que ceux des autres provinces qui lui confèrent encore aujourd'hui un certain statut particulier de fait sur le plan fiscal et en dépit des ententes de 1964, le Québec demeure totalement soumis aux conditions fédérales, tant pour le FPÉ que pour le RAPC. Les chiffres ci-dessus sont tirés de Canada, Programmes et activités fédéraux-provinciaux. Répertoire 1989-1990, Ottawa, Bureau des relations fédérales-provinciales, juin 1990, p. 26-3, 27-7 et lX.

[13] Canada, op. cit., p. VIII-IX.

[14] Je m'arrête moins ici sur certains programmes sociaux dont les caractéristiques posent moins de problèmes advenant la souveraineté. Je situe dans cette catégorie les programmes d'assurance sociale qui s'autofinancent et relèvent en totalité du Québec ; C'est la situation pour le Régime des rentes qui versait des prestations pour 2 850 millions $ en 1989, pour la Commission de santé et sécurité au travail qui versait 1898 millions $ en rentes, prestations et indemnités de toutes sortes et pour la Régie de l'assurance automobile qui versait 373 millions $ en prestations et indemnités en 1989. Voir Québec, Guide descriptif des programmes de sécurité du revenu. Édition 1991, Québec, ministère de la Main-d'œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, 1991, p. 94, 82-83, 89. Je ne vois pas de problème particulier pour le rapatriement de programmes de sécurité du revenu qui sont sous le contrôle total du gouvernement fédéral présentement, lorsque la proportion des sommes distribuées au Québec dans le cadre de ces programmes se situe aux environs du 26% de la population canadienne que représente le Québec. À partir de chiffres de 1987, j'ai calculé que le Québec recevait 26% des montants versés en vertu des programmes de sécurité du revenu pour personnes âgées, 25,7% des sommes versées en vertu des programmes de sécurité du revenu pour enfants et 11,9% de l’argent versé en vertu des programmes pour les anciens combattants (Santé et Bien-être Canada, Répertoire de programmes de sécurité du revenu au Canada. Janvier 1988, Ottawa, 1989, p. 198).

[15] Québec, op. cit., p. 76.

[16] Paul R. Bélanger, « Les nouveaux mouvements sociaux à l’aube des années 90 », Nouvelles pratiques sociales, vol. I, n° 1, automne 1988, p.101-114.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 24 octobre 2014 7:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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