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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Guy Vaillancourt, “Les interventions du groupe Écologie Humaine d'Hydro-Québec”. Un article publié dans L'intervention sociale. Actes du Colloque annuel de l'ACSALF, colloque 1981. Textes publiés sous la direction de Micheline Meyer-Renaud et Alberte Le Doyen, pp. 245-255. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1982, 384 pp. [Autorisation formelle accordée, le 9 mars 2004, par M. Jean-Guy Vaillancourt de diffuser cet article.]

Jean-Guy Vaillancourt 

Les interventions du groupe Écologie Humaine
d'Hydro-Québec
”.  

Un article publié dans L'intervention sociale. Actes du Colloque annuel de l'ACSALF, colloque 1981. Textes publiés sous la direction de Micheline Meyer-Renaud et Alberte Le Doyen, pp. 245-255. Montréal : Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1982, 384 pp. 

 

Les organisatrices de ce panel m'ont demandé de commenter brièvement l'exposé des membres du groupe Écologie Humaine de la Direction Environnement d'Hydro-Québec, afin d'aider à lancer le débat. Je me limiterai donc dans mes commentaires à discuter du type d'intervention que font les sociologues et les autres spécialistes des sciences humaines du groupe Écologie Humaine, ainsi que du genre d'interventions qu'ils pourraient et devraient peut-être faire. Je dirai auparavant quelques mots sur l'exposé lui-même, et je ferai aussi quelques remarques sur les projets et les programmes d'Hydro-Québec, notamment sur divers projets de lignes à haute tension et sur le projet d'harnachement de l'Ashouapmouchouan. 

Tout d'abord, avouons qu'il ne doit pas être facile de travailler à la Direction Environnement d'Hydro-Québec quand on a des préoccupations écologiques et environnementales le moindrement sérieuses et quand on a des exigences personnelles et professionnelles en ce qui concerne la participation et le pouvoir réels des citoyens dans les décisions qui les affectent. Bien entendu, ce doit être quand même plus facile de travailler là que d'être responsable des questions environnementales chez Domtar, à l'Alcan ou à Noranda Mines. Les vingt personnes du groupe Écologie Humaine de la Direction Environnement, et plus particulièrement les quelques sociologues qui sont parmi elles, ne représentent probablement pas un poids très lourd en termes d'influence sur les grands projets énergétiques et sur les décisions d'investissement et de financement, dans ce milieu d'ingénieurs et de technocrates qu'est Hydro-Québec, mais au moins, ils sont là et ils peuvent à l'occasion se faire entendre. Les critiques que l'on peut et que l'on doit faire à l'égard d'Hydro-Québec ne devraient donc pas, à strictement parler, s'adresser seulement à eux, mais bien plus à ceux qui les encadrent et à d'autres services et directions de l'entreprise, avec lesquels ils doivent sans doute être en conflit plus souvent qu'à leur tour. Cependant, ils travaillent à Hydro-Québec, et ils doivent souvent défendre publiquement les politiques et les actions de leur employeur. Pour cette raison, je pense qu'il est normal qu'on puisse leur adresser certaines critiques et certaines suggestions dans l'espoir d'infléchir un peu si possible les orientations actuelles et futures de leur service et de leur entreprise. 

Je dois d'abord reconnaître que la communication qui vient de nous être présentée constitue un document sérieux et intéressant, et même si on doit la considérer avant tout comme un effort de relations publiques, elle manifeste toutefois passablement d'ouverture et même de courage, étant donné la position précaire des sociologues et des écologistes, et a fortiori des sociologues de l'environnement, à Hydro-Québec. Il n'a pas dû être très facile pour eux de faire accepter le principe, puis le contenu, d'un tel exposé par leurs patrons, même si, à plusieurs d'entre nous, ce qu'ils disent peut sembler assez modéré et plutôt inoffensif. Coincés comme ils le sont entre le marteau des contestataires et l'enclume patronale, ils ont quand même opté ici pour l'ouverture et la franchise, tout en maintenant une certaine loyauté, pour ne pas dire une loyauté certaine, à l'égard de leur employeur. 

Ce qui ressort du texte des membres du groupe Écologie Humaine, c'est que le rôle de ce groupe dans la planification, dans les étapes préliminaires des projets, et dans l'aménagement du territoire est bien secondaire et limité. Quant aux études sociales, spécialement les études sociologiques qu'ils entreprennent, leur cadre apparaît aussi comme étant fortement restreint. Elles portent surtout sur les projets d'aménagement d'équipements de production et de transport, plutôt que sur des questions plus larges et plus fondamentales comme celles de la prévision de la demande en électricité, des besoins énergétiques en général, et des choix alternatifs qui s'offrent aux Québécois. On touche aux questions d'emploi pour montrer les retombées positives des projets, mais on en néglige les aspects négatifs comme les problèmes sociaux posés par les dangers à la sécurité des travailleurs et à leur bien-être, dans des chantiers isolés et temporaires où il est très difficile de vivre normalement et de façon sécuritaire. On parle de consultation publique, et de facilitation de la participation du public aux études et aux prises de décision, mais il s'agit bien plus en fait de séances d'information où les avis recueillis ont peu de chances de renverser des décisions déjà passablement amorcées. Les études que font les chercheurs du groupe Écologie Humaine ne seraient-elles pas, pour ceux qui décident vraiment à Hydro-Québec, qu'une étape tardive, encombrante et malheureusement devenue obligatoire pour mieux faire accepter ce qui est déjà décidé ou en voie de l'être ? 

À l'autocritique intéressante mais bien mitigée qu'ils font de leurs possibilités d'intervention, il faudrait donc ajouter aussi ce fait qu'Hydro-Québec tient peu compte finalement de l'avis des citoyens et des groupes populaires que les enquêtes du groupe Écologie Humaine peuvent rassembler. On demande aux gens ce qu'ils pensent du fait qu'une ligne à haute tension passera à tel ou tel endroit, mais on se garde bien de remettre en question les options plus fondamentales, c'est-à-dire de demander si le projet lui-même est désirable, si on doit produire autant d'électricité au Québec, si la structure des tarifs est équitable, si le maintien de l'option hydroélectrique à outrance est souhaitable, si la voie nucléaire est acceptable, s'il ne serait pas plus désirable de favoriser le solaire, les économies d'énergie et même le gaz naturel. On cherche à mieux connaître les populations affectées par les projets, non pas pour réviser ces derniers, mais pour mieux pouvoir les faire passer. On cherche à convaincre du bien-fondé du projet tel qu'il est conçu en insistant sur les retombées économiques éventuelles, plutôt que d'accepter un vrai débat sur le projet et sur les options qui le sous-tendent. 

C'est un fait bien connu que la technocratie hydro-québécoise est bien cachottière et très avare d'information. La politique d'interaction avec ses publics qu'Hydro-Québec s'est donnée en 1978 et « qui vise à intégrer dans son processus décisionnel le résultat de ses communications avec la population », et les lois qui l'obligent à rendre publics les résultats des études d'avant-projets ont rarement amené l'entreprise à modifier quoi que ce soit, à l'exception de quelques choix d'emplacements de postes ou de tracés de lignes. Hydro-Québec tient de plus à garder secrets les projets de transactions financières et commerciales, même après leur conclusion, et les délibérations des comités du conseil d'administration en plus de celles du conseil d'administration lui-même, et veut que les personnes et les groupes paient les frais de la transmission de l'information demandée. 

Au colloque du Front commun pour un débat public sur l'énergie qui a eu lieu à l'UQÀM en février 1981, il n'y a pas eu de participation réelle et officielle d'Hydro-Québec, sauf une aide symbolique de 5 000$ qui a été arrachée de justesse au conseil d'administration, suite à un refus de la direction. Il y a bien eu quelques participants d'Hydro-Québec qui sont venus à titre individuel, par exemple la personne qui, au conseil d'administration, représente les consommateurs. Par ailleurs un responsable des relations publiques d'Hydro est intervenu à partir de la salle pour sommer le Front commun pour un débat public sur l'énergie de se transformer dès le lendemain du colloque en centre d'information sur les questions énergétiques, plutôt que de continuer à fonctionner surtout comme groupe de pression pour obtenir un débat public sur l'énergie. Venant d'un service d'Hydro-Québec qui est passablement avare en information, cette invitation au Front commun pour qu'il se saborde afin de remplir une fonction que ce service lui-même devrait remplir mais ne remplit pas avait toutes les apparences d'une provocation. Les membres du groupe Écologie Humaine qui étaient présents dans la salle et qui manifestement auraient pu faire entendre un autre son de cloche ont préféré garder le silence. Il me semble que c'est dans des rencontres comme celle-là, autant que durant les colloques de l'ACSALF au congrès de l'ACFAS, que le groupe Écologie Humaine devrait se manifester. 

En tant que professeur de sociologie de l'environnement et de sociologie des organisations, et en tant que chercheur quelque peu militant dans le domaine des politiques énergétiques et des mouvements écologiques depuis déjà presque dix ans, j'ai eu l'occasion à quelques reprises de jeter un coup d'œil sur les façons de procéder d'Hydro-Québec dans certains dossiers énergétiques. Un séjour de plus de deux semaines dans la région du Saguenay et du Lac Saint-Jean, et plus spécialement à Saint-Félicien, où la rivière Ashouapmouchouan se déverse dans le Lac Saint-Jean, m'a donné récemment l'occasion d'approfondir, avec des gens impliqués dans les problèmes écologiques de la région, le dossier sur le projet d'harnachement qu'envisage Hydro-Québec sur cette rivière sauvage et majestueuse. De plus, je suis présentement engagé avec divers groupes écologiques québécois dans une évaluation des politiques énergétiques gouvernementales et de l'action d'Hydro-Québec dans le domaine de l'énergie [1]. 

La première fois que je suis entré en contact avec les gens du service Environnement d'Hydro-Québec, c'était il y a six ans. À ce moment-là, en 1975 et en 1976, j'ai fait partie d'un petit et éphémère comité d'experts, constitué par une firme de consultants engagée par Hydro-Québec, et qui « avait pour mandat général d'étudier, d'analyser et de formuler des critiques constructives concernant l'approche générale, la méthode, les inventaires et le schéma d'interprétation des dossiers préparés aux fins de localisation de la ligne Canton-Mousseau-Chénier. Il était entendu que (...) (nos) critiques seraient utilisées pour améliorer la qualité des travaux à venir [2] ». 

Comme d'habitude, les experts ne furent pas d'accord entre eux, d'autant plus que ce problème du choix des tracés est toujours extrêmement complexe. Mais les deux d'entre nous qui ont osé dépasser le cadre étroit qui nous avait été imposé et qui ont eu l'audace d'affirmer dans leurs textes qu'il leur semblait avoir été mobilisés pour une opération de relations publiques plutôt qu'à cause d'une préoccupation réelle envers l'environnement et envers les opinions de la population affectée, ont eu droit chacun à une rebuffade de la part de l'auteur du rapport général de notre comité. Il s'agissait, pour Hydro-Québec et pour la firme de consultants, à mon avis, de montrer, face aux critiques qu'adressait alors à Hydro-Québec le Conseil consultatif de l'environnement, que cette entreprise pouvait aussi faire appel à des experts en environnement, indépendants et crédibles. 

En 1977, mon texte de 1976 a été publié de nouveau, cette fois par le Comité de citoyens de Saint-Jean-de-Matha, dans un mémoire soumis aux Services de protection de l'environnement, pour tenter d'obtenir le rejet du projet de ligne électrique de 755 kilowatts dans la région de Saint-Jean-de-Matha. Selon ce comité de citoyens, les gens d'Hydro-Québec leur avaient dit que leurs critiques concernant la participation des citoyens étaient trop nouvelles pour qu'il soit possible d'en tenir compte. C'est à ce moment-là que le comité avait déniché mon texte de 1976 et avait décidé de s'en servir pour montrer que les mêmes critiques avaient été faites l'année précédente dans un rapport officiel, et qu'Hydro-Québec n'avait pas cru bon d'en tenir compte. 

Les critiques que je faisais en 1976 me semblent encore pertinentes et valables aujourd'hui. Je disais alors qu'Hydro-Québec devrait améliorer le processus de consultation et de décision utilisé dans la sélection de ses tracés de lignes à haute tension, et dans ses projets en général. Je parlais de « la nécessité de ne pas se leurrer et croire qu'une consultation bidon et une campagne d'information ex post facto seraient suffisantes dans les relations avec la population et avec les organismes intéressés ». 

Comme la ligne Canton-Mousseau-Chénier elle-même posait en somme assez peu de problèmes écologiques et humains sérieux, j'avais débordé légèrement le cadre étroit du mandat du comité d'experts pour aborder la question de la ligne antérieure Chénier-Châteauguay, suggérant qu'Hydro-Québec devrait accepter de rouvrir ce dossier et même de rectifier le tracé choisi s'il y avait lieu, à la lumière des nouveaux « inputs »introduits sur le tard dans le débat par les citoyens et les groupes impliqués. 

J'ai surtout à ce moment-là fait des suggestions pour le processus de consultation pour les tracés des lignes venant après Chénier-Châteauguay et après Canton-Mousseau-Chénier, qui à mon avis s'annonçaient comme étant encore plus problématiques et plus propices à la controverse que ces deux projets. Ce qui me semblait le plus important, c'était « qu'il y ait aussi, dès le début, une large consultation de la population, par des sondages et surtout par des rencontres et par des échanges d'information avec les organismes publics, les corps intermédiaires, les groupes populaires, les représentants de municipalités et autres personnes intéressées qui risquent d'être affectées d'une façon ou d'une autre par ces lignes à haut voltage ». 

Et je terminais en disant que les gens « acceptent difficilement que Hydro-Québec soit juge et partie et que dans la mesure où elle est partie, elle ne soit pas contrebalancée par d'autres instances représentant des intérêts, des valeurs, et des points de vue différents, plus généraux, et plus près des préoccupations des gens à la base, au plan local. Je pense que la solution à laquelle on pourra arriver après une campagne de consultation et d'information faite dès le début des inventaires, et après de sérieux échanges avec les parties intéressées, sera moins arbitraire que si l'on ne consulte et informe qu'après que la décision a été prise avec les seules lumières des gens de l'Hydro et de leurs consultants. Fondamentalement donc, ma recommandation est que ce type de décision est trop importante pour être laissée aux politiciens, aux bureaucrates, aux technocrates et aux experts ». 

J'ai insisté sur ces recommandations faites en 1976, non pas pour dire aux gens d'Hydro : « Je vous l'avais bien dit », mais pour qu'on puisse mesurer un peu le chemin parcouru en six ans. On consulte un peu plus, et un peu plus tôt dans le processus du choix des tracés de lignes en 1981, on a fait un certain chemin depuis cinq ans, mais on ne tient pas beaucoup plus compte de l'avis de la population, des intéressés et des experts de l'extérieur. Dans le cas de l'Ashouapmouchouan, on offre un choix entre deux projets, alors que ce sont les projets eux-mêmes et même la politique énergétique globale d'Hydro qui doivent être mis en question, et non l'un ou l'autre des deux projets proposés. La stratégie des gens d'Hydro est de circonscrire l'opposition potentielle à l'intérieur d'un cadre étroit dont les options générales sont considérées comme acquises. Les représentants de la Direction Environnement ne peuvent alors fonctionner que comme des agents d'information et de relations publiques, parfois même comme des espions ou des soupapes de sûreté, auprès de la population. Si par hasard ils s'avisent d'être trop critiques ou même trop tièdes vis-à-vis des projets préparés indépendamment d'eux, ou s'ils établissent une relation d'ouverture trop grande et surtout de support envers les groupes ou envers l'environnement affectés par ces projets, ils risquent d'être ostracisés ou même mutés. Dans le cas de l'Ashouapmouchouan, on a établi une consultation publique avant que les décisions finales ne soient prises, mais rien n'indique qu'on tiendra compte de l'opposition presque générale et sans cesse grandissante au projet tel qu'il a été formulé. Même les quelques chambres de commerce et conseils municipaux locaux qui sont favorables au harnachement de cette rivière le sont en posant des exigences telles (par exemple des tarifs réduits pour l'industrie locale, ou une participation locale aux investissements, ce qui équivaudrait à une dénationalisation de l'électricité) que leur appui équivaut en pratique à une forme de refus. Les supporteurs inconditionnels du projet sont tellement rares et si visiblement intéressés par des gains à court terme qu'on peut dire que le projet est jugé inacceptable par la population consultée. Et pourtant, Hydro-Québec continue à engloutir des millions dans la préparation de ce projet comme si la population s'était prononcée favorablement. 

Aujourd'hui, avec cinq ans de recul, ma critique des interventions d'Hydro-Québec va bien plus loin que celle que je formulais en 1976. Hydro-Québec a beau consulter les gens tôt dans le processus, si elle ne tient pas compte de l'avis de la population ou ne donne de choix qu'entre deux modalités quasi équivalentes d'un même projet, la consultation demeure de la pseudo-consultation. La méthode s'est raffinée, mais elle n'a pas changé substantiellement. En un certain sens, c'est pire, car on donne l'impression aux gens que leur opinion aura un certain poids, mais quand ils ne sont pas d'accord avec les plans d'Hydro-Québec, on ne tient pas compte de leur opposition. Et le groupe Écologie Humaine, qui a acquis un certain statut dans l'entreprise, malgré sa position toujours précaire, ne semble pas capable de dépasser sensiblement la fonction de caution et de légitimation qu'on lui assigne pour assumer des positions critiques à l'égard des orientations officielles de l'entreprise et un rôle d'appui véritable à ceux qui demandent un débat public sur l'énergie afin de préparer l'avenir énergétique à long terme de notre société. 

Pourquoi le groupe Écologie Humaine ne pourrait-il pas, de l'intérieur, travailler pour un moratoire sur les nouveaux projets grandioses qui s'amorcent, aider à la diffusion de l'information sur l'énergie, élaborer des scénarios et des courbes de demande réalistes, entreprendre des études de rentabilité tenant compte des coûts sociaux et environnementaux, étudier la question des pratiques commerciales et de la tarification qui apparaissent inéquitables envers le petit consommateur, évaluer la part de l'électricité dans la consommation globale, proposer des stratégies d'établissement de bilans énergétiques, d'économies d'énergie et de décentralisation-diversification du système énergétique québécois ? 

Un véritable débat, tout comme une consultation honnête et ouverte, ne doit pas préjuger des conclusions, mais doit mettre en contact des experts et des représentants des citoyens et des groupes intéressés par le bien commun. Le domaine énergétique n'est pas aussi complexe que les experts veulent bien le faire croire, même s'il comprend des décisions multiples à divers niveaux allant de l'individu à l'État. Les risques d'erreurs sont grands, dans ce domaine, mais plusieurs des pires erreurs (par exemple « l'addiction » pétrolière, l'embardée nucléaire, La Prade, l'encouragement au gaspillage électrique d'il y a quelques années, la dette grandissante d'Hydro-Québec et son récent programme d'investissement) auraient pu être évitées ou mitigées si des esprits clairvoyants à Hydro-Québec avaient assumé leurs responsabilités et consulté le public au lieu de se contenter d'être de bons experts hydro-québécois. Amory Lovins avait bien raison, à mon avis, de dire : « Les aspects fondamentaux d'une stratégie énergétique sont loin d'être complexes pour le public en général, mais ils sont trop simples pour les bureaucrates et les technocrates ». 

On l'a vu à la Commission parlementaire sur l'énergie en 1977, où les groupes de citoyens demandèrent plus d'information et exigèrent un débat public, en plus d'offrir des amorces de solution qui s'avèrent aujourd'hui beaucoup plus adéquates que celles proposées par Hydro. La plupart des groupes ont refusé de participer à la Commission parlementaire de février 1981, durant laquelle Hydro-Québec a proposé un programme d'investissement d'environ 100 milliards de dollars pour les années 80. Ce plan prévoit un accroissement de la demande de 6,2% par année et un pourcentage de 45% du bilan énergétique global pour l'électricité en 1996, c'est-à-dire presque le double de ce qu'il est aujourd'hui. Beaucoup de gens mettent en question ce programme et ces prévisions farfelues basées sur des présupposés inacceptables et qui risquent de nous acheminer à la banqueroute. Avons-nous vraiment besoin de toute cette électricité ? Peut-on vraiment se fier à Hydro-Québec pour gérer des programmes d'économie et d'efficacité énergétiques, d'énergies nouvelles et écologiquement bénignes qu'hier encore elle considérait comme irréalisables et ridicules. Peut-on demander à Hydro-Québec d'encourager le chauffage au gaz naturel et le solaire actif et passif, la décentralisation et la diversification du réseau énergétique, et même de tenir compte de l'impact négatif de ses projets sur la nature et sur la population ? 

Il me semble que c'est de questions de ce genre que devraient S'occuper les sociologues de l'environnement et les autres spécialistes des sciences sociales du groupe Écologie Humaine, plutôt que de se laisser utiliser uniquement pour sonder ou pour convaincre les gens affectés par les projets grandioses des ingénieurs et des technocrates qui ne songent qu'à produire de plus en plus d'électricité. 

Il faudrait, il me semble, que les sociologues de l'environnement fassent pénétrer à Hydro-Québec les idées de Lovins sur les voies énergétiques douces, ainsi que celles d'Hélène Lajambe, de Solange Vincent et du Front commun pour un débat public sur l'énergie. Il faudrait qu'ils travaillent à ouvrir les écluses de l'information dont le public et les groupes ont besoin. Ce qu'ils livrent, parcimonieusement, ce sont les conclusions générales d'études secrètes et les résultats de modèles dont les données et les présupposés de base restent cachés. Il faudrait qu'ils soient à l'écoute des groupes écologiques et qu'ils assument leurs demandes valables. En somme, il faudrait qu'ils se branchent avec la population et les groupes écologiques plutôt qu'avec les technocrates et les industriels du kilowatt, qui nous préparent une deuxième Baie James pour le plus grand bien des fournisseurs et des consultants d'Hydro-Québec, et qui veulent construire des centrales nucléaires, même s'ils n'en parlent pas beaucoup afin de ne pas effrayer la population. Mais lorsqu'on lit attentivement certains documents qu'Hydro a rendus publics, on s'aperçoit que le nucléaire reste une option importante pour cette entreprise. Il y a présentement 63 millions de dollars de prévus pour de la recherche sur un programme nucléaire minimal qui, selon Hydro-Québec, « est susceptible d'assurer éventuellement de façon économique la relève de l'hydraulique ». Les 12 012 qui nous poussaient il y a quelques années à surconsommer l'électricité se sont convertis bien tardivement et douloureusement (et à moitié) aux économies d'énergie et aux énergies nouvelles, mais ils louchent quand même vers une deuxième Baie James et vers de nouvelles centrales nucléaires. Je sais qu'il n'est pas facile pour des sociologues à Hydro-Québec de faire face aux ingénieurs, mais après le fiasco de La Prade et la construction des centrales citrons de Gentilly dont Hydro-Québec risque de devenir propriétaire, il me semble qu'il leur serait possible, sinon d'infléchir le rapport de force à l'intérieur d'Hydro, du moins de fournir, discrètement s'il le faut, des informations et des appuis plus substantiels aux groupes écologiques et anti-nucléaires et aux autres citoyens et groupes populaires qui luttent pour une politique énergétique sensée et rationnelle. Hydro-Québec n'a-t-elle pas intérêt, à long terme, même d'un strict point de vue économique, à tenir compte des points de vue exprimés par la population, par les groupes écologiques et par les associations de protection des consommateurs ? 

Toute la question des surplus d'électricité, de la vente de ces surplus éventuels aux Américains et du prix et des concessions qui seront exigés pour cette exportation doit aussi être clarifiée. De même, ces quelque 100 milliards de dollars pour le programme d'investissement de 10 ans, et les hausses exorbitantes de tarifs, est-ce que ça ne devrait pas être discuté publiquement, et pas seulement dans des commissions parlementaires de quelques jours ? Ces investissements correspondent à presque 50 000$ par famille québécoise ! Et maintenant que la crise économique pousse le gouvernement à restreindre les projets d'Hydro-Québec et à exiger une partie de ses profits, est-ce que les coupures vont être faites aux bons endroits, ou est-ce qu'on ne sera pas tenté de sabrer dans les programmes d'économie d'énergie et les projets d'énergies nouvelles ? Le groupe Écologie Humaine ne pourrait-il pas essayer d'intervenir dans ces questions, puisqu'elles impliquent à la fois des aspects humains et des aspects écologiques ? 

Il faudra bientôt amorcer au Québec, dans le domaine de l'énergie et surtout de l'énergie électrique, une planification plus souple que celle que nous préparent les technocrates d'Hydro-Québec, et je pense que la seule façon d'y arriver, c'est d'impliquer la population dans un vaste débat public sur l'énergie comme celui qu'exigent des centaines de groupes et que le P.Q. avait promis de tenir s'il gagnait les élections. Je crois que le groupe Écologie Humaine, qui joue déjà un rôle indispensable à Hydro-Québec, a une contribution importante à faire pour que ce grand débat public ait lieu, et ensuite pour qu'il se fasse dans les meilleures conditions possibles. Michel Nadeau, dans un éditorial du 18 décembre 1980 sur les investissements d'Hydro-Québec, affirmait : « Un véritable débat démocratique présuppose une connaissance à peu près égale des informations pertinentes. Cette fois-ci, Hydro-Québec doit ouvrir toutes les lumières autour de la table. Autrement l'opinion publique pourrait fort bien un jour couper le courant ». Ceux qui luttent pour ce débat démocratique et pour l'accès à l'information peuvent-ils compter sur les sociologues du groupe Écologie Humaine, ou devront-ils se contenter de les voir continuer de faire le genre d'interventions, utiles certes, parfois, mais insuffisantes, dont ils nous ont entretenus ici aujourd'hui ? 

Je suis sûr que la plupart des sociologues qui travaillent au groupe Écologie Humaine, tout comme les autres sociologues qui sont dans d'autres services à Hydro-Québec, sont conscients depuis longtemps de la plupart des choses que nous leur disons actuellement. Il ne s'agit donc pas de les écraser sous les opprobres, de les blâmer et de les condamner. Ils ont bien plutôt besoin de notre appui et de notre compréhension, étant donné qu'ils œuvrent dans un contexte institutionnel délicat et difficile. Mais ils ont aussi besoin de nos suggestions et de nos critiques. C'est ce que nous devrions tenter de faire aujourd'hui.


[1]    Jean-Guy Vaillancourt, « Les Québécois ont-ils besoin du nucléaire ? Le point de vue des groupes anti-nucléaires québécois », De toute urgence, vol. XII, no 2, août 1981, p. 231-243, et Jean-Guy Vaillancourt, « Le débat public sur l'énergie aura-t-il lieu ? », Possibles, vol. 5, no 3, 1981. Voir aussi les articles que j'ai écrits en collaboration avec divers membres des groupes anti-nucléaires Alliance-Tournesol et Regroupement pour la surveillance du nucléaire, dans Le Devoir du 10 février 1981 (« La politique québécoise de conservation de l'énergie »), du 5 octobre 1981 (« Pour un débat public sur l'énergie ») et du 23 novembre 1981 (« Contre le nucléaire »).

[2]    Rapport du Comité d'experts sur l'environnement. Analyse méthodologique, Direction Environnement, Hydro-Québec, Rapport Canton-Mousseau-Chénier, Dossier 030411-10, janvier 1976.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Guy Vaillancourt, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 mai 2008 16:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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