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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre VADEBONCOEUR, “Quand l'ennemi cherche à nous briser. Contre une large politique de droite, une large politique de gauche.” Article publié dans le journal LE JOUR, Montréal, le 21 février 1975.

Quand l'ennemi cherche à nous briser.

Contre une large politique de droite,
une large politique de gauche
.”

Pierre VADEBONCOEUR

In LE JOUR, Montréal, vendredi, le 21 février 1975 — le fond des choses.


Vers la fin des années 40, au Québec, l’idée socialiste était peu de chose.

On la trouvait, radicale et doctrinale, au sein d'un petit groupe de rien du tout qui s'appelait pompeusement le Parti communiste, section québécoise, en réalité quelques douzaines de personnes, je crois bien, plus un certain nombre d'agents doubles... Tout ce monde-là, pas grand-chose en vérité, était suivi pas à pas, dans ses allées et venues, par des compères agents qui n'étaient pas doubles et qui faisaient semblant de l'épier comme une vaste cellule de dangereux conspirateurs. La publicité dudit groupuscule était d'ailleurs confiée au procureur-général Duplessis lui-même, habile comme pas un à se servir du fantôme communiste pour se faire réélire par les bonnes gens.

L'idée socialiste

L'idée socialiste, à l'époque, s'était aussi réfugiée chez les membres d'un parti social-démocrate appelé CCF, un parti assez fort dans l'Ouest pour avoir pris le pouvoir en Saskatchewan, mais composé ici de quelques centaines de personnes et peut-être moins, anglophones pour la  plupart, doublement étrangères par ce fait au milieu ; celles-ci faisaient de leur mieux tout de même, mais sans succès notable, pour acclimater un socialisme même dilué, au pays des indigènes.

Cependant, la seule chose que le pouvoir économique et politique capitaliste prenait vraiment au sérieux, c'était le mouvement syndical et, comme aujourd'hui d'ailleurs, très particulièrement la CSN (alors CTCC) et une fraction des syndicats du CIO, comme on l'a vu par la répression armée des grèves de l'amiante (1949), de Louiseville (1952) et de Murdochville un peu plus tard, ainsi que par les difficultés constantes que la CSN a subies dans les années 50de la part du pouvoir. Il y avait là un potentiel socialiste véritable, même si le socialisme, comme idéologie, y était à peu près inconnu.

Le pouvoir, qui voit loin et qui généralement voit clair, n'ajuste pas sa stratégie sur les mots mais sur les faits et sur les prolongements possibles des faits. Il combattait donc avec une brutale énergie un mouvement populaire catholique appelé CTCC (devenu depuis CSN et déconfessionnalisé), mail il faisait gratuitement, tout au contraire, une publicité extraordinaire à un groupuscule soi-disant révolutionnaire comme le P.C., qui était en réalité sans importance si ce n'est pour le pouvoir, lequel en effet entretenait soigneusement l'image du communisme parce qu'il en tirait de grands effets.

Leçon à retenir

Il y a là une leçon à retenir, dans une lutte de longue haleine. Il y a là un principe à retenir tout spécialement pour une partie de la gauche, cette partie qu'on trouve aujourd'hui trop souvent empêtrée dans des définitions littérales et devenue peu capable de voir que le combat du capitalisme pour sa survie se livre ici surtout contre des forces qui n'ont présentement rien d'extrêmement doctrinaire : d'abord les syndicats et plus particulièrement la CSN en tant que centrale, que le pouvoir, depuis plusieurs années, combat et mine de son mieux, directement ou par l’entremise d’activistes désintégrateurs: ensuite le Parti Québécois : le FRAP, en 1970 (le véritable FRAP, dois-je dire, car il y en avait deux, le doctrinaire et l'authentique, le premier ayant cherché d'ailleurs à saborder par l'intérieur cette formation que le pouvoir s'affairait à anéantir du dehors) : hier Québec-Presse, trouvé suspect par des idéologues obsédés du tout ou rien, donc, de fait, par des partisans du rien, tandis que cet hebdomadaire, les capitalistes veillaient très étroitement à le laisser crever faute de ressources : et aujourd'hui Le Jour, comme l'indépendance politique qu'il défend ; tout cela sans oublier cent autres exemples, dont le plus éclatant est le cas du RCM, le RCM appuyé par le syndicalisme, par des éléments péquistes, par des groupements populaires et par une foule de gens de gauche et de centre, mais rejeté (de concert avec les voraces de l'argent) par les inconditionnels du ghetto idéologique révolutionnaire le plus strict, alors que le peuple, pour une fois, se trouve enfin d'accord pour mener une action politique à peu près cohérente, possible, démocratique, anti-capitaliste de fait et socialiste dans la réalité vraie. Ce qui est tout de même une bonne école.

Principe stratégique

Il y a donc, disais-je, une leçon à retenir, une sorte de principe stratégique à découvrir dans cette leçon. On peut avoir des théories, et c'est très bien ; scientifiques, et c'est encore mieux. Mais à côté des théories, ou en travers de celles-ci, ou encore en contradiction avec tel ou , tel slogan ayant pourtant acquis par cent ans d'usage ses lettres de noblesse révolutionnaire, à côté de tout cela, il y a, dirais-je, quelque chose de proprement irremplaçable : il y a le sens commun. Or, le sens commun découvre tout de suite une des leçons à tirer des années 50 et des années 70. C'est une leçon presque trop simple. Elle tient en ceci. Observez le regard de l'exploiteur (ou du régime) et voyez, ce qu'il vise à tout prix : VOUS VERREZ ALORS CE QU'IL FAUT DÉFENDRE À TOUT PRIX. Le capitalisme sélectionne avec une grande précision ses cibles, j'entends celles sur lesquelles il tire vraiment et sans arrêt. Ce serait une assez grande erreur de croire que le capitalisme et le gouvernement s'en font outre-mesure avec les îlots marxistes qu'on trouve çà et là. Ils n’aiment pas les marxistes, c'est entendu, et ils préféreraient certes qu'il n'y. en eût pas. Mais il y en a, autant l'admettre, et pourquoi ne pas utiliser les erreurs que certains d'entre eux ne sont que trop enclins à commettre, notamment celle qui consiste à combattre pas mal d'adversaires du régime ? L'existence des marxistes n'est donc pas à mon avis ce qui inquiète et dérange beaucoup le pouvoir. Ce serait une belle naïveté de prétendre le contraire, au reste, quand on sait pertinemment qu'il subventionne directement certains organismes militants où s'agglutinent, parmi d’autres personnes bien sûr. un nombre appréciable de marxistes, ce qu'il n'est pas sans savoir, et ce qu'il sait, dirais-je, mieux que quiconque, parce qu'il est parfaitement renseigné. Pour le gouvernement capitaliste ; le marxisme est un mal, c'est certain, mais il n'est que trop évident que la présence de marxistes ici ou là ne constitue pas à ses yeux un mal sans mélange, et, le moins qu'on puisse dire, raisonnablement je pense, c'est que, au nombre de ses ennemis, ceux-ci ne comptent pas parmi les gros numéros.

Mais qu'est-ce que le pouvoir capitaliste économique et politique vise et combat de toutes ses forces et primordialement, pensez-vous ? Qu'est-ce qu'il veut, non pas seulement harceler, mais détruire ? Ce qu'il veut détruire, ce qu'il combat à la fois d’une manière  ouverte et d'une manière cachée, mais sans répit et avec le plus grand déploiement de moyens, c’est le Parti Québécois, c'est l'idée d’indépendance du Québec, c'était Québec-Presse, c'est Le Jour, ce sont les mouvements sociaux authentiques, c'est la langue française, c'est la culture québécoise, et c'est la cohésion même d'un peuple qui ne rentre pas dans le rang assez facilement à son goût.

Socialisme d'ici ?

Ces évidences méritent certaines réflexions. On ne leur en accorde guère, dans certains coins. Le socialisme a poussé ici comme un champignon, comme d'autres choses d'ailleurs. au cours des quinze dernières années. Je ne blâme pas les novateurs, j’en étais un moi-même ; je dis simplement qu'ils innovaient absolument, ce qui est beaucoup, ce qui est trop. Que voulez-vous ? En un sens auparavant il n’y avait rien. Le. socialisme d'ici, comme à peu près n importe quoi d'autre et de nouveau, est sans racines historiques, sans tradition, sans expérience et j'oserais dire sans assez de compétence puisqu'il connaît peu de choses autrement que par les livres. Ce fait n'est pas sans conséquence. Une des conséquences de ce défaut d'expérience et de, souvenirs historiques propres, c'est quelquefois la légèreté dans la pensée et dans l'action. Le partisan d'ici sort avec son fusil et il lui arrive de tirer n'importe comment et sur n'importe quoi.

Or, le capitalisme redoute surtout les mouvements qui ont pris une ampleur populaire et qui, étant profondément indépendants de lui, sont hostiles ou tout au moins critiques à son égard. Ces mouvements ou partis s'étendent au niveau même du peuple, dont ils changent plutôt largement les pensées. Ils peuvent atteindre celui-ci, ils ont la crédibilité 'et les moyens d'accès nécessaires. De plus, ils parlent de politique en termes de pouvoir. Ils sont dangereux au moins potentiellement. Aux États-Unis, l'establishment a tout fait pour éviter que progressent de tels partis et mouvements de masse et que se prépare de la sorte et de loin une autre politique que la sienne. Il y a réussi. Or ils existent ici. Il faut par conséquent leur faire une guerre à finir. La politique capitaliste, au Québec, est donc particulièrement nette à ce point de vue : elle consiste à essayer de démolir tout mouvement syndical le moindrement idéologique (notamment le seul, je pense, désigné nommément par le rapport Fantus, la CSN), ainsi que le Parti de l'indépendance, l'idée d'indépendance, le règne du français, et ainsi de suite.

La gauche impuissante

L'état-major capitaliste se soucie assez peu des francs-tireurs plus ou moins isolés, fussent-ils idéologiquement armés jusqu'aux dents ; il s'attaque à de grands groupes autonomes, avec une force et avec une astuce sans pareilles, même s'ils sont beaucoup moins à craindre par leur idéologie. Le capitalisme désigne lui-même ses adversaires par ses attitudes et par tous les signes possibles, mais cela n'impressionne pas particulièrement certains éléments de la gauche. Pendant que le Boche bombarde le Belge, moi je m'amuse à tirer sur le Belge parce que je trouve qu'il se défend incorrectement contre le Boche : c'est ainsi en tout cas que quelques éléments de la gauche ont l'air de raisonner. On a sapé le FRAP. On aurait voulu détruire le RCM. On a tiré sur Québec-Presse. On tire sur Le Jour. On s'attaque au PQ. On se moque de l'indépendance. On cesse de se préoccuper de la langue. On ne se lève plus pour défendre la cohésion québécoise. Fort bien. Mais, cela coïncide, excusez-moi, avec la politique de toute la droite.

Il faut de toute nécessité prendre les mesures de la stratégie de la droite. La droite fuit une grande politique de situation. Elle manœuvre à une échelle de perspectives. Elle s'en prend à de larges états de choses on réalités susceptibles de servir éventuellement de bases à une large action de contestation et d'indépendance. Elle s'attaque donc à ce que j'ai énuméré, si éloignées du socialisme que certaines de ces réalités-là paraissent. Elle fait une politique de grande prévention. Elle fait de la politique, elle ne fait pas de la littérature, même politique. C'est son avantage. Malheureusement, une certaine gauche paraît n'avoir rien à opposer à une politique de cette ampleur. Bien au contraire. Parfois, non seulement laisse-t-elle faire, mais elle fait la même chose pour son compte, précisément contre ces bases dont je parle.

Quant à la CSN, permettez-moi de vous le dire, pour les raisons que j'ai mentionnées c'est la prunelle de mes yeux. Elle est justement une de ces bases. Elle est une de ces choses qu'il faut à tout prix protéger, dans son ensemble comme dans ses parties. Or, il y a des gens qui, soi-disant pour se conformer à quelque principe de l'enseignement de toutes les gauches, s'amusent à secouer tel ou tel coin de cet édifice syndical, invoquant de grands, de très grands principes, bien entendu, des principes qu'il faut saluer jusqu'à terre — mais au péril d'y rester ! La dernière idée venue dans ce goût-là, c'est qu'il faudrait qu'en vertu de l'idéal égalitaire, les syndicats et les fédérations syndicales affiliées de professionnels, de cadres ou de quelconques diplômés se fondent dans des syndicats industriels avec tous les autres travailleurs syndiqués. Or, cela n'est pas absolument souhaitable, premièrement parce que les syndiqués de ces catégories refuseraient, deuxièmement parce que cela n'est pas absolument nécessaire, troisièmement parce qu'ils sont aussi syndiqués et aussi solidaires avec d'autres que n'importe qui et quatrièmement parce que personne n'a le droit de porter atteinte à la CSN en éloignant des groupes qui constituent une partie relativement importante de sa force, fût-ce sous prétexte de vouloir les intégrer organiquement aux autres syndiqués selon l'idée d'une révolution culturelle infiniment prématurée et qui pour cette raison restera pratiquement hors de question pour longtemps. (Si les idéologues qui conçoivent de pareils raccourcis voulaient étendre leur révolution culturelle éclair à quelques autres groupes, — des travailleurs d'usines cette fois ; — ils pourraient peut-être aller trouver les papetiers ; dont les salaires font peut-être deux fois ceux des tisserands, afin de les haranguer sur la nécessité d'une égalité relative dans la rémunération de tous les travailleurs sans exception : mais je doute fort qu'ils resteraient longtemps sur la tribune s'ils proposaient à cette main-d'oeuvre de renoncer pour cela dans une mesure appréciable à pousser son avantage propre. La théorie, voyez-vous, ne s'applique pas telle quelle sur la réalité comme sur un quadrillé.)

L'ennemi guette...

Je me résume ou je termine : Le socialisme est trop précieux pour qu’on néglige de le rendre extrêmement astucieux. La lutte contre le capitalisme est trop importante, trop difficile et trop délicate pour s'inspirer d'un esprit le moindrement sommaire. Il y. a d'immenses carrés à protéger dans le déroulement général de cette lutte. Il y a de vastes terrains à éviter d'exposer. Je crois les avoir suffisamment évoqués tout à l'heure. La stratégie n'est pas simple. Il faut tenir beaucoup de Choses ensemble. Il ne faut pas découvrir tel ou tel front, même s'il n'a pas de relation directe avec l'objectif dernier. Il y aurait beaucoup de choses à dire encore autour de ces questions. Par exemple, quelques-unes de nos forces s'appuient toujours sur quelques autres, qui n'ont pas toujours un lien évident avec les premières, surtout aux yeux de gens qui ont de la doctrine mais justement peut-être un peu trop de doctrine. Il est capital d'éviter d'abattre des appuis même lointains et même paradoxaux. Il faut au contraire les soutenir. Autrement on arriverait vite à des extrémités qui seraient de toute évidence des absurdités, par exemple celle-ci (qui est très grosse, mais il y en a de plus subtiles) : que la lutte socialiste peut I se passer de la lutte pour la convention collective, laquelle est tout de même aussi une façon de composer avec l'adversaire, quoiqu'on dise.

Aussi bien, quand je vois certaines personnes laisser tomber la lutte nationale (ou ceux qui la font effectivement, ce qui revient au même), ou encore faire bon marché de tel ou tel morceau de la CSN, alors que l'ennemi guette le moyen de briser l'une et l'autre, je me dis, quelle que soit l'honnêteté des personnes en cause, qu'il y a des étroitesses de vues qui ne sont pas permises. Est-ce Talleyrand ou quelqu'un d'autre qui disait à peu près ceci : "Il y a quelque chose de plus impardonnable qu'une faute : c'est une erreur... "


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 juin 2015 13:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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