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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

André Turmel, “Présentation. Culture, institution et savoir. Culture française d’Amérique.” (1997)
Texte intégral de l'article


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de André Turmel, “Présentation. Culture, institution et savoir. Culture française d’Amérique.” (1997) Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d’André Turmel, Culture, institution et savoir. Culture française d’Amérique, pp. x-xv. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1997, 230 pp. [Autorisation formelle réitérée par M. Turmel le 11 octobre 2005 et reconfirmée le 19 janvier 2006 de diffuser cet article.]
Texte de l'article

Cet ouvrage, issu du sixième séminaire de la CEFAN, visait au départ à amorcer dans un premier temps, puis à systématiser une réflexion générale sur la transformation de la culture en regard de la donne institutionnelle. Cette réflexion est conduite sous un double rapport : d'une part la culture comme mode d'intelligibilité du réel et du monde, à savoir des façons de comprendre, d'expliquer et de se situer dans le monde ; d'autre part l'institution, concept multiforme certes, mais aussi concept carrefour par excellence dans les sciences humaines, en tant qu'elle est essentielle à la durée et à la permanence des sociétés dans l'espace-temps. 

Cette double dimension recoupe un processus particulier de formation de la culture dite institutionnelle qu'on est peu porté à examiner lorsqu'il est question soit de savoir, soit de culture plus proprement dite. D'une manière générale, la culture est entendue soit en tant que représentation, comme construction du réel ; soit en tant que configuration sémiotique, comme ensemble de règles et de codes ; soit en tant que dynamique concrète, comme pratique sociale de l'expérience collective d'une société donnée. Selon la proposition principale mise de l'avant dans ce séminaire, l'institution est porteuse de culture et même davantage productrice de culture. Si tant est qu'on accepte de recevoir cette proposition, à savoir que l'institution est un véhicule privilégié de la culture dans une société, il faut y voir une clé pour la compréhension de la persistance des formes culturelles les plus établies et les plus durables de nos sociétés. 

Que le concept d'institution soit galvaudé, on en conviendra d'autant plus qu'il baigne dans une sorte de flou conceptuel qui en rend l'emploi quelque peu délicat, surtout dans un contexte interdisciplinaire où on admettra d'emblée qu'il est préférable d'éviter la confusion des genres. C'est sans doute pourquoi on assiste depuis une quinzaine d'années à un renouveau important du concept d'institution qui en propose une construction et une élaboration plus finement différenciées. 

Afin d'introduire brièvement la perspective analytique de l'institution, développée par ailleurs de façon plus élaborée dans le texte d'introduction, il paraît opportun de présenter quelques distinctions conceptuelles qui constituent autant d'étapes dans la construction de cet objet spécifique. Une première distinction s'impose qui consiste à départager l'usage courant, « doxique » en quelque sorte, d'une construction scientifique de l'institution. Voilà une notion qu'on trouve sans cesse dans l'opinion publique ; ainsi entend-on parler de façon récurrente, dans le discours médiatique, d'institution scolaire, d'institution hospitalière ou carcérale comme si ces termes allaient de soi, comme s'il y avait à leur égard un signifié partagé largement. 

J'avance que, dans ce cas, institution constitue un vague synonyme d'établissement entendu au sens de regroupement d'acteurs en une collectivité plus ou moins lâche autour de certains objectifs à poursuivre et certaines fonctions à assurer. Dans cette même veine, s'inscrivent, par exemple, les plaidoyers, parfois passionnés et emportés, à l'effet que l'université constitue une institution et non une organisation. Cet avatar de la pensée dichotomique a pour effet d'ériger en opposition cardinale insurmontable ce qui n'est qu'une construction spécifique d'une forme caractéristique de l'épaisseur du réel social. J'aurai l'occasion de revenir plus longuement sur cette question dans le texte introductif, ne serait-ce que pour préciser l'articulation entre institution, organisation, appareil et bureaucratie. 

Pour le moment, et afin d'introduire certaines distinctions capitales, je me contenterai de rappeler qu'institution renvoie : 

a)  à des usages établis par des acteurs sociaux, donc à de la culture ; 

b)  à des conduites qui se répètent dans une communauté selon des modèles largement répandus et respectés ; 

c)  à l'action de former de manière durable, donc à la fonction régulatrice des conduites ; 

d)  à la production de signes, l'institution étant aussi un réseau symbolique. 

En somme, l'institution concerne la régulation des conduites en fonction de modèles définis dans la longue durée autour de certaines activités sociales fondamentales. En ce sens, elle participe au premier chef de la durée et de la permanence des sociétés dans l'espace-temps. 

On est dès lors en droit de se demander quels sont les rapports entre l'institution et la culture, celle-ci étant définie comme un mode d'intelligibilité du monde ; s'il n'est pas que discursif, encore qu'il trouve là une forme privilégiée d'expression, ce mode d'intelligibilité du monde se donne à voir dans les pratiques sociales et les institutions notamment. Comment les deux se rencontrent-elles, quelle articulation peut-on construire entre les deux, comment peut-on concevoir que l'institution soit un véhicule de la culture, qu'elle soit productrice de culture en quelque sorte. 

La question peut en effet paraître fort abstraite et quelque peu éthérée à vrai dire. Il importe pourtant de ne pas contourner cet obstacle apparent, ne serait-ce que parce que la culture trouve dans l'institution l'un de ses principaux points d'ancrage sociétal. C'est dire que la culture n'est pas uniquement de l'ordre des représentations, des idées ou de la vision du monde, mais qu'elle se matérialise dans des institutions qui lui donnent une consistance, une densité et une vigueur particulières ; elles permettent ainsi une transmission et un apprentissage spécifiques d'une culture donnée, assurant de la sorte sa pérennité et sa durée dans le temps. 

Chez Fernand Dumont, par exemple, la culture est un héritage qu'il faut assumer sans jamais se condamner à le répéter ou à le reproduire plus ou moins mécaniquement. Arrêtons-nous un instant sur ce qu'il en est de la culture dans la perspective dumontienne. La citation est un peu longue, mais elle indique d'emblée l'essentiel de la construction de la culture chez Dumont : 

J'utiliserai ici la notion de culture selon son acception la plus large : un stock de codes, de manières d'être et de faire indispensables à nos actions comme à l'existence en commun. Notre conscience est enveloppée dans cet univers second où nous poursuivons la recherche du sens de notre vie et du sens des choses. Les techniques nous permettent de transformer la nature physique ou sociale ; le savoir nous rend le monde intelligible ; les croyances nous suggèrent à quoi vouer nos assentiments ; les oeuvres de l'art et de la littérature peuplent notre imaginaire ; les médias nous livrent leurs mythologies. C'est grâce à la culture que l'humanité se déprend de la répétition monotone à laquelle est vouée la condition animale, qu'elle s'inscrit dans une histoire où ses actions se prêtent à une accumulation des oeuvres et à un surplomb du devenir. La culture est donc un héritage. Voilà en quoi elle pose, comme enjeu primordial, le problème de la mémoire (Dumont, 1995 : 17). 

Je reviendrai par la suite sur la question de la mémoire, en particulier celle de l'institutionnalisation de la mémoire, problème capital dans cette réflexion. Que la culture soit un héritage, on en conviendra d'autant mieux que cet héritage, que chacun reçoit en partage et qui est une condition incontournable pour accéder au statut d'acteur social, consiste en des schèmes d'intelligibilité au moyen desquels nous appréhendons nos relations avec le monde, nous fabriquons et intervenons dans et sur le monde. Héritage à prendre en charge et à assumer sans le répéter toutefois, ajoute aussitôt Dumont. L'héritage tout autant que les schèmes sont transmis et transitent par les institutions ; en quelque sorte, ils passent nécessairement par elles. 

On verra un exemple éminemment probant de cet héritage à assumer dans ce rapport, plutôt particulier au demeurant, que les Québécois entretiennent avec leur passé historique le plus récent : celui qui précède la Révolution tranquille et dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est problématique, voire ambivalent. Avançons d'abord qu'on cherche d'une manière générale à s'éloigner de ce passé, à s'en distancier comme s'il s'agissait d'une tare honteuse. Cette mise à distance est portée au discours sous le mode d'une libération, plusieurs soutenant qu'il ne s'agit certes pas d'une perte irrémédiable. La question pourrait alors être formulée comme suit : que faire de cet héritage ? 

Dumont avance à cet égard une hypothèse fort intéressante en même temps qu'originale, à savoir que cette Révolution tranquille, dans la culture qu'elle véhicule, s'est d'abord effectuée par opposition au passé. De quel passé s'agit-il, se demande-t-il aussitôt ? 

Le passé renié depuis les années 1960, c'est moins un ensemble d'événements défunts qu'une mémoire collective. C'est l'image que se donnait d'elle-même la société d'hier qui obsède celle d'aujourd'hui. Troublante continuité par dessous les ruptures de la vie quotidienne et qui fournit un premier aperçu du drame de la culture québécoise actuelle (Dumont, 1987 : 239). 

Problème d'héritage s'il en est, problème de mémoire aussi : les Québécois seraient en opposition avec cette image d'eux-mêmes que la société d'alors et ses institutions leur renvoient. Cette image paraît si lacunaire, si déformante qu'elle suscite le plus souvent le rejet pur et simple. Le passage qui s'est alors effectué pourrait se résumer de manière un peu lapidaire dans les formules suivantes : de Notre maître le passé (Groulx) à Du passé, faisons table-rase (slogan de la génération des années 1960). 

Si la Révolution tranquille introduit une fracture dans la culture d'ici, l'héritage transmis de génération en génération s'inscrit dès lors dans une problématique de la continuité/discontinuité. Comment les institutions assurent-elles la transmission de cet héritage ? Dumont, pour sa part, y voit d'abord « le sentiment d'un éloignement irrémédiable par rapport au passé. Le passé est là comme un étranger qu'il semble nécessaire de renier pour que l'avenir soit possible » (Il 987 : 240). Sa lecture de la situation est sans équivoque : passé renié, éloignement irrémédiable, refus pur et simple du passé, ressentiment envers le passé. 

D'où ces questions qui surgissent, vives et interpellantes : la Révolution tranquille aurait-elle été possible sur le plan culturel sans ce refus du passé ? Passé renié et mémoire oblitérée ont-ils été des conditions nécessaires à cette prodigieuse mutation de la culture et des mœurs que fut la Révolution tranquille ? Quel rôle jouent les institutions dans cette discontinuité introduite dans l'héritage culturel ? Bref, qu'est-ce qui se noue autour de cette dénégation quasi systématique du passé le plus récent du point de vue de la transmission de la culture ? 

A partir de cet éclairage général qui se précise et s'affine par la suite, diverses pistes et directions ont été abordées par chacun des collaborateurs et collaboratrices dans la plus grande liberté. On conviendra que tous n'étaient pas tenus de souscrire aux propos introductifs présentés ici. Dans un premier temps, une des directions explorées a trait au clivage entre l'institution-établissement et l'institution qui assure la permanence des cultures et des sociétés. Ce clivage n'est pas abordé ici avec l'intention de circonscrire tout le champ institutionnel, dont on sait qu'il est parcouru par une pluralité d'axes (et de clivages), mais avec l'intention de porter au jour une tension propre que ce champ manifeste au Québec. À cet égard, la dimension historique et comparative construite par Gérard Fabre s'avère particulièrement éloquente, d'autant qu'elle permet de soulever cette question incongrue à prime abord : et si l'institution existait et se maintenait dans l'espace-temps sans que lui corresponde par ailleurs un établissement spécifique donné ? 

Dans un deuxième temps, celui du travail empirique, des auteurs se sont penchés sur certaines formes institutionnelles courantes et d'autres moins. L'idée sous-jacente consistait à casser l'évidence trop naturelle du discours médiatique sur les institutions et à commencer à voir de l'institution là où, de façon générale, on n'en voit pas, où on ne s'attend pas à en voir. Dans la même ligne que le point précédent, on verra l'institution comme dispositif plutôt que comme établissement. Enfin, en troisième lieu, certains auteurs proposent d'examiner les rapports entre institution et culture. Dans cette perspective, ils soulèvent par le fait même la question de la continuité/discontinuité dans la transmission de la culture. 

Ces différentes questions ont été abordées et débattues dans les diverses séances du séminaire qui étaient publiques et placées sous la responsabilité des auteurs. Elles ont donné lieu à des échanges très stimulants qui ont contribué à enrichir la réflexion de chacun. De plus, aux textes des collaborateurs réunis ici, nous avons cru utile de joindre deux contributions étudiantes ; leur qualité le justifiait amplement. Il n'y a pas vraiment lieu de présenter de façon plus détaillée chacune des contributions qui composent ce collectif. Rappelons qu'il n'y a pas une suite logique dans l'ordonnancement de ces textes qui peuvent être lus en eux-mêmes et pour eux-mêmes. 

André Turmel
Département de sociologie
Université Laval. 

Bibliographie 

Dumont, Fernand (1987), Le sort de la culture, Montréal, Hexagone. 
Dumont, Fernand (1995), L'avenir de la mémoire, Québec, Nuit Blanche/CEFAN.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 8:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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