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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. (1995)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de de François Trudel, Paul Charest et Yvan Simonis, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.

Introduction

Comme tous les collègues de ma génération, j'ai participé à la création d'une tradition nouvelle au Québec dont les ramifications prennent une ampleur et une profondeur qui étaient impossibles à imaginer il y a à peine une décennie. Le rêve utopique des pionniers est devenu imperceptiblement un fait de réalité. L'ensemble des témoignages sociologiques qui se déploient sous nos yeux en révèle l'étonnante complexité.
(Tremblay, 1974: 276)

 

Marc-Adélard Tremblay a pris sa retraite durant l'été 1993, après trente-sept années de contribution remarquable à l'anthropologie québécoise et de services continus à l'Université Laval. Il a été nommé professeur émérite de cette institution à la fin de la même année, peu de temps après que son nom eut été recommandé par ses collègues du Département d'anthropologie et par la Faculté des sciences sociales. Le projet de cet ouvrage collectif en son hommage a germé cette année-là, pour souligner la carrière de celui qui fut un des premiers anthropologues du Québec et le directeur-fondateur de ce qui est devenu l'un des principaux départements d'anthropologie sociale et culturelle du Canada. 

Les réponses à l'appel de contributions ont été enthousiastes et elles marquent bien le respect, l'amitié et la reconnaissance que l'on manifeste à Marc-Adélard Tremblay. Au total, vingt-neuf contributions en provenance de trente et un auteurs, principalement des anthropologues, constituent cet ouvrage et se présentent sous la forme d'articles sur diverses thématiques et de témoignages sur la carrière et la personnalité de Marc-Adélard Tremblay. 

Fait sans doute assez rare dans les annales de ce genre d'ouvrage, une de ces contributions provient de son directeur de thèse de doctorat à l'Université Cornell, il y a plus de quarante ans (Leighton); quatre, d'anthropologues anglophones du Canada (Ervin, Freedman, Lumsden, Vallee) ; neuf, de collègues ou d'ex-collègues du Département d'anthropologie de l'Université Laval (Beaucage, Breton, Charest, Couillard, Doutreloux, Elbaz, Genest, Simonis, Trudel) ; onze autres, d'universitaires ou de spécialistes de recherche diplômés de ce département (Audet, Bibeau, Blondin, Clarkson, Dominique, Dufour, Fougeyrollas, Gilbert, Guay, Joubert, Thivierge). Quelques contributions proviennent, enfin, d'autres collaborateurs ou collègues de Tremblay à une étape ou l'autre de sa carrière (Bernard, Corin, Deveau, Hamelin, Laplante, Routier). 

L'organisation du contenu de l'ouvrage ainsi que le choix d'un titre ont fait l'objet de plusieurs discussions. Le titre choisi, La construction de l'anthropologie québécoise, reflète le vecteur commun le plus fondamental que les rédacteurs aient trouvé après lecture et analyse de ce qu'a été la contribution de Marc-Adélard Tremblay à l'anthropologie. Quant à l'ordre de présentation des textes, il a pris la forme non pas d'une simple répartition des articles et des témoignages, mais d'une présentation en cinq parties : la première touche principalement l'homme et l'œuvre (y compris une biographie et une bibliographie) ; les quatre autres portent sur quelques thématiques majeures (anthropologie de la santé, méthodologie et application, ethnicité et autochtonéité, communautés rurales et changements socio-économiques) qui caractérisent à la fois l'œuvre de Tremblay et l'orientation des articles et des témoignages. 

Quelques commentaires au sujet de la personnalité de l'homme et de certaines orientations de l'œuvre, ne seraient-ils que très brefs, s'imposent. 

Sur la personnalité, les éloges ne tarissent pas, comme on pourra le constater à la lecture des titres des témoignages ou des dédicaces de plusieurs des articles. Ajoutons simplement que l'homme est chaleureux, communicatif, attachant et plein d'humour et que ces qualités se sont toutes accentuées au cours de sa carrière, atouts appréciables dans une institution d'enseignement universitaire. Marc-Adélard Tremblay possède en outre de nombreuses valeurs dont une des plus solides est sans doute l'attachement: attachement à son terroir d'origine, la terre ancestrale des Éboulements ; à sa famille et aux valeurs familiales ; au travail bien fait et au devoir accompli ; à sa discipline, à ses étudiants et étudiantes, à ses collaborateurs et collaboratrices, à son département et à son université. Pour plusieurs, Marc-Adélard Tremblay représente le modèle de professeur d'université qui a su concilier en un tout équilibré et harmonieux ses tâches pédagogiques et ses activités de chercheur et d'administrateur, tout en réussissant, à travers ses nombreuses responsabilités, à rayonner à l'échelle canadienne comme peu d'anthropologues francophones ont réussi à le faire. 

La caractérisation la plus significative de son action et de sa production scientifique est celle de « bâtisseur ». Marc-Adélard Tremblay a contribué de façon marquante à la construction de l'anthropologie québécoise dont il est un des piliers les plus connus et reconnus. Il est parmi les premiers Québécois francophones formés à la discipline à l'étranger, il a fait connaître l'anthropologie en milieu universitaire québécois et il en a démontré la richesse et les potentialités sur les plans de l'enseignement et de la recherche. Il a travaillé à son implantation à l'Université Laval. Il en a assuré la défense et le rayonnement au Québec et au Canada. 

Bâtisseur, Marc-Adélard Tremblay l'a été à bien des égards. À la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, comment passer sous silence les générations d'étudiants et d'étudiantes de toutes disciplines à qui il donna, à partir de 1956, une formation méthodologique dans son cours d'Initiation à la recherche, cours dont les notes furent par la suite rassemblées et publiées sous forme de livre ? Comment ne pas mentionner les dizaines d'étudiants et d'étudiantes du Département de sociologie et d'anthropologie, puis du Département d'anthropologie, à qui il enseigna, à partir de 1961, l'anthropologie appliquée, dans un cours dont il fut le créateur, le premier titulaire et le responsable principal durant toute sa carrière ? Comment ne pas souligner les multiples portes que, par son dynamisme et sa réputation, il ouvrit à ses étudiants et étudiantes, soit pour les études supérieures, la recherche sur le terrain, les publications ou l'emploi ? En fait, Marc-Adélard Tremblay a toujours accompli ses tâches de professeur d'université avec une conscience et une éthique professionnelles exemplaires. 

Mais en outre, qu'a-t-il construit ? La réponse pourrait bien être, comme le suggère l'exergue, la participation à la mise en place, en compagnie de quelques collègues de sa génération à l'Université Laval et dans d'autres universités du Québec, des fondements d'une tradition nouvelle, celle d'une anthropologie québécoise et du Québec, tradition dont les contours et les contenus ont commencé à être définis par Marc-Adélard Tremblay lui-même dans plusieurs bilans qu'il a publiés seul ou en collaboration au fil des deux dernières décennies [on consultera à ce sujet sa bibliographie dans cet ouvrage et en particulier son article rédigé en collaboration avec Gerald Gold L'anthropologie québécoise et l'étude du Québec: continuité et ruptures (1984)]. 

Quelles sont les caractéristiques de cette tradition ? Quels en sont ses apports particuliers ? Point question de tenter ici d'esquisser une synthèse globale ou de faire une épistémologie détaillée. Nommons tout au moins les traits les plus marquants. 

Marc-Adélard Tremblay convient lui-même dans plusieurs de ses écrits, et tous le confirment, qu'il a été fortement influencé dans les années 50 par ses études doctorales en sociologie et en anthropologie à l'Université Cornell et par les diverses recherches qu'il y entreprit lors d'un projet interdisciplinaire, dirigé par Alexander H. Leighton, sur les Acadiens de la Nouvelle-Écosse. Ses orientations théoriques, ses approches méthodologiques, ses projets de recherche ultérieurs portent tous la marque de cette influence américaine initiale qui, avec sa formation antérieure en agronomie, sont ses deux principaux creusets intellectuels. Mentionnons aussi qu'à son embauche à l'Université Laval en 1956, Marc-Adélard Tremblay reçoit le mandat de mettre sur pied des cours dans les domaines de la méthodologie et des sciences sociales appliquées, mandat qu'il conserve et remplit fidèlement durant la plus grande partie de sa longue carrière. 

Il découle de ces faits déterminants une série d'incidences sur le rôle que Tremblay va jouer dans la construction de l'anthropologie québécoise au cours des années. Sur le plan théorique, ses inspirations et ses influences trouvent une partie de leur ferment dans les cadres conceptuels associés à la théorie structurelle-fonctionnelle de Merton, mais bien plus dans l'anthropologie culturelle (processus d'acculturation) et l'anthropologie appliquée (processus d'innovation). Quand ces cadres de référence théoriques en viennent à se faire doubler par d'autres constructions comme le structuralisme ou le marxisme, c'est plutôt vers une approche systémique ou holistique qu'il s'oriente. 

Sur le plan méthodologique, l'influence des sciences sociales américaines est tout aussi évidente. Formé dans une université réputée pour son enseignement des méthodes quantitatives et qualitatives, bien préparé en cela d'ailleurs par sa formation en agronomie, Marc-Adélard Tremblay privilégie, à la fois dans ses enseignements et dans ses recherches, une approche positiviste, inductive et empirique de la réalité sociale et culturelle, centrée sur la recherche sur le terrain et l'utilisation la plus rigoureuse possible d'une variété de techniques et de méthodes, surtout qualitatives, pour l'observation, la collecte et la description des faits. Pareille approche ne fut pas sans exercer diverses influences sur l'anthropologie à l'Université Laval et au Québec et fit aussi contrepoids, au cours des années 70 et 80, à bien d'autres approches nettement plus déductives et rationalistes. 

C'est sur le plan de l'orientation à donner à la recherche anthropologique au Québec que Marc-Adélard Tremblay fait le plus figure de précurseur d'une anthropologie québécoise et du Québec. Attiré par l'étude du changement social et culturel, il formule un vaste projet d'ethnographie des communautés du Québec, à commencer par celles de la Côte-Nord du Saint-Laurent. Pendant plus de dix ans, pareille entreprise mobilise ses énergies et celles de nombreux collaborateurs. Il forme à la recherche ethnographique une génération d'anthropologues, suscite diverses recherches du même type dans d'autres régions du Canada francophone et autochtone, et permet la constitution de banques de données ethnographiques importantes, dont la plupart continuent d'être utilisées à l'heure actuelle. 

Marc-Adélard Tremblay est le maître d'œuvre de bien d'autres aspects de la construction d'une anthropologie québécoise et du Québec. C'est un des premiers à avoir souligné et regretté à quel point, en raison de sa jeunesse relative par rapport aux autres sciences sociales au Québec et de certains autres facteurs, l'anthropologie manquait de visibilité au Québec et n'exerçait que peu d'influence auprès des pouvoirs décisionnels. Il s'est toujours défini comme un généraliste dans le champ de l'anthropologie et il a dénoncé la spécialisation à outrance. Comme plusieurs autres Québécois de sa génération, il a été aussi un des plus ardents défenseurs de l'interdisciplinarité dans la recherche sociale. Il a enfin ouvert et exploré plusieurs pistes de recherche durant sa longue carrière, dont certaines continuent d'être parcourues par ceux et celles à qui il a enseigné. 

Les lecteurs de ces Mélanges y trouveront de nombreuses illustrations des facettes de la contribution de Marc-Adélard Tremblay à l'anthropologie. Dans la première partie, Leighton décrit les diverses caractéristiques du modèle opérationnel de son ancien étudiant et l'application de ce modèle dans plusieurs recherches, en insistant particulièrement sur le fait qu'il a résisté à l'éclatement conceptuel croissant des sciences sociales. Utilisant une méthodologie d'entrevue de type clinique, Routier décrit les principales étapes de la vie et de la carrière de Marc-Adélard Tremblay, en s'efforçant d'y retracer le fil conducteur majeur de son oeuvre. Audet, Laplante, Deveau et Ervin livrent quant à eux, de façon très détaillée pour le premier, de vibrants témoignages au sujet de l'homme et de l'œuvre. 

La deuxième partie regroupe cinq articles ayant trait à l'anthropologie de la santé et un bref témoignage (celui de Joubert). Dans un article fort documenté et approfondi, Bibeau et Corin traitent de l'épidémiologie psychiatrique dans une perspective anthropologique, en illustrant leurs propos avec une comparaison des recherches effectuées depuis longtemps dans le Stirling County de la Nouvelle-Écosse et plus récemment en Abitibi, et en venant à prôner une réarticulation des approches, perspectives et méthodologies d'enquête anthropologiques pour l'étude des problèmes de santé. Dufour insiste sur le relativisme de la notion de santé et propose l'utilisation du terme anthropie comme notion permettant une étude de l'humain dans sa globalité, tandis que Fougeyrollas voit dans l'approche holistique prônée par Tremblay une approche pertinente pour la compréhension des conséquences sociales des limitations fonctionnelles pour l'individu. Bernard s'attache à tracer un portrait des recherches sur l'alcoolisme au Québec, tandis que, sur un registre fort différent, Lumsden insiste pour dire, à partir de ses recherches sur le savoir et la psychiatrie en Chine, à quel point les discours et les systèmes de production du savoir sont et doivent être au centre des préoccupations de l'anthropologie. 

La troisième partie traite principalement de multiples aspects des méthodologies d'enquête et de l'application de l'anthropologie et comporte elle aussi un témoignage (Guay et Thivierge). On y discute des caractéristiques d'une enquête sur la santé des Cris de la Baie-James et de la nécessité d'en adapter et contextualiser les instruments (Clarkson), de l'analyse de contenu des manuels scolaires sous l'angle du bricolage des données (Blondin), de la complexification des problématiques anthropologiques de par l'élaboration de nouveaux champs d'observation et d'intervention comme «l'interculturel » (Doutreloux). Discutant du développement durable en utilisant surtout l'exemple des effets d'un projet de développement au Pakistan qu'il a lui-même étudiés, Freedman en vient à prôner une stratégie axée avant tout sur une mobilisation des organisations communautaires. Couillard, quant à elle, élabore une réflexion critique fort originale sur le développement de systèmes experts à partir d'une de ses recherches sur des groupes de femmes dans la région de Québec. 

La quatrième partie regroupe une variété de contributions sous la thématique de l'ethnicité et de l'autochtonéité, ainsi qu'un témoignage d'un collaborateur de Tremblay dans l'étude de la Commission Hawthorn-Tremblay (Vallee). Faisant bien plus qu'un simple bilan des recherches sur les minorités ethniques au Québec, Elbaz s'interroge sur les concepts, notions et discours sur l'Autre, y remettant en question plusieurs certitudes acquises. Trudel retrace l'itinéraire autochtone de Tremblay, alors que Gilbert, Beaucage et Charest présentent les résultats de leurs recherches récentes sur divers groupes ethniques et autochtones, respectivement au Nicaragua, au Mexique et au Québec. 

Les articles de la dernière partie de l'ouvrage sont regroupés sous la thématique de communautés rurales et changements socio-économiques et sont suivis d'un dernier témoignage (Genest). On y trouve, sous la plume de L.-E. Hamelin, une analyse fort personnelle d'un chapitre tragique de l'histoire électorale du Québec. Breton y poursuit pour sa part son exploration de l'organisation économique d'une communauté de pêcheurs de la Basse-Côte-Nord du Saint-Laurent, tandis que Dominique s'attache à l'étude du phénomène de la villégiature au Québec. Finalement, Simonis livre certains résultats d'une longue recherche anthropologique sur le phénomène de la gestion des entreprises familiales. 

Nous souhaitons vivement que cet ouvrage collectif stimule les anthropologues du Québec à explorer plus à fond la contribution de Marc-Adélard Tremblay à leur discipline et permette un jour d'en connaître toutes les composantes et influences. 

François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 juin 2006 8:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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