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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Pierre Elliott Trudeau, “Les séparatistes: des contre-révolutionnaires.” Un texte publié dans l’ouvrage d’Yvan Lamonde, avec la collaboration de Gérard Pelletier, CITÉ LIBRE. Une anthologie, pp. 359-366. Montréal: Les internationales Alain Stanké, 1991, 415 pp. [Avec l'autorisation de Monsieur Yvan Lamonde et de son éditeur accordée le 2 septembre 2008 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

VIII. Le débat Cité libreParti pris

Les séparatistes :
des contre-révolutionnaires


par Pierre Elliott Trudeau


Pierre Elliott Trudeau. « Les séparatistes : des contre-révolutionnaires », Cité libre, 67 (mai 1964) : 2-6 ; publié dans Pierre Elliott Trudeau. Texte repris dans Le Fédéralisme et la Société canadienne-française. Montréal, Hurtubise HMH, 1967, p. 217-227.

Un texte publié dans l’ouvrage d’Yvan Lamonde, avec la collaboration de Gérard Pelletier, CITÉ LIBRE. Une anthologie, pp. 359-366. Montréal : Les Éditions internationales Alain Stanké, 1991, 415 pp. [Autorisation formelle accordée par Yvan Lamonde et son éditeur, le 2 septembre 2008 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]


Nous sommes contre ces dirigeants qui sont de gauche et qui se cachent derrière l'idéologie marxiste-léniniste, mais qui en fait représentent le chauvinisme... Ils offrent maintenant une thèse réactionnaire qui se fonde sur une union des peuples basée sur le racisme et le nationalisme.
(N. Khrouchtchev, La Presse,
10 avril 1964)


I- Les dictateurs

Je me rase, quand j'entends notre engeance nationaliste se donner pour révolutionnaire. Elle conçoit la révolution comme un bouleversement profond, mais oublie que ceci caractérise aussi la contre-révolution.

Le fascisme et le nazisme ont bouleversé pas mal de choses. Notamment ils ont remplacé des institutions démocratiques par un système totalitaire. Il est vrai que la démocratie sous Victor-Emmanuel III et dans la république de Weimar n'était pas une formidable réussite. La démocratie parlementaire avait des racines peu profondes dans l'Italie et l'Allemagne d'après Versailles, l'idée d'État libéral n'étant acceptée que lentement par des nations dont l'une avait été longtemps soumise à un catholicisme autoritaire, et dont l'autre avait grandi sous un caporalisme prussien. Au niveau de l'État, l'inefficacité et la corruption faisaient des ravages, et le gouvernement semblait souvent incapable de faire le passage de la délibération à l'action.

Mais néanmoins l'idée de liberté était honorée, sous ces démocraties. Un grand nombre d'hommes croyaient encore qu'un ordre politique rationnel devait s'orienter par la discussion ouverte plutôt que par le refus fanatique du dialogue, devait se fonder sur le consensus plutôt que sur l'intolérance, devait s'instaurer par des élections plutôt que par la clandestinité et la violence.

Certes la liberté est souvent moins efficace que l'autorité, comme principe d'organisation à court terme. Et la raison est souvent moins forte que l'émotion, comme ressort populaire. C'est pourquoi les progrès de la démocratie étaient lents dans ces pays. Alors d'autres hommes sont venus qui se sont dits en possession tranquille de la vérité politique. Ceci les dispensait évidemment de la rechercher par le moyen de cette confrontation publique dont la démocratie donne le moyen. Dès qu'ils le purent, ils remplacèrent donc le parlementarisme par la démocratie dite plébiscitaire ; ils abolirent l'opposition et instaurèrent le parti unique ; ils assassinèrent la liberté et s'intronisèrent en dictateurs. Or tout ceci se fit au nom de la nation dont les droits, n'est-ce pas, étaient supérieurs à ceux de l'individu, fût-il métèque, juif ou simplement dissident.

Ces dictateurs s'appelaient Hitler et Mussolini. Il y en eut d'autres qui s'appelèrent Staline, Franco et Salazar. Il est indéniable qu'ils prétendaient tous servir la destinée de leur collectivité nationale respective ; trois d'entre eux se sont d'ailleurs désignés comme socialistes. Mais qui songerait à caractériser l'ensemble de leur oeuvre comme révolutionnaire ? Ils ont chambardé un grand nombre d'institutions, ils ont même ouvert la voie à certains progrès matériels ; mais ils ont aboli la liberté de la personne, ou l'ont empêchée de s'épanouir ; c'est pour cela que l'histoire les classe comme contre-révolutionnaires.


II - La liberté

Adoncques je me rase quand j'entends notre engeance nationaliste se donner pour révolutionnaire. La révolution au Québec, si elle avait eu lieu, aurait d'abord consisté à libérer le citoyen qu'abrutissaient des gouvernements rétrogrades et arbitraires, libérer des consciences que brimait une église cléricalisée et obscurantiste, libérer des travailleurs qu'exploitait un capitalisme oligarchique, libérer des hommes qu'écrasaient des traditions autoritaires et surannées. La révolution au Québec aurait consisté à faire triompher les libertés de la personne humaine comme des droits inaliénables, à l'encontre du capital, à l'encontre de la nation, à l'encontre de la tradition, à l'encontre de l'Église, et à l'encontre même de l'État.

Or cette révolution n'a jamais eu lieu. Certes il y a eu au Québec des hommes pour y travailler, et pour faire progresser la liberté et la démocratie depuis cent ans. Mais la collectivité finissait toujours par les réduire à l'impuissance : interdits de l'Église contre un Asselin ou un Buies, proscriptions de la race contre un Rabinovitch ou un Roncarelli, arbitraire de l'État contre un Picard ou un Guindon, matraques des policiers contre les grévistes d'Asbestos ou de Louiseville.

Vers 1960, on aurait pu croire cependant que la liberté allait finir par triompher. Depuis 1945, une série d'événements et de mouvements s'étaient conjugués pour reléguer aux orties les conceptions traditionnelles de l'autorité au Québec : les remous d'après-guerre, Refus global, Asbestos, les syndicats, les victoires judiciaires de Frank Scott et de Jacques Perrault, Cité libre, la défaite de l'Union nationale, pour ne donner que des exemples disparates. Si bien que la génération qui entrait dans la vingtaine en 1960 était la première de notre histoire qui reçut la liberté à peu près entière en partage. Le dogmatisme de l'Église, de l'État, de la tradition, de la nation était vaincu. L'Autorité avait repris la place qui lui convient sous un régime de liberté. Un notaire pouvait présider le Mouvement laïque sans perdre sa clientèle. Des professeurs pouvaient dire « non aux Jésuites » sans être exclus de l'université. Des comédiens ou des cinéastes pouvaient adhérer au marxisme sans être congédiés par les régies d'État. Les étudiants pouvaient tenter d'imposer leurs vues aux institutions d'enseignement sans passer la porte. La Famille elle-même avait perdu sa puissance sur les jeunes gens et les jeunes filles.

En 1960, tout devenait possible au Québec, et même la révolution. Il est probable du reste que celle-ci n'aurait pas été nécessaire, tant les voies du pouvoir étaient grandes ouvertes à tous ceux qui auraient maîtrisé les sciences et les techniques de l'heure : automation, cybernétique, sciences nucléaires, planification économique, et que sais-je encore. Une génération entière était enfin libre d'appliquer toutes ses énergies créatrices à mettre ce petit peuple arriéré à l'heure de la planète. Seulement, il aurait fallu de l'audace, de l'intelligence, et du travail. Hélas ! la liberté s'est avérée une boisson trop capiteuse pour être versée à la jeunesse canadienne-française de 1960. Elle y eut à peine goûté qu'elle s'empressa au plus vite de rechercher quelque lait plus rassurant, quelque nouveau dogmatisme. Elle reprocha à ma génération de ne lui avoir proposé aucune « doctrine » - nous qui avions passé le plus clair de notre jeunesse à démolir le doctrinarisme servile - et elle se réfugia dans le sein de sa mère la Sainte Nation.

Comme me l'écrivait un ami, dernièrement : au sectarisme religieux, on substitua le sectarisme national. Les dévôts séparatistes et les autres rongeurs de balustre au Temple de la Nation désignent déjà du doigt le non-pratiquant. Aussi bien, nombre d'incroyants trouvent avantageux de faire leurs Pâques nationalistes, car ils espèrent ainsi accéder aux fonctions sacerdotales et épiscopales, sinon pontificales, et être habilités par ce fait à réciter les oraisons, faire circuler directives et encycliques, définir les dogmes et prononcer les excommunications, avec l'assurance de l'infaillibilité ! Ceux-là qui n'accéderont pas au sacerdoce pourront espérer devenir marguilliers en récompense des services rendus ; à tout le moins ils ne seront pas embêtés quand le Nationalisme sera devenu religion d'État.


III - Le néo-cléricalisme

Le nouveau parti clérical, qui avait déjà ses papes et ses nonces, vient de se trouver un Torquemada. Il faut bien, n'est-ce pas, que la contre-révolution séparatiste ait sa petite Inquisition, car autrement à quoi serviraient ces listes de proscrits qui circulent depuis belle lurette ? J'ai eu du regret à apprendre que François Hertel s'était porté volontaire pour cette tâche. Je n'aurais pas cru que cet homme, que j'ai longtemps respecté parce qu'il avait eu naguère le rare courage de rejeter tous les conformismes, finirait en grenouille de bénitier dans la chapelle séparatiste.

Voici que de Paris, hors d'atteinte de nos lois pénales mais non de notre mépris, il écrit : « Assassinez-moi un traître bien de chez nous. Cela serait du bon boulot. Délivrez, par exemple, de l'existence, où il a tellement l'air de s'ennuyer - ce pauvre Laurendeau... » Et cœtera. Adresser de telles paroles à un public qui s'apprête à sacrifier toutes les valeurs - et surtout la liberté et la sécurité de la personne - à l'idole de la collectivité, et qui a déjà commencé de prendre les terroristes pour des héros et des martyrs, est le fait d'un dangereux irresponsable.

Mais le comble de l'irresponsabilité, c'est de publier ce texte dans le Quartier latin (9 avril 1964) comme un « extraordinaire document » ; ensemble avec d'autres documents du reste qui incitent à l'assassinat. J'aurais dû évidemment m'attendre à tout de la part d'un directeur de journal qui reconnaît le parti unique comme une voie acceptable pour le Québec de demain.

D'autant plus que ce même directeur dans ce même journal étudiant, deux jours plus tôt, avait présenté un autre « document » sur la liberté de presse qui démontrait précisément qu'il tenait cette liberté pour peu de chose. Je fais allusion à l'article M. Gérard Pelletier et la liberté de presse, où le professeur Jean Blain écrit : « Au nom de la liberté de presse, il (Pelletier) me refusait celle de m'exprimer ». Or c'est faux. Comme Le Devoir du 8 avril le disait, Pelletier a offert au professeur Blain de publier intégralement sa chronique en tribune libre dans La Presse, et c'est le professeur qui a refusé. Le Quartier latin aurait pu connaître ce fait s'il avait eu quelque égard pour un principe élémentaire de justice : audi alteram partem. Mais un certain Goebbels nous a déjà démontré que la justice et la vérité comptent pour peu quand il s'agit de faire de la surenchère nationaliste.

Quant au fond du différend Pelletier-Blain, que dirais-je à des gens qui n'ont jamais lu John Stuart Mill, On Liberty ? "The beliefs which we have most warrant for have no safeguard to rest on, but a standing invitation to the whole world to prove them unfounded". On ne peut se réclamer de la liberté de parole si l'on trouve indifférent que le débat public et la libre confrontation soient écartés, comme moyens d'en arriver aux vérités politiques ; ces notions sont indissolublement liées. Or Parti pris, au dire même du professeur Blain (loc. cit.), se base sur le « refus du dialogue ». Pelletier du reste, dans le dernier Cité libre, a fait ressortir le caractère totalitaire de la pensée de Parti pris. Et pour plus de sûreté, dans le numéro d'avril de cette revue contre-révolutionnaire, à la page 51, on confesse qu'« il y a un totalitarisme nécessaire ». (Cet article me cherche querelle, semble-t-il. Mais pas sur mes idées puisqu'on reconnaît la justesse de l'épithète « totalitaire » : sur mon portefeuille ! Vraiment, les mobiles de cette révolte manquent de désintéressement... )

Mais il n'y a pas que les étudiants, ces petits-bourgeois de demain, pour embrasser le sectarisme contre-révolutionnaire. Il y a naturellement aussi les petits-bourgeois d'aujourd'hui. M. Jean-Marc Léger, qui a toujours eu le courage et la conscience de son nationalisme - et je n'en dirais pas autant de ceux qui le toisaient de très haut il y a quinze ans, mais qui en viennent aujourd'hui à penser comme lui, parce qu'ils veulent être « aimés de la jeunesse » - M. Léger préconisait au colloque de la Saint-Jean-Baptiste « la création d'un climat de ferveur nationale dans les écoles ». Et pour y arriver « l'interdiction aux parents franco-phones d'inscrire leurs enfants dans des établissements anglophones, au Québec ». (Le Devoir, 16 mars 1964.) Il va de soi que cette pensée néo-cléricaliste fut bien accueillie par nos journaux, et personne ne sembla s'émouvoir de ce que l'enseignement au Québec puisse passer du confessionalisme religieux au confessionalisme linguistique obligatoire.

Il est remarquable, du reste, que le seul cas depuis fort longtemps où l'opinion publique canadienne-française se soit véritablement émue à propos des libertés de la personne, c'est le cas de la Loi du Coroner. Or, cette loi fait partie de nos statuts provinciaux depuis une quarantaine d'années et a dû servir à brimer dans leur liberté et leur dignité d'innombrables pauvres diables, y compris évidemment bien des Canadiens français. Mais il a fallu attendre que des fils de la petite-bourgeoisie, au service d'une idéologie petite-bourgeoise, en tombent victimes, pour que notre intelligentsia et nos classes professionnelles se mettent en frais de réclamer à cor et à cri des réformes.


IV - La persécution

Le progrès pour l'humanité, c'est son lent acheminement vers la liberté de la personne. Ceux qui sont responsables d'un renversement brusque de cette direction se définissent comme contre-révolutionnaires.

Il y a certes des situations historiques où la liberté de la personne n'est à peu près pas protégée par les institutions établies ; il se peut alors qu'un révolutionnaire authentique mette l'accent sur les libertés collectives, comme préalable aux libertés personnelles : Castro, Ben Bella, Lénine...

Mais quand les libertés personnelles existent, il serait inconcevable qu'un révolutionnaire les détruise au nom de quelqu'idéologie collective. Car le but même de la collectivité, c'est de mieux assurer les libertés personnelles. (Ou alors on est faciste...)

C'est pour cela qu'au Québec aujourd'hui il faut parler de contre-révolution séparatiste. Certes, les libertés personnelles n'ont pas toujours été à l'honneur au Québec. Mais, je le répète, on y était à peu près arrivé vers 1960. Grâce à des avocats anglais et juifs (eh ! oui...), grâce à la Cour suprême à Ottawa, les libertés personnelles avaient fini par triompher sur l'obscurantisme du législateur québécois et l'autoritarisme de nos tribunaux. (Voir Cité libre, avril 1962, p. 12, n° 27.) Grâce aussi à ces divers mouvements et événements dont j'ai parlé plus haut, il n'était guère de secteur au Québec où les libertés personnelles à tous les niveaux de la population n'étaient pas en progrès sûr, et où la censure, l'interdit, l'autoritarisme, le cléricalisme, et la dictature n'étaient pas en net recul.

Or voici qu'aujourd'hui il ne se passe guère de semaine sans qu'une poignée d'étudiants séparatistes ne vienne me dire qu'ils sont contre la démocratie et pour le parti unique, pour un certain totalitarisme et contre les libertés personnelles. Ils sont en cela dans la plus pure ligue de ce que notre société a toujours produit de plus monolithique, et de plus rétrograde. Ils veulent réinstaller notre population dans une mentalité d'état de siège.

C'est qu'au fond, les séparatistes désespèrent de pouvoir jamais convaincre le peuple de la justesse de leurs idées. Ce long travail d'éducation et de persuasion auprès des masses, que les syndicalistes ont entrepris il y a plusieurs décennies, que les Créditistes eux-mêmes ont fait depuis trente ans, les séparatistes n'ont ni le courage, ni les moyens, ni surtout ce respect de la liberté de l'autre, qu'il faudrait pour l'entreprendre et le mener à bien.

Alors ils veulent abolir la liberté et imposer la dictature de leur minorité. Ils sont en possession tranquille de la vérité, alors les autres n'ont qu'à se ranger. Et quand ça ne va pas assez vite, ils ont recours à l'illégalité et à la violence. Par-dessus le marché, ils se disent persécutés. Voyez-vous ça, les pauvres petits ! Ils font nombre dans les salles de rédaction de nos journaux, ils pullulent à Radio-Canada et à l'Office du film, ils pèsent de tout leur poids (?) sur les mass média, mais ils trouvent néanmoins injuste la place qui leur est faite dans cette société.

Parce que quelques-uns des leurs ont été ennuyés pour leurs idées (qu'ils disent...), ils veulent en finir avec les moyens pacifiques et constitutionnels. Ils déclarent aux journaux que désormais ils entreront dans la clandestinité. Ces terroristes terrorisés seront dirigés par un Monsieur X. Et, dans une courageuse anonymité, ils sèmeront leurs idées, - en attendant de placer leurs bombes !

Non, mais sans blague ! Dans la province de Québec, les témoins de Jéhovah et les Communistes - deux infimes minorités - ont été bafoués, persécutés et honnis par notre société toute entière ; or ils ont trouvé le moyen de combattre par des moyens légaux Église, État, nation, police et opinion publique. Les syndiqués eux-mêmes, qui en ont pourtant souffert des mises à pied pour activités syndicales, n'ont jamais eu la pensée de détruire les libertés de la personne, mais au contraire s'en sont toujours faits les défenseurs, en même temps que les champions de la cause démocratique.

Mais nos nationalistes, eux, - dont les « experts » prétendent qu'il en sommeille un au coeur de tout Canadien français - désespèrent de jamais faire accepter légalement leur « message » à une majorité de Canadiens français. Ils crient à la persécution pour se justifier d'entrer dans une clandestinité de démissionnaires.


V- Le complexe du wigwam

La vérité, c'est que la contre-révolution séparatiste est le fait d'une minorité petite-bourgeoise impuissante qui craint d'être laissée pour compte par la révolution du vingtième siècle. Plutôt que de s'y tailler une place à force d'excellence, elle veut obliger toute la tribu à rentrer sous les wigwams, en déclarant l'indépendance. Cela, bien sûr, n'empêchera pas le monde extérieur de marcher à pas de géant, cela ne changera pas les lois et les données de l'histoire, ni le rapport réel des forces en Amérique du Nord.

Mais au moins à l'intérieur de la tribu, les contre-révolutionnaires seront rois et sorciers. Ils auront l'autorité légale de déclarer la guerre (la faire, ce sera une autre histoire !), de nommer des plénipotentiaires (bourgeois), d'ouvrir des banques (bourgeoises), et d'imposer un système de douanes favorables à la petite-bourgeoisie. Ils pourront aussi transférer des titres de propriété, et déclarer que les industries étrangères appartiendront désormais à la bourgeoisie tribale. La tribu risque d'être sérieusement appauvrie, mais ce qui importe, n'est-ce pas, c'est que les contre-révolutionnaires ne le soient pas.

Certains contre-révolutionnaires se donnent le change à eux-mêmes en s'affublant de déguisements marxistes-léninistes, tout comme l'ont déjà fait ces chefs africains qu'ils prennent du reste pour modèles. Or toute cette mascarade a été admirablement décrite par Frantz Fanon dans Les Damnés de la terre, dont pourtant nos contre-révolutionnaires disent que c'est leur livre de chevet. (Ce qui me donne à penser qu'ils ne lisent pas au lit plus qu'ailleurs ; je leur ferai donc la faveur de citer un peu longuement ce livre publié chez Maspero en 1961, et dont ils n'ont peut-être feuilleté que le chapitre sur la violence.)

« La bourgeoisie nationale ne cesse d'exiger la nationalisation de l'économie et des secteurs commerciaux... Nationalisation pour elle signifie très exactement transfert aux autochtones des passe-droits hérités de la période coloniale (p. 115)... Elle emploie son agressivité de classe à accaparer les postes anciennement détenus par les étrangers... Elle va se battre impitoyablement contre ces gens « qui insultent la dignité nationale »... En fait sa démarche va se teinter de plus en plus de racisme (p. 118)... Partout où cette bourgeoisie nationale s'est révélée incapable de dilater suffisamment sa vision du monde, on assiste à un reflux vers les positions tribalistes ; on assiste, la rage au coeur, au triomphe exacerbé des ethnies (p. 120)... Sur le plan intérieur... la bourgeoisie choisit la solution qui lui semble la plus facile, celle du parti unique... Le parti unique est la forme moderne de la dictature sans masque, sans fard, sans scrupules, cynique (p. 124)... Toute l'activité idéologique se bornant à une suite de variantes sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (p. 128)... Sur le plan institutionnel, elle (la bourgeoisie nationale) saute la phase parlementaire et choisit une dictature de type national-socialiste (p. 129)... Cette tribalisation du pouvoir entraîne on s'en doute l'esprit régionaliste, le séparatisme (p. 137)... Il est vrai que si l'on prend la précaution d'utiliser un langage compréhensible par les seuls licenciés en droit ou en sciences économiques, la preuve sera aisément faite que les masses doivent être dirigées (p. 140). »

Le séparatisme, une révolution ? Mon œil. Une contre-révolution ; la contre-révolution nationale-socialiste.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 24 mars 2013 16:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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