RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »


Rodrigue Tremblay, Le Québec en crise (1981)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rodrigue Tremblay, Le Québec en crise. Montréal: Les Éditions Select ltée, 1981, 447 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay.
Avant-propos
Montréal, de juillet 1980 à avril 1981.

« L'homme est ce qu'il fait ! »
            André Malraux

Ce livre n'est, en fait, rien d'autre qu'un témoignage direct sur les événements politiques que le Québec et le Canada ont vécu de 1976 à 1981, à partir d'une perspective particulière, soit celle d'un ministre et d'un député au cœur de l'action.

C'est donc à ce titre un document qui retrace en quelque sorte une histoire vécue, relatée et commentée de l'intérieur.

Il s'est en effet écoulé suffisamment de temps depuis que j'ai quitté le gouvernement du Québec pour établir une juste distance entre le vécu et l'analyse, d'autant plus que des élections générales ont eu lieu au Québec depuis.

Dans ces conditions, j'estime qu'il est à la fois de mon droit et de mon devoir d'exposer la façon dont j'ai essayé de m'acquitter de mes responsabilités d'homme politique au cours de la période qui vient de s'écouler.

On constatera que les critiques que je suis amené à formuler à l'endroit de l'orientation prise par le gouvernement péquiste reposaient sur des opinions et des convictions que j'ai exprimées bien avant que les événements eux-mêmes ne se produisent. Ce fut notamment le cas concernant la priorité à accorder au développement économique du Québec et la nécessité de poursuivre une politique constitutionnelle modérée et responsable.

* * *

Face aux événements, faits et gestes politiques, la population ne voit que le bout de l'iceberg. Bien souvent, la réalité des choses est différente et parfois même contraire aux apparences qu'ont véhiculées les media d'information et la propagande politique. Un point de vue de l'intérieur est de nature alors à jeter sur les événements un éclairage additionnel qui a l’avantage de compléter et de rectifier des impressions déjà reçues.

La narration des événements que l'on retrouvera ici n'en demeure pas moins personnelle et en partie, par conséquent, subjective. On ne peut, en effet, exprimer des points de vue sur des événements politiques sans que ceux-ci ne prennent un relief particulier. C'est pourquoi, il est normal que les épisodes, les politiques et les affaires auxquelles j'ai été personnellement et directement associé reçoivent une attention spéciale. On ne peut traiter convenablement que de ce que l'on connaît bien.

Pour la plupart, cependant, les faits ne sont point nouveaux. Ils peuvent en général être facilement retracés dans les journaux de l'époque. À part donc quelques anecdotes et certaines circonstances qui servent de toile de fond à ma démission du gouvernement, ce livre s'arrête à la porte du Conseil des ministres et ne fait point référence à ses délibérations ou à ces comptes rendus. Le secret ministériel est respecté.

Certains, par conséquent, pourront être déçu : le livre ne porte ni sur des indiscrétions politiques, ni sur les à-côtés privés de la vie politique des personnes publiques. Seules des circonstances inédites permettent de mieux situer des événements publics déjà connus et, espérons-le, de les mieux comprendre dans l'intérêt public.

Le fait de replacer les événements dans leur contexte politique et historique renseigne parfois davantage cependant sur leur signification profonde qu'une simple description même exhaustive. Dans le jeu de la politique, la présentation est publique, mais il faut être dans la coulisse pour ne point être victime de la mise en scène et des artifices trompeurs qui mystifient les badauds.

C'est pourquoi, dans une démocratie il doit régner aussi un sain scepticisme envers les politiciens. Non pas que le personnel politique dans une société soit intrinsèquement moins honnête que celui des autres professions. Mais parce que la politique est la recherche du pouvoir par la persuasion du plus grand nombre, c'est une mission impossible qui confronte le politicien qui doit plaire tout en satisfaisant à des intérêts divergents, souvent contradictoires.

* * *

Ce livre veut aussi, bien qu'indirectement, lever un peu le voile et démystifier les mécanismes du pouvoir politique pour le grand public. Les gouvernements occupent une place tellement grande dans la vie de chacun qu'une leçon dans le fonctionnement réel des officines des administrations publiques, partisanes et bureaucratiques est aujourd'hui une nécessité.

Comment se font les lois ? Comment se nomment les ministres ? Quelle est la marge de manœuvre réelle des ministres ? Quelles sont les relations entre les ministres et le premier ministre dans un gouvernement ?

Comment se jouent en coulisse les intrigues, les cabales, les complots, les coalitions d'intérêts et les jeux de pression dans un gouvernement ? Pourquoi certains dossiers d'intérêt public ne voient jamais le jour tandis que des mesures irréfléchies et néfastes sont adoptées et sont sacralisées dans des lois ?

- Est-ce que les politiciens disent ce qu'ils pensent ? Pensent-ils ce qu'ils disent ?
- Est-ce que les politiciens ont trop de pouvoirs ? Face à la population ? Face à la bureaucratie ? Dans notre monde moderne, est-ce que quelques politiciens peuvent prendre seuls, les grandes décisions politiques qui affectent la population et l'orientation de la Société ?
- Quelles sont, en effet, les relations entre les politiciens et les bureaucrates ? Qui dirige, en définitive, l'appareil gouvernemental, et en vertu de quels principes et de quelles règles ?

On a dit que s'il fallait un jour qu'on décide de téléviser les séances du Conseil des ministres, ce serait probablement la révolution !

Rien de substantiel ne se décide à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des Communes, là pourtant où se trouvent les caméras de télévision ! Tout se décide en définitive au Conseil des ministres.

Les chefs de parti et les premiers ministres jouissent souvent en effet d'un prestige artificiel et non mérité, simplement parce que des conventions commodes telles, la règle de l'unanimité, la solidarité ministérielle et le secret des délibérations du Conseil des ministres, tuent dans l’oeuf tout débat public éclairé. Ceux qui ne connaissent pas, discutent ; tandis que ceux qui savent, se taisent.

Le manque de profondeur d'une presse complaisante aidant, il arrive ainsi que les vrais débats importants ne se font pas sur la place publique, mais se déroulent plutôt dans la discrétion feutrée des ministères ou dans le mystère des conseils des ministres. C'est souvent là que se tissent les vrais compromis politiques et que se prennent les grandes orientations sociales et économiques.

Ce sont des considérations qui ne devraient pas seulement intéresser les spécialistes de la science politique, mais aussi tout citoyen informé qui veut éviter d'être victime des images et des illusions que les machines politiques et bureaucratiques véhiculent dans leur lutte pour le pouvoir.

La démocratie exige en effet que les citoyens participent activement à la formulation des grands choix politiques. Et pour cela, il faut qu'ils soient renseignés et qu'ils n'hésitent pas à s'impliquer.

Car, comme le disait John Stuart Mill, « nous n'apprenons pas à lire ou à écrire, à monter à cheval ou à nager, en nous faisant dire comment le faire, mais en le faisant nous-mêmes. Il en va de même de la démocratie ; c'est en la pratiquant sur une petite échelle que les gens apprennent à la faire fonctionner à l'échelle d'une région ou d'un pays ».

* * *

Mais un voyage au pays des politiciens, c'est aller au cœur de la tourmente quand une société traverse une crise. Et le Québec, tout comme le Canada dans son ensemble, traversent présentement une crise politique et constitutionnelle majeure.

Pourquoi les choses ont-elles évolué dans le sens que l'Histoire enregistrera ? Est-ce que les hommes publics se sont montrés à la hauteur de la tâche qui leur incombait et ont-ils transposé dans les textes légaux et constitutionnels la volonté des citoyens ?

Le 20 mars 1980 à l'Assemblée nationale du Québec, le Premier Ministre du Québec, M. René Lévesque, faisait adopter une question référendaire et constitutionnelle emberlificotée, contre l'avis contraire de l'Opposition parlementaire, et sans consultation préalable, avec l'autre gouvernement impliqué, le Gouvernement du Canada.

C'était un premier geste unilatéral en matière constitutionnelle. Par la méthode employée pour la faire adopter et par sa nature volontairement ambiguë et confuse, la question référendaire soumise à la population du Québec le 20 mai 1980 faisait apparaître ce premier référendum constitutionnel au Québec comme une sorte de tentative de coup de force politique.

La population du Québec rejeta ce plébiscite à la française à raison de 59.56% contre 40.44%.

Le Premier ministre du Canada, M. Pierre Trudeau, répondit à l'échec du coup de force maladroit du Gouvernement québécois par un coup de force constitutionnel fédéral sans précédent, le 2 octobre 1980, soit la présentation à la population canadienne d'un projet unilatéral de nouvelle constitution canadienne.

Dans ce projet de constitution, nettement plus unitaire que fédérale dans son orientation, le Gouvernement « fédéral » du Canada souhaitant se faire léguer à jamais par le Parlement du Royaume-Uni le pouvoir de modifier unilatéralement la Constitution canadienne, sans l'assentiment du Parlement du Québec, ni même du Sénat canadien, mais en recourant plutôt, si nécessaire, à un plébiscite populaire tenu indépendamment des gouvernements des provinces.

La crise politique québécoise et canadienne tenait donc essentiellement au fait que les dirigeants des gouvernements à Québec comme à Ottawa n'avaient nullement l'intention de la résoudre par un compromis constructif, mais poursuivaient des objectifs politiques irréconciliables qui les poussaient à jouer le tout pour le tout,... quitte à perdre le tout !

Cette partie de poker historique s'est jouée au-dessus de la population, à qui on n'a jamais vraiment demande clairement son avis. Tant à Québec qu'à Ottawa, les deux gouvernements agissaient, en matière constitutionnelle, de manière à ne pas dénouer la crise.

L'imposition d'un mode de fédéralisme unitaire au Canada, ne résout pas la crise politique québécoise. Elle la comprime et l'encadre juridiquement et constitutionnellement en voulant transférer unilatéralement et par un procédé colonial au Parlement d'Ottawa, des pouvoirs politiques qui appartenaient auparavant aux parlements provinciaux dont, en particulier, à celui du Québec en matière d'éducation et de langue.

Le problème de la décentralisation des pouvoirs et des institutions politiques à l'intérieur de la confédération canadienne demeure donc entier.

Sous cet angle, il n'a pas eu réponse à la crise du Québec, ni par conséquent à celle du Canada.

La réélection du Parti québécois, le 13 avril 1981, ne fait que confirmer cette évidence et perpétuer l'état de crise politique.

* * *

Heureusement, le problème de la survie et de l'épanouissement d'une société francophone en Amérique du Nord ne relève pas des seuls gouvernements et des seuls politiciens. C'est plutôt un défi que les individus et les familles renouvellent continuellement dans leur propre milieu et en fonction de leurs intérêts propres.

C'est pourquoi l'incapacité des politiciens de dégager une solution à la crise du Québec et du Canada qui soit largement acceptable à la population demeure leur propre échec et non pas celui de la population.

La solution ne pourra venir que lorsque les personnages politiques accepteront de placer les intérêts légitimes de la population avant leurs propres intérêts partisans et avant ceux de leur formation politique.

Fondamentalement, une telle solution ne peut vraiment découler que d'un compromis politique et institutionnel qui reflète fidèlement et concrètement la réalité bilingue et biculturelle du Canada.

Au terme de ce voyage au pays des politiciens, je me dois d'adresser des remerciements particuliers à tous ceux et celles qui m'ont assisté dans la préparation et la révision de cet ouvrage, tant au plan de la documentation que de l'assistance technique, de même qu'à tous ceux et celles qui l'ont rendu possible.

Montréal, de juillet 1980 à avril 1981.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 13 février 2006 14:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref