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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une perspective holistique dans l'étude de la santé / A Holistic Approach in the Study of Health (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Marc-Adélard Tremblay, “Une perspective holistique dans l'étude de la santé / A Holistic Approach in the Study of Health”. Mémoires de la société royale du Canada, série 4, tome 21, 1983, pp. 3-19. Allocution présidentielle. Ottawa : Société royale du Canada. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

Introduction

L'idée de choisir la santé pour en faire l'objet de cette présentation m'est venue d'une double constatation. La première renvoie aux nouvelles représentations individuelles et collectives de la santé tandis que la seconde se rapporte aux récents développements théoriques dans l'univers des sciences humaines de la santé où la perspective holiste occupe, à mon sens, une place de choix [1]. Les sociétés technologiques et bureaucratiques dans lesquelles nous sommes des acteurs sociaux sont principalement gouvernées par des impératifs de rationalité, d'efficacité et de productivité. Dans ces genres de civilisation, le « vivre en santé » représente à la fois l'expression d'une ultime finalité et d'une valeur existentielle d'une importance primordiale qui acquiert de plus en plus de profondeur au fur et à mesure que se déploient des technologies qui sont à la fine pointe de la recherche expérimentale en bio-médecine et qui soutiennent une idéologie progressiste de la médecine [2]. Vous me rétorquerez, à juste titre d'ailleurs, que cette idéation est presque aussi ancienne que les premières civilisations humaines, Toutefois le contenu, les significations ainsi que les attentes associées à cette philosophie millénaire évoluent au rythme de l'avancement des connaissances scientifiques sur l'Homme et des savoirs généraux sur la très grande diversité des contextes socio-culturels dans lesquels les individus construisent la trame de leur existence. 

Personne niera l'action déterminante des sciences expérimentales et naturelles sur l'évolution du savoir médical et des pratiques cliniques. L'influence des sciences humaines, par contre, est plus récente, moins connue et, certes, moins évidente. Pourtant depuis au moins un demi-siècle les sciences humaines s'intéressent à la santé-maladie [3] en tant que fait social et patron de culture et mettent de l'avant la proposition que les systèmes de santé de l'Occident doivent être réformés pour mieux tenir compte de la psychologie et des modes de vie des patients [4]. La notion de « santé », comme l'a affirmé l'Organisation Mondiale de la Santé, ne peut plus se définir comme étant l'absence de maladie [5] ou comme étant la résultante de processus organiques et physiologiques « anormaux ». Le recours exclusif aux facteurs organiques pour expliquer le déclenchement du processus pathologique demeure insuffisant dans la mesure où celui-ci découle aussi de dynamismes qui ont une filiation aux divers états psychologiques de l'individu, aux différentes conditions environnementales [6] et à une kyrielle de facteurs socio-culturels [7]. Qui plus est, la santé ou la maladie ne peut plus se concevoir comme étant un phénomène strictement individuel qui apparaît en dehors des réalités sociales plus vastes. La nature collective de ces phénomènes se traduit tout autant par le caractère épidémique de certaines maladies et par l'importance relative des conditions de vie dans la production d'états pathogènes que par la participation du public à la conception du système de santé et la collectivisation des besoins de santé. Certaines spécialités médicales émergentes tiennent justement compte de ces perspectives nouvelles sur la santé et la maladie. Nous pensons, en particulier, à la médecine sociale et préventive, à la médecine familiale, à la psychiatrie sociale ou communautaire et à la gériatrie sociale. Quelques-unes de ces orientations nouvelles résultent de l'évolution des sciences bio-médicales (expérimentations sur l'infiniment petit à l'aide de méthodologies, de techniques et d'instruments novateurs), mais d'autres proviennent des résultats inattendus des sciences humaines de la santé. En dépit du fait que l'évolution de ces dernières disciplines ait été plutôt lente et ait suivi une trajectoire capricieuse, si on la compare à celle des sciences expérimentales, la variété des grilles d'analyse [8] ainsi que la richesse du corpus des connaissances sur « la réalité sociale » évoluent rapidement conférant ainsi aux notions de santé et de pathologie, aux phénomènes sanitaires et morbides des dimensions conceptuelles [9] complètement ignorées ou laissées dans l'ombre, étant donné le paradigme disciplinaire en cours en bio-médecine [10]. Je me suis donné la tâche, peu facile et assez ambitieuse, il faut bien l'avouer, de révéler certaines de ces dimensions qui font l'objet de nombreuses publications dans nos disciplines dans des perspectives comparatives tant au niveau des conduites individuelles qu'à celui des cadres institutionnels [11]. Deux principaux paramètres nourriront mon propos tout le long de son déroulement. Ils serviront, en quelque sorte, de fil conducteur aux pré-requis nécessaires à une présentation schématique de la perspective systémique [12], telle que celle-ci est utilisée dans l'étude de la santé-maladie. Ce sont les concepts de « système de santé » et de « production culturelle de la maladie ». Le système de santé est conçu comme étant un système social adaptatif élaboré dans le but de résoudre les phénomènes de morbidité [13]. Dans le sens ethnologique du terme, la maladie est un fait de culture. En tant que tel, l'anthropologie culturelle et certaines autres disciplines sociales cherchent à déterminer l'importance relative des facteurs culturels dans l'apparition d'états pathogènes individuels comme collectifs. 

Dans un premier temps, nous effectuerons une comparaison entre les composantes du modèle médical classique et celles du modèle médical moderne. Nous ferons ressortir, par après, les conséquences de ces perspectives sociales sur la santé-maladie tout en tenant compte de l'évolution des systèmes sociaux et des mentalités individuelles, principalement en Occident. Nous présenterons, en dernier, un modèle holiste de la santé à l'intérieur duquel les concepts d'adaptation, de croissance et d'équilibre sont utilisés pour intégrer dans une vue unifiante les niveaux biologique, psychologique et culturel de la personne humaine.


[1] Nous avons défini ailleurs, d'une façon plus substantielle, la perspective holiste ou systémique de la santé. Voir Tremblay 1983a et 1983b. Essentiellement, il s'agit d'une perspective globalisante qui cherche à intégrer dans une visée unique les perspectives théoriques de la biologie (anthropologie somatique), de la psychologie (le champ de la personnalité et des rapports nature-culture) et de l'ethnologie [les traditions et les patrons culturels).

[2] Voir Thomas 1978.

[3] Nous concevons le concept « santé-maladie » non pas comme les versants d'une même réalité, mais plutôt comme les expressions d'une réalité variable qui acquiert différentes valeurs sur un continuum constitué de divers états de santé et de différents degrés de gravité de la maladie. Sur ce continuum la santé « optimale » représente le pôle positif et la mort, le pôle négatif.

[4] Ne peut-on pas prétendre, comme l'a fait C. Lasch, que la « sensibilité politique » des années soixante en Amérique du Nord a été remplacée par une « sensibilité thérapeutique » accordant ainsi à la « santé » une position idéologique dominante ?

[5] Une définition à caractère résiduaire qu'utilisa la médecine durant plusieurs décennies.

[6] Nous adoptons la définition que les rédacteurs de Médecine et société : les années 80 (Bozzini et al. 1981) ont utilisé pour définir l'environnement dans l'article de Thomas McKeown (note 1, page 173) : « L'ensemble des conditions naturelles et culturelles susceptibles d'agir sur les organismes vivants et les activités humaines ».

[7] « Toutes les civilisations du monde ont développé des conceptions de la maladie, ont élaboré des systèmes de dispensation des soins et ont mandaté des spécialistes pour traiter les malades et les aider à restaurer les équilibres physiologiques, psychosomatiques et socio-culturels rompus. Conceptions de la maladie, élaboration des méthodes prophylactiques, apprentissage des guérisseurs, application des thérapeutiques constituent autant d'éléments du système de santé qui sont influencés par les visions du monde, les systèmes de pensée et les modes de vie » (Tremblay 1983b : 77). L'anthropologie culturelle a documenté, dans ses monographies, ces divers éléments du système de santé de plusieurs civilisations différentes. Ces études ont pris une telle importance durant le dernier quart de siècle et ce champ d'étude a acquis une telle spécificité qu'une nouvelle sous-discipline est apparue, l'anthropologie de la santé ou anthropologie médicale. Trois traditions ethnologiques sont à l'origine de cette sous-discipline : (a) les observations détaillées de l'ethnographie traditionnelle sur les « médecines primitives » et les maladies des peuples sans écriture (Clements 1932) ; (b) les nombreuses monographies transculturelles, dans le champ de la culture et de la personnalité, portant sur l'apprentissage et la transmission culturelle, des années trente (Hallowell 1934) et quarante (Mead 1949) ; et (c) les traditions naissantes des programmes internationaux de santé publique mis sur pied depuis la Seconde Guerre Mondiale par les grandes agences internationales publiques ou privées. Nos propres sociétés et leurs systèmes médicaux ont fait l'objet d'observations systématiques dans les perspectives des sciences humaines. Nous avons récemment, pour l'anthropologie, décrit l'historique de cette sous-discipline au Québec (Tremblay 1983c) et dressé un bilan critique de l'ensemble des études qui ont été effectuées au Québec.

[8] Les principales grilles d'analyse en anthropologie de la santé découlent de schémas fonctionnels (T. Parsons et F. Steudler), écologiques (Armelagos 1978), épidémiologiques (Dunn 1968), systémiques (Pelletier 1980) ainsi que des paradigmes du matérialisme historique (Navarro 1978 ; Polack 1971 ; Waitzkin et Waterman 1974 ; ainsi que Zola 1977). L'émergence du paradigme sémiotique a suscité toute une série d'études sur le discours médical (les thérapeutes) et les représentations de la maladie (l'ensemble des soignés et des clients éventuels). Les conceptualisations qui particularisent chacune de ces perspectives théoriques sont multiples et les concepts généraux utilisés ici sont habituellement ceux qui recouvrent les différentes sous-variétés conceptuelles.

[9] L'opérationalisation des perspectives théoriques dans les sciences humaines s'effectue par le biais de l'analyse conceptuelle. Celle-ci prend un concept, le décompose dans ses principales dimensions et trouve pour chacune de celles-ci des indicateurs qui permettent d'observer directement la réalité.

[10] Voir, en particulier, Engel 1977.

[11] La littérature des sciences humaines de la santé est abondante et des dizaines de revues scientifiques ont préparé, ces dernières années, des numéros spéciaux ayant pour thématique la santé. Nous nous bornerons, ici, à référer le lecteur intéressé à deux ouvrages récents (une revue et ou ouvrage collectif) qui examinent l'ensemble des rapports entre les sciences humaines, d'une part, et les sciences bio-médicales, de l'autre : McGracken 1979 ; Eisenherg et Kleinman 1981.

[12] Voir Bertalanffy 1968a et 1968b ; Dubos 1965 ; et Lazlo 1972.

[13] Voir Foster et Anderson 1978, principalement le chapitre qui traite des systèmes médicaux en tant que systèmes sociaux adaptatifs aux pages 33-47.


Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 10 juin 2006 11:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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