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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc-Adélard Tremblay, Parallélismes dans la dynamique des arts, des sciences humaines et de l'ensemble des disciplines scientifiques au 20e siècle”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Pierre Maranda et Marc-Adélard Tremblay, Arts et sciences : Canada 2001, pp. 124-130. Québec : Université Laval, 2001, 130 pp. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

[124]

Marc-Adélard Tremblay (1922 - 2014)

Parallélismes dans la dynamique
des arts, des sciences humaines
et de l'ensemble des disciplines scientifiques
au 20e siècle
”.

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Pierre Maranda et Marc-Adélard Tremblay, Arts et sciences : Canada 2001, pp. 124-130. Québec : Université Laval, 2001, 130 pp.


Les préalables

Résumer en quelques pages l'éventail des observations très fines et nuancées qui ont été exprimées par les participants du Séminaire des lauréats du Prix Molson sur les tendances générales dans les divers domaines artistiques (cinéma, création artistique, danse, musique, théâtre etc.) ainsi que dans les multiples champs du savoir (les humanités, les sciences naturelles et expérimentales, les sciences de la santé et les sciences sociales) m'apparaît une tâche non seulement difficile mais risquée étant donné le mode de fonctionnement que nous avions choisi. Établir une synthèse générale de nos discussions n'est pas un exercice que nous avons poursuivi à l'occasion de nos échanges portant sur les transformations qui surgissent dans chacun des domaines de l'expression artistique et des champs du savoir. Plusieurs tendances convergentes ont été identifiées dans chacun des domaines examinés sans que l'on tente de dégager une synthèse générale qui vaudrait tout autant pour les premiers comme pour les seconds.

Une autre remarque préalable s'impose. On comprendra facilement qu'il ne s'agit pas d'un exercice que je poursuis dans le but de prédire les grandes orientations que prendront les expressions artistiques comme les activités littéraires et scientifiques au prochain millénaire. J'identifierai, bien sûr, des tendances générales, comparables ou contrastantes, sans les nuancer ou encore sans préciser si ce sont des tendances structurelles qui ont de bonnes chances de se maintenir au gré du temps ou des tendances conjoncturelles qui surviennent par suite d'un concours de circonstances en cette fin de siècle et de millénaire et qui peuvent être plus ou moins passagères. Mes remarques sont intuitives et préliminaires et dépassent à plus d'une reprises celles qui furent énoncées par les lauréats eux‑mêmes. Je me suis permis cette liberté espérant qu'elle permettra la poursuite des discussions déjà amorcées entre nous à l'occasion de séances privées fort stimulantes. L'identification, l'analyse et l'interprétation des tendances mises en relief n'engagent, bien sûr, que le signataire. Elles permettront, je l'espère, la poursuite des discussions déjà amorcées entre nous à l'occasion des séances successives.

L'internationalisation de la science et des arts

Le premier constat qui se dégage se rapporte à l'internationalisation des activités artistiques et scientifiques, Les différentes formes d'expression artistique tout comme les champs d'exploration de la création littéraire et de la recherche dans les sciences naturelles, expérimentales et humaines n'ont plus de frontières géographiques ou nationales. Cette tendance m'apparaît être le résultat de l'échange des expériences entre artistes et entre scientifiques et de la libre circulation de leurs travaux par divers processus [125] médiatiques tels que les rencontres internationales, les expositions itinérantes, l'écrit, la transmission par le biais des médias les plus diversifiés y compris l'Internet. Cette tendance vaut tout autant pour les formes classiques et nouvelles d'expression artistique comme pour les champs d'études littéraires et d'expérimentation scientifique qui ont une longue tradition par opposition à ceux qui sont apparus plus récemment comme les sciences sociales. On remarque que dans les tous les champs du savoir il existe des équipes de recherche et des collaborations de nature internationale. On peut ainsi regrouper divers spécialistes de plusieurs pays qui unissent leurs efforts à l'aide d'un devis général dont les composantes sont spécifiées en vue de produire des œuvres magistrales hors de portée d'un nombre limité de partenaires nationaux. Cette internationalisation des activités littéraires et scientifiques ne produit pas uniquement des résultats bénéfiques, Dans le vaste champ des expressions artistiques, par exemple, on craint l'apparition d'un impérialisme culturel qui viendrait niveler, voire même faire disparaître, la diversité des inspirations comme des paramètres de l'expression créatrice. Prenons, à titre d'exemples, dans le domaine artistique, les diverses expressions a caractère international de la musique et de la peinture.

Traditionnellement la musique classique se jouait dans des lieux réservés à la bourgeoisie selon des codes d'expression quasi-immuables après que les pièces musicales interprétées avaient en quelque sorte été sanctionnées par des publics éclectiques. Aujourd'hui, la musique populaire a pris une expansion inégalée et est ouverte à plusieurs genres (jazz, musique pop, musique rock, musique country, etc. Les musiciens, ou les groupes de musiciens, ont acquis une plus grande liberté d'expression individuelle comme collective. Par exemple, le phénomène de l'improvisation musicale de groupe obéit maintenant à l'échelle de la planète à des règles que se donnent les interprètes au préalable afin de produire une certaine cohésion dans le tempo comme dans l'harmonique. De la même façon, certaines musiques instrumentales nouvelles qui apparaissent sur divers continents cherchent à inventer des formes syncrétiques qui intègrent diverses sources d'inspiration nationale. On note également, dans le champ musical, une tendance qui prend de l'ampleur depuis le milieu du siècle dernier : il s'agit des spectacles musicaux à grand déploiement. Ces grands rassemblements (Woodstock) se déroulent à l'occasion de fêtes publiques où la chanson populaire, parfois folklorique, tient la tête d'affiche. Les chansonniers et les interprètes jouissant d'une popularité incontestée émoustillent la foule, en y interprétant des airs connus et aimés, ce qui permet aux spectateurs de devenir des participants actifs et de chanter avec eux leurs compositions favorites. C'est dans ces occasions, même dans les pays où la liberté d'expression est à peu près inexistante, que les chansonniers engagés dénoncent l'iniquité sous toutes ses formes (l'exclusion, les préjugés raciaux et sociaux, le racisme, l'abus de pouvoir, etc.)

En peinture, certains phénomènes épousent des ressemblances avec ce qu'on observe dans le domaine musical. La forme figurative de la peinture, selon les conceptions de l'esthétique classique, a longtemps été une dominante à l'échelle mondiale et s'exprimait dans des décors champêtres, des portraits de femmes et de personnages célèbres, des fêtes foraines, etc. Sans être ouvertement déclassée ou rejetée, cette expression visuelle classique s'est soudainement vue accompagnée par des expressions non figuratives ou oniriques à l'occasion desquelles l'artiste se sentait beaucoup plus libre d'exprimer, selon son style propre, ses visions de [126] la réalité, ses propres perceptions sensorielles et la kyrielle des émotions à l'origine de son inspiration créatrice. Cette liberté dans l'expression individuelle allait tracer le chemin à une autre tendance ; celle des artistes engagés et politisés qui désiraient que leurs œuvres créent la controverse et suscitent des débats publics. C'est au nom de la liberté individuelle qu'ils dénoncent, à leur manière, diverses formes d'abus de pouvoir (religieux, politique, économique, social) et leurs conséquences inhérentes (l'exclusion, la pauvreté endémique) qui se traduisent trop souvent, hélas, par des restrictions généralisées à la liberté individuelle et collective. Le Refus global des automatistes québécois en est un exemple. Il existe également, dans les sciences sociales et humaines, un type d'engagement social qui se différencie du précédent en ce qu'il se fonde sur une idéologie de la responsabilité sociale du savant. Selon cette vision, les résultats des travaux de recherche doivent être utilisés en vue d'améliorer les conditions de vie et le sort d'individus ou de groupes défavorisés.

Une vision globale de l'objet

Une autre tendance s'affirme de plus en plus. Elle se rapporte à la recherche d'une perspective d'ensemble ou à une globalisation de la vision sur l'objet. Dans leurs premières expressions, les travaux artistiques, tout comme la démarche scientifique, découlaient de préoccupations générales et de conditions existentielles. Chez les artistes, par exemple, leurs productions artistiques devaient respecter les codes classiques de l'esthétique et de l'harmonie. Quant aux hommes de science, leurs découvertes ne devaient pas contredire les dogmes religieux ou encore les croyances populaires relatives aux objets étudiés. Lorsque les sciences se sont fractionnées pour réduire la nature des objets sous observation ou d'expérimentation et que les champs d'expression artistique ont débordé leurs anciens territoires de prédilection pour mieux refléter la diversité des visions artistiques individuelles, il s'en est suivi une spécialisation du regard scientifique comme de l'appréhension artistique. Les vues d'ensemble des débuts ont conduit à la spécialisation du regard sur l'objet chez l'homme de science et à la diversité des formes de l'expression subjective de l'artiste - se dissociant, par exemple des codes usuels de l'image, du son et du mouvement corporel - dans le but de pénétrer plus à fond l'essence des phénomènes et de mieux circonscrire leurs différentes dimensions et d'assurer la représentation de leurs expressions correspondantes.

Cette tendance à la spécialisation du regard et au fractionnement de l'objet chez les scientifiques a permis une multiplication des expérimentations de toutes sortes, l'élaboration de nouvelles perspectives théoriques, dont certaines sont devenues dominantes (le matérialisme historique ou encore le structuralisme en anthropologie, sociologie et science politique, par exemple), une diversification des méthodologies, des techniques et des instruments de recherche accompagnés de devis opérationnels pertinents. D'autre part, les artistes en sont venus à mieux saisir la complexité inhérente à une expression plus parfaite de leur imaginaire et de leur esprit de création. Les scientifiques, quant à eux, se sont sentis interpellés par une explication plus complète de la réalité en vue de susciter une meilleure compréhension. Le résultat visible fut le retour du pendule, c'est‑à‑dire, à la nécessité d'une vision et d'une expression [127] globale, non plus selon le mode ancien qui était presque exclusivement lié au génie créateur exceptionnel de l'artiste ou de l'homme de science, mais par le biais de collaborations et d'équipes multidisciplinaires dans le cas des scientifiques et par une instrumentation multimédiatique dans le cas des artistes. Cependant, dans un cas comme dans l'autre, les exigences d'une visée unitaire des différentes contributions individuelles, théoriques ou instrumentales, nécessitent de la part du meneur de jeu, une formation pluridisciplinaire et une capacité d'extrapolation qui va au-delà d'une simple juxtaposition des éléments constitutifs. À ce point de vue, une approche systémique de départ qui prend en compte les divers facteurs inhérents plausibles et possibles du phénomène sous observation enrichit d'autant une telle démarche explicative. À ce propos, certains soulèvent l'interrogation suivante. Est-il possible qu'une telle globalisation des perspectives scientifiques et des expressions artistiques mène tout droit à un impérialisme scientifique et culturel ? Cela signifierait que l'activité scientifique et l'expression artistique ne pourraient s'effectuer que d'une seule manière et devraient se conformer à certains canons irréductibles. Et si cet impérialisme devenait celui d'une seule nation - pas la nôtre bien entendu - comment pourrait-on se protéger d'un tel envahissement ? Je laisse ces questions en suspens, même si elles sont d'une importance cruciale et d'une brûlante actualité !

Les questions sans réponse évidente
liées aux impératifs de la bioéthique


Une tendance, tout aussi importante que les précédentes, se manifeste tout autant chez l'artiste que chez le scientifique même si, dans la conjoncture actuelle, elle semble s'adresser avec plus de vigueur aux scientifiques. Il s'agit de l'éthique, plus précisément la bioéthique, ou les principes directeurs de nature morale qui doivent guider l'action de création des artistes comme la démarche de production des connaissances scientifiques dans des domaines se rapportant à la vie humaine. La question qui surgit immédiatement à l'esprit est la suivante : est-ce que ces principes ont un caractère d'universalité ou si, au contraire, ils sont relatifs aux philosophies propres des différentes cultures et qu'ils peuvent varier d'une époque à l'autre ? Autrement dit, l'artiste est-il libre de s'exprimer librement, de la manière qui lui convient ? Le scientifique peut-il, en dehors de toute contrainte, définir l'objectif de sa recherche et aller jusqu'au bout de la démarche exigée pour produire la connaissance souhaitée ? Mieux encore, le scientifique doit-il, même si les connaissances scientifiques nouvelles le permettent, franchir le territoire de la création d'êtres humains, dotés de traits planifiés, dissociée de tout processus naturel de développement ?

Lorsqu'on se réfère à l'histoire des sciences et des idées, on apprend que les œuvres de certains artistes ont été mis à l'index parce qu'ils n'obéissaient pas aux normes de production artistique valorisées. De la même manière, certains scientifiques ont été excommuniés parce que leurs découvertes ne correspondaient pas aux vérités révélées de leur époque, conçues comme immuables. Aujourd'hui, certains anathèmes frappent encore certaines œuvres artistiques ou productions scientifiques. Par ailleurs les contacts interculturels et la modernité ont suscité une plus grande ouverture d'esprit qu'autrefois par rapport à certaines productions artistiques [128] ou scientifiques. Nous sommes à repenser et à rediscuter les règles qui doivent dicter les démarches des artistes comme celles des scientifiques. Me sentant plus à l'aise par rapport à ces derniers, j'aimerais souligner quelques éléments du débat en cours sans apporter d'éclairage sûr à ce sujet. On sait que les chercheurs fondamentaux dans les disciplines expérimentales sont mus par un principe de base : faire avancer la connaissance. Les découvertes dans les sciences de la vie progressent à un rythme accéléré sur l'infiniment petit, tel le rôle de la cellule dans les processus vitaux, mais aussi sur l'infiniment grand ; le télescope Hubble découvre des univers sidéraux nouveaux. Ces découvertes et surtout, leurs applications possibles, (le clonage humain, les organismes génétiquement modifiés, l'usage de cellules souches d'embryons à des fins thérapeutiques, par exemple) se produisent à un rythme tel que la pensée philosophique et les travaux dans les sciences humaines, ne parvenant pas à évoluer au même rythme, sont déclassés. En conséquence, leurs spécialistes ne sont pas en mesure d'offrir aux questions morales soulevées des réponses suffisamment claires et décisives pour que celles-ci permettent, aux preneurs de décision, d'élaborer des principes directeurs de la conduite de l'homme de science acceptés par l'ensemble de la communauté scientifique. C'est un débat public qui a pris une ampleur insoupçonnée récemment et devient tellement crucial pour la suite des choses.

Les aléas de l'économie marchande à l'échelle planétaire
et des nouveaux modes de vie liés à la modernité


Une autre tendance s'amplifie au fur et au mesure que le public acquiert une conscience de plus en plus aiguisée quant aux conséquences négatives de la surproduction industrielle et des menaces qu'elle représente pour la survie de notre planète surpeuplée et pour notre propre survie. Les inquiétudes sont nombreuses et de plus en plus largement partagées. Que l'on pense seulement aux réactions populaires vives et négatives engendrées par la tenue de sommets économiques, à l'échelle planétaire, en vue d'accélérer les échanges économiques entre les gouvernements et les conglomérats corporatifs. Cette crise apparait d'autant plus grave que les actions correctives à la pollution, entre autres, dictées par la science ne sont pas appliquées pour diverses raisons, mais en bonne partie par l'idéologie de l'insuffisance de fonds du néolibéralisme. Nous connaissons les principes du développement durable, mais les fondements même de l'économie marchande en empêche la mise en application par les décideurs publics. En effet, ce type d'économie, par le biais de la publicité commerciale, prône une extension presque infinie des besoins fictifs des consommateurs et accentue l'urgence du renouvellement de leurs besoins réels. Par le fait même, cette philosophie du gain entraîne un gaspillage des biens renouvelables et non renouvelables, ce qui est aux antipodes du développement durable.

Les recherches en histoire de la santé des populations ont mis en relief qu'un des facteurs historiques qui a le plus contribué au rehaussement de la santé des individus, avec l'éradication des maladies infectieuses, est l'amélioration de la nutrition. C'est un fait bien connu et pourtant, aujourd'hui, les populations nord-américaines, dont les niveaux de vie sont parmi les plus élevés au monde, connaissent un taux inégalé d'embonpoint de leurs concitoyens. Les principes d'une alimentation équilibrée sont connus mais les [129] modes de vie, semblent-ils, ne permettent pas sur ce continent leur mise en application. Au surplus, que penser des aliments transgéniques ? Sont-ils conçus pour améliorer notre régime alimentaire ou pour accroître les profits de ceux qui les produisent ?

Le franchissement des barrières de l'espace-temps

La tendance de la globalisation planétaire mérite des commentaires additionnels à ceux déjà énoncés. Ne parle-t-on pas du village global pour traduire le fait que tout événement qui se produit sur la planète à quelque moment que ce soit (le temps), dans les endroits les plus reculés de notre globe terrestre (l'espace) est accessible sur le champ à tout être vivant (accessibilité universelle commune) ? Cette nouvelle réalité technique détruit les barrières de l'espace‑temps en plus de créer les conditions infrastructurelles requises à une appréhension partagée de la réalité. Mais chacun lit cette réalité à sa manière selon les canons guidant ses perceptions sensorielles. Cette innovation technologique, vantée sans restriction, n'assure pourtant pas une action en retour (une interaction) et des échanges d'idées entre ceux qui ont été les récepteurs de cette information. En plus de violer les principes même du modèle cybernétique de la communication, les informations que véhicule cette invention ne sont pas neutres car elles affichent la couleur de leurs milieux respectifs de provenance (nord‑américain et européen). En ce sens, ce qui peut être perçu exclusivement comme un progrès comporte le risque de changer substantiellement, sinon de détruire, les lieux de refuge nécessaires à la conservation de la diversité culturelle qui est l'apanage de la richesse de l'âme propre de chaque groupe humain distinctif Il est urgent de créer des espaces nouveaux, de multiplier les lieux de rencontre nécessaires aux échanges spontanés entre individus pour créer une correspondance bénéfique entre production technique à l'échelle planétaire et échanges personnalisés, respectueux des coloris culturels de chacun des protagonistes. Nous aurions ainsi en plus d'une information commune, une action en retour commune, soit des échanges entre individus d'origine différente sur les sujets qui tissent le contenu médiatisé de leurs vies quotidiennes.

Le coloris kaléidoscopique de l'imaginaire
des cultures autochtones en tant que source d'inspiration


Une dernière tendance s'applique tout aussi bien aux sciences sociales et humaines qu'aux divers champs artistiques : elle découle principalement des cultures autochtones en tant que source d'inspiration. Non seulement sont-elles des exemples remarquables de la vivacité de leurs patrons culturels mais aussi, en dépit des efforts inimaginables qui ont été déployés pour les obliger à adopter les systèmes de valeur et les modes de vie des sociétés dominantes qui les ont placées sous leur tutelle à l'échelle de notre planète, leurs productions culturelles, leur philosophie de la vie ainsi que leur vision d'eux‑mêmes et du monde dans lequel ils vivent sont en passe de devenir pour certaines sociétés avancées comme la nôtre une source d'inspiration. Prenons l'exemple de leurs productions culturelles. Qu'il s'agisse de la peinture, de la danse, du costume ou de la musique, en particulier, non seulement traduisent-elles un imaginaire très riche, des qualités esthétiques de grande valeur mais aussi elles affirment la diversité culturelle et le caractère [130] inaliénable de leur inspiration propre, laquelle demeure étroitement liée à une conscience historique et à des valeurs distinctives. Les artistes eurocanadiens reconnaissent que l'authenticité des expressions de cette diversité culturelle est devenue pour eux une source d'inspiration très riche.

La philosophie de vie des autochtones, leur vision d'eux-mêmes en relation avec l'environnement (la terre mère) ainsi que leur vision du monde met en question plusieurs de nos propres conceptions et visions. Nos rapports avec eux ont souffert d'une incompréhension presque totale dans la mesure où notre pensée cartésienne, laquelle fragmente et découpe les éléments constitutifs d'un tout ne se préoccupe guère de les rassembler en vue d'appréhender la totalité. Chez eux, contrairement à nous, la vie de l'esprit et les relations à l'au-delà, les expériences quotidiennes, l'environnement, les animaux et leurs relations aux autres constituent un tout indissociable. Cette vision de l'univers visible et invisible ainsi que toutes leurs constituantes s'impose de plus en plus. Elle m'apparaît être annonciatrice de changements d'une importance capitale chez les décideurs publics par rapport à leurs conceptions de politiques économiques, sociales et culturelles respectueuses de ce que les autochtones sont et veulent devenir. Le Canada ainsi que certaines provinces canadiennes, dont le Québec, commencent à le comprendre et sont disposés à agir en conséquence. Leurs positions d'ailleurs auront inévitablement des répercussions sur les entreprises publiques et privées et sur un public de mieux en mieux renseigné et ouvert à la diversité culturelle et à la révision de leurs perceptions historiques des cultures autochtones.

La création d'espaces multidisciplinaires dans le but
de favoriser les échanges relatifs à des enjeux fondamentaux


Plusieurs autres tendances ont fait l'objet de débats à l'occasion de notre séminaire interdisciplinaire. Elles auraient mérité que je les développe ici, même si elles n'ont pas suscité une adhésion aussi large chez les participants que celles analysées ci haut, ou qu'elles soient apparues plus étroitement liées à certaines traditions artistiques et littéraires en mutation, ou encore à certaines percées prometteuses dans les divers domaines du savoir. D'ailleurs, quelques-unes de ces tendances apparaissent dans les synthèses spécialisées des lauréats.

En rendant publics les résultats de nos travaux, nous espérons qu'ils susciteront des réactions tant chez les artistes de toutes les tendances que chez les scientifiques des sciences naturelles et les spécialistes des sciences humaines dans leurs diverses démarches orientées afin de les enrichir de visions nouvelles et de nouveaux principes d'application. Ne pourrions-nous pas, du même coup, contribuer à mieux renseigner nos concitoyens sur nos préoccupations et nos actions et créer, par les échanges qu'ils susciteront, cette rétroaction nécessaire tant souhaitée par nous tous et qui nous permettra, forts de nos réussites, d'aborder le nouveau millénaire avec une créativité renouvelée.



Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 10 mars 2019 13:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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