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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les nouvelles structures d'autorité dans la famille au Canada français” (1966)


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc-Adélard Tremblay (1922 - ) et Jocelyne Valois, “Les nouvelles structures d'autorité dans la famille au Canada français”. Un article publié dans la revue Les Cahiers de droit, vol. 7, no 2, 1965-1966, pp. 179-188. Numéro intitulé: “Recherche interdisciplinaire : la famille”. Québec: revue des étudiants de droit de l'Université Laval. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

Texte de l'article
 
1. Le sens de la contribution anthropologique
2.  De quelques aspects de la société traditionnelle
 
A.  La solidarité familiale et l'unité de la communauté
B.  Les normes traditionnelles et le recours à l'autorité
C.  La société patriarcale et le règlement des conflits
 
3. Les multiples contestations de la société technique
4. Les nouvelles structures d'autorité dans la famille canadienne-française
 
A. Les relations entre conjoints
 
a)   L'Idéologie patriarcale
b)   L'Idéologie matriarcale
c)   L'Idéologie démocratique
 
B. Les relations parents-enfants
 
5.      Conclusion


Marc-Adélard Tremblay (1922 - ) 

Les nouvelles structures d'autorité
dans la famille au Canada français
”. 

Un article publié dans la revue Les Cahiers de droit, vol. 7, no 2, 1965-1966, pp. 179-188. Numéro intitulé: “Recherche interdisciplinaire: la famille”. Québec: revue des étudiants de droit de l'Université Laval.

1. Le sens de la contribution
anthropologique

L'auteur principal de cet article présentait en février une communication sur les modèles d'autorité dans la famille au Canada français à l'occasion d'un colloque sur le pouvoir dans la société canadienne-française. Celle-ci paraîtra dans un prochain numéro de Recherches sociographiques. [1] Nous traiterons ici du même sujet ayant soin d'indiquer quelques-unes des implications légales de l'évolution de la structure d'autorité dans la famille. Notre principale intention est d'engager le dialogue avec nos confrères du droit et d'indiquer - pour une des institutions de notre culture - les terrains de rencontre, ainsi que les champs d'observation qui constituent des objets de commune préoccupation. 

Énonçons, immédiatement, nos propres vues sur ces relations interdisciplinaires afin que les éclairages que nous voulons projeter soient perçus dans leur véritable intention. C'est un fait notoire qu'à l'occasion de ces échanges, chaque spécialiste est enclin à déborder le champ de sa discipline propre afin de se donner l'impression que le schéma d'explication qu'il propose est plus complet, donc plus satisfaisant que tout autre. En ce sens, chaque spécialiste se fait le porte-parole et le défenseur des visées de sa discipline. En certaines occasions même, c'est à qui serait le détenteur de la science directrice de toutes les autres. Les spécialistes des sciences de l'homme n'ont pas toujours écarté cette tentation. En outre des privilèges traditionnellement acquis, de nouvelles suprématies sont revendiquées au nom de l'ancienneté, ou encore, paradoxe étrange, de la vogue récente de certaines disciplines. Combien de discussions se sont poursuivies à des niveaux différents, combien d'entretiens pourtant animés du plus grand sérieux ont abouti à l'impasse, combien de dialogues n'ont tout simplement point eu lieu par suite de cette mauvaise compréhension des fonctions spécifiques de chacune des disciplines et des relations qu'elles doivent entretenir entre elles. Il suffit, en effet, qu'une discipline veuille tenir un rôle-vedette pour brouiller les apports des autres sciences et réduire ainsi la compréhension que l'on peut acquérir des phénomènes observés dans leur totalité. 

Dans ce contexte, l'anthropologue qui participe à une revue de Droit doit être conscient de l'ambiguïté de sa tâche. Ne lui faut-il pas demeurer fidèle à sa science tout en la rendant compréhensive à une perspective voisine, mais quand même différente ? Ainsi, l'étude du problème de l'autorité dans la famille serait de peu d'utilité aux spécialistes du Droit si nous l'abordions en nous référant uniquement aux multiples particularités du vécu quotidien. Ces expériences particulières des individus peuvent être saisies dans leur aspect général, en autant qu'elles sont replacées dans leur cadre original et comparées entre elles. Ainsi le vécu de tous les jours - loin de s'éloigner d'une saisie formelle - devient le point d'appui nécessaire à toute systématisation. D'ailleurs, c'est parce, qu'il se modèle dans des institutions qui le déterminent qu'il peut servir de référence à une législation cohérente. C'est ce qui nous amènera, dans la présente étude, à examiner les conduites dans une perspective institutionnelle tenant compte non seulement des tendances actuelles mais aussi de leur fondement historique. Ce sont les divers modèles d'autorité (ou des absences de modèles) que nous considérerons ici. 

Une brève esquisse de la société traditionnelle et du modèle d'autorité qu'elle valorise sera examinée. Nous référerons, par après, aux facteurs qui ont entraîné des transformations substantielles dans cette structure d'autorité. Nous examinerons plus en détail, par la suite, les tendances les plus marquantes de l'évolution récente de la structure et des relations familiales. 

 

2. De quelques aspects
de la société traditionnelle
 

A. La solidarité familiale et l'unité de la communauté

La société traditionnelle se caractérise par la très grande homogénéité socio-économique de ses membres, par les multiples liens de solidarité qui unissent tous les participants, par une idéologie unitaire qui crée chez les individus une très grande unanimité dans la conception de soi et dans la vision du monde. L'homogénéité professionnelle est due au caractère domestique du régime économique et à la nécessité de chaque unité sociale -telle le groupe familial - d'être auto-suffisante. D'ailleurs les techniques de subsistance sont rudimentaires, les fonctions de production sont centrées sur le cycle saisonnier et les travailleurs sont polyvalents puisqu'ils peuvent assumer les diverses tâches et travaux définis par le calendrier et nécessaires à la subsistance du groupe. De la même manière, on peut prétendre que le mode d'organisation sociale - ou les cadres à l'intérieur desquels les membres de la communauté entretiennent des relations sociales - est aussi peu compliqué puisqu'il est fondé sur la famille et le groupe parental. Il existe aussi entre les divers groupes familiaux qui composent une communauté de multiples liens par le jeu des unions et des intermariages de même que par le truchement des échanges économiques et des diverses formes d'entraide et de complémentarité. Il n'est point abusif de considérer cette communauté paroissiale comme "une seule grande famille" sous la direction ultime de son "père-curé". Le système de valeurs constitue un univers cloisonné - donc relativement imperméable aux influences étrangères - qui oriente les individus et fournit les motifs pour juger et évaluer les expériences de tous les jours. 

Chacun de ces paliers de la structure sociale - vie économique, organisation sociale et l'univers des attitudes - sont interreliés de multiples manières pour constituer un système global d'une très grande cohérence et stabilité. C'est en ce sens qu'on qualifie ce système de traditionnel parce qu'il offre des solutions non seulement aux diverses situations d'aujourd'hui mais aussi pour toutes les situations à venir. L'enseignement vient de l'expérience passée ; il est érigé à l'état de tradition et ne peut point être contesté. 

B. Les normes traditionnelles et le recours à l'autorité

Jusqu'à date, nous avons mis l'accent sur les fonctions intégratrices des divers éléments de la tradition et sur le fort degré d'identification et les multiples liens de solidarité qui unissent tous les membres de la communauté. Nous avons également postulé que l'autorité, du moins au niveau des valeurs et des normes, n'est point discutée ou remise en question. C'est que la société traditionnelle, en plus d'inventer ses modes de subsistance, construit ses schèmes de pensée et d'existence. C'est à cette condition seulement qu'elle peut être ce que nous avons appelé ailleurs "une unité fonctionnelle sur les plans matériel et intellectuel". Des individus spécialement mandatés - le curé, le médecin, le notaire, le marchand général - veillent à la mise en application des principes directeurs dans les conduites individuelles. Les normes culturelles sont contraignantes de multiples manières : elles lient l'universalité des individus dans la presque totalité des situations, les modes de contrôle sont proches du vécu quotidien (la famille ou la communauté) et les sanctions prévues pour les transgressions visent à réintégrer le coupable directement dans ses rôles socio-culturels antérieurs et à éviter la médiation externe. Les conflits irréductibles iront, évidemment, jusqu'aux tribunaux. 

Quelques principes peuvent être énoncés à partir de ces premières constatations. En dépit de l'unanimité dans les sentiments collectifs, il existe dans la société traditionnelle des conflits, des comportements déviants mais la plupart de ceux-ci sont réglés et pris en charge par la famille dans les domaines relevant de sa compétence et par la communauté elle-même dans les conflits opposant individus de diverses familles et familles entre elles. Dans un cas comme dans l'autre il y a des individus qui détiennent l'autorité. Ces statuts leur permettent de juger les situations et les événements, d'évaluer les responsabilités de chacun et d'énoncer soit les modalités de la réconciliation (interpersonnelle) ou soit encore les modes de rétribution. 

C. La société patriarcale et le règlement des conflits

Nous verrons brièvement, pour le niveau socio-culturel réduit qui nous préoccupe - soit la grande famille - comment s'effectue le règlement des conflits. Notons, au point de départ, que le patriarche est le chef de la grande famille et que chacun des membres doit une obéissance automatique à ses ordres. C'est aussi un juge qui apprécie les faits et gestes de chacun par rapport aux objectifs de la communauté familiale, celle-ci étant elle-même subordonnée aux fins de la configuration culturelle plus large. C'est lui qui administre les punitions et voit a ce que chacun rachète sa faute. 

Le patriarche est un homme de tous les métiers et de tous les talents. Il dirige une entreprise agricole du type "atelier coopératif", il gère les biens de la famille dans le but d'accroître le patrimoine, il décide à peu près tout. Il est craint non seulement de ses enfants, mais aussi de sa femme qui lui est entièrement soumise. Elle lui est subordonnée dans ses efforts de production, dans la réalisation de us responsabilités familiales réduites (elle est l'éducatrice des enfants) et dans ses rapports conjugaux. Ses initiatives doivent être d'abord sanctionnées par "son maître" et se limiter aux univers strictement féminins. [2] En bref la dominance masculine perméabilise tous les secteurs d'activités privées et publiques. Elle s'exerce selon des modalités bien spécifiées par la coutume tant dans les gestes de coopération (intrafamiliale ou interfamiliale) que pour le rétablissement de l'ordre pré-établi et le règlement des conflits passagers. Cette direction unique vise donc non seulement à exercer un contrôle efficace sur chacun des membres mais à conserver un type social à l'intérieur duquel surgissent le minimum de frictions. 

 

3. Les multiples contestations
de la société technique

Le progrès technique suscite de nouvelles formes d'organisation économique (industrialisation), entraîne de nouvelles répartitions des populations sur le territoire et de nouveaux genres de vie (urbanisation) et réduit les distances sociales et économiques entre peuples (contacts de civilisation), autant de phénomènes nouveaux qui contestent et remplacent les anciennes traditions. Chacun de ces moteurs de changement provoque une ouverture sur le monde, l'apparition de nouvelles structures institutionnelles et l'apparition de valeurs "étrangères". L'avancement technologique de même que le progrès social font éclater les anciennes communautés y compris la communauté familiale et introduisent des systèmes de valeur qui contestent les coutumes et les valeurs d'autrefois. C'est le système social dans sa globalité qui est remis en question parce qu'il a perdu ses fonctions et ses significations profondes. 

L'industrialisation, c'est d'abord et avant tout une concentration des moyens (main-d'œuvre, technique, capital) et une rationalisation des tâches (y compris la mécanisation et le travail à la chaîne) conçues en fonction d'une production maximale au coût le plus bas possible. Mais elle s'accompagne de phénomènes dont les répercussions sont si enveloppantes qu'elles suscitent de nouveaux genres de vie. La vie dans le milieu urbain, par exemple, permet les différenciations économiques et l'hétérogénéisation des statuts et des rôles, la formalisation des rapports sociaux, la mobilité géographique et sociale. Elle diffuse, sur une vaste échelle, une culture de masse. Voilà autant de conditionnements qui sont des appuis à l'apparition de, nouveaux systèmes de valeur qui se concurrencent les uns les autres à la recherche de clientèles de plus en plus nombreuses. Les moyens de communication de masse sont à la fois des techniques de recrutement et des outils d'endoctrinement fort importants. Cet exemple, très limité, met en relief le nombre et l'étendue des contestations surgies récemment de même que les nombreuses sollicitations idéologiques auxquelles sont soumis les individus. Comment réagissent les individus ? Dans quelle mesure les institutions traditionnelles canalisent-elles ses réflexions et ses conduites, orientent-elles ses choix. ? La famille est-elle un élément positif d'adaptation des individus ? Voilà quelques-unes des questions que nous chercherons à élucider par l'examen des nouvelles formes d'autorité dans le cadre familial. [3]

4. Les nouvelles structures d'autorité
dans la famille canadienne-française

 

A. Les relations entre conjoints

L'une des conséquences des changements de la société technique est l'absence de modèles de comportement bien définis. L'individu se doit d'inventer continuellement dans des situations qui lui apparaissent comme toujours nouvelles. Et sans faire de cette conséquence la cause fondamentale des multiples éléments de désorganisation que connaît notre société, il nous semble justifiable de nous y référer pour apporter quelque explication à certaines conduites. Il est clair que le passage d'une société à l'autre ne peut se faire sans heurt. Et l'individu qui n'a pas réussi à acquérir suffisamment d'autonomie cherche désespérément un appui. Ainsi, nous avons vu que c'est par un recours à l'autorité que l'on réglait les conflits dans la société traditionnelle. Et si nous nous situons d'emblée dans la société technique, nous devrions en conclure que ces derniers sont maintenant réglés de façon démocratique, par une prise de responsabilité des individus concernés. Or tel n'est pas toujours le cas, puisque l'on voit fréquemment le recours aux tribunaux dans l'espoir que des conflits conjugaux ou familiaux même mineurs y soient réglés. Le tribunal prend en effet la place de l'autorité traditionnelle, et nous pouvons avancer l'hypothèse que l'on s'y adresse avec le même esprit de soumission et surtout de démission personnelle qu'autrefois. 

Et même s'il existe une réorganisation plus ou moins satisfaisante de la famille dans la société technique, l'on n'y trouve pas de modèle unique d'autorité familiale. Dans une enquête effectuée en milieu ouvrier, Nicole Gagnon est arrivée à l'élaboration d'une typologie empirique à laquelle nous jugeons utile de nous arrêter quelque peu. [4] Car les types d'autorité parentale qu'elle a relevés indiquent la complexité des structures familiales actuelles. 

Une importante distinction doit être faite entre les idéologies patriarcale, et enfin démocratique. Mais là ne s'arrêtent pas les particularités, car c'est selon diverses modalités que l'on peut se référer à telle ou telle idéologie : 

a) L'Idéologie patriarcale

1° Autorité du mari celui-ci possède alors réellement l'autorité, ou sa femme la lui attribue tout en prenant de fait elle-même la direction de la famille. 

2° Autorité du père : dans ce deuxième sous-groupe, "l'autorité est attribuée à l'homme spécifiquement en matière d'éducation (...) Ce serait le rôle spécifique du mari, selon lequel il s'intègre aux structures internes de la famille (...) Mais il ne semble pas qu'il soit souvent question d'autorité de droit et qu'on puisse parler d'idéologie patriarcale : il s'agirait d'une simple division du travail dans une structure d'autorité conjointe." [5] 

3° Leadership externe du mari : dans ce cas-ci, l'autorité est attribuée au mari uniquement pour ce qui concerne des questions comme le travail de la femme à l'extérieur du foyer, la politique, le déménagement de la famille ... C'est à la femme que revient la direction interne de la famille (éducation des enfants, tenue du budget, etc.) 

4° Responsabilité du mari : dans ce dernier sous-groupe, le mari joue un rôle au foyer non parce qu'on lui en reconnaît le droit, mais bien parce que lui aussi y a des responsabilités. Et ce sont des tâches et pas nécessairement des conduites d'autorité que l'on attend alors de lui. 

b) L'Idéologie matriarcale :

"Ici, la structure matriarcale effective est perçue comme la norme idéale mais n'est pas définie explicitement comme matriarcat". [6] C'est dire que l'autorité de la femme n'est pas reconnue en droit. [7] 

c) L'Idéologie démocratique :

"On peut situer ici divers types d'aménagement du pouvoir depuis l'autorité totalement conjointe par entente parfaite jusqu'à la répartition rigoureuse des sphères de pouvoirs par individualisme". [8] 

L'ambiguïté et la complexité de cette typologie empirique ne sont pas sans dérouter le sociologue féru de systématisation. Et nous sommes conscients des conséquences que cette situation entraîne en matière de législation ... Il reste cependant qu'une nette tendance vers la démocratisation des structures familiales est notée dans la plupart des études touchant la famille moderne. 

Mais comme cet "idéal" peut prendre diverses formes et qu'il peut surtout être atteint par plusieurs voies différentes, il est délicat de statuer à son sujet. 

B. Les relations parents-enfants

Le deuxième pôle de cette structure d'autorité, ce sont les relations entre les parents et les enfants. D'une manière générale, ces relations reflètent une plus grande autonomie des enfants, et une participation sociale élargie, en dehors des cadres familiaux. Ces deux tendances que nous spécifierons, plus bas, s'expriment sous divers angles et obligent de nouvelles définitions de l'autorité. 

Notons que la société moderne confie la socialisation de ses membres à plusieurs agents différents, soit la famille, l'école, les compagnons et les groupes de référence, et les communications de masse. Ce que les enfants apprennent à la maison peut être plus ou moins contredit par lu autres institutions, diminuant ainsi l'autorité effective que peuvent détenir les parents sur les enfants. D'ailleurs les parents eux-mêmes éprouvent beaucoup de difficultés à adopter une ligne de conduite qui soit consistante d'un moment à l'autre. 

Une deuxième tendance s'exprime sous la forme d'une démocratisation des relations de filiation. Les enfants considèrent leurs parents comme des frères et sœurs aînés et les premiers cherchent à se conformer à ces nouveaux modèles. En même temps les parents témoignent d'une plus grande confiance vis-à-vis leurs enfants. Peu renseignes sur ce qu'ils font ou connaissant bien imprécisément les projets courants qu'ils nourrissent entre amis (la culture des adolescents), certains parents préfèrent contourner ainsi de nombreux conflits latents. On serait tenté d'en conclure que ce sont les enfants, et non les parents, qui détiennent l'autorité dans les familles. Mais par contre, comme le remarque Joseph K. Folsom, cette démocratisation des relations familiales ne conduit pas nécessairement à une anarchie. Car "nous voyons des parents qui, par suite de leur forte personnalité, sont capables d'être des chefs et des guides pour leurs enfants. Ce sont des parents qui ne connaissent pas la crainte de donner un peu plus de liberté à leurs enfants de peur que ces derniers n'en abusent, parce qu'ils trouvent par expérience que c'en n'est pas le résultat. Ils ont appris à développer un nouveau type de contrôle. Ils ont été aidés à le faire en considérant la Démocratie au foyer comme une valeur certaine, au lieu de seulement s'en accommoder comme d'un mal qui leur est imposé par des conditions qui ont changé". [9] 

Il reste que l'affranchissement des enfants de la tutelle parentale traditionnelle de même qu'une plus active participation aux affaires de la collectivité, comme nous l'avons démontré dans l'article cité auparavant, place la responsabilité des choix sur les épaules de l'individu. Comme il doit inventer continuellement de nouvelles solutions, il n'est point surprenant alors que le nombre des erreurs soit plus grand. Celles-ci se reflètent dans des taux plus élevés de pathologie sociale. Ne peut-on pas aussi se demander si l'individu n'est point en passe de constituer une nouvelle tradition, celle-là fondée sur les nouvelles expériences imposées par la société technique et par son ouverture sur le monde ?

 

5. Conclusion

Il n'était point dans notre intention de dégager de ces diverses constatations des éléments utiles en vue d'une nouvelle législation. Les juristes sont aussi conscients que nous que de nouvelles coutumes sont en train de naître et que les structures d'autorité évolueront de plus en plus vers des formes démocratiques. Et c'est précisément en se mettant au diapason de ces changements qu'ils pourront arriver à une législation en accord avec la réalité. Il ne s'agira plus de cristalliser des tendances déjà dépassées, mais de suivre sinon de prévoir toute la complexité dynamique des faits. Les législations viendront alors confirmer des tendances actuelles tout en respectant les libertés individuelles, source d'inspiration et de progrès.


[1] Marc-Adélard Tremblay : "Modèles d'autorité dans la famille", Vol. VII, no 1-2, 1966.

[2] Cette, situation "structurelle" n'empêcherait pas la mère d'avoir une forte emprise affective sur ses enfants.

[3] Quelques éléments de réponses ont d'ailleurs été apportés dans l'article : "Famille traditionnelle et famille moderne, réalités de notre société" (Jocelyne Valois).

[4] Nicole Gagnon : La famille ouvrière urbaine, Inédit, Département de Sociologie et d'Anthropologie, Université Laval.

[5] Nicole Gagnon, op. cit., p. 68.

[6] Nicole Gagnon, op. cit., p. 70.

[7] D'autres recherches au Canada français ont souligné la désapprobation du milieu social dans lequel évolue la famille, concernant cette structure matriarcale, ainsi que l'insatisfaction de quelques femmes se voyant aux prises avec cette responsabilité.

[8] Nicole Gagnon, op. cit., p. 70.

[9] Joseph K. Folsom : The Family and Democratic Society, New York, John Wiley & Sons, Inc. ; London Chapman & Hall, Ltd., 1943, p. 192.


Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 10 juin 2006 10:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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