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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'identité québécoise en péril (1983)
Préface de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir de l'article du professeur Marc-Adélard Tremblay, L’identité québécois en péril. Sainte-Foy: Les Éditions Saint-Yves, Inc., 1983. 287 pp. Illustrations de Colette Tremblay. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure à la retraite du Cégep de Chicoutimi. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

Préface de l'auteur

C'est à l'occasion de mon premier voyage d'observation en Acadie du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse que je m'éveillai à l'importance de l'identité culturelle d'un peuple dans son aptitude à survivre. Ma curiosité fut piquée au point où je développai des intérêts de recherche qui aboutirent à la rédaction d'une thèse doctorale sur l'acculturation des Acadiens dans un centre semi-urbain mixte, au développement de l'ensemble des éléments culturels qui constituent la spécificité acadienne et à la mise en relief de la fonction primordiale de la famille dans la survivance des déportés de 1755. L'identité culturelle était ainsi conçue dans ses éléments expressifs (son contenu) et instrumentaux (la fonction de ces éléments de culture dans le maintien des principes d'identité et l'adaptation des modes de vie afin qu'ils les incarnent le mieux possible). La société acadienne est en pleine transformation, menacée dans ses fondements, dans ses institutions et dans sa mentalité. Cette constatation brutale m'amena à m'intéresser, en tout premier lieu, à la causalité externe de ces transformations par le biais d'études sur les contacts interculturels et le progrès technique.

J'ai entretenu ces mêmes préoccupations au sujet de ma propre culture, la culture québécoise. J'ai amorcé des observations sur le sujet de l'identité culturelle québécoise dès le milieu des années soixante, au cœur de la Révolution tranquille. C'est l'époque où l'État propose explicitement des projets collectifs à l'enseigne de la fierté nationale. Il préconise aussi la nécessité pour la collectivité québécoise de se serrer les coudes, de consacrer une partie importante des ressources du Québec à des projets collectifs pour être en mesure de participer au virage technologique et d'en tirer parti.

La nationalisation des ressources et la socialisation des services seront alors présentées comme étant les genres d'interventions étatiques capables de mobiliser les énergies des Québécois francophones et de les orienter vers des réalisations qui les propulseraient dans la grande histoire. Ils tireraient leur révérence à l'histoire locale dans laquelle ils s'étaient cantonnés pour mieux se protéger des influences extérieures. Les transformations sociales du Québec constituaient un véritable laboratoire pour les spécialistes des sciences humaines. J'ai été amené à étudier la culture globale, les traditions culturelles régionales et quelques petites communautés québécoises afin de mieux comprendre les phénomènes de stabilité culturelle, les dynamismes de changement ainsi que l'impact qu'ils produisaient sur l'identité culturelle des Québécois francophones.

L'envergure des mutations sociales au Québec, depuis la Seconde Guerre mondiale, mais surtout depuis les débuts de la révolution tranquille et les grandes confrontations de 1968, s'est traduite dans des nouvelles images de soi, en tant que collectivité, dans des modes de vie de plus en plus américanisés et dans des conceptions pluralistes de l'avenir. Ces trois dimensions (image de soi, mode de vie, projet d'avenir) constituent justement l'armature de l'identité culturelle, une préoccupation qui était au cœur de plusieurs discussions privées et publiques et à propos de laquelle les spécialistes de la parole se prononçaient de plus en plus souvent et présentaient des vues parfois incohérentes, souvent contradictoires. Il me semblait qu'il serait nécessaire de présenter des vues mieux documentées en s'inspirant des perspectives théoriques sur le sujet mais aussi en accumulant des données empiriques rigoureuses.

C'est ainsi que quelques spécialistes des sciences humaines ont examiné théoriquement et empiriquement ce phénomène de l'identité culturelle. je suis un de ceux-là. Mais, comme la plupart d'entre eux, j'ai traité cette question avec circonspection et, surtout, je n'allais jamais au bout de ma réflexion. J'éprouvais des difficultés à m'auto-examiner, j'en ressentais de fortes émotions. Qui plus est, j'ai toujours craint (à tort fort probablement) que les vues que j'exposerais servent à des fins partisanes dans la promotion de l'une ou de l'autre des idéologies en présence. J'avais une raison additionnelle pour ne pas trop m'avancer. Si, dans plusieurs des études empiriques que j'ai conduites sur le Québec mes préoccupations d'action m'ont amené à m'inspirer des résultats obtenus pour effectuer des recommandations, soit sous la forme de principes directeurs ou dans l'énoncé de pratiques susceptibles d'amener des correctifs souhaitables, la complexité des études sur l'identité culturelle interdisait toute orientation en ce sens. Avant de poser des diagnostics ou d'élaborer des projections, il y avait un dossier à établir. Ce dossier nécessitait l'étude systématique de tout un ensemble d'éléments reliés aux valeurs nationales, aux institutions particulières et aux attitudes et comportements. Il serait encore nécessaire d'analyser comment chacun de ces éléments, pris seul à seul ou dans un faisceau d'éléments interdépendants, agit sur l'identité culturelle. Il faudrait finalement trouver les meilleurs indices de l'identité culturelle québécoise pour étudier systématiquement le vécu des Québécois francophones sous le rapport de leur identité culturelle particulière. Il s'agit là d'un programme de recherche de grande envergure. Le dossier que je présente ici est le résultat d'un premier effort visant à définir une problématique pour étudier cette question en me servant d'études et de réflexions que j'ai faites sur le sujet. C'est le survol d'exploration de l'univers global avant de définir d'une manière rigoureuse les pièces-maîtresses de ce programme de recherche.

Tout en utilisant les résultats d'un certain nombre d'études parues dans des revues spécialisées plus ou moins accessibles (à l'exception de l'introduction où on retrouve les principaux éléments de la problématique utilisée, du chapitre 12 qui dresse un bilan critique des six dernières années sous l'angle de l'identité culturelle) durant la dernière décennie (à part le chapitre 3 sur la famille traditionnelle), je me suis appliqué à les présenter, d'un seul jet, à partir d'un thème central qui les intègre et les unifie. J'ai aussi pensé qu'il était nécessaire de remanier le style pour en uniformiser la grammaire et la présentation.

Cette auto-analyse que j'ai poursuivie est en quelque sorte le résultat d'observations minutieuses mais aussi la suite de réflexions personnelles. Ce faisant, je témoigne indirectement de mes angoisses et de mon cheminement. Pourrait-il en être autrement d'une oeuvre de ce genre ? En arrivant au terme de cette prise de conscience, je m'aperçois que les éléments qui constituent la trame du message livré m'ont quelque peu transformé et rendu plus optimiste: ils n'ont pas toutefois apaisé complètement mes craintes ni apporté une confiance inébranlable dans notre avenir collectif. Au moment où un débat moins passionné peut être amorcé entre nous sur ce que nous pouvons être et sur ce que nous voulons devenir, la parole n'appartient à aucun, mais à tous. Si cette réflexion est branchée sur le dossier des Québécois francophones, elle est dans la conjoncture actuelle la plus prioritaire qui soit.

Il n'est pas habituel, dans une préface, de présenter sommairement les résultats d'une oeuvre de réflexion. Cependant, je le fais à la manière du «teaser» cinématographique. J'ai cru qu'une manière de capter l'attention du lecteur serait d'écrire dans une langue simple, dépouillée de ses conceptualisations techniques et d'analyses poussées qui nécessitent des renvois en bas de page et de nombreuses références aux auteurs qui ont réfléchi sur le même sujet. Il m'a fallu garder un certain nombre de notions techniques. Mais je les ai soit définies ou rendues claires par leur contexte. Le lecteur intéressé pourra trouver de nombreuses références bibliographiques dans les articles d'origine.

La mentalité québécoise s'est construite dans les établissements qui se sont fixés le long du Saint-Laurent. Le progrès technique, les contacts interlacturels et la pénétration des valeurs de l'empire (anglo-saxon) culturel américain viennent mettre en question les assises de l'identité culturelle des Québécois francophones en suscitant des patrons culturels et des habitudes de vie modelés à l'enseigne de nouvelles échelles de valeur. L'avènement d'un Parti souverainiste au pouvoir le 15 novembre 1976 présageait que la collectivité québécoise venait de se donner un outil pour définir les principes modernes de l'identité québécoise et pour gérer la promotion de la culture. L'idéalisation de l'État-nation suscita l'apparition d'un nouveau discours nationaliste que la praxis (réalité) sociale contredisait, trompant ainsi les espérances les plus optimistes des francophones du Québec. À la suite de désillusions répétées, nous sommes en tant que collectivité, à la croisée des chemins, à l'heure des choix.

Le dossier ethnographique du nationalisme québécois dont on dispose est incomplet: il invite tout de même à la réflexion, au dialogue et à la concertation entre tous les partenaires de cette aventure culturelle. Il m'apparaît nécessaire de susciter des convergences dans les manières de se définir et dans les façons d'être en 1983. Les Québécois d'expression française doivent prendre un temps d'arrêt pour bien identifier ce qui peut les motiver à demeurer francophones et ce qui peut les mobiliser par rapport à un vouloir collectif de survie. En contrepartie, certaines réalités, par leur poids, risquent de devenir de véritables pierres d'achoppement à la maturité culturelle. J'identifierai les réalités les plus décisives. En premier lieu, ce sont les désillusions répétées que produit le discours nationaliste chez les francophones. C'est aussi la pénétration accentuée de l'impérialisme culturel américain. C'est enfin le dossier culturel rigoureux sur nous-mêmes qui nous manque: cette carence est à l'origine d'un certain manque de réalisme dans certains de nos projets de développement.

Je ne puis malheureusement pas remercier toutes celles et tous ceux qui ont alimenté ma réflexion et m'ont aidé dans mon cheminement. Je m'en voudrais, cependant, de ne pas mettre en tête de liste les communautés qui ont fait l'objet d'observations directes ainsi que les informateurs-clés qui sont de véritables encyclopédies de l'information et qui sont souvent ceux qui proposent les plans d'analyse et les schémas d'explication. Ma deuxième dette de gratitude est celle que j'ai contractée envers les étudiants/tes à qui j'ai dispensé des enseignements depuis près de trente ans. Je désire, en troisième lieu, exprimer ma reconnaissance à mes assistants de recherche ainsi qu'aux collègues avec lesquels j'ai travaillé sur différents projets de recherche. Je ne sous-estime pas, soyez-en assuré, la contribution de celles et de ceux qui ont écrit sur le nationalisme québécois.

Je ne puis passer sous silence les encouragements que m'ont prodigués à la lecture de mon plan de travail Messieurs les Professeurs Gilles Bibeau et Marc Laplante: ils m'ont aussi énoncé des observations fort utiles sur ma problématique d'ensemble. Quant à Jean Routier, avec qui j'ai eu de nombreux entretiens sur le sujet et avec lequel j'ai engagé un dialogue fécond durant la rédaction de cet ouvrage, il m'est difficile de qualifier d'une manière appropriée l'étendue et la richesse de sa contribution. Qu'il trouve ici, l'expression de ma gratitude et de mon estime.

Je voudrais exprimer à Colette Tremblay, qui a conçu et exécuté les dessins qui illustrent les chapitres de cet ouvrage, ma vive admiration pour ses talents conceptuels et graphiques et mes remerciements les plus sincères. L'œuvre achevée n'est pas seulement le résultat d'une fructueuse collaboration père-fille. J'ose espérer qu'elle est aussi un trait d'union entre les arts visuels et les sciences humaines. Jacqueline, une compagne qui ne prend jamais rien pour acquis et qui regarde au-delà des démonstrations et des impressions a été, dans l'aventure de recherche que j'ai vécue et dans celle qui m'a acheminé jusqu'à l'univers de l'identité québécoise, une véritable force de propulsion. C'est aussi celle qui a examiné le texte du début à la fin pour en extirper les imperfections de style. Sa contribution, d'une exceptionnelle qualité, est inestimable.

Marc-Adélard Tremblay, anthropologue
Sainte Foy, le 1er février 1983.

Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue québécois. Dernière mise à jour de cette page le Lundi 25 avril 2005 20:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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