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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Hommage à Gérald Fortin, 1929-1997 (1997)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Marc-Adélard Tremblay, Hommage à Gérald Fortin, 1929-1997.” Un article publié dans le Bulletin d’information. ACSALF (Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française, vol. 19, no 1, mars 1997, pp. 1-3. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

Introduction

Gérald Fortin, 1929-1997 
Hommage à Gérald Fortin”, par Marc-Adélard Tremblay, 24 février 1997 
J’ai étudié avec Gérald Fortin”, par Lionel Robert, 19 février 1997 
Gérard Fortin”, par Jacques-T. Godbout, INRS-Urbanisation 

 

Hommage à Gérald Fortin, 1929-1997”. 

Un article publié dans le Bulletin d’information. ACSALF (Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française, vol. 19, no 1, mars 1997, pp. 1-3. 

L'une des grandes figures de la sociologie québécoise nous a fait ses adieux le 13 février dernier. S'il nous a quitté, sa pensée restera très présente comme en témoignent ceux que nous avons sollicités à la dernière minute (jour de tombée du Bulletin oblige) et qui ont accepté spontanément de dire l'admiration, la dette et l'affection qu'ils avaient envers cet homme qui a été non seulement un maître à penser mais aussi un ami. II aurait été facile, très facile, de multiplier les témoignages. Nous avons choisi de lui rendre simplement et avec beaucoup de retenue l'hommage que nous lui devons. Nous avons demandé à trois personnes, un collègue d'université, un collègue de recherche et un étudiant de livrer cet hommage. 

 

Hommage à Gérald Fortin

 

Par Marc-Adélard Tremblay
Anthropologue, professeur émérite,
Université Laval
Le 24 février 1997

 

Le 13 février dernier, discrètement, à l'image de sa vie, un collègue et un ami très cher qui a profondément marqué ma carrière, nous a quittés pour le royaume de lumière où la douleur n'existe plus. Depuis quelques années Gérald Fortin se savait gravement atteint d'une maladie dont la progression laissait peu d'espoir. Il a subi ses différentes manifestations physiques et intellectuelles sans jamais se plaindre ou devenir impatient. Il aurait eu toutes les raisons du monde pour se révolter, lui, qui était doué d'une intelligence et de talents supérieurs, dont peu d'entre nous peuvent se vanter, et qui comptait continuer à nous gratifier de ses connaissances. Dans les dernières années de sa vie, la perte graduelle de la vue et la diminution de ses forces ont accentué ses incapacités. Il nous a donné une leçon d'acceptation et de courage devant l'adversité nous révélant en même temps une force morale intérieure d'une rare vigueur. C'était incontestablement le signe d'un homme exceptionnel. 

Ce caractère d'exception Gérald Fortin l'a manifesté dans sa vie d'intellectuel dans ses prestations de chercheur, de professeur, de directeur d'équipes de recherches et directeur de thèses tout au long de sa carrière comme sociologue à l'Université Lavai, puis par après, en tant que directeur‑fondateur au Centre de Recherches urbaines et régionales, lequel deviendra plus tard l'INRS-Urbanisation. Déjà, durant ses études collégiales, il s'était fait remarquer par la vivacité de son esprit, son application à l'étude, son souci du travail bien fait ainsi que par ses résultats aux examens. En tant qu'étudiant au Département de sociologie de Laval, les mêmes traits de facilité naturelle et de caractère ainsi que les mêmes talents feront l'objet d'envie de ses confrères de classe. Pour lui, tout semblait si facile et s'accomplir avec peu d'efforts. Pourtant ses réalisations étaient le résultat de son application et de son désir d'exceller dans tout ce qu'il entreprenait. Il termina ses études de sociologie après l'obtention d'une maîtrise en 1953, non sans s'être fait remarquer par ses professeurs d'alors et le doyen de la Faculté, le Père Georges‑Henri Lévesque. Il faisait partie d'une liste restreinte de candidats éventuels pour devenir professeur à la Faculté des sciences sociales de Lavai, cette institution de marque, laquelle devint, pour plusieurs jeunes ayant reçu une formation aux études supérieures, un lieu convoité pour y entreprendre une carrière. 

Avec un dossier académique comme le sien, il fut accepté d'emblée en 1953 à la très prestigieuse université Cornell, un des joyaux de la célèbre "Yvy League", où il compléta en trois ans son doctorat en sociologie après avoir présenté une brillante thèse sur l'idéologie nationaliste de la revue “L'Action Nationale”. De retour à Québec à l'été 1956. il est engagé, sur recommandation du doyen de la Faculté des sciences sociales, comme chercheur au Centre de recherches sociales de cette même faculté. On fera vite appel à lui pour donner des enseignements au Département de sociologie où sont déjà établis les Jean-Charles Falardeau, Guy Rocher, Fernand Dumont et Yves Martin. J'aurai l'honneur d'être associé à cette équipe la mémo année que Gérald. 

Dès son arrivée au Centre, Gérald sera immédiatement sollicité pour collaborer à un certain nombre de recherches empiriques à caractère multidisciplinaire, entreprises par des professeurs de la Faculté (études sur l'habitation à Québec, sur la stabilité des travailleurs forestiers, sur les conditions de vie des femmes ouvrières, sur l'abandon des fermes et l'exode rural dans la région du Bas‑du‑Fleuve, et, sur combien d'autres encore). À l'occasion de ces travaux d'observations, il démontrera une excellente connaissance des cadres conceptuels utiles pour chacune de ces études. De plus, il se fera remarquer par le caractère inventif des démarches instrumentales qu'il propose ainsi que par l'étendue de ses connaissances en méthodologie quantitative et qualitative, il s'attire le respect de ses collègues plus âgés par sa compétence théorique et méthodologique. Peu â peu ses avis deviennent de plus en plus recherchés par tous ceux qui oeuvrent en recherche, car sa vision des choses est toujours d'une grande perspicacité et d'une indéniable pertinence. 

J'ai eu la grâce et l'avantage d'être associé à Gérald Fortin sur un certain nombre de ces recherches, mais tout particulière ment sur les travailleurs forestiers et celle sur les familles ouvrières dans lesquelles, je crois, nous avons reflété les changements technologiques, économiques et sociaux qui ont accompagnés les premiers soubresauts de la Révolution tranquille. Cette collaboration, où nous étions complémentaires l'un à l'autre, produira Les comportements économiques de la famille salariée du Québec. La contribution de Gérald dans l'étude des familles ouvrières est d'une ampleur indéfinissable à chacune des étapes de son déroulement. Qu'il s'agisse de l'élaboration de la perspective conceptuelle intégrée des traditions nord-américaine et française dans le champ de la consommation en vue de s'en servir comme cadre conceptuel d'analyse, de la construction d'un échantillon représentatif à l'échelle du Québec tout entier, du développement d'indices, d'échelles et de mesures de toutes sortes se rapportant à l'analyse des comportements de consommation et des attitudes vis-à-vis les revenus, l'épargne et l'endettement, ou encore qu'il s'agisse de la conception de l'ouvrage qui traduirait les principaux résultats de l'Enquête ainsi que la rédaction de certains chapitres définis comme difficiles, (pertinence, logique et cohérence) de l'ensemble de la démarche. Ainsi lorsque tous les deux nous recevrons pour cet ouvrage un des prix du Québec après sa parution aux PUL en 1964, ce ne sera une surprise pour personne. 

Quelques années plus tard, Gérald Fortin recevra le Prix du Gouverneur général pour son ouvrage La fin d'un règne. Celui-ci intégrait les connaissances acquises sur les milieux ruraux québécois en pleine mutation: les petites fermes familiales devaient se transformer et devenir des entreprises commerciales soumises aux exigences de l'intégration horizontale et verticale en vue de soutenir une concurrence de plus en plus forte sur les marchés québécois et canadiens. Plusieurs de ces propriétaires terriens ne réussiront pas la nécessaire transition au statut d'entreprise et devront s'orienter dans d'autres métiers. 

Dans la foulée de ses travaux de longue haleine sur les milieux ruraux, le Professeur Gérald Fortin deviendra un penseur influent et une cheville ouvrière essentielle dans le grand Projet du Bureau d'Aménagement de l'Est du Québec, une entreprise de recherche appliquée qui a contribué â la formation d'une génération de sociologues. Il en sera le directeur de recherche de 1963 à 1966, au moment où les principaux travaux d'observations seront effectués en vue d'établir la vocation de cette région ainsi que la spécificité particulière de chacune des sous‑régions dans le champ du développement économique et socioculturel. Je n'ai pas été associé directement à cette recherche d'envergure, mais par les témoignages que j'ai reçus à l'époque ainsi que par les publications scientifiques qui en sont ressorties, personne n'a joué un rôle aussi déterminant que lui pour conférer à cette entreprise unique le statut particulier qu'on lui connaît dans l'histoire des sciences sociales au Québec. Je me doute que lorsqu'il accepta l'offre de devenir le directeur du CRUR en 1970 ou 1971 pour une période de quatre à cinq ans, ce sera pour se consacrer plus intensément encore à des travaux sur les villes et les régions. Il y acquerra la même notoriété que celle qu'il s'était faite à Laval. II y entreprendra des recherches pionnières dans ce champ d'étude et ses publications (articles ou monographies) susciteront des commentaires élogieux. 

Il demeure surprenant que l'auteur de tant de réalisations prestigieuses n'ait pas reçu les prix et les reconnaissances formelles que celles‑ci méritaient. Il existe à cela quelques explications circonstancielles. Un certain nombre de ces prix d'excellence sont accordés en fin de carrière. Comme Gérald Fortin a été dans l'obligation de prendre une retraite plus tôt que la normale en 1987 à l'âge de 58 ans et de se retirer de la vie universitaire active, par suite de ses ennuis de santé, il aura été privé de certains d'entre eux pour lesquels Il était des plus qualifiés. Il ne faut pas oublier aussi le fait que Gérald Fortin était une personne réservée, quelque peu timide même et d'une grande indépendance. Il ne s'est jamais mis de l'avant pour faire valoir ses mérites ou pour acquérir une plus grande visibilité. Il préférait plutôt se mettre au service des autres et répondre aux demandes, parfois exigeantes, que ceux‑ci lui adressaient. Il aura été toute sa vie, un homme de service et de dévouement. Tout au long de sa carrière il est apparu sur plusieurs tribunes où il exposait les résultats des ses travaux et de ses réflexions, lesquels suscitaient presque toujours des questionnements et des débats. Car Gérald découvrait, à coup sûr, au-delà des apparences visibles et des relations qui existaient entre les phénomènes, les éléments symboliques, structurels ou phénoménologiques qui accompagnaient leurs expressions, dans le but d'en dégager les meilleures compréhensions possibles. 

En tant que professeur, Gérald Fortin, n'a jamais hésité à offrir ses enseignements à des contingents nombreux d'étudiants au premier cycle (cours obligatoire, ou cours sur les méthodes quantitatives, par exemple). Dans ce contexte, il a toujours réussi à se faire apprécier. Mais c'est aux deuxième et troisième cycles, sous forme de séminaires ou de discussions informelles, qu'il se sentira le plus à l'aise et qu'il influencera encore plus profondément de nombreuses clientèles étudiantes. Il sera alors considéré comme un "maître à penser", par son imagination créatrice, par sa rigueur intellectuelle et par la générosité qui le caractérisent. Il ne sera guère surprenant que de nombreux étudiants et étudiantes le choisiront comme directeur de thèse. C'est une situation naturelle pour lui: car il est non seulement capable de diriger, il est aussi habile à motiver, en suggérant des pistes nouvelles à défricher ou encore en consolidant par ses observations les voies dans lesquelles le "thésard" est engagé. 

Gérald Fortin a contribué d'une façon exemplaire et éminente à l'évolution du Québec par ses enseignements, ses recherches, ses conférences publiques, ses exposés devant ses pairs à l'occasion de réunion de sociétés savantes, ses fonctions de direction et de chef de file dans des domaines novateurs, ses nombreux écrits, ses directions de thèses et ses avis éclairés à des institutions et organismes d'importance. Les témoignages entendus à l'occasion de ses funérailles sont unanimes là‑dessus, de la part de tous ceux qui ont profité de son savoir et qui se sont enrichis en puisant à son savoir. Je suis de ceux‑là. Il a semé dans des terraux fertiles sans jamais se fatiguer, sans douter que ces ensemencements se rendraient à maturité. En cela, il était à l'image de "l'homme qui plantait des arbres", si on me permet cette métaphore. Contrairement à ce dernier, cependant, il a eu la joie et le bonheur de voir sa fille Andrée prendre sa relève en sociologie à Laval et ses deux autres filles, Anne et Josée, faire carrière en théologie et en écologie dans un milieu universitaire. 

Gérald nous a quittés. Mais son souvenir restera à jamais gravé dans notre mémoire et dans celle de tous ceux et celles qu'il a influencés. Je lui ai toujours voué une grande admiration et je sais que ce sentiment est partagé par tous ses collègues, par ses étudiants et étudiantes et par tous ceux qui l'ont côtoyé. En leur nom et en mon nom personnel, je veux lui exprimer notre plus profonde gratitude pour l'immense richesse qu'il nous a léguée en héritage. Comme d'autre universitaires de sa génération, il a contribué à créer et consolider une tradition universitaires de qualité dans les sciences humaines. 

Marc-Adélard Tremblay,
Professeur émérite, Université Laval
24 février 1997 • 

 

J'AI ÉTUDIÉ AVEC GÉRALD FORTIN

 

Par Lionel Robert
Secrétaire du Conseil de la santé
et du bien-être, 19 février 1997

 

Quand vient le temps des retours sur le passé, je dis encore: "J'ai étudié avec Gérald Fortin". S'y ajoutent quelques autres noms, très peu nombreux. La mémoire choisit ceux à qui l'on veut rendre témoignage. D'autres, comme moi, font une telle sélection, chaque choix étant probablement guidé par des critères différents. L'éclat de la pensée, la mode du temps, la passion mobilisatrice du pédagogue, l'attrait du maître à penser et aussi le confort de la coterie... Chez Gérald Fortin, ce qui attirait, c'était la passion réservée du pédagogue, l'ironie timide d'une pensée critique dont on ne doutait pas de l'intelligence, et, sans doute aussi, pour nous qui avions vingt ans et quelque au milieu des années 60, le lien entre l'homme d'action et l'intellectuel, une qualité qui le particularisait. 

De ces années d'apprentissage avec lui, subsistent aussi des notions, qui, parfois, servent encore: exploration des différences entre la société traditionnelle et la société moderne, identification des caractéristiques du nouveau nationalisme par rapport à l'ancien, différences entre la croissance et le développement, processus de changements des sociétés, partage des taches entre le politique et le technocrate. Sur ce dernier point: le politique doit définir les fins, le technocrate les moyens; la politique se pervertit quand les rôles s'inversent, ou qu'une politique s'annonce sans définir ses moyens, pure langue de bois. Il y a dans cette pensée de quoi nourrir un doute cartésien et, même, une bonne colère. 

Une question hantait ses propos: qu'est-ce qui fait qu'une société change ? Par ses valeurs, par sa technologie ? Il avait participé à l'aventure du BAEQ et entraîné avec lui quelques sociologues à peine plus âgés que nous. Nous les enviions. Quelques-uns parmi nous ont continué sur cette trajectoire: croyance en la planification, à la participation, pratique de développement, engagement politique. Choses certaines, il a instillé un changement dans nos destins individuels, par sa pensée et par son accueil. Nous qui venions pour plusieurs, d'un univers culturel traditionnel, en forte ébullition cependant, cette immersion dans une pensée autre, en lien avec la grande transformation sociale qui a pris le nom de "Révolution tranquille", a eu un effet décapant, libérateur et mobilisateur. 

Au fil des ans, à l'occasion de quelques rencontres sporadiques après ma maîtrise en sociologie, j'ai appris, en m'y efforçant, à le tutoyer. En réalité, il demeurait et demeurera toujours pour moi "Monsieur Fortin", un homme qui a marqué fortement ma vingtaine. 

Merci, monsieur Fortin. 

Lionel Robert
Secrétaire du Conseil de la santé et du bien-être, 19 février 1997 • 

 

GÉRALD FORTIN

 

Jacques T. Godbout
INRS-Urbanisation 

Les étudiants n'oublieront jamais ses cours, surtout ceux de méthodologie où son esprit vif avait particulièrement l'occasion de se manifester. C'est dans ce cours qu'il m'avait fait connaître Popper et m'a appris que pour être scientifique un concept doit être falsifiable! Quelle découverte! 

Mais en 1970, coup de théâtre dans le petit monde des sciences humaines québécoises: transfuge de l'Université Lavai, Gérald Fortin devient le directeur fondateur du troisième centre de l'Institut national de la recherche scientifique, le Centre de recherche urbaine et régionale, appelé depuis l'INRS-Urbanisation. C'es le début d'une aventure. Comment ne pas se rappeler sans une certaine nostalgie cette époque où les réalisations des objectifs du Centre importaient plus que la longueur des CV des chercheurs, où les débats passionnés sur la nature du Centre et son mode d'opération duraient plusieurs jours et souvent tard dans la nuit. Gérald a alors donné son style à l'institution: ouverture d'esprit, absence de dogmatisme, interdisciplinarité, mélange de pragmatisme et de préoccupations théoriques. Pendant que nombre de départements dans les sciences humaines étaient divisés par les querelles idéologiques, ou par le mépris réciproque entre les théoriciens et les chercheurs "praticiens" (époque révolue bien entendu), le Centre, après il est vrai une courte période de durs affrontements disciplinaires que Gérald a géré avec une diplomatie peu commune, développait, beaucoup plus qu'un esprit de tolérance, un respect et une reconnaissance de la valeur du travail de chacun, entraînant une complémentarité on dirait aujourd'hui une "cross-fertilization..." à la fois entre disciplines et entre différents types de recherche. 

Cette "culture organisationnelle" a constitué un atout essentiel à une époque où, on peut bien l'admettre aujourd'hui, l'ensemble du monde universitaire acceptait mal ce corps étranger qu'était l'INRS: institution bâtarde, vendue à l'État pour les uns, incapable de faire de la recherche appliquée vraiment utile pour les autres. Il a été le premier capitaine de ce navire au pavillon incertain, et en a fixé les balises. La figure de Gérald Fortin s'est avérée, à ce moment crucial, indispensable pour faire reconnaître et légitimer ce nouveau modèle où un équilibre délicat et toujours fragile doit être respecté entre les disciplines et les orientations de recherche. Gérald représentait la synthèse de ce que voulait devenir le Centre, l'idéal à atteindre. Chercheur reconnu, à la fois théoriciens de la participation, expert auprès de nombreux ministères et organismes publics, mais imperméable à l'esprit technocratique, il a réalisé ce tour de force d'être le consultant autant du gouvernement que des groupes populaires. Dès les premières années du Centre, il mettait sur pied un programme en vue de répondre à la demande de recherche non solvable. 

Vivacité, rapidité, capacité de faire des liens. Mais ce brillant chercheur s'est retiré très tôt de la vie intellectuelle active. Comme s'il avait brûlé d'un coup ses énergies qui semblaient à un moment inépuisables. En pensant à lui, une image me vient à l'esprit, celle d'une étoile filante dans le firmament de la pensée québécoise. Elle a brillé d'un grand éclat. Je penserai à lui à chaque fois que j'en verrai une. À cet homme brillant mais discret, mais aussi à cet homme de conviction et à ce passionné qui va nous manquer, qui nous manque dans cet univers de plus en plus gestionnaire, sans éclat et sans conviction dans lequel nous avons souvent l'impression de vivre aujourd'hui. À chaque fois que ce que j'écrivais me semblait important, je pensais à lui, à ce qu'il en dirait. Combien de fois cela m'a conduit à supprimer des phrases, à essayer d'aller dans le vif du sujet sans fioritures. Je vais continuer, en pensant qu'il ne lira plus, mais en faisant comme si. Et en me disant que, après tout, l'hypothèse qu'il n'existe plus n'étant pas falsifiable, et donc non scientifique, il continue peut-être à briller ailleurs... 

Jacques T. Godbout
INRS-Urbanisation •


Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 9 juin 2006 15:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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