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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


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Gilles Beausoleil,

Comptes rendus.”

Marc-Adélard TREMBLAY et Gérald FORTIN, avec la collaboration de Marc LAPLANTE, Les comportements économiques de la famille salariée du Québec. Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1964, 405 p. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vo. 8. n˚ 1, janvier-avril 1967, pp. 89-91. Québec: PUL.


L'étude préparée par les professeurs Tremblay et Fortin occupe une place importante dans l'évolution de la littérature scientifique au Québec parce qu'elle y constitue la première étude majeure dans le domaine de la sociologie économique. Ce fait est d'autant plus marqué que, dans cette zone un peu grise de la sociologie économique, les travaux scientifiques se sont effectués de façon plutôt sporadique que systématique et ne semblent pas avoir acquis, en dépit de leur apport positif, un droit de cité indéniable dans la littérature scientifique sociologique ou économique.

Comme les auteurs l'indiquent, l'étude des budgets et de l'utilisation des revenus des familles a été réalisée de façon systématique pour la première fois par Frédéric Le Play au siècle dernier. Depuis ce temps, des économistes, des sociologues et des psychologues sociaux se sont penchés sur ces problèmes comme l'indique la brève revue de la littérature que l'on trouve au chapitre 1 de l'étude. Les aspects de l'analyse économique qui sont mentionnés touchent la loi d'Engel, les études empiriques du comportement des consommateurs et l'approche macro-économique de l'analyse de la consommation. Une référence à la théorie classique et néo-classique des choix des consommateurs et des conditions d'équilibre dans l'allocation du budget des consommateurs aurait complété le tableau, même s'il faut admettre que cette partie de l'analyse économique n'a pas donné lieu à une théorie expérimentale riche de travaux appliqués. La revue de la contribution sociologique et de l'apport des psychologues sociaux laisse rapidement voir au lecteur l'influence qu'auront, sur l'étude des professeurs Tremblay et Fortin, les travaux de Moscovici et de Columelli. ll y aurait peut-être eu lieu d'introduire des éléments de la théorie sociologique portant sur l'analyse des mécanismes institutionnels et du contrôle social ; les références consacrées à la théorie sociologique contemporaine sont peu nombreuses dans les quelques pages consacrées à l'approche sociologique.

Cependant, la contribution des auteurs a voulu être l'analyse du comportement des consommateurs canadiens-français. La richesse des observations et la densité des faits apportent une connaissance inédite tant aux chercheurs qu'aux lecteurs intéressés aux travaux dans le champ des sciences humaines. On peut diviser l'étude des professeurs Tremblay et Fortin en quatre parties : a) la description des méthodes d'analyse et des caractéristiques socio-économiques de la population touchée par les enquêtes, b) les résultats de l'étude aux plans de l'univers des besoins, de l'image des conditions de vie et de la naissance des aspirations, c) les études spéciales sur l'épargne et le crédit, les loisirs, la conception de l'instruction et les conséquences du chômage, d) les annexes techniques.

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La définition des concepts sociologiques que l'on retrouve dans la première partie est adéquate et l'appareil de cueillette de l'information ne présente pas de failles sérieuses. L'échantillon a été préparé avec soin et une large équipe d'interviewers a recueilli l'information après avoir reçu un entraînement adéquat. Les auteurs ont eu recours à un éventail assez large de variables indépendantes. L'inclusion de variables telles que l'attachement aux valeurs traditionnelles, il optimisme, l'utilisation des média de communications par les consommateurs a apporté une dimension importante du point de vue sociologique à cette étude. Au plan conceptuel, la principale faiblesse repose dans la définition discutable de concepts tels que le revenu, les possessions, etc. Certes, il est difficile d'assigner la propriété de concepts d'analyse à des disciplines spécifiques et de refuser, par exemple, à l'analyse sociologique d'utiliser le concept de revenu selon son propre schéma conceptuel. Cependant, l'analyse économique a traditionnellement défini les revenus comme constituant la rémunération de facteurs de production à laquelle s'ajoutent les paiements de transfert qui ne sont pas des revenus additionnels mais des revenus redistribués. Les auteurs de l'étude concernée ont utilisé une notion de ressources financières disponibles pour définir les revenus des familles en incluant les emprunts non rembourses et la désépargne. Ils ont ainsi considéré comme identiques les revenus et l'allocation des revenus des familles. Les possibilités d'utilisation des données pour fins d'études économiques en sont réduites. Une étude économique aurait, d'une part, analysé les revenus et, d'autre part, étudié les dépenses de consommation pour spécifier ensuite les emprunts ou l'épargne permettant de combler l'écart entre les revenus et les dépenses. La définition de niveau de vie comme correspondant au niveau de possessions, à la page 76, est malheureuse ; d'ailleurs, à une ou deux reprises, les auteurs utilisent ultérieurement ce concept dans le sens de standard de vie.

Le tableau des caractéristiques de familles salariées que fournit l'étude est précis et fort intéressant. Dans les régions rurales pauvres, on trouve des familles plus nombreuses que la moyenne et les parents y sont plus âgés. Le degré d'instruction des salariés ruraux et des salariés d'origine rurale est plus faible que celui des villes ; il y a cependant une tendance assez nette vers une plus grande homogénéité dans l'instruction des enfants. La composition occupationnelle est différente entre les strates ; les données se ressentent de l'exclusion des travailleurs indépendants. La mobilité des familles salariées canadiennes-françaises est prononcée. Au plan des conditions financières des familles, l'étude révèle des disparités de revenus entre les strates, entre les niveaux professionnels mais, surtout, identifie de façon précise les disparités de revenu disponible entre les familles comprenant un nombre différent d'unités de consommation. Les données présentées par l'étude sont précieuses pour l'évaluation du fardeau des charges familiales. L'extension du recours au crédit et à la désépargne chez une proportion considérable des familles laissait entrevoir, dès le moment de l'étude, la présence de problèmes socio-économiques dont notre société a pris de plus en plus conscience au cours des années 1960.

Le chapitre VI de l'étude occupe une place centrale dans l'étude des professeurs Tremblay et Fortin. Après avoir présenté les donnés classiques sur la distribution des dépenses des familles entre divers postes, les auteurs tentent de préciser les besoins qui sont compressibles dans l'occurrence d'une diminution du revenu ou de l'augmentation des unités de dépenses dans une famille de revenu donné, et ensuite, d'identifier au moyen de diverses mesures les biens et services les plus fortement désirés par les consommateurs ou dont la privation est la plus fortement ressentie parles familles. Ils arrivent ainsi à une hiérarchie de besoins non satisfaits dans l'ordre suivant : « 1. mobilier, 2. automobile, 3. assurances, 4, logement, 5. soins médicaux, 6. nourriture, 7. loisirs, 8. vêtement » (p. 126).

Dans ce chapitre, les auteurs ont cependant quelque difficulté à réconcilier l'hypothèse d'une relation positive entre l'intensité du besoin et la proportion du budget que consacre la famille à son acquisition : « plus un bien est conçu comme nécessaire et indispensable, [91] plus on aura tendance à consacrer des sommes importantes à son acquisition » (p. 93) et le fait que certains besoins, tel il éducation, 9 peuvent être fortement ressentis par les salariés sans que ceux-ci affectent des sommes mêmes minimes pour les satisfaire » (p. 97). La préférence effective des consommateurs pour le mobilier et il automobile, alors que l'éducation apparaît fortement prioritaire par les familles, s'expliquerait, selon les auteurs, par la proposition que c'est « par rapport aux besoins que l'on sacrifie le plus volontiers que la privation est la plus généralisée » (p. 121). On peut se demander si, entre les types de formation de capital que constitue l'acquisition d'une automobile et l'éducation, le rendement de l'éducation n'a pas une valeur trop faible et son coût n'est pas prohibitif pour les familles ; ce serait là une explication plausible et rationnelle de leur comportement.

Au plan de la relation entre le revenu, qui est indiquée comme une variable centrale dans l'explication du comportement, l'étude conclut que les familles qui touchent un revenu inférieur à $4,000 - $4,500 demeurent enfermées dans l'univers des besoins, tandis que celles qui ont un revenu supérieur peuvent pénétrer dans l'univers des aspirations. La participation à ce dernier univers est cependant conditionnée par les normes de consommation qu'acceptent les familles et l'évolution du revenu plutôt que le seul niveau de revenu à un moment donné.

Les études spéciales de la recherche des professeurs Tremblay et Fortin sont très précieuses. Les quelques pages que les auteurs consacrent au crédit à la consommation constituent encore la seule étude du comportement de nos familles sur ce plan tandis que l'analyse des répercussions du chômage sur l'équilibre économique des familles est très révélatrice des implications du sous-emploi pour le bien-être des familles. Quant aux annexes A et B, elles constituent des compléments irremplaçables à l'étude par les nombreuses données que l'on y trouve. Les autres annexes présentent de façon claire l'utilisation de certains instruments de recherche.

En terminant cette revue de l'étude des professeurs Tremblay et Fortin, il y a lieu d'exprimer quelques regrets. Il est malheureux que des économistes ne se soient pas associés étroitement à ce projet car ils auraient pu tirer, des données recueillies et accumulées, un excellent matériel pour l'analyse du comportement économique des consommateurs, pour des fins de calcul d'élasticité de demande, de taux de substitution, etc. Il faut aussi regretter que des études subséquentes, utilisant les mêmes données ou basées sur d'autres données, ne se soient pas effectuées et que le développement rapide de centres universitaires de recherches ne résultent pas de tels efforts. C'est peut-être là la promesse des années prochaines.

Gilles BEAUSOLEIL

Ministère de la Famille et du Bien-être social,

Québec.



Revenir à l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue québécois Dernière mise à jour de cette page le samedi 22 octobre 2011 14:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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