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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les changements socio-culturels à Saint-Augustin.
Contribution à l'étude des isolats de la Côte-Nord du Saint-Laurent
. (1969)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marc-Adélard Tremblay, Paul Charest et Yvan Breton, Les changements socio-culturels à Saint-Augustin. Contribution à l'étude des isolats de la Côte-Nord du Saint-Laurent. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1969, 182 pp. Collection: Travaux et documents du Centre d'études nordiques, no 6. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.] Une édition numérique réalisée par ma grande amie de longue date, Gemma Paquet, professeure de soins infirmiers retraitée de l'enseignement au Cégep de Chicoutimi.

Introduction

I. L'ethnographie du Canada français
II. La Côte-Nord du Bas Saint-Laurent
III. Le choix du village de Saint-Augustin
IV. La communauté


I. L'ethnographie du Canada français

L'étude des changements socio-culturels à Saint-Augustin a été effectuée durant l'été de 1965, dans le cadre d'un programme de recherches ethnographiques sur la Côte-Nord du Bas Saint-Laurent. C'est une première contribution à un vaste programme d'enquêtes systématiques destiné à enrichir nos connaissances sur le Canada français traditionnel et moderne ainsi qu'à constituer une documentation de base devant servir à alimenter des travaux dans divers domaines des sciences de l'homme [1].

En effet, la documentation ethnographique Sur les diverses régions « culturelles » du Québec est relativement pauvre. Nous possédons, tout au plus, quelques monographies qui, bien qu'excellentes, portent sur des villages localisés dans des régions différentes du Québec [2] et demeurent insuffisantes pour établir un profil d'ensemble. L'ethnographie du Canada français représente une tâche d'autant plus urgente que toutes les communautés du pays, si petites et si éloignées soient-elles, sont en pleine phase d'évolution. Il est encore temps de recueillir les témoignages des aînés et d'examiner minutieusement la documentation écrite dont nous disposons. Il faudrait parcourir toutes les régions du Québec pour recueillir les éléments nécessaires à la reconstruction de la vie traditionnelle avant qu'il ne soit trop tard. Le défi est d'envergure mais il est relevable.

Ces considérations nous ont amenés à choisir la Côte-Nord du Bas Saint-Laurent, milieu assez homogène où les changements sont encore peu nombreux, comme aire culturelle pilote pour nos études ethnographiques sur le Canada français.

II. La Côte-Nord du Bas Saint-Laurent

Cette région s'étend de l'embouchure du Saguenay jusqu'au 52e parallèle, limite du Labrador terre-neuvien [3]. Les géographes la divisent communément en trois unités géographiques distinctes, soit: la Haute, la Moyenne et la Basse Côte-Nord [4].

La Basse Côte-Nord, région qui nous intéresse plus particulièrement ici, s'étend de Kegashka à Blanc-Sablon. Une population d'environ 5,000 individus y est répartie sur 224 milles de côte, en 16 groupes d'habitations: 12 d'expression anglaise, 3 d'expression française et 1 de langue montagnaise [5]. En 1963, le Bill 23 de l'Assemblée législative du Québec érigeait en municipalité autonome l'ensemble de ces 16 agglomérations, sous la juridiction d'un administrateur nommé par le gouvernement provincial.

Le littoral de la Basse Côte-Nord est rocheux, échancré et parsemé d'innombrables îles et îlots. Les eaux froides du golf e du Saint-Laurent reçoivent la visite annuelle de la morue, du saumon et des loups-marins, principales ressources de la Côte. Les fonds marins servent d'habitats à différents mollusques et crustacés dont le pétoncle et le homard sont les plus recherchés. L'arrière-pays de la Côte est sillonné de nombreuses rivières et parsemé de lacs et d'étangs tout aussi innombrables que les îles du littoral. La végétation est celle de la zone tempérée supérieure [6]. Les arbres, surtout le sapin et l'épinette (épicéa), ne poussent vraiment que le long des cours d'eau, Une mince couche de sol arable se retrouve dans cette zone étroite. Ces forêts-galeries sont peuplées d'animaux à fourrure très recherchés, comme le vison, la loutre, le castor, l'hermine et le lynx. Les espaces désertiques de l'arrière-pays sont fréquentés par le caribou. Loin à l'intérieur, des gisements de fer d'une très grande richesse sont exploités depuis peu. L'utilisation des richesses naturelles du milieu n'a jamais été pensée en fonction du développement économique de la région dans sa totalité. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant de constater que ce territoire fasse vivre maigrement la population qu'il a gardée.

La relation écologique entre la population et le milieu était autrefois fondée sur un équilibre naturel. Des petits groupes de familles étaient dispersés ici et là sur la Côte, dans des endroits situés près des cours d'eau et protégés du vent. Ils vivaient principalement de la pêche à la morue l'été, du piégeage des animaux à fourrure l'automne, de la pêche au phoque et de la chasse au caribou l'hiver. Les hommes savaient aussi se transformer en bûcherons pour couper le bois de chauffage et de construction nécessaire aux besoins familiaux. Des Esquimaux et des Indiens leurs prédécesseurs, ils avaient appris à utiliser les diverses ressources du milieu environnant afin d'assurer leur subsistance.

Le désir de profiter de services communautaires tels qu'une école, une église, un bureau de poste, a incité la population du littoral à se concentrer en certains points plus convenables, ce qui a rendu les ressources naturelles du milieu insuffisantes à satisfaire les besoins des habitants des nouveaux villages ainsi constitués. L'assistance sociale puis les travaux d'assistance-chômage durent venir en aide a une population qui n'était plus en équilibre avec son milieu. Même si 85 pour cent de la main-d'œuvre s'adonne encore à la pêche, celle-ci est de faible rendement parce qu'elle est limitée à la Côte, pratiquée de façon artisanale avec de petites barques et centrée sur la main-d'œuvre familiale. L'économie, qui était autrefois en bonne partie autosuffisante, dépend maintenant de l'extérieur pour l'écoulement des produits de la pêche et pour l'achat des produits de consommation. La chasse et le piégeage ont été abandonnés depuis 1963 au profit des travaux d'hiver. L'adaptation écologique de la population de la Basse Côte-Nord à son milieu est donc en passe de subir de profondes modifications.

III. Le choix du village de Saint-Augustin

Parmi les communautés de la Basse Côte-Nord, notre choix, pour une première monographie ethnographique, s'est porté sur le village de Saint-Augustin, pour deux raisons principales: ses dimensions et son isolement. Avec plus de 700 habitants, Saint-Augustin est la communauté la plus populeuse de cette région de la Côte. Par ailleurs, le village est situé à 40 milles de la communauté la plus proche et les routes sont totalement inexistantes. Saint-Augustin constitue donc un isolat. Ses habitants sont venus de Terre-Neuve, des provinces de l'Atlantique et du Canada français.

Le village de Saint-Augustin est situé sur la rive gauche (est) de la rivière du même nom, à proximité d'une large baie dont l'ouverture donnant sur la mer est remplie d'une myriade d'îles de toutes grandeurs. Les limites naturelles du village sont: au nord-est, les marécages; au nord-ouest et au sud-est, les rochers et, au sud-ouest, la rivière [7].

Les constructions les plus importantes sont l'église catholique et le presbytère attenant, l'école catholique, l'église et l'école protestantes, les magasins de la Compagnie de la Baie d’Hudson, la scierie et la centrale électrique. La plupart des maisons, assez bien entretenues, sont peintes de couleurs gaies, ce qui donne, du haut des airs, une bonne impression du village.

L'été, pendant la saison de pêche qui dure environ deux mois, la majorité des familles émigrent vers les îles de l'archipel ou dans des baies étroites, occupant ainsi une longueur d'environ 40 milles de côte, de Kéearpoui à Baie-des-Rochers (voir la carte).

Jusqu'à tout récemment, les activités économiques des Augustiniens se répartissaient, selon les saisons, entre la pêche, la chasse, le piégeage, la cueillette des baies sauvages et la coupe du bois. Depuis 1963, les hommes sont principalement occupés, pendant au moins six mois de l'année, à des travaux d'hiver ou d'assistance-chômage. Les chefs de famille y trouvent leur principale source de revenu; la pêche vient en second lieu. Les travaux d'hiver ont bouleversé le cycle des activités économiques et les modèles de consommation. Les Augustiniens ont abandonné le piégeage et pratiquent très peu la chasse. Par ailleurs, la généralisation de l'économie monétaire, remplaçant l'ancienne économie de troc, les rend de plus en plus dépendants de la ville pour la satisfaction de leurs besoins. Comme pour le reste de la Côte, l'adaptation écologique est entièrement bouleversée.

Les ancêtres des Augustiniens d'aujourd'hui sont venus s'établir sur la Côte il y a un peu plus d'un siècle. Au cours des 35 dernières années, les groupes de familles qui étaient autrefois dispersés le long du littoral ont déménagé l'un après l'autre à Saint-Augustin pour s'établir auprès du poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson et profiter des services communautaires. Habitués à vivre pendant longtemps de façon isolée et autosuffisante, ces groupes familiaux sont demeurés individualistes et peu coopérateurs au niveau de l'ensemble de la communauté. Aussi, comme nous le verrons dans le chapitre sur l'organisation sociale, les mécanismes de coopération et les fondements de l'organisation communautaire sont fragiles. Saint-Augustin constitue en quelque sorte une communauté en voie de formation. Le processus se déroule sous nos yeux [8].

IV. La communauté

Qu'est-ce qu'une communauté ? Quels en sont les critères de définition ? Saint-Augustin forme-t-il une véritable communauté ? Quel est l'intérêt des études communautaires ? Voilà autant de questions auxquelles nous devons répondre brièvement.

La communauté est un tout humain qui possède une vie et une personnalité propres qui la rendent distincte de toute autre communauté. Selon Redfield la communauté doit être petite, homogène, autosuffisante et distincte des autres [9]. Cette définition rejoint celle d'Arensberg qui distingue trois éléments principaux dans la communauté: les aspects morphologique, démographique et interpersonnel [10], ayant soin de comprendre ceux-ci comme évoluant dans le temps.

Les deux critères les plus importants pour une définition de la communauté sont donc le temps et l'espace.

À la lumière des critères que nous venons d'énumérer, nous pouvons affirmer que Saint-Augustin forme bel et bien une communauté, quoique certaines des conditions requises, telles que l'homogénéité et l'auto-suffisance, ne soient pas parfaitement remplies. Par ailleurs Saint-Augustin forme une unité territoriale qui possède son histoire propre; nous avons bien une communauté distincte de toutes les autres.

L'étude des communautés est avant tout une méthode d'appréhender le réel de façon « holistique  », ce qui est, selon Redfield et Gutkind, la seule façon valable d'étudier la réalité humaine. Cette méthode permet aussi la comparaison entre unités de même nature. Redfield fit école en Amérique et eut de nombreux disciples. Oscar Waldemar Junek fut l'un de ceux-là. Dans Isolated Communities [11], il utilisa le modèle de Redfield (société traditionnelle-société urbaine) pour étudier en 1933 la communauté de pêcheurs de Blanc-Sablon. Il choisit la ville de Québec comme pôle d'influence urbaine. Cette intéressante monographie qui décrit avec force détails la vie sur la Basse Côte-Nord de 1930 à 1940 nous servira constamment de point de repère pour évaluer les changements survenus sur la Côte-Nord depuis les débuts du vingtième siècle. Pour les changements antérieurs à cette période, il faudra nous fier aux nombreux ouvrages d'historiens, de voyageurs, de naturalistes (géologues et autres), de missionnaires, de traiteurs... portant sur cette région. L'analyse comparative de ces divers documents nous permettra de reconstituer, le plus fidèlement possible, les diverses étapes de l'évolution démographique, économique et sociale de la Basse Côte-Nord. Les étapes qui serviront de points de repère sont le début du siècle, le début des années 30 et l'année 1965.

La présente monographie se divise en cinq chapitres qui nous apparaissent comme autant de parties nécessaires pour juger de la quantité et de la qualité des changements survenus depuis plus de soixante-cinq ans à Saint-Augustin. D'ailleurs, nous suivons en cela le modèle traditionnel des études ethnographiques. Ces sections sont l'histoire du peuplement, le profil socio-démographique du village, l'organisation économique, l'organisation familiale et sociale et la vision du monde.



[1] Pour plus de renseignements sur ce programme de recherche: Marc-Adélard TREMBLAY, «L'ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent », Recherches sociographiques, vol. VIII, nº 1, janv.-avril 1967, p. 81-87. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[2] Voir, en particulier, de Léon GÉRIN, « L'habitant de Saint-Justin », Mémoires et comptes rendus de la société royale du Canada, et le Type économique et social des Canadiens [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]  ; également, de Horace MINER, St. Denis, a French-Canadian Parish [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] ; et, de Marcel Rioux, Description de la culture de l'Île Verte et Belle-Anse.

[3] Le lecteur intéressé aux problèmes soulevés par la délimitation de la frontière Québec-Labrador consultera avec intérêt, de Me Henri Dorion, la Frontière Québec-Terre-neuve,Contribution à l'étude systématique des frontières, Travaux et documents du Centre d'Études Nordiques, nº 1.

[4] Paul BUSSIÈRES, « La population de la Côte-Nord », Cahiers de géographie de Québec, nos 14 et 15.

[5] Gaston BERGERON, « La Basse Côte-Nord », Le Côtier-The Coaster, vol. V.

[6] Pour un exposé systématique sur la faune, la flore et les groupes indigènes au Nouveau Québec, consulter l'importante étude de Jacques Rousseau : « Coupe biogéographique et ethnobiologique de la péninsule Québec-Labrador », le Nouveau-Québec : Contribution à l'étude de l'occupation humaine, Paris, 1964, p. 29-94.

[7] Voir le croquis du village (Voir la carte 3 dans l’édition numérique. JMT.).

[8] Cette perspective de la communauté en tant qu'organisme est bien explicitée dans Alexander H. LEIGHTON, My Name Is Legion, p. 200.

[9] Robert REDFIELD, The Little Community.... p. 4.

[10] Conrad ARENSBERG, « The Community Study Method », American Journal of Sociology, vol. LX, nº 2, 1954, p. 109-124.

[11] Oscar W. Junek, Isolated Communities : A Study of a Labrador Fishing Village, 1937.



Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 30 mai 2009 16:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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