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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'anthropologie québécoise et l'étude du Québec: continuités et ruptures ” (1984)
1. La construction de l'objet anthropologique


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de MM. Gerald Louis Gold et Marc-Adélard Tremblay, “ L'anthropologie québécoise et l'étude du Québec: continuités et ruptures ”. Un article publié dans Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (2 tomes). Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin et al., éditeurs. Tome I, chapitre XVII, pp. 257-297. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, tome I, 309 pp. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

1. La construction de l'objet anthropologique

L'anthropologie est apparue au Québec durant les années 50, au moment où la sociologie possédait déjà ses lettres de créance. C'est l'accroissement des effectifs étudiants dans les collèges et les universités et la popularité grandissante des sciences sociales qui favorisèrent l'émergence de l'anthropologie en tant que discipline académique autonome durant les années 60 et 70 (1). À cette époque éclate au grand jour une crise d'identité culturelle qui suscita un renouvellement des intérêts dans l'étude du Québec en tant que projet de société et en tant que configuration culturelle spécifique. L'objet de notre propos est d'étayer l'hypothèse que ces préoccupations des spécialistes des sciences humaines vis-à-vis de l'identité «nationale» constituent à la fois l'armature et le symbole d'une orientation scientifique nouvelle devant produire les principaux éléments d'une anthropologie du Québec. Une proposition corollaire s'y rattache: le choix de certaines perspectives théoriques ainsi que l'élaboration de méthodologies particulières d'observation ont canalisé l'ensemble des efforts en fonction d'une construction scientifique de l'objet dans le but de lui conférer un caractère d'originalité.

La vocation première de l'anthropologie du Québec comportait deux objectifs majeurs. Il s'agissait de bâtir un dossier ethnographique du Québec qui reflétait la spécificité de ses patrons culturels tout en démarquant en quoi les éclairages anthropologiques sur l'objet se distinguaient des compréhensions sociologiques, historiques et folkloriques. Cet impératif s'avérait de première importance dans la mesure où l'anthropologie visait à s'affranchir de la tutelle sociologique en particulier et qu'elle portait son regard sur une civilisation complexe à laquelle les observateurs appartenaient et qui s'avérait être un point de mire très différent des «sociétés sans écriture». Cette vocation s'est par la suite élargie et diversifiée pour refléter davantage les transformations que subissait la discipline dans les grands centres ethnologiques. S'agit-il de rupture ou de continuité par rapport aux intentions des fondateurs? La réponse exige que nous établissions les jalons de sa croissance et les périples de son cheminement.

Dès les tout débuts, les sociologues se sont donné le mandat de construire une sociographie du Québec en tant que préalable à l'élaboration de problématiques sur l'évolution sociale du Québec. Fondée en 1960 par Fernand Dumont et Jean-Charles Falardeau, la revue Recherches sociographiques devait justement consigner les divers éléments de ce dossier. Les anthropologues nourrissaient essentiellement les mêmes ambitions: ils aspiraient à mieux connaître leur propre milieu et à le constituer en un vaste terrain d'observation en vue d'assurer l'apprentissage et la formation des étudiants. La montée du sentiment nationaliste dans toutes les strates sociales a favorisé l'arrivée au pouvoir en 1960 du Parti libéral, avec jean Lesage comme chef, sous la bannière de «Soyons maîtres chez nous». Ce gouvernement et les trois autres qui lui ont succédé ont été les artisans de la «Révolution tranquille», c'est-à-dire, d'une transformation dans les idéologies politiques, dans les pratiques étatiques et dans les mœurs électorales qui ont de mieux en mieux reflété les représentations et aspirations populaires. En l'espace d'une décennie à peine, le Québec s'est doté de tout un ensemble de politiques et de mesures sociales qui ont concrétisé l'existence d'un «État-Providence» francophone en Amérique du Nord (2).

La Révolution tranquille, faut-il le rappeler, a été essentiellement une révolution technocratique dont le succès a été largement assuré par la démocratisation des études collégiales et universitaires et par l'intervention soutenue des spécialistes des sciences humaines dans la construction et la mise en application de programmes sociaux de grande envergure. En tant que discipline nouvelle dans les milieux universitaires, l'anthropologie a largement bénéficié de cette évolution sociale sans précédent au Québec. En effet, c'est aux débuts de ces mutations profondes que sont apparus des programmes d'anthropologie aux universités McGill, Montréal et Laval. En l'espace de quelques années, l'anthropologie est passée du statut de discipline inconnue à celui d'une, profession outillée pour interpréter la nature et la portée des changements socio-culturels en cours. Ces vingt dernières années ont vu l'anthropologie établir de vastes programmes de recherche d'équipe au Québec, dans les Caraïbes et en Amérique latine. Les tranches de temps utilisées dans ces études empiriques conféraient à ces études longitudinales une profondeur temporelle susceptible d'assurer la validité des reconstructions spatio-temporelles. Nous nous proposons de définir ici l'arrière-plan comme d'évaluer la portée de ces différentes entreprises scientifiques d'envergure dans la construction d'une anthropologie du Québec. Chacune des deux décennies étudiées représente un découpage naturel en ce sens qu'elle représente des périodes de croissance ayant un caractère singulier.

Les années 60 se distinguent par l'établissement, dans les universités francophones, d'études ethnographiques de longue haleine portant sur les groupes francophones et les populations autochtones des régions septentrionales du Québec. L'objectif déclaré de ces études est de délimiter les diverses aires et sous-aires culturelles (3) du Canada d'expression française. Déjà, à la fin de la décennie, la désignation de cette unité socio-politique se transforme pour être remplacée, dans les cours et les publications, par l'appellation «Québec français», reflétant ainsi un changement sous-jacent dans les frontières de l'unité d'observation. L'Université McGill, en revanche, transpose ses intérêts québécois dans l'étude des problèmes d'adaptation associés au développement hydroélectrique de la Baie James.

Durant la dernière décennie, Montréal et Laval ont mis sur pied, au Québec, des études régionales visant, par le biais de schémas conceptuels novateurs, - en particu-lier, le matérialisme historique et les perspectives théoriques découlant d'observations ethnographiques en Amérique latine et en Afrique (4), - à mettre en relief les structures et les processus à l'origine de l'émergence d'importantes inégalités socio-économiques (5). Amorcées avec l'intention d'apprécier les politiques des agences gouvernementales vis-à-vis des populations indigènes, les études amérindianistes sont devenues à l'avant-scène et acquirent une importance inédite dans les trois départements d'anthropologie du Québec. La «crise de la Baie James» s'avéra une occasion en or permettant aux ethnologues d'expliciter leurs vues scientifiques et idéologiques sur une question d'intérêt public. Si, jadis, Gérard Filion avait lancé dans le Devoir son historique boutade «qu'il y avait au Québec plus d'anthropologues que d'Esquimaux», pour une fois, le public éduqué avait l'occasion de prendre connaissance du genre de travaux que les ethnologues effectuaient auprès des communautés autochtones. L'anthropologie des années 80 est à un carrefour. Les nouvelles priorités de recherche sur le Québec qui prévalent au terme de cette brève période sont exprimées dans des concepts modernes, mais elles ne sont pas sans rappeler celles qui apparurent durant les années 50 lorsque les anthropologues participèrent aux études disciplinaires de la psychologie et de la sociologie. Est-ce un mirage, ou une véritable praxis?


Notes:

(1) Le lecteur intéressé à la naissance de l'anthropologie au Québec pourra consulter un autre article des mêmes auteurs (Tremblay et Gold, 1976). Les matériaux du présent article proviennent de quelques autres analyses de Tremblay (1977, 1982a et 1982b) ainsi que Gold et Tremblay, 1983 (à paraître).

(2) On consultera avec intérêt l'étude effectuée par McRoberts et Postgate (1980) sur l'expansion de l'État québécois durant la Révolution tranquille.

(3) Les principaux auteurs de ces travaux sont conscients que la notion de «culture area» traduit une réalité ethnologique plus vaste et plus complexe que celle attribuée ici au concept de région. Toutefois, ils ont estimé que la notion d'aire culturelle demeurait la plus appropriée dans les circonstances.

(4) L'expérience anthropologique (Beaucage, Gomila et Vallée, 1976) raconte comment le travail sur le terrain en Amérique latine et en Afrique occidentale a nourri et transformé les conceptions ethnologiques de trois anthropologues de l'Université de Montréal.

(5) Ces études sont principalement à caractère économique. Voir la section 4.


Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le Lundi 25 avril 2005 19:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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