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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les Acadiens de la Baie française. L’histoire d’une survivance ” (1962)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Marc-Adélard Tremblay, “ Les Acadiens de la Baie française. L’histoire d’une survivance ”. Un article publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 15, no 4, mars 1962, pp. 526-555. Montréal : Institut d’Histoire de l’Amérique française. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

Introduction (1)

L'accession récente à la souveraineté de plusieurs communautés technologiquement peu développées a ranimé au Canada français des mouvements sécessionnistes. (2) Même si cette idéologie prend une ampleur jamais égalée jusqu'à aujourd'hui, il est encore trop tôt pour prédire les influences qu'elle exercera sur la société canadienne-française, principalement au niveau des objectifs qu'elle poursuit. Les minorités françaises d'outre-frontières qui viennent à peine d'assurer leur survivance, la voient soudainement menacée et compromise par les aspirations séparatistes de certaines ailes nationalistes québécoises. (3)

Nous ne savons pas jusque dans quelle mesure cette perception de la situation est justifiée par les faits. Quoi qu'il en soit, l'histoire de la survivance des Acadiens de la Nouvelle-Écosse est très instructive à plusieurs points de vue. En premier lieu, elle est une des survivances les plus spectaculaires du continent nord-américain puisqu'elle s'est réalisée dans des conditions particulièrement adverses. En deuxième lieu, cette survivance repose sur une longue tradition: au tout début, l'effort de survie fut tout naturel mais à mesure que les difficultés apparurent, les leaders acadiens ont dû définir une stratégie et se montrer vigilants. Finalement, cette survie de tout «un peuple» ne s'est pas réalisée en vase clos: elle s'est accompagnée d'un apport authentique à la vie institutionnelle de la Nouvelle-Écosse. Nous nous proposons dans le cadre de cet article de reconstituer l'histoire de cette survivance (4) en définissant les grandes étapes de l'évolution socio-culturelle du groupe et de montrer comment, à travers celle-ci, s'est élaborée la configuration culturelle acadienne de la Baie Française. (5)

L'intérêt de cette étude de cas vient aussi du fait que nous possédons des documents à caractère ethnographique sur les habitants de cette région et sur la culture acadienne contemporaine. (6) De plus, cette folk-société (7) est en voie de transformation sous la poussée de changements technologiques et institutionnels rapides. En élaborant la genèse de la survivance, nous serons en mesure de reconstituer du même coup l'histoire de la différenciation sociale et d'illustrer comment s'effectue sur le continent nord-américain le passage d'une société traditionnelle et historique à une société moderne et industrielle. Depuis la période d'après-guerre surtout, le tempo de cette évolution s'est accéléré et les répercussions se sont étendues à tous les paliers de la structure sociale. De plus, puisque ces changements datent de quelques années à peine, ils ont été observés et vécus par toute une génération d'Acadiens qui peuvent maintenant réfléchir sur leurs expériences et apporter leur témoignage. (8) On connaît toute la richesse de la tradition orale dans la reconstruction historique.

Nous examinerons les étapes qui nous semblent les plus significatives, c'est-à-dire celles qui ont exercé une influence profonde sur l'orientation culturelle du groupe et dans la genèse des valeurs autochtones. À notre point de vue, ces étapes peuvent se découper ainsi :

1. Le séjour de l'abbé Jean-Mandé Sigogne à la Baie Française;
2. le fondation du Collège Sainte-Anne;
3. Le passage d'une économie de subsistance à une économie monétaire;
4. L'émigration vers les centres industriels;
5. Le déclin des chantiers maritimes;
6. Le rehaussement des niveaux d'instruction;
7. La naissance d'un système de classe;
8. Les élites acadiennes: pluralisme et mouvement de diversification; et
9. L'éveil d'une conscience nationale.

Voilà autant de facteurs qui ont contribué à la survivance acadienne ou qui ne peuvent pas en être dissociés. Par rapport la survivance, la plupart comportent à la fois des éléments positifs et des éléments négatifs.

L'ordre dans lequel ces différentes étapes seront étudiées n'implique pas de chronologie stricte ou de parfaite étanchéité entre elles.

Notes:

(1) Cet article fait partie des études effectuées par le Groupe de Recherches du comté de Stirling («The Stirling County Study») sous la direction du Dr Alexander H. Leighton. Ces études ont été entreprises par l'Université Cornell avec la collaboration du Ministère de la Santé Publique de la Nouvelle-Écosse et celle des Universités Acadia et Dalhousie. La Faculté des Sciences Sociales de l'Université Laval apporta aussi une aide précieuse. Des subventions furent accordées par la Carnegie Corporation, le Ministère de la Santé Publique de la Nouvelle-Écosse et le Milbank Memorial Fund. À ses débuts, l'étude reçut l'appui de l'American Philosophical Society, de Cornell University, de la Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research et de la Rockfeller Foundation.

Je voudrais souligner les contributions de plusieurs collègues du Groupe de Recherches à mes études sur les Acadiens de la Baie SainteMarie: Alphonse Deveau, Gustave Doucet, Émile Gosselin, Charles C. Hughes, Alexander H. Leighton, le regretté Allister M. Macmillan, Jean Vincent Martin, o.s.b., Robert N. Rapoport, et Janine et Mark Rosenzweig. Il serait beaucoup trop long d'énumérer ici les noms de mes nombreux informateurs. Je tiens à les remercier tous et chacun très sincèrement. Je ne puis cependant pas passer sous silence le précieux concours du R.P. A.-L. Laplante, c.j.m., et du Professeur Willie Belliveau, respectivement Recteur et Professeur au Collège Sainte-Anne de la Pointe-de-l'Église au moment de mes travaux sur le terrain (1950-1956). En dernier lieu, je veux remercier tous ceux qui ont lu et commenté cet article, à savoir: Willie J. Belliveau, Jean-Eudes Comeau, Alphonse Deveau, Gustave Doucet, le Père L.-F. d'Entremont, c.j.m., le Père A.-L. Laplante, c.j.m., et Philippe Leblanc. Une version préliminaire de cet article apparaît dans la thèse de doctorat de l'auteur. Cf. Marc-Adélard Tremblay, The Acadians of Portsmouth, A Study in Culture Change (Cornell University, Ithaca, New York, 1954), 27-49.

(2) Raymond Barbeau, J'ai choisi l'Indépendance (les Éditions de L'Homme, Montréal, 1961) et Marcel Chaput, Pourquoi je suis Séparatiste (Les Éditions du Jour, Montréal, 1961). Le droit à l'autodétermination politique qu'ont acquis ces jeunes pays n'est pas, bien entendu, le seul facteur à l'origine de cette «recrudescence nationaliste». Le Congrès des Affaires canadiennes tenu à l’Université Laval au mois de novembre dernier en témoigne. Les éléments d'explication sont beaucoup plus nombreux et complexes et doivent surtout tenir compte de facteurs historiques endogènes. Ce n'est cependant pas notre intention d'en faire la revue et l'analyse dans le cadre de cet article.

(3) Un certain chef de file a affirmé publiquement (il l'a aussi écrit) que les minorités françaises des autres provinces canadiennes sont en bonne vole d'être assimilées par l'élément anglo-saxon: Cf. Raymond Barbeau, op. cit., 63-66. Mais les indices sur lesquels reposent cette généralisation sont très partiels et ne reflètent pas la nature complexe du phénomène d'anglicisation. À ce sujet, voir Marc-Adélard Tremblay, «Niveaux et Dynamismes d'acculturation des Acadiens de Portsmouth», Anthropologica, 3 (n&Mac251; 2, nov. 1961): 202-251. À partir de cette généralisation voici le raisonnement auquel il nous demande d'adhérer. Puisque ces minorités sont déjà comptées pour perdues, il n'est certes pas nécessaire de continuer notre adhésion au pacte confédératif dans le seul but de les protéger ou de les réorienter vers le Canada d'expression française. Il sera beaucoup plus profitable que l'effort de refrancisation porte sur le Québec seulement si on veut imprimer à ce mouvement toute la force qu'il nécessite. La position du c séparatiste» Chaput est cependant beaucoup plus souple vis-à-vis les minorités françaises. À son sens, la souveraineté politique du Québec deviendrait vite un symbole de fierté dans le fait français et serait, par voie de conséquence, un facteur qui freinerait le mouvement d'acculturation des Canadiens français dans les milieux anglo-saxons. Cette hypothèse de travail mérite de retenir l'attention: nous en avons d'ailleurs fait l'examen partiel dans l'article ci-haut mentionné. La création récente, dans la province de Québec, d'un Ministère des Affaires Culturelles comprenant un Département du Canada français d'Outre-Frontières, est une sérieuse indication que le gouvernement actuel est préoccupé par le sort des minorités françaises. Pour exprimer un jugement de valeur, nous préférons une attitude optimiste comme celle-ci qui est fondée sur le postulat que le renouveau est possible à l'attitude pessimiste qui tient pour irrémédiablement perdue la lutte pour la survivance chez les minorités éloignées. D'ailleurs un des buts de cet article est de montrer que la survivance est non seulement possible mais de fait assurée chez certains groupes minoritaires. La démonstration se fera non pas à partir de critères partiels (linguistiques ou religieux, par exemple), mais à partir de la configuration culturelle tout entière, celle-ci devant inclure des éléments structurels et fonctionnels et intégrer, entre autres, les valeurs et les attitudes.

(4) Nous ne sommes pas le premier à concevoir la survivance dans une perspective holistique. Clifford Edwards devait utiliser sensiblement la même démarche (quoique plus restreinte) dans une thèse de maîtrise qu'il présentait à l'Université McGill en 1945: Clifford Edward Edwards, La Survivance de la Culture Française en Nouvelle-Écosse, thèse de maîtrise, McGill University, (oct. 1945). Cette thèse contient une intéressante bibliographie.

(5) Techniquement, la Baie Sainte-Marie s'étend du début du Digby Neck jusqu'au Cap Sainte-Marie. L'expression «Baie Française» ou «Ville Française» réfère à l'aire géographique de la Baie Sainte-Marie qui s'étend du village de Saint-Bernard dans la municipalité de Clare au village de Saint-Alphonse et qui est habitée par environ 10,000 Acadiens d'expression française.

(6) Le terme «culture» est pris dans son sens anthropologique ainsi que des concepts tels que configuration culturelle, système de valeurs, etc... Pour une étude de la culture acadienne, voir Charles C. Hughes, Marc-Adélard Tremblay, Robert N. Rapoport et Alexander H. Leighton, People of Cove and Woodlot, Communities from the viewpoint of social psychiatry (Basic Books Inc., New York 1960), en particulier, 93-164.

(7) Les caractéristiques dominantes de la folk-société sont les suivantes: a) la société est relativement restreinte et homogène, il y existe un puissant esprit de groupe; b) les comportements s'inspirent de la tradition, c) les liens de parenté orientent les principales relations sociales; d) le sacré prévaut sur le profane; et e) l'économie de subsistance prévaut sur l'économie commerciale.

(8) Les instruments de récolte des données essentielles furent quelques documents écrits mais surtout l'entrevue centrée et l'observation participante. Les informateurs-clés ont été choisis en fonction de leur âge et de leur expérience ou soit encore en fonction de leur intérêt à l'histoire acadienne. Ces entrevues se sont échelonnées sur une période de plusieurs années, soit de 1950 à 1955 inclusivement.


Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le Lundi 25 avril 2005 17:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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