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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Chômage, flexibilité et précarité d’emploi: aspects sociaux”. (1994)
1. Chômage et précarité d’emploi: de quoi parle-t-on ?


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Diane-Gabrielle Tremblay, “Chômage, flexibilité et précarité d’emploi: aspects sociaux”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin, Traité des problèmes sociaux. Chapitre 31 (pp. 623-652). Montréal : Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 11 août 2004 de diffuser cet article et plusieurs autres]


1. Chômage et précarité d’emploi: de quoi parle-t-on ?


Après avoir vécu cinq ans entre les «programmes de développement de l'emploi», les programmes «d'article 38» et le chômage, Stéphanie s'est lancée en affaires et propose ses services de dactylo et de recherchiste. Son baccalauréat en communications en poche, elle préfère accepter tout ce qui passe plutôt que de se retrouver en chômage, d'envoyer des C.V. à la volée et d'attendre sans fin le bruit d'un téléphone trop longtemps silencieux. N'ayant jamais réussi à décrocher un emploi régulier à plein temps, Daniel accepte de travailler à contrat sur des projets de développement informatique. Voilà bientôt dix ans qu’il court ainsi de contrat en contrat et que ses vacances d'été sont en fait des périodes de chômage à domicile. Cinq ans de travail comme journaliste pigiste, mal payé et sans statut régulier, amenaient François à créer sa propre petite boîte de relations publiques et à contribuer à «l'entrepreneurship québécois»! Il prend des contrats pour la rédaction de communiqués de presse, l'organisation de conférences de presse, la rédaction publicitaire, ... et même, pendant les mois creux de l’été, la vente par téléphone d'abonnements à des revues et quotidiens. Après avoir travaillé cinq ans «sur appel» dans un foyer d'accueil pour personnes âgées, et vécu plusieurs mois de chômage ici et là, Denise a accepté un poste de réceptionniste à temps partiel. Pour Annie, il y eut sept années de travail à horaires irréguliers, de soirée et de nuit, entrecoupé d'un peu de chômage, avant d'accéder à un poste d'infirmière régulier, de jour, mais à temps partiel; puis ce fut le passage à un poste de secrétaire, moins bien payé, mais plus stable, après la naissance de son enfant. Après une succession de contrats de recherche d'un à six mois, toujours entrecoupés de quelques semaines de chômage, Charles a enfin trouvé une certaine stabilité... pour deux ans: un poste de contractuel au gouvernement. Il s'en réjouit, car certains de ses nouveaux collègues sont ainsi «contractuels» ou «occasionnels» depuis plus de dix ans. La liste pourrait s'étendre sur plusieurs pages (1).

Bien que plusieurs employeurs du Québec mettent souvent l'accent sur les rigidités du marché du travail, tous ces exemples témoignent bien de la flexibilité du marché du travail. Mais qu'est-ce qui caractérise la flexibilité au Québec? Le marché du travail québécois est caractérisé par certaines formes de flexibilité plus que par d'autres; il ressemble au marché du travail du Canada et des États-Unis, mais se différencie sur certains points de celui de plusieurs pays européens notamment. La multiplication des statuts d'emploi, comme le travail temporaire, occasionnel, à temps partiel, ou à contrat, illustre le mieux ce que l'on appelle la «flexibilité» du marché du travail au Québec, comme dans l'ensemble de l’Amérique du Nord. En effet, sur le continent nord-américain, par opposition à certains pays européens comme la Suède ou l’Allemagne, c'est la diversification des formes et des statuts d'emploi qui constitue le principal changement social intervenu sur le marché du travail au cours des dernières décennies.

Au Québec, les entreprises bénéficient surtout d'une flexibilité que l'on peut associer aux formes d'emploi précaires, et en particulier au temps partiel. Le développement de ces formes de flexibilité résulte essentiellement des années qui ont suivi les récessions de 1974-1975 et du début des années 1980. Nombre d'entreprises ont alors cherché à retrouver une rentabilité perdue au cours des années de récession. Pour d'autres entreprises qui ne connaissaient pas de véritables difficultés, mais craignaient d'en subir ultérieurement, il s'agissait tout simplement de profiter d'une conjoncture économique défavorable pour obtenir des concessions de la part des salariés. La récession faisant craindre à tous les pertes d'emploi, les salariés et les syndicats étaient alors mieux disposés à l’égard de remises en question de certaines conditions de travail et échelles salariales. Ce fut l'ère des concessions! Des concessions rendues d'autant plus faciles à obtenir que le taux de chômage ne cessait de s'élever.

Dans le contexte de crise, les entreprises ont d'abord cherché à minimiser leurs coûts de main-d’œuvre, en réduisant les heures de travail, en grignotant les statuts de travail et avantages sociaux consentis à leurs employés et en réduisant le plus possible leurs effectifs. De plus en plus, au fil des ans, les stratégies des employeurs (le gouvernement comme les entreprises privées d'ailleurs) se sont affinées, différentes formules étant mises en oeuvre afin de réduire les coûts de main-d’œuvre. En résumé, les employeurs ont cherché à réduire, voire à éliminer, tout ce qu'ils percevaient comme des «rigidités» du marché du travail nord-américain (statuts d'emploi réguliers ou permanents, avantages sociaux proportionnels aux revenus, etc.). En fait, le droit du travail québécois impose bien peu de «rigidités» aux entreprises, comparativement au droit du travail de la France et de certains autres pays européens, les rigidités étant surtout associées aux emplois à plein temps (2).

Voyons de manière un peu plus concrète ce que nous entendons par la notion de flexibilité, à la suite de quoi nous nous pencherons sur les transformations sociales qui ont permis le développement de cette précarisation de l'emploi, puis sur les formes de flexibilité privilégiées par le marché du travail québécois, soit surtout le travail à temps partiel, et enfin sur les conséquences sociales de ce phénomène.


Notes :

(1) Nous présentons quelques autres cas issus d'une recherche sur l'intégration des jeunes en emploi dans: D.-G. Tremblay, L'emploi en devenir, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, collection «Diagnostic» no 11, 1990.

(2) D.-G. Tremblay, «From Work-sharing to the Flexibilization of Working Time: A Comparative Analysis of the Cases of France and Canada», dans: J.B. Agassi et S. Heycodk (sous la direction de), The Redesign of Working Time: Promise or Threat, Berlin-Ouest, Editions Sigma, 1989, p. 67-83.


Revenir au texte de l'auteure: Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, Télé-Université Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 février 2007 11:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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