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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

De l’un au multiple et vice versa ? Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996) (1997)
Quid ?


Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Antoine TINE, De l’un au multiple et vice versa ? Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996)”. Un article publié dans la revue Polis, Revue camerounaise de science politique, vol. 1, n° 3, août 1997, pp. 61-105. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 2 avril 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Quid ?

L'étude des partis politiques est un objet canonique en science politique, cependant les partis politiques ont mauvaise presse. Ils sont souvent contestés, accusés de confisquer la "chose publique" et de manipuler les citoyens. Ils sont alors considérés comme des "fossoyeurs" de la démocratie (Rousseau, Guizot, Madison, Schmitt...). Cette mauvaise image est accrue par les liens fréquents entre les partis politiques et les "affaires" de corruption et les achats d'allégeances... Perçus comme des organisations éloignées des préoccupations du plus grand nombre, les partis politiques sont pourtant des éléments essentiels des régimes démocratiques (Tocqueville...[1]. En tout cas, la question se pose de savoir ce qu'est un parti politique dans un système démocratique. Retenons, pour fixer notre objet d'étude, cette définition sommaire selon laquelle le parti comme "forme" ou "idéal-type" politique est "l'institution destinée à intervenir dans le processus de décision politique en se présentant comme canal de réglementation de l'obligation politique[2]. On peut ajouter qu'en démocratie la notion de parti politique est liée à celle de pluralisme. Dès lors, l'être partisan se dit de plusieurs manières et se différencie de l'activité factionnelle. Voilà pourquoi, le multipartisme est un élément inhérent à la réalisation d'une démocratie pluraliste. Mais, cela signifie t-il que les partis politiques concourent réellement à édifier le pluralisme démocratique ? Que signifie et que vaut le nombre de partis politiques au regard de la raison démocratique moderne, qu'on peut qualifier de raison critique et représentative [3] ? 

Cette interrogation a pour contexte l'histoire politique sénégalaise de 1974 à 1996. Analyser l'expérience multipartisane du Sénégal pendant cette période revient à faire la genèse de celle-ci, à suivre à la trace son évolution pour en apprécier la portée et en saisir les contours. A l'heure où la quasi-totalité des pays africains étaient plongés dans les affres du parti unique, Le Sénégal , avec son système démocratique précoce, faisait figure d'exemplarité et fut célébrée comme telle [4]. Or, depuis la fin des années 80, la plupart des Etats du continent sont en train de se démocratiser. Le Sénégal ne fait plus exception. Au contraire, les limites et l'inachèvement de la démocratie sénégalaise deviennent plus visibles, signalant la fin d'une épopée : celle du mythe de la vitrine démocratique de l'Afrique. Les fabrications idéologiques qui ont produit la légitimité historique de la démocratie sénégalaise se révèlent de moins en moins efficaces. Il y a aujourd'hui dans la société sénégalaise le sentiment d'une frustration politique et d'une démocratie confisquée. Il apparaît de plus en plus que la démocratie, malgré l'instauration du multipartisme intégral, participe d'une logique d'affabulation, car elle n'a donné lieu ni à des élections transparentes ni encore moins à la possibilité d'une alternance démocratique. Le scepticisme semble gagner les esprits devant les irrégularités chroniques et les ruses qui entachent le travail électoral et le jeu des partis. Il y a comme une impasse qu'aggrave la situation de décomposition économique et sociale. Au coeur de cette problématique surgit le paradoxe du multipartisme sénégalais : et si la multiplication des partis politiques au Sénégal avait quelque chose à voir avec la théâtralisation d'une logique unitaire ? [5]

L'objectif de cette étude n'est pas de mesurer l'impact des partis politiques dans la réalisation de la démocratisation au Sénégal ni de dire à quoi servent ces organisations. Encore moins, s'agira- t- il de faire une herméneutique des idéologies partisanes pour voir dans quelle mesure ce que les partis disent d'eux-mêmes règle le jeu politique sénégalais. Loin d'une analyse juridico-institutionnelle et d'une évaluation substantialiste ou moraliste [6], il est question d'examiner au ras des procédures et des "trajectoires" multipartisanes, électorales notamment, quelques aspects de l'expérience démocratique sénégalaise, notamment l'ambiguïté en son sein entre une "invention" permanente de la pluralité et une tradition de l'unification. Entre l'un et le multiple, entre la fragmentation et l'intégration...


[1]   Il existe une immense bibliographie sur les partis politiques. Nous ne pouvons suggérer ici que quelques études générales et comparatives. Cf. entre autres Joseph LA PALOMBARA and Myron WEINER, Political parties and political development, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1966 ; Giovanni SARTORI, Party and party systems : a framework for analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; Daniel -Louis SEILER, De la comparaison des partis politiques, Paris, Economica, 1986 ; Michel OFFERLE, Les partis politiques, Paris, P.U.F. ("que sais-je"), 1987 ; Angelo PANEBIANCO, Political parties : organisation and power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; Dean McSWEENEY and John ZWESPER, American political parties. The formation, decline and reform ,of the American party system, London and New York, Routledge, 1991 ; Paolo POMBENI, Introduction à l'histoire des partis politiques, trad. de l'italien par Isabelle Richet, Paris, P.U.F., 1992 ; Joni LOVENDUSKI and Pippa NORRIS (eds.), Gender and party politics, London, Sage, 1993 ; Klaus VON BEYME, Political parties in Western Democracies, Aldershot, Gower Publishing Company, 1995 (1982) ; Scott MAINWARING and Timothy R. SCULLY (eds.), Building Democratic Institutions. Party systems in Latin America, Stanford, Cal., Stanford University Press, 1995...

[2]   Paolo POMBENI, Ibid., p. 23. Il n'existe pas de définition standard du parti politique. L'on se contentera ici de souligner que, d'une manière générale, les partis politiques se distinguent des groupes d'intérêts, des factions, des clubs, des comités de notables... Les partis politiques ont pour objectif la conquête et la conservation du pouvoir à la différence des simples associations de société civile. Cette caractérisation est discutée, mais c'est celle que privilégie cet travail, car elle nous semble la plus claire analytiquement. Les partis politiques, comme le pensent Weber et après lui Schumpeter, sont des formes d'entreprises politiques (ce ne sont pas les seules) de représentation en compétition dans le "champ" (Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Minuit, 1980) du pouvoir politique. Cf. Max WEBER, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959 et Joseph SCHUMPETER, Capitalisme, socialisme, démocratie, Paris, Payot, 1972. Dans cette perspective, la notion de parti politique renvoie à celle de professionnalisation de la politique : Daniel GAXIE, Les professionnels de la politique, Paris, P.U.F., 1973.

[3]   Il y a là une allusion claire à Patrice GUENIFEY, Le nombre et la raison. La Révolution française et les élections, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1993.

[4]   Longtemps, les Sénégalais ont vécu ou subi, à leur corps défendant, l'autosatisfaction d'être les pionniers de la démocratisation en Afrique. De fait, le Sénégal pouvait, à juste titre, faire figure de modèle de stabilité politique et de pluralisme : pas de coup d'État militaire ni de dictature arrogante ni parti unique constitutionnel et totalitaire. En plus, le pluralisme partisan a au Sénégal une longue histoire qu'aucun autre pays d'Afrique francophone ne peut revendiquer. Une histoire exemplaire, dont les facteurs de réussite seraient l'intelligence et la pondération de ses dirigeants politiques ("skilful political leadership"), le professionnalisme de son armée ("professionalism of the military"), une culture politique de dialogue, l'attachement des élites sénégalaises aux valeurs et procédures démocratiques, le soutien maraboutique : Sheldon GELLAR, Senegal. An African nation between Islam and the West, Boulder and Oxford, Westview Press, 1995, 2nd edition, p.21. Il y a de cela, mais aujourd'hui cette explication ne suffit pas. Elle conforte toujours la thèse de l'exemplarité démocratique. Or, devant la dégradation dramatique de leurs conditions de vie et les multiples supercheries du jeu électoral, beaucoup de Sénégalais en viennent à penser que leur pays est en régression et a été même devancé par des pays, comme le Bénin, entrés récemment en "transition démocratique". Il importe de tenir compte de cette crise du nationalisme sénégalais ou de la fierté nationale pour examiner les failles et brisures du lien démocratique. N'a t-on pas désormais une société qui se remet davantage en question et qui voit de façon plus lucide l'inachèvement de son système ? L'identité politique sénégalaise n'est plus ce qu'elle était..; Voir : Donal Cruise O' Brien, "Le contrat social sénégalais à l'épreuve", in Politique africaine, n°45, mars 1992, pp. 9-20.

[5]   Ce questionnement se rattache à la sociologie de la manifestation symbolique de soi telle qu'elle a été développée par Erwing GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne, 1- La présentation de soi (trad. de l'anglais par Alain Accardo) ; 2- Les relations en public (trad. de l'anglais par Alain Kihm), Paris, Minuit, 1973. Dans le prolongement de cette problématique sociologique dite de l' "interactionnisme symbolique", notre dette va aussi à Georges BALANDIER qui a montré d'une façon incisive que pour comprendre la modernité politique et le pouvoir, il n'est pas de ligne plus droite que le "détour" d'une anthropologie de la simulation, du jeu-spectacle : Voir Le détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985 ; Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992 ; Marc ABELES, "La mise en représentation du politique", in Marc ABELES et Henri-Pierre JEUDY (sous la dir. de), Anthropologie du politique, Paris, Armand Colin, 1997, pp. 247-271. Faut-il préciser qu'il ne s'agit pas ici de tenter une étude des différentes pratiques - symboles, cérémonies, rites, liturgies - par lesquelles se routinise l'empire de la représentation du pouvoir politique sénégalais. Cet article prend s'inspire simplement d'une problématique théorique laquelle établit le lien organique entre politique et représentation. Cette caractérisation n'est ni subalterne, ni déviée, ni péjorative. Ne peut-on pas considérer qu'elle est fondamentale et commune à l'expérience des sociétés humaines et des démocraties modernes ? S'interroger sur la théâtralisation politique, ce n'est donc pas dévaloriser le "fait du pluralisme" (Rawls), mais le rapporter à sa banalité historique et en même temps le démystifier. Comprenons que le mythe politique ici n'est pas nécessairement mensonge, mais "faire croire" instaurant une "légitimité des origines" (Isaiah Berlin) et se révélant au quotidien comme une invention paradoxale. En effet, il balance sans cesse entre l'être et le paraître, le plein et le vide, le sens et le non-sens...Rendre compte d'une mystification, c'est proprement envisager l'espace et le temps de crise d'un phénomène ou le problématiser. Par ce biais, la crise ouvre à la crise. Voir à cet égard les travaux de Fabien Eboussi Boulaga, notamment La Crise du Muntu. Authenticité africaine et philosophie, Paris, Présence Africaine, 1977, pp. 115-237 et Les Conférences Nationales en Afrique. Une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1993, pp. .88-94 . S'il faut synthétiser le projet théorique envisagé ici, l'on peut dire que cet article vise à récolter quelques éléments empiriques d'une critique de la représentation démocratique au Sénégal. L'expérience du multipartisme en constitue la scène.

[6]   J'espère ainsi éviter le piège du discours normatif sur les partis politiques, qui aboutit à biaiser l'analyse sociologique par un certain désir de pureté morale ou par une sorte d'indignation prophétique. Il ne faut pas confondre en l'occurrence la critique critique des partis et l'invectivation. Michel Offerlé a bien vu le danger normativiste : "Il y a en chacun de nous, écrit-il, un Michels qui sommeille : en formulant la loi d'airain de l'oligarchie, Michels invite à l'insinuation prescriptive concernant le "bon parti", celui qui correspond à nos "ça va de soi" [...] lorsque tel politologue stigmatise un parti ou prophétise le déclin d'une organisation ou la mort des partis, l'on devrait d'abord réfléchir sur le mode de production de travaux à vocation explicative qui, en s'instituant juge, prennent parti dans une compétition dont ils devraient rendre compte." (Michel OFFERLE, Ibid., p.7). Cependant, il ne s'agit pas de se réfugier derrière une indifférence axiologique ni derrière un positivisme naïf et formaliste, mais de réfléchir sur la compétition multipartisane au Sénégal et d'en apprécier la portée et la signification du jeu politique, compris ici comme "spectacle" et comme "marché". Faut-il relever enfin que cette étude se veut un "essai", au sens où Clifford GEERTZ l'entend, c'est-à-dire un cheminement intellectuel où l'on ne s'attend pas à un progrès toujours rectiligne, comme dans une monographie ou un traité. Dans ce type d'exercice, l'on peut placer l'objet d'étude dans des perspectives diverses, faire des détours, emprunter de petites routes, décoller dans n'importe quelle direction, pourvu qu'il y ait un mouvement dialectique "entre le plus local des détails locaux et la plus globale des structures globales" ( Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, trad. de l'anglais par Denise Paulme, Paris, P.U.F., 1986, p.11). Pour ce faire, nous balançons sans cesse entre les faits et procédures de la vie politique sénégalaise et l'histoire et la théorie des partis politiques. Encore une fois, nous ne voulons pas ici apprécier la qualité démocratique des partis politiques au Sénégal ni leur rôle dans la démocratisation, car bien souvent une telle évaluation reste superficielle, peu objective, manquant de distance axiologique, marquée qu'elle est par des préjugés idéologiques de la part du chercheur. Cf. à cet égard : Hans DAALDER, "A crisis of party ?", in Scandinavian Political Studies, 15 (4), dec. 1992, pp. 269-288.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 avril 2008 18:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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