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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Linda Cardinal et Joseph-Yvon Thériault, “La francophonie canadienne et acadienne confrontée au défi québécois.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon François Rocher, Réplique aux détracteurs de la souveraineté du Québec, pp. 329-342. Montréal: VLB Éditeur, 1992, 507 pp. Collection: Études québécoises. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 juin 2003 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[329]

Deuxième partie.
LES IMPLICATIONS SOCIALES
ET CULTURELLES

La francophonie canadienne
et acadienne confrontée
au défi québécois
.”

Linda CARDINAL et J.-Yvon THÉRIQULT

Un « Québec fort », condition essentielle à la reconnaissance des droits des francophones hors Québec
Le « Québec fort » abandonnera les francophones hors Québec
Un nouveau dialogue


Depuis la débâcle de Meech, les relations entre la francophonie québécoise et la francophonie canadienne ont été difficiles. Le Québec a mal digéré l’attitude des francophones hors Québec lors des débats entourant l'entente. Les francophones hors Québec, eux, ont été très déçus du contenu ou de l'absence de contenu à leur intention autant à l'intérieur du rapport Allaire que du rapport de la Commission Bélanger-Campeau.

Cette incompréhension concernant les prises de positions des uns à l'égard des autres ne venait-elle pas tout simplement confirmer la rupture entre les deux pôles de ce qui fut historiquement le Canada français, rupture réalisée voilà deux décennies ? La déception provoquée par le rapport Allaire était surtout importante pour les leaders de la Fédération des francophones hors Québec (rebaptisée Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada) qui avaient laissé tomber, lors de la Commission Bélanger-Campeau, les discours imprégnés de sentimentalisme associé à l’image de la grande famille canadienne-française [330] pour adopter une attitude ouverte au dialogue avec les Québécois et les Québécoises. D'ailleurs, dans la foulée des événements autour de Meech, la Fédération des francophones hors Québec avait entamé, comme le confirmait Lise Bissonnette dans son éditorial du 18 juin 1991, une réflexion sur l'avenir de la francophonie qui visait à mettre fin à « l’ère des otages ». Ainsi, elle accouchait d'un nouveau discours dans lequel les francophones hors Québec reconnaissaient qu'ils ne partagent pas toujours les intérêts du Québec et que leur choix pour le Canada ne devrait pas être perçu, de la part du Québec, comme une entrave à la reconnaissance de son statut de société distincte.

C'est ainsi, en ayant fait ces clarifications, que les représentants et les représentantes de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada croiront pouvoir se permettre de reconnaître le choix du Québec à la souveraineté. Simultanément, ils affirmeront que l'intervention du gouvernement fédéral dans tous les secteurs qui touchent « l’identité canadienne » demeure le meilleur moyen d'assurer l'autonomie des communautés francophones et acadienne. Ironiquement, c'est en faisant le choix pour un fédéralisme centralisé qu'une fraction importante des membres des communautés francophones et acadienne auront cessé d'être les détracteurs de la souveraineté. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'ils porteront le drapeau de la souveraineté du Québec pour mieux vendre, hors Québec, l'option souverainiste. Les francophones hors Québec souhaitent, ultimement, que le Québec demeure dans la fédération canadienne. Ils exhortent toujours le gouvernement fédéral à prendre, les mesures nécessaires afin de maintenir le Québec au sein de cette fédération. Leurs revendications néanmoins ne passent plus par une identification indéfectible au projet québécois.

En fait une certaine ambiguïté demeure dans le discours de la francophonie hors Québec, notamment autour de l'idée d'un « Québec fort ». Et c'est ultimement autour des conséquences pour la francophonie canadienne d'un [331] « Québec fort » que se réalisera le débat sur la souveraineté pour les porte-parole des communautés francophones et acadienne du Canada.

Il était, en effet, courant d'entendre qu’un « Québec fort » est important pour la reconnaissance des droits des communautés minoritaires francophones et le respect de leur culture. Il est même affirmé, dans certains milieux, qu'un « Québec fort », lire ici souverain, aiderait les francophones hors Québec. C'est, on l'aura reconnu, la thèse défendue dans les milieux indépendantistes québécois et qui fait sourire dans la francophonie du reste du Canada. Au contraire, les francophones hors Québec considèrent souvent qu'un Québec souverain mènera à leur perte. Ils seront abandonnés par le Québec et rien ne réussira à retenir le reste du Canada de mettre fin aux politiques de bilinguisme et à l'aide aux communautés minoritaires. Dans ce contexte, même le Nouveau-Brunswick pourrait avoir de la difficulté à préserver sa législation concernant l'égalité des deux communautés linguistiques, surtout à la lumière de la récente avancée d'un parti d'opposition comme le Confederation of Regions (COR). Ainsi, la force du Québec, voire sa souveraineté, peut être perçue, avec raison, comme une menace à la survie de la francophonie vivant à l'extérieur du Québec.

Néanmoins, il n'est pas impossible de croire que le Québec et les francophones hors Québec pourront devenir des partenaires dans un Canada sans le Québec. D’ailleurs, si on assiste aujourd'hui à un changement de discours à l'égard du Québec au sein de la francophonie canadienne, c'est en partie pour mieux préparer cette éventualité. Souveraineté ou non, il est impératif que les francophonies québécoise et canadienne se donnent des bases pour des relations plus égalitaires et moins caractérisées par le paternalisme et le ressentiment de l'une par rapport à l'autre. S'il faut admettre que dans la conjoncture actuelle ces deux communautés ont des intérêts divergents, il faut aussi rappeler que tant leur origine historique que leur présence minoritaire sur le territoire nord-américain nouent entre [332] elles, à un autre niveau, une communauté de destin. Voilà le dilemme dans lequel se situerait la francophonie hors Québec au moment de ce nouveau débat sur le statut du Québec.

Nous reprenons, dans ce qui suit, les arguments principaux susceptibles d'être invoqués par les porte-parole des communautés francophones et acadienne du Canada dans le débat sur la souveraineté du Québec. Nous tenterons par la suite de proposer des scénarios possibles en vue d'un nouveau dialogue entre les Québécois, les Québécoises et les francophones du Canada. Si ces scénarios ne mettent pas fin au dilemme qui frappe la francophonie canadienne, ils permettent de croire que le pire n'est pas toujours l'option la plus sûre.

Un « Québec fort », condition essentielle
à la reconnaissance des droits
des francophones hors Québec


Commençons par regarder de plus près l'hypothèse souvent posée selon laquelle un « Québec fort » contribue à la reconnaissance des droits des francophones hors Québec et au respect de leur culture. L’argument a un certain poids si on le resitue dans le contexte de la politique canadienne des trente dernières années et plus précisément celui de la politique sur les langues officielles du gouvernement fédéral. Les francophones hors Québec ont obtenu des gains évidents en termes de services en français, d'emploi et d'aide au développement des communautés. On ne peut pas encore parler de « complétude institutionnelle » pour l'ensemble des communautés mais le cadre législatif proposé par la politique des langues officielles n'a pas été sans retombées favorables au sein de la francophonie canadienne. Dans les provinces du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et, en partie, du Manitoba, les francophones ont réussi, aidés par cette conjoncture politique canadienne, à [333] arracher des législations et des institutions impensables encore au début des années soixante.

On voit ici que le discours du « Québec fort » traduit une situation où le contexte politique qui vise à répondre aux revendications du Québec a eu un impact sans précédent sur le statut des francophones hors Québec. Toutefois, ce n'est pas à proprement parler un « Québec fort » qui a permis cette modification du contexte politique mais plutôt une francophonie québécoise forte au sein de l’appareil gouvernemental et de l'espace public canadien. En proclamant l'égalité des deux peuples fondateurs, c'est le gouvernement « central fort » qui s'est imposé comme maître d'œuvre du respect ou de la reconquête des droits des francophones hors Québec. Le Québec comme entité politique autonome fut plutôt le grand frustré de ce beau risque ! Regardons, par exemple la Charte canadienne des droits et libertés, les articles 16 à 20 et 23 tout particulièrement. Ces dispositions qui bénéficient aux francophones hors Québec ont-elles été le fait de l’existence d'un « Québec fort » ou, au contraire, le fait que ce dernier n'ait pas obtenu, comme société distincte, ce qu'il voulait en termes de reconnaissance et de pouvoirs ?

Néanmoins, si l'on a déjà cru qu'une francophonie québécoise forte au sein des institutions fédérales permettaient de mieux faire respecter les droits des francophones hors Québec, il faut se demander si cela est toujours vrai. En fait, depuis les débats autour des lois 101 et 178, l’idée d'un « Québec fort » semble plutôt nuire aux francophones hors Québec. Le ressac contre l'affirmation d'une francophonie dans l'espace public canadien est profond : « Rappelons-nous Sault-Sainte-Marie. »

En effet, en 1990, le gouvernement municipal de cette petite agglomération du Nord de l'Ontario décide que l'anglais est la seule langue officielle de la municipalité. Tout un affront à la population franco-ontarienne qui venait de gagner une bataille importante : l’adoption, par le gouvernement ontarien sous la direction de David Peterson, de la loi 8 sur les services en français en Ontario. Cette [334] dernière législation donne le droit à la population franco-ontarienne de recevoir des services en français lorsque ses membres habitent dans des régions désignées bilingues. Or, sous prétexte de problèmes financiers, la municipalité de Sault-Sainte-Marie décide de se déclarer unilingue anglaise alors que la loi ne s’applique que marginalement à cette région de l'Ontario. Seront aussi invoquées comme raisons : l'adoption de la loi 178 au Québec et le traitement réservé à sa minorité de langue anglaise. Voilà qu'un « Québec fort » commencerait à faire du tort aux francophones hors Québec.

En fait, partout au Canada, lorsque le Québec a tenté de s'affirmer, surtout autour des questions relatives à la loi 101, les francophones hors Québec sont devenus des boucs émissaires autant à l'est qu'à l’ouest du pays. Ces derniers ont à eu subir la colère du Canada hors Québec, une attitude qui laisse présager bien des réactions irrationnelles dans l’éventualité de la souveraineté du Québec. Ainsi, on a tous vu des drapeaux du Québec brûler au petit écran.

De plus, lors des élections de 1991, les Acadiens et les Acadiennes du Nouveau-Brunswick ont constaté avec stupeur qu'un tiers de la population anglophone de la province avait voté pour le COR, un parti résolument anti-francophone. Pour leur part, dès le début des années quatre-vingt, les Franco-Ontariens et les Franco-Ontariennes ont été témoins de l'avènement de l’Association for the Preservation of English in Canada (APEC) dont les membres considèrent qu'il existe une conspiration de la part des francophones du Canada, du Québec aussi, contre les Canadiens anglais. La revanche des berceaux aurait été, selon eux, une stratégie consciente du peuple canadien-français en vue d'envahir le pays. Le bilinguisme serait une simple continuité de ce désir de revanche du Canada français. C'est aussi pourquoi on rappelle régulièrement aux francophones hors Québec qu'ils n'ont pas de place au Canada et qu'ils devraient retourner au Québec. Ces exemples de mépris venant de la part du Canada hors Québec ne sont pas des cas isolés. Ils sont directement liés aux avancées du [335] Québec sur la scène politique. D'ailleurs, les discours actuels sur le Québec et les francophones qui nous viennent directement de l’University of Calgary sous les signatures de messieurs Cooper et Bercuson [1] ne représentent qu'une version moderne et universitaire de ce type d'analyse purement idéologique.

Bref, un « Québec fort » mène-t-il nécessairement à la reconnaissance des droits des francophones hors Québec ? Oui si ce « Québec fort » signifie une francophonie québécoise forte au sein des institutions politiques et de l'espace public canadiens. Cela est moins probable s'il s'agit d'un Québec plus autonome et politiquement distinct du reste du Canada. Alors, l'argument ne fait pas le poids car la francophonie canadienne et la francophonie québécoise ont des intérêts divergents. C’est ce qui incite les leaders de ces communautés à reconnaître que le gouvernement fédéral a été un acteur important dans le développement de la francophonie au Canada et qu’il demeure pour celle-ci une médiation nécessaire. Puisque les francophones hors Québec veulent qu'un gouvernement central fort continue à intervenir dans les domaines de la protection linguistique et du développement des communautés minoritaires, la présence d'un « Québec fort » s'oppose aux intérêts de ces communautés. Qui plus est, les manifestations politiques d'un « Québec fort » contribuent à développer un sentiment d'aliénation au sein du Canada hors Québec et à stimuler un ressac anti-francophone. Ce dernier argument nous conduit d'ailleurs à la deuxième hypothèse invoquée par les milieux francophones hors Québec.

Le « Québec fort » abandonnera
les francophones hors Québec


Regardons maintenant l'hypothèse inverse selon laquelle un « Québec fort » conduirait à l'abandon des francophones hors Québec. Dans l'éventualité de la souveraineté, cette hypothèse s'avère plus plausible et mérite une [336] attention particulière. En fait, il faut nous demander si cette inquiétude ne traverse pas plutôt la réalité des rapports entre les francophonies canadienne et québécoise des trente dernières années.

La tenue, en 1967, des États généraux du Canada français est un bon point de départ pour resituer cette question dans son contexte. L’événement sera vécu comme un signe d'abandon des francophones hors Québec de la part d'un Québec qui rejette son appartenance à la nation canadienne-française. C'est d'ailleurs à ce moment que la francophonie a été scindée en deux et qu'une partie, incapable de se redéfinir aussi rapidement que le Québec, deviendra tout d'un coup « hors Québec ».

À la quête d'une nouvelle identité, une partie des Canadiens français et des Canadiennes françaises d'hier se tourneront vers l'histoire de leur communauté régionale ou provinciale. À l'instar de leurs confrères et de leurs consœurs de l'Acadie, ils se découvriront Franco-Ontariens, Franco-Manitobaines, Fransaskois, Franco-Albertaines. Ils réussiront ainsi à se donner une certaine fierté grâce à la redécouverte d'une histoire « régionale ».

De façon concomitante, l'affirmation d'un Québec moderne, fort, passe ici par l’abandon de sa référence ethnique canadienne-française et donc par l'abandon d'une solidarité spontanée avec les hors Québec. Dire, comme l’a fait René Lévesque, que les francophones hors Québec étaient des « dead ducks » est une rationalisation après coup de l'abandon par le Québec d'une partie de son passé. On pourrait dire qu'il a été, malgré lui, un détracteur de leur cause, rôle qui a été rejoué, en 1990, par Yves Beauchemin en déclarant que les francophones hors Québec étaient des cadavres chauds. Les vingt et une lignes sur les francophones hors Québec dans le rapport Allaire ont aussi été vécues comme un abandon du Québec. C'était une preuve supplémentaire que l'affirmation d'un « Québec fort » passait dorénavant par l’« oubli » du Canada français.

[337]

La défense des intérêts du Québec s'est d'ailleurs réalisée en certaines occasions en opposition directe aux intérêts des minorités francophones. En matière de droits scolaires, par exemple, on ne peut dire que le gouvernement Bourassa s'est fait le grand défenseur des francophones hors Québec. Dans des causes importantes en Alberta et en Saskatchewan, le gouvernement du Québec a défendu, contre les minorités francophones, la volonté des gouvernements provinciaux d'imposer des limites aux droits des minorités linguistiques [2]. On n'entend toujours pas monsieur Bourassa, ni les ténors nationalistes québécois, clame-t-on dans les milieux francophones hors Québec, parler de scandale et d'atteinte aux droits des minorités francophones.

Dans le cas de l'argument de l’abandon, nous avons souvent affaire à une francophonie canadienne frustrée de voir que le Québec ne défend pas ses intérêts. Ainsi, nous avons une situation inverse à celle où le « Québec fort » permet la reconnaissance des droits des francophones hors Québec. Ici, le « Québec fort » se coupe de la francophonie canadienne. À nouveau, nous sommes confrontés à la question des divergences d'intérêts d'une francophonie par rapport à une autre. Il s'agit d'un constat difficile pour les deux groupes car on tend, de manière essentialiste, à croire, malgré les faits, que leur appartenance commune à la culture d'expression française, donc à une communauté de destin, suffit pour générer des rapports de solidarité entre eux. Si solidarité il doit exister parce que l’on est francophone d'abord, celle-ci devra être tissée différemment que sur le mode de l’essentialisme. Elle ne peut être fondée sur des illusions mais plutôt sur des rapports entre groupes capables de faire preuve de maturité politique.

C'est cette preuve de maturité que voulait démontrer la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada dans le mémoire qu'elle déposa à la Commission Bélanger-Campeau. Ainsi, les porte-parole de la Fédération déclaraient :

[338]

Ce choix fondamental d'un statut politique pour le Québec appartient selon nous à la société québécoise elle-même. Elle est de loin la mieux placée, pour ne pas dire la seule, à pouvoir identifier ses besoins collectifs et elle assume elle-même les conséquences de ses décisions [3].

C'est aussi la même impression qu'elle voulait dégager en juin 1991 lorsqu'elle vota son changement de nom. Lise Bissonnette écrivit que « le nouveau nom est un concept torturé » mais il marque un changement d'attitude pour le mieux. C'est aussi pour éviter les prochains « abandons » et viser l’unité entre eux que les francophones hors Québec se sont ralliés à la nouvelle appellation. Cela signifie que les bases d'une relation entre eux et le Québec devront reposer sur une reconnaissance de l'existence d'intérêts différents entre les deux francophonies. Le Québec ne devrait plus voir les francophones hors Québec comme une épine dans le pied ou son talon d'Achille. Pour leur part, les francophones hors Québec n’auraient plus à projeter sur le Québec leur recherche du grand sauveur des minorités.

Mais, comme leur nouveau nom, leur situation demeure torturée. Faut-il pousser le réalisme des intérêts jusqu'à favoriser une fermeture du Canada hors Québec vis-à-vis des demandes historiques du Québec, fermeture qui aurait comme conséquence de pousser le Québec vers la souveraineté ? C'est le dilemme qui guette le discours actuellement tenu par les leaders des minorités francophones et acadiennes du Canada. Ils se refusent à envisager que leur choix pour un fédéralisme centralisé pourrait conduire à un Canada fort sans le Québec. C'est pourtant vers cette direction que nous dirige le constat d'une divergence d'intérêts entre les deux versants de l'ancien Canada français.

[339]

Un nouveau dialogue

Rien n'empêche, dira-t-on, des groupes qui ont des intérêts différents d'engager un dialogue entre eux. Et, malgré les apparences, dans plusieurs domaines ou secteurs, des liens existent déjà entre le Québec et la francophonie hors Québec. Les porte-parole de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada en dressaient la liste dans leur mémoire présenté à la Commission Bélanger-Campeau.

Entre autres, le Québec administre un programme d'aide aux communautés francophones par l'intermédiaire de son Secrétariat aux affaires intergouvernementales. Les francophones hors Québec ont aussi tissé des liens avec le mouvement coopératif Desjardins qui appuie leurs efforts dans le domaine de la coopération, entre autres en Acadie/Nouveau-Brunswick et en Ontario. Des liens existent dans le domaine de l'éducation avec le nouveau regroupement des groupes d'alphabétisation qui inclut des groupes du Québec. Sur le plan culturel, le Québec est un lieu de passage obligatoire pour les artistes de la francophonie canadienne et acadienne.

D'autres liens sont à créer dans tous les domaines entre les membres des francophonies canadienne et québécoise. Pour sa part, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada veut que des partenariats s'instaurent entre ses membres et les Québécois. Elle entend, par partenariat,

une relation dont les fondements reposent sur la conviction que chaque partie peut d'une part contribuer au développement de l'autre, et d’autre part avancer son propre  développement à travers cette relation [4].

Quant à Lise Bissonnette, elle lance un appel au Québec pour qu'il élabore une politique de coopération à l'égard de la francophonie hors Québec. Elle considère aussi que :

[340]

C'est au Québec de se préparer aux prochaines grandes manoeuvres constitutionnelles en intégrant la question de la francophonie, notamment en suivant la piste des « accords de réciprocité » que René Lévesque explorait déjà en 1976 sans démériter du souverainisme [5].

Ces « accords de réciprocité » permettraient à un Québec souverain d'avoir une porte ouverte sur le Canada par sa présence culturelle auprès des communautés francophones et acadienne. L’apport proprement culturel de près d'un million de francophones canadiens n’est pas actuellement négligeable et sera toujours important sinon nécessaire au rayonnement d'un Québec français. Les services institutionnels que le Québec mettrait ainsi à la disposition des communautés francophones et acadienne seraient en quelque sorte échangés contre des services réciproques que le Canada hors Québec mettrait au service de la communauté anglophone du Québec (par exemple, Radio-Québec/ Radio-Canada, le Conseil des Arts, et autres). Dans la meilleure des hypothèses une telle « réciprocité » entre le Québec et le Canada envers leur minorité linguistique respective pourrait résulter hors Québec dans l’accroissement de certains services en langue française.

On ne peut être qu'en accord avec Lise Bissonnette lorsqu'elle souligne que dans les relations entre le Québec et les communautés francophones canadiennes la balle est dans le camp du Québec. Les porte-parole des milieux minoritaires francophones acceptent le choix du Québec vers une plus grande autonomie et ils refusent d'être des détracteurs de la souveraineté. Mais ils le font en sachant très bien que l'option autonomiste prise par les différents gouvernements du Québec depuis le début des années 1960 conduit ultimement à opposer les intérêts du Québec français à ceux des groupes minoritaires francophones et acadien. S'ils acceptent le choix du Québec, ils ne peuvent sans esprit suicidaire travailler allégrement à sa réalisation. Leurs intérêts passent par le maintien du lien fédéral et nul [341] ne peut leur reprocher de ne pas travailler sur les scénarios du post-fédéralisme. C'est seulement le Québec qui peut et qui a intérêt à effectuer une telle démarche. C’est du Québec que l'idée des « accords de réciprocité » peut-être intégrée aux négociations constitutionnelles et ainsi faire partie d'une éventuelle entente Québec-Canada. La francophonie canadienne minoritaire n'aura ainsi pas tout perdu dans l'affirmation d'un État-nation de langue française en Amérique du Nord.

[341] [Les notes en fin de chapitre ont été converties en notes de bas de page. JMT.]



[1] Voir Barry Cooper et David J. Bercuson, Goodbye... et bonne chance : les adieux du Canada anglais au Québec, Montréal, Le jour éditeur, 1991.

[2] Sur cette question voir, pour plus de détails, Éducation et francophonie, vol. XIX, avril 1991, sur le thème de « L'école de la minorité après le jugement de la Cour suprême. L’arrêt Mahé : impact et conséquences ».

[3] FFHQ, Mémoire présenté par la Fédération des francophones hors Québec, Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, Ottawa, FFHQ 1990, p. 13.

[4] Ibid.

[5] Lise Bissonnette, « L’ère des otages est terminée », Le Devoir, éditorial du 18 juin 1991.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 octobre 2014 19:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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