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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Joseph-Yvon Thériault, “Au-dela des valeurs communes. Investir dans un espace public national.” Un article publié dans le journal LE DEVOIR, Montréal, édition du 27 décembre 2008, page B5 — idées. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 30 décembre 2008 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, tous les articles et chapitres de livres qu'il a publiés.]

Joseph-Yvon Thériault

Au-delà des valeurs communes.
Investir dans un espace public national
”.

Un article publié dans le journal Le Devoir, Montréal, édition du 27 décembre 2008, page B-5 — idées.

Mots clés : espace public national, valeurs communes, Yolande James, Nationalisme, Gouvernement, Québec (province)

La poussière de la campagne électorale tombée, il faut revenir au projet de la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, d'obliger les nouveaux candidats à l'immigration à signer une déclaration d'adhésion aux valeurs communes québécoises. Présenté à la veille du déclenchement des élections, ce document a été rapidement rejeté comme une tactique politicienne visant à empêcher que la question identitaire soit au centre du débat électoral.

Il ne faudrait toutefois pas réduire la portée d'un tel énoncé à des tactiques électorales. C'est une des ruses de la vie démocratique; les visées les plus politiciennes en viennent souvent à recouper des questions existentielles. Il en est ainsi de cette déclaration de la ministre, tout comme de la création, pour des raisons tout aussi politiciennes à la veille des élections précédentes, en 2007, de la Commission Bouchard-Taylor. Ces actions répondent à une interrogation vraie: quelle place doivent occuper les valeurs communes dans les démocraties modernes ?

Dans une école de Montréal. « Ce sont les majorités qui s’inquiètent aujourd’hui de leur cohésion, non les minoritaires de leur intégration. » [JACQUES NADEAU LE DEVOIR]

Plus précisément, il s'agit d'une tentative de réponses à une inquiétude issue, au Québec comme dans la plupart des sociétés occidentales, des milieux majoritaires quant à la place que doivent occuper les valeurs dans la cohésion d'une société. On se trompe fortement lorsqu'on réduit une telle préoccupation à une question d'intégration des immigrants. Ce sont les majorités qui s'inquiètent aujourd'hui de leur cohésion, non les minoritaires de leur intégration.

Faut-il pour autant, comme le diagnostiquait la Commission Bouchard-Taylor, taxer une telle inquiétude de pathologie identitaire liée, dans le cas du Québec, à un complexe du minoritaire qui habiterait la majorité québécoise « d'origine canadienne-française » ? Faut-il encore rejeter, comme le font le choeur des experts en multiculturalisme de la même Commission, dans La Presse du 1er novembre, la proposition de la ministre James comme une réponse populiste de «tendance hérouvillienne » ? Autrement dit, faut-il s'indigner de cette préoccupation pour la recherche de valeurs communes ? S'agit-il, comme l'a affirmé le juriste Julius Grey sur les ondes de Radio-Canada, d'une tentation totalitaire qui aurait empêché, si une telle déclaration avait existé, ses parents d'immigrer dans le Québec canadien-français des années 50?

L'inquiétude de la solidarité

Il y a pourtant de bonnes raisons de penser que l'interrogation derrière la question des valeurs communes est une question légitime. Le droit et le marché sont des mécanismes insuffisants pour donner une épaisseur au lien social. Or, une telle épaisseur s'avère essentielle à la bonne marche de nos démocraties, de façon à assurer une cohésion sociale et un sentiment de solidarité citoyenne.

Il est généralement admis que l'affaiblissement des institutions, qui assuraient la cohésion sociale et le sentiment d'appartenance, s'est accompagné d'une dilution de la solidarité citoyenne. La crise de l'État providence, qui est une crise d'engagement citoyen, est concomitante avec la généralisation dans nos sociétés des logiques du droit et du marché. Pour accepter qu'une large part de mon revenu soit redistribué à mes cocitoyens pour l'éducation, la santé, les services publics, etc., je dois avoir le sentiment que je partage avec eux quelque chose de plus qu'une loi commune. L'érosion des valeurs communes participe à creuser un déficit de solidarité, déficit constaté partout dans les démocraties contemporaines.

L'inquiétude face à l'absence de valeurs communes ne saurait donc être réduite au vieux réflexe de la survivance. Certes, le fait que le Québec francophone soit à la fois majoritaire -- sur le territoire québécois -- et minoritaire -- dans le continent nord-américain -- rend ce groupe particulièrement sensible à la crise du déficit de solidarité dans nos sociétés. Une telle sensibilité est, à mon avis, le propre de toutes les petites sociétés du monde qui, face à la conscience de leur précarité, ont une meilleure mesure de la fragilité du lien social contemporain. Ce fait ne devrait pas être interprété comme une pathologie mais bien au contraire comme la source d'une créativité solidaire.

Une réponse erronée

Si la question derrière l'interrogation des valeurs est légitime, la proposition de vouloir l'imposer dans une déclaration signée par les nouveaux arrivants est-elle pour autant valable?

On a souligné qu'un tel geste étiquetterait abusivement les immigrants en en faisant les boucs émissaires du déficit général de solidarité. L'argument n'est pas complètement valable, car il n'est pas condamnable au moment d'un geste aussi important que celui de demander une nouvelle citoyenneté, d'accepter solennellement les valeurs communes de sa société d'accueil. À un certain degré, toutes les sociétés le font en exigeant de tous nouveaux citoyens qu'ils acceptent les lois communes propres à cette société.

Le problème réside plutôt dans la façon de définir les valeurs communes qui participent à construire la cohésion sociale d'une société. Le document de la ministre James les réduit à trois : le français comme langue commune, l'État de droit démocratique, qui renvoie au pluralisme et à l'égalité homme-femme, et la laïcité des institutions publiques. Pas très « made in Quebec », ces valeurs, à l'exception de celle du français, défini ici comme langue de communication et non comme langue de culture.

Ce sont d'ailleurs les mêmes valeurs que la Commission Bouchard-Taylor identifiait comme le socle commun inhérent à l'interculturalisme, ce qui le distinguerait du multiculturalisme qui, lui, n'aurait pas un tel socle. Évidemment, une telle distinction est fausse car ces valeurs ne sont rien d'autre que les valeurs universelles de la démocratie moderne, valeurs que partagent toutes les démocraties, qu'elles soient multiculturelles, interculturelles ou républicaines.

C'est pourquoi il est ironique de condamner le document de la ministre James au nom d'un crime contre la démocratie. Il serait plus juste de dire que son document est un coup d'épée dans l'eau qui demande à l'immigrant de signer ce que déjà il fait en acceptant de se soumettre à la loi commune.

Toutefois, en identifiant comme valeurs communes les idéaux universalistes de la modernité, une telle proposition sanctionne les processus qui participent justement à la dilution du lien social. Car, en voulant inscrire les valeurs communes dans une charte ou un document, l'on doit nécessairement présenter celles-ci dans leur abstraction la plus générale, les judiciariser, en quelque sorte, ce qui annihile leur capacité d'épaissir la société.

Il ne s'agit pas ici de condamner de telles valeurs, que nous chérissons tous, mais bien de constater que ce n'est pas là que réside la réponse à l'inquiétude vis-à-vis de la solidarité. Bien malin, par ailleurs, qui pourrait décliner, au-delà de ces vérités abstraites, des valeurs québécoises plus substantielles qui ne feraient pas l'objet d'une contestation de la part d'un fragment de la société. Enfin, rien n'assure mieux la désubstantialisation des valeurs communes que d'exiger leur incorporation dans un texte fondateur, une déclaration solennelle ou un code de vie. Avis aux partisans des valeurs.

Un espace public national

S'il s'avère légitime de poser la question des valeurs communes qui assurent la solidarité citoyenne mais impossible de codifier celles-ci sans leur enlever toute substance, que faire?

Il faut cesser de penser que l'on pourrait arriver à les définir une fois pour toutes et ainsi les inscrire dans un document fondateur que chaque citoyen vénérerait comme un catéchisme. S'il existe des valeurs québécoises, au-delà des abstractions juridiques de la modernité, celles-ci se présentent plutôt comme un ensemble en conflit inscrit dans une nébuleuse: un espace public forgé par une tradition nationale. Ce qui distingue une société démocratique d'une autre, ce ne sont pas ses valeurs proprement dites, mais la manière dont elles sont historiquement débattues dans un tel espace.

C'est pourquoi il est préférable, pour qui croit à la légitimité de la question des valeurs, de moins chercher à les définir que de favoriser les lieux institutionnels -- ce qui s'appelle une communauté politique -- qui structurent un tel espace. Favoriser le développement d'un espace public citoyen, investir dans les institutions culturelles publiques -- en premier lieu l'école publique --, maintenir l'histoire nationale dans le curriculum sont parmi d'autres des moyens beaucoup plus efficaces, pour vivifier les valeurs communes, que de tenter de préciser leur quintessence dans une charte ou un quelconque code de vie. Partout, le déclin des valeurs communes a correspondu au déclin des institutions qui garantissaient le processus de leur pérennité.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 30 décembre 2008 20:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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