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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les voies de l’éthique de la recherche au Laos et dans les pays du Mékong.
Santé, environnement, sociétés
. (2018)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction d'Anne-Marie Moulin, Bensa Oupathana, Manivanh Souphanthong et Bernard Taverne (dir.), Les voies de l’éthique de la recherche au Laos et dans les pays du Mékong. Santé, environnement, sociétés. Comité d’éthique de la recherche de l’Université des sciences de la santé du Laos, Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD. Marseille et Dakar, Éditions de l'IRD et L'Harmattan-Sénégal, 2018, 190 p. [Autorisation de Bernard Taverne accordée le 21 février 2018.]

[9]

Préface

L'éthique comme révolution culturelle ou comme alibi du conformisme ?

Didier Sicard *,

Organiser un colloque en République Démocratique Populaire Lao sur l'éthique de la recherche clinique et environnementale apparaît aussi nécessaire que révolutionnaire. Mais n'y a-t-il pas d'autres priorités pour le développement de l'économie et de la santé que de réfléchir aux questions éthiques ? Est-ce si important ?

Le paradoxe est que non seulement cela est très important, mais « l'arme éthique » est la meilleure des clés du développement durable et de la santé. L'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l'Université des Sciences de la Santé du Laos l'ont compris avant tout le monde en imaginant ce sujet de colloque international. Simplement, l'Occident n'a pas de leçon à donner dans ce domaine, car il a mis un temps infini à ne pas reléguer les questions éthiques derrière les stratégies de puissance et de performance !

D'où l'intérêt majeur de ce colloque original d'aborder frontalement ces questions sous l'angle de l'Asie du Sud-Est et particulièrement du Laos.

J'incarne d'une certaine façon les contradictions de l'éthique de la recherche dans ce pays qu'est la République Démocratique Populaire du Laos. Dans les années 1970, où l'éthique était peu présente, il m'a paru naturel de faire des travaux de recherche sur les maladies génétiques de l'hémoglobine en demandant aux infirmières de faire des prélèvements sanguins à des fins épidémiologiques pour dénombrer les différentes formes d'hémoglobinopathies ? Ce qui m'a permis de faire un recensement sinon exhaustif, tout au moins de découvrir que le Laos était un des pays les plus touchés au monde par l'alpha-thalassémie qui constituait un lourd fardeau. Pas de consentement demandé aux patients, pas d'explication. Les prélèvements étaient envoyés à Paris avec une remise directe aux pilotes d'Air France. Quelle époque ! Les résultats arrivaient quelques jours après.

[10]

J'ai ainsi donné le nom de « Wat Sisaket » à une forme nouvelle de déficit [1] en G6pd (Glucose-6-phosphate déshydrogénase) inconnue jusque là et participé à cette révélation lors d'un congrès international au Japon.

Dès mon retour en France, je prends conscience de ma désinvolture et commence à réfléchir et à enseigner l'éthique à un moment où il n'y avait aucune place pour celle-ci.

En 1999, je suis nommé par le Président Jacques Chirac, président du Comité consultatif national d'éthique de France et j'inscris désormais ma réflexion éthique au cœur de mon projet scientifique et médical. Dans les années 2000, je retourne au Laos comme membre du Conseil d'administration de l'Institut Pasteur et y rencontre son directeur Paul Brey qui partage totalement cette vision et la met en pratique, ce qui est rare ! Je participe aux études épidémiologiques qui précèdent et suivent la mise en eau du barrage de la Nam Theun. Le problème se pose du consentement des personnes aux prélèvements, même s'ils sont peu ou pas intrusifs. Le chef du village, le chef de famille peuvent-ils substituer leur approbation au consentement individuel de chaque membre de la famille ? La culture lao semble s'y adapter. Mais les textes réglementaires éthiques internationaux font le choix définitif de s'adresser à chaque personne. Trois demandes de consentement successives sont ainsi proposées aux habitants. Et il est vrai que la formule individuelle de consentement recueille de loin l'assentiment de toutes et tous. Cette situation expérimentale a fait l'objet d'une lettre dans la revue Nature [2].

Ainsi je découvre au Laos ce qui sera mon « chemin de Damas » éthique, le lieu de ma conversion [3], l'inscription de l'éthique dans le réel, mais aussi le risque d'une éthique en surplomb, indifférente aux conditions sociales et environnementales de la recherche. D'où l'intérêt majeur du colloque et de l'ouvrage qui en rapporte les principaux attendus. Pour la première fois peut-être un colloque aborde en profondeur et en toute lucidité les difficultés d'une réflexion éthique dans un pays du Sud.

Si 90 % des malades dans le monde sont dans le sud et 90 % des médicaments dans le nord, si 80% des déchets du nord, sont déversés dans le sud, ce n'est pas par un hasard naturel, c'est en raison des inégalités économiques. La question de l'argent est en effet essentielle. Comment demander à des malades ou à leurs familles de payer pour rester un jour de plus à l'hôpital pour une recherche clinique ? Comment ne pas tenir compte des pratiques rituelles qui laissent à la science une place encore contestée ? Comment refuser une proposition d'essai thérapeutique dont l'intérêt est [11] seulement celui du Nord, mais qui apporte des subsides aux chercheurs du Sud ? Comment ne pas perdre sa liberté de consentement quand le médicament est offert par la recherche alors qu'il est habituellement inaccessible ? Comment aborder une information loyale sur une maladie jugée déshonorante (VIH, lèpre, tuberculose) ? Comment établir une biobanque à des fins épidémiologiques en maintenant la confidentialité ? Comment valoriser une recherche qui prenne en compte les intérêts de ceux qui ont donné leur corps ? Comment faire des recherches sur la dangerosité de pesticides quand l'économie repose sur eux ? Toutes ces questions sont abordées dans leur crudité dans les chapitres suivants.

La première conclusion que l'on peut en tirer est que la leçon d'une réflexion éthique est d'abord locale avant de se référer à des impératifs universels, la deuxième est qu'elle doit être capable d'affronter des enjeux économiques qui ne tolèrent pas la moindre réflexion éthique, en un mot que la recherche doit construire sa propre finalité locale en se fondant d'abord sur l'éthique plutôt qu'en lui laissant une simple place de bienséance voire d'alibi du conformisme.

*  *  *



*, Professeur de médecine à l'université Paris Descartes, ancien président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé, en France.

[1] Déficit enzymatique des globules rouges.

[2] Guerrier G., Sicard D., Brey P.T., 2012. "Informed Consent : Cultural Differences," Nature, 483 (7387), pp. 36-36.

[3] Par analogie avec l'illumination de saint Paul, persécuteur de chrétiens (note des éditeurs).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 9 mars 2018 6:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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