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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article du professeur Rodolfo Stavenhagen, “Les droits culturels: le point de vue des sciences sociales.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Halina Niec, Pour ou contre les droits culturels ?, Recueil d’articles pour commémorer le 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme, pp. 19-47. Paris: Les Éditions UNESCO (l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, 2000, 333 pp.

[19]

Rodolfo STAVENHAGEN

directeur de recherche au Colegio de México de Mexico.
Ancien sous-directeur général pour les sciences sociales de l’UNESCO

Les droits culturels :
le point de vue des sciences sociales
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Halina Nieć, Pour ou contre les droits culturels ?, Recueil d’articles pour commémorer le 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme, pp. 19-47. Paris : Les Éditions UNESCO (l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, 2000, 333 pp.

1. Introduction : le problème des droits culturels [19]
2. Les conceptions implicites de la culture [22]
La culture envisagée comme un capital [22]
La culture vue sous l'angle de la créativité [23]
La culture, mode de vie [24]

3. Les droits culturels sont-ils spécifiques à une culture ? [27]
4. Diversité culturelle et droits universels de l'être humain [28]
5. Normes internationales et droits culturels [36]
6. Droits culturels et politiques publiques [39]
7. Les populations autochtones : le plaidoyer en faveur des droits culturels [41]
8. Conclusion : vers une citoyenneté multiculturelle [44]


1. INTRODUCTION :
LE PROBLÈME DES DROITS CULTURELS
 [1]

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies en 1966, ne fait que de modestes propositions en ce qui concerne les droits culturels. L'article 15 se réfère essentiellement au droit qu'a toute personne de participer à la vie culturelle, de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications et de bénéficier de la protection de ses travaux scientifiques, littéraires ou artistiques. L'article 13 stipule le droit de chacun à l'éducation, qui « doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité... ». Bien que les droits culturels soient également mentionnés dans de nombreux instruments internationaux ainsi que dans plusieurs conventions et recommandations de l'UNESCO [2], on n'a pas encore exploré tout ce qu'impliquent ces droits en tant que droits de l'homme. On se propose, dans ce chapitre, de contribuer à ce débat en se plaçant du point de vue des sciences sociales.

Pour des raisons évidentes, les droits culturels sont étroitement liés aux autres droits individuels et libertés fondamentales, tels que la liberté d'expression, la liberté de religion et de croyance, la liberté d'association et le droit à l'éducation. Les droits culturels n'occupent pas une place très importante dans les textes théoriques sur les [20] droits de l'homme et, comme l'a souligné Eide, ils sont plutôt traités comme une catégorie accessoire. Mais les États ont l'obligation de veiller au respect, à la protection et à l'exercice de chacun de ces droits, et cette obligation devrait être clairement énoncée dans le cas des droits culturels et de leurs diverses interprétations [3].

Bien qu'il soit possible d'envisager certains droits culturels en se plaçant uniquement dans le cadre des droits de l'homme individuels et universels, les rapports entre la culture et les droits de l'homme sont tels qu'ils justifient une approche plus large.

Prott soutient que les droits culturels, notamment ceux qui ont trait à la sauvegarde du patrimoine culturel, à l'identité culturelle d'un peuple particulier et au développement culturel, sont parfois assimilés aux « droits des peuples » et elle demande qu'un effort soit fait pour que ces questions soient insérées dans un cadre juridique international [4]. Dans le présent essai, nous examinerons certaines idées relatives à ces questions.

Si les droits culturels doivent être considérés comme le droit de chacun « à » la culture, il n'existe en principe aucun doute sur la signification de l'expression. Mais il suffit de jeter un coup d'œil rapide à divers documents internationaux et instruments juridiques pour s'apercevoir que le concept de « culture » a été interprété de multiples manières. Le droit d'un peuple à son patrimoine artistique, historique et culturel est stipulé à l'article 14 de la Déclaration d'Alger sur les droits des peuples, adoptée lors d'une réunion non gouvernementale d'éminents experts en 1976. Cette Déclaration n'a pas de statut légal dans le droit international, du fait qu'elle n'a pas été reconnue par une institution intergouvernementale, mais, comme l'indique Brownlie, elle a eu « une certaine influence », notamment dans la mesure où les idées qu'elle contient sont reflétées dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, adoptée par l'Organisation de l'unité africaine en 1981 [5].

Le droit à la jouissance égale du patrimoine commun de l'humanité est mentionné à l'article 22 de la Charte africaine. Le droit au développement d'une culture a été affirmé par l'UNESCO et est mentionné dans la Charte africaine ainsi que dans la Déclaration d'Alger (art. 13). L'UNESCO a également proclamé un « droit à l'identité [21] culturelle » lors de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles en 1982 [6]. En outre, la Déclaration d'Alger (art. 2) évoque le droit au respect de l'identité culturelle et le droit d'un peuple à ne pas se voir imposer une culture étrangère (art. 15).

Le droit des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques d'avoir leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue, en commun avec les autres membres de leur groupe, est reconnu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 27). Ce droit est réaffirmé dans la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l'Organisation des Nations Unies en 1992, qui invite les États à prendre des mesures pour permettre aux personnes appartenant à des minorités de développer leur culture (art. 4) [7]. La Déclaration d'Alger fait référence au droit des populations minoritaires au respect de leur identité, de leurs traditions, de leur langue et de leur patrimoine culturel (art. 19).

Adoptée en 1948, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide déclare celui-ci crime de droit international et définit comme tel un certain nombre d'actes « commis dans l'intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel » (art. 2). Outre le meurtre, ces actes comprennent l’« atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe », le « transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe », etc. Buergen-thal remarque ajuste titre qu'en proscrivant la destruction de groupes nationaux, ethniques, raciaux et religieux, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide reconnaît clairement le droit de ces groupes à exister en tant que groupe, ce qui constitue certainement le plus fondamental de tous les droits culturels [8].

[22]

2. LES CONCEPTIONS IMPLICITES
DE LA CULTURE


Une lecture attentive des instruments précédemment cités montre qu'ils se réfèrent indirectement à diverses conceptions de la culture qui ne sont jamais explicitées dans les textes et qui sont, de fait, souvent employées dans la langue courante avec un sens assez approximatif. Traiter les droits culturels comme faisant partie des droits de l'homme exigera une conceptualisation un peu plus rigoureuse de la terminologie culturelle.

LA CULTURE ENVISAGÉE COMME UN CAPITAL

Il est courant d'identifier la culture au patrimoine matériel accumulé par l'humanité dans son ensemble ou par des groupes humains en particulier, notamment sous forme de monuments et d'objets d'art. Dans cette conception, le droit à la culture signifierait l'égalité d'accès de tous à ce capital culturel. Le droit au développement culturel est un prolongement de cette conception. Nombre de gouvernements et d'organisations internationales ont fait du développement culturel un processus spécifique du changement culturel, tenu par certains pour parallèle ou complémentaire par rapport à d'autres formes de développement (économique, politique ou social).

Le raisonnement semble être le suivant : si le développement économique est synonyme d'accroissement des biens et des services, de hausse du PNB et de meilleure répartition au sein de la population, le développement culturel signifie « plus de culture » et un meilleur accès à la culture pour un plus grand nombre de catégories de la population. Très souvent, on l'interprétera comme un processus purement quantitatif : publier davantage de livres, créer des bibliothèques, diffuser plus largement journaux et magazines, construire des musées, posséder ou utiliser un téléviseur, etc. La croissance quantitative des services culturels est quelquefois assimilée au concept de développement culturel. En revanche, on a prêté assez peu d'attention à ce jour dans les rapports officiels aux dimensions plus qualitatives d'un tel processus. Quelle est la nature et quels sont les contenus de ces services ? Peut-on vraiment appeler développement culturel une augmentation du nombre de chaînes de télévision ?

On suppose fréquemment qu'il y a consensus sur le sens de l'expression « développement culturel ». Pourtant, l'affirmation est discutable. On peut arguer par exemple que nombre de déclarations de principe sur le « droit au développement culturel » - qui suppose plus de « services » culturels - dissimulent trop souvent l'existence dans nos sociétés de conflits culturels sous-jacents, tout comme il en existe de sociaux, de politiques et d'économiques. Ces conflits peuvent naître à propos de la [23] reconnaissance et de l'identité de groupes culturellement définis au sein de la société, de la nature de la culture « nationale » ou des orientations des politiques culturelles. On considère généralement qu'il existe une culture « universelle », à laquelle certains peuples ont accès et d'autres non. Il s'ensuit que le droit à la culture doit supposer un accès plus équitable à cette « culture universelle ».

Cette approche, toutefois, n'est pas la seule possible. Le droit à la culture peut aussi être interprété comme le droit d'un groupe à sa propre culture, et pas nécessairement à une culture commune ou prétendument universelle, les deux concepts n'étant pas forcément coextensifs. On a fait observer à maintes reprises que la prétendue culture « universelle » n'est bien trop souvent qu'une culture « occidentale » imposée par les pratiques hégémoniques des puissances de l'Occident, depuis l'époque du colonialisme. Il est certain que les efforts d'universalisation du patrimoine culturel de l'humanité entrepris par l'UNESCO s'écartent de la tradition eurocentriste [9].

LA CULTURE
VUE SOUS L'ANGLE DE LA CRÉATIVITÉ


Une autre conception largement répandue voit dans la culture non plus nécessairement le « capital culturel » accumulé ou existant, mais le processus de création artistique et scientifique. Toute société abrite donc des individus qui « créent » de la culture (ou bien qui « interprètent » ou « jouent » des œuvres). Sous cet angle, le droit à la culture est le droit de certains de créer librement et sans restriction leurs propres œuvres culturelles, et le droit de tous d'accéder librement à ces créations dans les musées, les salles de concerts, les théâtres, les bibliothèques, etc. Les politiques culturelles visent alors à affermir la position du créateur culturel individuel (l'artiste, l'écrivain, l'exécutant) au sein de la société, et le droit à la liberté d'expression de ces créateurs est devenu à l'ère contemporaine l'un des droits de l'homme les plus précieux. Le créateur culturel symbolise la liberté de pensée et d'expression qui a constitué l'un des mobiles du combat pour les droits de l'homme à travers l'histoire. Il suffit de penser au tollé international que provoquent l'interdiction, l'exil ou l'emprisonnement (sans parler de l'exécution) d'artistes ou d'écrivains dans les régimes autoritaires ; l'exemple de Soljénitsyne, des écrivains kurdes en Turquie et de Salman Rushdie vient aussitôt à l'esprit.

[24]

Cette conception de la culture comme le fruit du travail de spécialistes culturels a conduit à une distinction généralisée entre culture « noble » et culture « populaire ». Dans les pays occidentaux, du moins, les débats culturels tournent autour du poids et de l'importance relatifs de la culture de l’« élite » et de la « culture de masse » : la seconde étant assimilée à la sphère des arts du spectacle, généralement canalisée par les médias et axée par les industries culturelles sur des publics spécifiques (musique « pop » et stars « pop », films « cultes », modes vestimentaires et culture jeune promus par des producteurs et des interprètes hautement rémunérés et bénéficiant d'une publicité considérable). Il existe une autre vision de la culture populaire que j'aborderai plus loin, mais les politiques officielles de développement culturel sont généralement axées sur la culture de 1' « élite ». Dans ce schéma, les droits culturels sont nettement identifiés aux droits des créateurs, spécialistes de la culture.

LA CULTURE, MODE DE VIE

Une troisième conception de la culture nous vient de l'anthropologie. Elle envisage la culture comme la somme totale des activités et des produits matériels et spirituels d'un groupe social donné, qui le distingue d'autres groupes similaires. Ainsi entendue, la culture apparaît aussi comme un système de valeurs et de symboles et un ensemble de pratiques autonomes et cohérents qu'un groupe culturel donné reproduit dans le temps et qui fournissent à ses membres les repères et les significations nécessaires à leur comportement et à leurs relations sociales de tous les jours.

Les peuples du monde sont porteurs de milliers de cultures différentes. Dans certains cas, toute la population ou presque d'un pays partage la même culture. Dans d'autres, des cultures variées coexistent au sein d'un même État. Il n'y a pas d'accord sur le nombre de cultures existant à l'heure actuelle ni sur les critères d'appartenance à ces cultures, bien qu'il s'agisse d'une question cruciale, en particulier au regard du problème des droits culturels. De même, il n'est aucun moyen absolu et rapide de tracer une frontière entre les différentes cultures. Ce n'est ni possible ni nécessaire à notre compréhension des dynamiques culturelles. En gros, les spécialistes estiment que, pour les quelque 200 États indépendants existant dans le monde, il y a une dizaine de milliers de groupes ethniques ou d'ethnies, distingués essentiellement par leurs différences linguistiques, un des grands critères, mais en aucun cas le seul, pour différencier les cultures entre elles [10].

[25]

Les cultures ne sont pas statiques. Chaque culture identifiable est enracinée dans l'histoire et évolue avec le temps. Le changement culturel et la recréation dynamique constante des cultures sont un phénomène universel. On peut dire qu'une culture fait preuve d'une vitalité particulière si elle est capable de préserver son identité en intégrant le changement, tout comme chaque être humain change avec le temps en conservant son identité propre.

Il y a toutefois dans cette approche un risque, qui est de traiter la culture comme un objet, une « chose » existant indépendamment de l'espace social où interagissent les différents acteurs sociaux. L'anthropologie nous rappelle que l'identité ethnique (c'est-à-dire culturelle) d'un groupe ne dépend pas tant du contenu de sa culture que des frontières sociales qui définissent les espaces de relations sociales déterminant l'appartenance à un groupe ethnique ou à un autre [11].

Allant plus loin dans cette critique, des travaux récents montrent que la culture est sans arrêt construite, reconstruite, inventée et réinventée par des sujets eux-mêmes en constante évolution. L'accent est mis ici sur la façon dont les personnes perçoivent leur culture et en parlent plutôt que sur la culture elle-même (qui, selon ce critère, n'aurait pas d'existence objective hors de la subjectivité de l'individu). Coutumes et traditions sont des éléments intrinsèques de toutes les cultures observables ; or les traditions sont en permanence inventées et réinventées, et les coutumes, qui régissent la vie quotidienne des individus, se modifient régulièrement en fonction des circonstances historiques, même si elles visent à maintenir une continuité sociale. Les cultures nationales, si étroitement liées à l'activité des États par le truchement des politiques éducatives et culturelles, sont imaginées collectivement dans le processus historique et les pays eux-mêmes sont parfois décrits comme des « communautés imaginées ». De ce fait, si les « cultures » ont ainsi une existence objective (les individus naissent dans une culture, les groupes sociaux sont identifiés par leur culture), elles sont en même temps subjectivement et diversement construites et façonnées par d'innombrables individus en interaction sociale permanente [12].

Savoir pourquoi et comment les cultures perdurent, changent, s'adaptent ou disparaissent relève d'un domaine d'investigation spécifique ; de telles questions sont intimement liées aux processus économiques, politiques et territoriaux. Partout, à tout [26] moment, il peut y avoir une majorité et une minorité, des dominants et des dominés, des groupes culturels hégémoniques et d'autres subordonnés. La Commission mondiale de la culture et du développement de l'UNESCO écrit :

Un pays ne s'identifie pas nécessairement à une seule culture. Beaucoup de pays, peut-être le plus grand nombre, sont multiculturels, multinationaux et multiethniques, et riches de plusieurs langues, religions et styles de vie. Un pays multiculturel peut trouver de grands bienfaits dans son pluralisme, même s'il y a un risque de conflits culturels.

Pour la Commission internationale sur l'éducation pour le XXIe siècle, l'un des problèmes qui se posera à l'avenir est « la multiplicité des langues, expression de la diversité culturelle de l'humanité. On estime qu'il existe 6 000 langues dans le monde, une douzaine seulement étant parlées par plus de 100 millions de personnes [13] ».

Alors que des « guerres culturelles » (c'est-à-dire des tensions et des conflits idéologiques sur des questions culturelles liées à l'éducation, à la langue, aux politiques culturelles, etc.) peuvent se déclarer dans des sociétés bien intégrées sans les déchirer (généralement parce que d'autres institutions sociales, économiques et politiques contribuent à tenir ensemble les parties rivales), dans d'autres cas, en divers endroits du globe, des problèmes culturels ont acquis lors de dissensions politiques un grand pouvoir de mobilisation.

Pour ne prendre qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, le conflit serbo-croate qui a provoqué l'éclatement de la Yougoslavie tenait en grande partie à des rivalités de longue date entre les élites nationales des deux républiques sur des questions linguistiques et religieuses. Après des décennies de débats linguistiques sur la nature du « serbo-croate » ou du « croato-serbe », un groupe de nombreux intellectuels croates publia en 1966 une déclaration spécifiant que le croate était une langue distincte qui devait être officiellement traitée comme telle. Un auteur observe que « cette tentative pour séparer les langues fut étiquetée comme nationaliste et jugulée par une ferme campagne politique [14] ».

On pourrait trouver facilement d'autres exemples, mais on notera qu'il ne s'agit pas là de conflits exclusivement culturels, mais plutôt de conflits politiques sur des [27] problèmes culturels. La façon dont les sociétés gèrent les différences culturelles entre leurs populations peut être fortement politisée, et ces problèmes sont souvent résolus au niveau politique.

3. LES DROITS CULTURELS
SONT-ILS SPÉCIFIQUES À UNE CULTURE ?


Si l'on prend la culture dans son sens large, anthropologique, et non simplement dans celui de capital culturel accumulé ou fruit des talents et du travail d'un petit nombre de créateurs culturels, alors on peut soutenir que les droits culturels dans leur acception collective sont spécifiques à une culture, c'est-à-dire que chaque groupe culturel a le droit de conserver et de développer sa propre culture, quels que soient son degré d'intégration ou ses liens à d'autres cultures en général. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le droit à l'identité culturelle [15].

Cette approche soulève un certain nombre de questions importantes concernant le droit à la culture. Le principe de non-discrimination et d'égalité est à la base de la Déclaration universelle et des instruments généraux sur les droits de l'homme. Au cours du débat sur les droits de l'homme qui a suivi la seconde guerre mondiale, on a dit que si ce principe de non-discrimination était strictement respecté, chacun aurait également accès à tous les « biens » composant le panier des droits de l'homme, qu'ils soient civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels. Est-ce toutefois suffisant pour assurer à chacun la jouissance de tous ses droits ? La question reste au premier plan de la discussion sur les droits culturels.

On pourra répondre que l'énoncé du principe de non-discrimination ne suffit pas, dans le cadre et dans les processus des sociétés actuelles, à fournir à tous un même accès à tous les droits de l'homme. Du reste, même si la non-discrimination était une réalité pour tous (ce qui n'est pas le cas), elle ne garantirait pas nécessairement la jouissance de droits culturels spécifiques. On pourrait faire valoir qu'il est nécessaire de mettre en place des procédures et des mécanismes pour affirmer et garantir les droits culturels spécifiques des peuples : tant que de tels mécanismes n'existeront pas, les droits culturels ne seront pas pleinement assurés à chacun, en dépit des principes d'égalité et de non-discrimination.

Une seconde question qui découle de la première est de savoir si le concept de droits culturels peut être correctement couvert par la notion de droits individuels [28] universels, ou s'il doit être complété par une approche différente, celle de droits collectifs ou communautaires. Il existe des arguments convaincants en faveur de cette autre approche. Les principes de non-discrimination et d'égalité, tels qu'ils sont établis dans la Déclaration universelle et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, se rapportent fondamentalement aux droits des individus. Or, pour les droits culturels comme pour un certain nombre de droits économiques et sociaux, une approche collective est souvent nécessaire dans la mesure où l'individu ne peut bénéficier de certains de ces droits qu'en commun avec d'autres, et où la collectivité doit pouvoir préserver, protéger et développer sa culture commune. Ainsi que l'énonce la Commission Pérez de Cuéllar, « la liberté culturelle est (...) une liberté collective. C'est le droit dont jouit un groupe de suivre ou d'adopter le mode de vie de son choix [16] ».

Les bénéficiaires de ces droits peuvent être des individus, mais ces droits sont vidés de leur contenu si le groupe n'est pas préservé ou s'il n'y a pas de droits collectifs du groupe. Les droits culturels sont attachés à des individus appartenant à des cultures spécifiques et façonnés par elles, qui sont engagés dans une action collective, partagent des valeurs communes et ne peuvent être porteurs de ces valeurs qu'en association avec d'autres membres de leur propre groupe [17].

Ce raisonnement conduit nécessairement à se demander quels types de collectivités seraient les sujets logiques de tels droits. Quels sont les titulaires de ces droits ? Quels sont les acteurs, sociologiquement parlant, qui peuvent revendiquer ces droits et à qui sont-ils applicables ? C'est une question compliquée, car elle mène directement au débat sur les droits des groupes, groupes culturels ou peuples minoritaires, concepts qui apparaissent à l'occasion dans les instruments internationaux sur les droits de l'homme mais qui sont rarement définis de façon appropriée.

4. DIVERSITÉ CULTURELLE
ET DROITS UNIVERSELS DE L'ÊTRE HUMAIN


Lorsque nous parlons de droits culturels, nous devons tenir compte des valeurs culturelles partagées par des personnes et des groupes, qui très souvent leur sont chères et qui modèlent et définissent leur identité collective. Le droit à la culture suppose le respect des valeurs culturelles des groupes et des individus par ceux qui ne partagent pas [29] ces valeurs ; il implique le droit d'être différent. Comment interpréter sinon les libertés fondamentales de pensée, d'expression, d'opinion et de croyance inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ?

Dans cette optique, il faut admettre que différentes cultures et civilisations ne partagent pas nécessairement les mêmes valeurs. L'humanité a sans doute en commun de nombreuses valeurs mais les cultures peuvent différer sur certaines d'entre elles parce que leur histoire et leur organisation sociale sont différentes. Cela est vrai de part et d'autre des frontières nationales et des lignes de faille entre civilisations, mais aussi au sein des pays où des populations culturellement différenciées partagent le même État et le même territoire [18].

Or mettre l'accent sur la diversité des valeurs culturelles va à l'encontre du courant de pensée dominant dans le monde d'aujourd'hui en matière de droits de l'être humain, qui fait de l'universalité de tels droits le soubassement de l'édifice international des droits de l'homme. Non seulement les droits individuels de l'être humain doivent être universels dans leur portée (c'est-à-dire s'appliquer à toute personne), mais les valeurs sous-jacentes doivent être universellement partagées. Tous les êtres humains sont égaux ; peu importe ce qui les distingue, ils ont les mêmes droits. Pourtant, quand nous disons que le respect des valeurs différentes est essentiel au regard du concept de droits culturels collectifs, cette distinction même n'implique-t-elle pas de rejeter l'universalité pour reconnaître la spécificité de différents groupes sociaux [19] ?

Certains spécialistes nieront ce raisonnement parce qu'ils estiment que le relativisme culturel est contraire au concept même de droits de l'homme. Mais on ne peut nier que le monde est fait d'une multiplicité de groupes et de peuples culturellement différents. Tant que le débat sur les droits culturels n'admettra pas les questions spécifiques à chaque groupe culturel, nous resterons dans de vaines abstractions [20].

L'American Anthropological Association (AAA) a envisagé cet aspect dès 1947, au moment de la discussion par la Commission des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies des différents projets de la Déclaration universelle. À cette époque, le Conseil de Direction de l'AAA a remis à la Commission une note dans [30] laquelle il demandait comment la future Déclaration pourrait s'appliquer à toute l'humanité. La Déclaration universelle, disait l'AAA, ne devrait pas être conçue uniquement dans l'optique des valeurs dominantes d'Europe occidentale et d'Amérique. Elle soutenait en premier lieu que l'individu développe sa personnalité à travers sa culture, donc que le respect des différences individuelles suppose le respect des différences culturelles.

Le respect des différences entre cultures, ajoutait l'AAA, est confirmé par le fait scientifique qu'aucune technique d'évaluation qualitative des cultures n'a été découverte.

D'autre part, les normes et les valeurs se rapportent à la culture dont elles proviennent, de sorte que toute tentative pour énoncer des postulats dépassant les croyances ou les codes moraux d'une culture donnée ne peut que diminuer l'applicabilité universelle de la Déclaration des droits de l'homme.

Enfin, l'AAA émettait l'idée suivante :

Ce n'est que lorsqu'aura été intégrée à la Déclaration proposée l'affirmation du droit des hommes à vivre conformément à leurs propres traditions que l'étape suivante de définition des droits et des devoirs des groupes humains à l'égard les uns des autres pourra être établie sur la base solide des connaissances scientifiques actuelles sur l'Homme [21].

Il y a un demi-siècle, l'American Anthropological Association considérait donc déjà que la future Déclaration universelle incarnerait les valeurs d'une seule culture, et elle mettait en cause l'application automatique de ses normes à d'autres cultures. Cette position a été reprise récemment par de nombreux pays du Tiers Monde, notamment lors de l'entrée à l'ONU d'États d'Afrique et d'Asie, et clairement affirmée à la Conférence de Vienne sur les droits de l'homme à l'été 1993.

La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, par exemple, illustre quelques-unes de ces difficultés. Son article 17 emprunte à la Déclaration universelle la formule restreinte suivante : « Toute personne peut prendre part librement à la vie culturelle de la communauté. La promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté constituent un devoir de l'État. » La morale et les valeurs traditionnelles sont certes culturellement définies, mais de quelle « communauté » s'agit-il ?

Le chapitre II de la Charte africaine ne parle pas de droits mais de devoirs. C'est là un intéressant contrepoint à la question des droits. L'article 29 spécifie notamment [31] que l'individu a aussi le devoir « de veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives ». Or, si préserver et renforcer les valeurs culturelles africaines positives est énoncé comme un devoir, on peut supposer qu'il existe en contrepartie un droit aux valeurs culturelles africaines. Si chaque Africain a le devoir de renforcer et de préserver ces valeurs, chacun doit avoir le droit d'en bénéficier.

On notera que, dans sa formulation, l'article 29 opère une distinction entre valeurs africaines et valeurs non africaines. Il suppose en outre une certaine unité ou homogénéité des valeurs africaines, puisqu'il ne fait pas référence à une éventuelle diversité interne. Par ailleurs, s'il existe des valeurs africaines positives, il existe corrélativement des valeurs africaines ou non africaines négatives, qui n'ont pas à être renforcées ou préservées. Quelles sont, alors, les « valeurs africaines positives » et comment sont-elles définies ? Si cette question présente un difficile défi sur le plan intellectuel, il est encore plus délicat d'en donner une application juridique. Soulever le problème signifie déjà ouvrir la boîte de Pandore des difficultés.

Le problème des droits culturels présente une autre dimension. Nous devrions nous soucier de respecter les variations des valeurs culturelles de part et d'autre des frontières entre pays, entre régions différentes, entre traditions historiques et systèmes politiques différents, mais également à l'intérieur des pays. La plupart des États qui ont signé les divers instruments internationaux sur les droits de l'homme sont eux-mêmes des mosaïques de cultures. Que ces cultures soient celles de groupes ethniques, de minorités ou de nationalités, très peu de pays, en fait, sont culturellement homogènes. Que signifie cette diversité en termes de droits de l'homme et de droit au développement culturel ? Si nous entendons par droit au développement culturel non seulement le droit de l'individu d'innover - de défricher des terres nouvelles - et de bénéficier de davantage de services culturels, mais aussi le droit d'avoir sa propre culture, autrement dit le droit à l'identité culturelle, le problème qui se pose encore une fois est celui de la définition des objectifs des politiques culturelles. Quand nous parlons d'étendre et d'améliorer l'éducation, quel doit être le contenu de cette éducation ? Nous parlons de développement culturel, mais quelles cultures doivent être développées, et par qui ?

Nous voici revenus par force à la question déjà évoquée des définitions culturelles. Depuis un demi-siècle, le développement a souvent été identifié à un processus d'édification de la nation, dont un aspect important était le développement d'une « culture nationale », en particulier dans les pays de ce qu'il est convenu d'appeler le Tiers Monde, dont beaucoup ont durant cette période accédé à l'indépendance politique. Cependant, le terme commodément ambigu de « culture nationale » laisse ouvertes deux questions : la nation à développer, c'est la nation de qui ? Et de quel [32] type de nation s'agit-il ? Connor a pu suggérer à juste titre que le développement d'États modernes relevait plus d'un processus de « destruction nationale » que de « construction nationale », compte tenu du nombre de peuples détruits ou éliminés au nom de l'État-nation moderne [22].

Selon l'utilisation de cette expression dans l'histoire récente, la construction nationale suppose un « brassage » de populations ou un processus d' « intégration nationale ». Cela signifie que les différents groupes ethniques et culturels qui se retrouvent, pour une raison historique ou une autre, à l'intérieur des frontières d'un même État internationalement reconnu, sont censés abandonner une partie de leur identité culturelle soit pour adopter les valeurs des groupes dominants ou majoritaires, soit pour se mélanger à eux et donner naissance à quelque chose d'entièrement nouveau (c'est ainsi, considère-t-on généralement, que la nation s'est construite aux États-Unis). Habituellement, toutefois, les groupes sociaux qui exercent le pouvoir politique déterminent le modèle auquel doit se conformer la culture nationale ; en d'autres termes, ce sont eux qui décident de la forme et du contenu des politiques éducatives et culturelles.

Qui sont les individus au pouvoir ? Si l'on analyse la question, on s'aperçoit qu'ils appartiennent souvent à l'un des groupes culturels hégémoniques, qui peut être majoritaire ou minoritaire mais dominant. Parce qu'ils constituent le groupe dominant, ils sont à même de définir la culture nationale en fonction de leur propre identité culturelle. Les groupes culturels hégémoniques ayant la capacité ou le pouvoir de définir la culture nationale, ils attendent des autres groupes qu'ils se conforment à leur modèle, même si cela entraîne à long terme la destruction d'autres cultures [23]. Pour ne citer que quelques exemples contemporains,

  • L'État soudanais, aux mains des Arabes islamiques du Nord, veut imposer la chari'a et son propre modèle de nation aux diverses populations du sud du Soudan, provoquant l'une des plus longues guerres civiles d'Afrique. Entamés en 1997, les pourparlers de paix n'ont pas encore résolu le conflit.

  • À Sri Lanka, la majorité dominante cinghalaise cherche à imposer une nation à son image, d'où l'apparition de la rébellion tamoule en 1983.

[33]

  • L'État turc nie systématiquement les droits culturels de la minorité kurde, qualifiant simplement les Kurdes de « Turcs des montagnes ».

  • - Les populations autochtones d'Amérique latine sont censées se conformer à la culture « nationale » développée par les métis et les groupes dominants descendant des colonisateurs espagnols. Des mouvements sociaux autochtones récents réclament le droit à l'identité culturelle et parfois à l'autonomie territoriale.

  • La Constitution des Fidji promulguée en 1990 refusait aux descendants des immigrants indiens les mêmes droits civils qu'aux Fidjiens d'origine, inégalité corrigée par la Constitution révisée de 1997.

  • La nationalité malaisienne est définie constitutionnellement par les Malais, qui détiennent le pouvoir politique, au détriment de la communauté chinoise. Là où les Malais parlent de Malaisie « malaise », les Chinois et les autres minorités voudraient voir une Malaisie « malaisienne » unissant sur un pied d'égalité tous ses citoyens culturellement différents.

  • L'État français unitaire ne reconnaît pas officiellement l'existence sur son territoire de minorités régionales culturellement distinctes (Bretons, Corses ou Occitans). La République française est « une et indivisible ».

Le lien entre une culture hégémonique et les groupes culturellement différents (qu'ils soient appelés peuples, nations ou minorités) est une question complexe dont les répercussions sont importantes sur la définition et la jouissance des droits culturels. Lorsqu'un groupe ethnique est capable d'étendre son hégémonie culturelle sur d'autres groupes plus faibles, on peut dire à coup sûr qu'il y a violation de droits culturels. Dans des cas extrêmes, on a pu parler de « génocide culturel », mais cette notion n'est pas reconnue par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ni par d'autres instruments juridiques en matière de droits de l'homme [24]. Plus généralement appelé ethnocide, ce processus existe partout dans le monde [25].

Les tentatives faites par des groupes ethniques hégémoniques dans un État pour homogénéiser la culture nationale et la résistance à de telles politiques des groupes subordonnés sont en train de devenir un sujet de préoccupation internationale. Le problème a été abordé par des organes compétents des Nations Unies tels que la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. De plus [34] en plus d'États reconnaissent leur patrimoine multiculturel, et certains encouragent les différents groupes présents sur leur territoire à préserver et à développer leur culture propre. Le discours sur les droits de l'homme fait référence aussi au droit à la différence. Quand nous parlons de droits culturels, nous voulons parler de même du droit des différents groupes, au sein d'un pays, à maintenir leur identité culturelle, à développer leur culture, même (ou particulièrement) si celles-ci divergent du modèle officiel ou dominant de développement culturel établi par un prétendu « État ethnocratique ».

D'âpres discussions ont opposé « universalistes » et « contextualistes » sur la question des droits de l'homme, les premiers soutenant que la conception libérale occidentale de ces droits est universellement valable, les seconds que des cultures différentes ont des façons différentes d'envisager (ou de ne pas envisager) ces droits. En réalité, les divergences entre ces deux attitudes extrêmes ne sont pas insurmontables. La plupart des théoriciens politiques admettent aujourd'hui que la politique de droits de l'homme la plus libérale et la plus individualiste, une politique neutre, imperméable à toute espèce de différence culturelle, doit néanmoins prendre en compte de telles différences qui constituent un fait sociologique et souvent politique, quand il s'agit d'asseoir l'édifice des droits de l'homme. Dans la mesure où les identités culturelles sont structurées par l'interaction collective d'individus socialement et culturellement définis, il est évident que le respect des droits individuels des membres de minorités ou de groupes défavorisés et marginalisés doit aller de pair avec le droit de ces groupes à préserver et à développer leur propre identité. L'un de ces théoriciens, parlant du Canada, soutient que la politique libérale des droits individuels doit être élargie pour inclure une politique de la différence et de la reconnaissance [26].

Les politiques des droits de l'homme ne sont pas totalement neutres, car elles dérivent des valeurs de la culture majoritaire ou dominante d'une société donnée à un moment donné. Que ces valeurs soient dominantes ne prouve pas qu'elles soient universelles. Si l'on reconnaît que la culture est une pratique continue (plutôt qu'une « chose » établie), l'évolution de la réflexion sur les droits de l'homme dans différents contextes culturels doit être considérée comme un processus continu : un processus dialogique, bien entendu, et non pas une alternative formée de deux propositions contraires [27].

[35]

5. NORMES INTERNATIONALES
ET DROITS CULTURELS


La Déclaration universelle ne mentionne aucune minorité ni aucun groupe humain à l'exception de la famille. Au moment de son élaboration par la Commission des droits de l'homme, durant les années 1946 à 1948, certains États ont voulu inclure des dispositions spécifiques relatives aux droits culturels des minorités. Mais l'opinion prédominante a été que ces points relevaient non pas des aspects généraux des droits de l'homme, mais de questions particulières à certaines sociétés multiculturelles. Eleanor Roosevelt, présidente américaine de la Commission, déclara explicitement : « Les droits des minorités sont un problème purement européen, sans rapport avec les droits de l'homme en général [28]. » Par suite de l'incapacité de la Commission à parvenir à un consensus sur ce point, la Déclaration universelle traite du droit de chacun à participer et contribuer à la vie culturelle de la communauté dans un sens très large, qui donne lieu à diverses interprétations.

Naturellement, la manière dont les droits culturels et les droits des minorités étaient abordés dans la Déclaration universelle mécontenta plusieurs États et de nombreuses personnes. Il convient toutefois de rappeler que, à l'époque de l'adoption de la Déclaration universelle, l'Assemblée générale prit une autre résolution moins connue, où elle déclarait que « les Nations Unies ne peuvent pas demeurer indifférentes au sort des minorités » et ajoutait : « Il est difficile d'adopter une solution uniforme de cette question complexe et délicate qui revêt des aspects particuliers dans chaque État où elle se pose [29]. » Elle a alors demandé à la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des droits de l'homme de consacrer un certain temps à cette question. Après quatre décennies de débats, rapports et négociations, la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités fut enfin adoptée par l'Assemblée générale en 1992.

L'un des rares résultats concrets des premières discussions menées aux Nations Unies sur la question des minorités est l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi rédigé :

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie [36] culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.

Cet article est le seul des instruments internationaux sur les droits de l'homme à aborder de façon spécifique la question des droits culturels des minorités.

On peut y voir un premier pas vers la reconnaissance des droits des minorités culturelles, voire peut-être une évolution de la prise en compte abstraite et universelle des droits individuels de l'être humain vers l'idée de droits des groupes. Certains observateurs ont toutefois fait remarquer qu'il manquait à l'article 27 les éléments nécessaires à un instrument international pour garantir la protection des minorités et de leurs droits culturels. Certaines insuffisances ont ainsi été relevées.

En premier lieu, l'article 27 débute par cette formule : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques... » Cet énoncé laisse en suspens la question de savoir comment définir quelles sont les minorités qui existent, dans quel État en existe-t-il et qui les définira. Sachant que les États élaborent et signent des instruments internationaux pour leur propre usage, ce « comment » et ce « qui » laissent à l'évidence les gouvernements libres de déterminer si leur pays comprend ou non des minorités. Souvent, les États nient par intérêts politiques la présence de minorités sur leur territoire, alors que ces minorités aspirent à être reconnues et revendiquent leurs droits culturels. Les États d'Amérique latine, par exemple, ont longtemps rejeté l'idée qu'il y avait des minorités indigènes sur leurs territoires, quoique leur attitude à cet égard change avec les années. La non-reconnaissance du groupe culturel kurde a conduit à de graves violations des droits de l'homme à l'encontre de ces Kurdes, qui voulaient que soit reconnue leur identité culturelle. Les exemples abondent d'États refusant d'admettre l'existence de minorités sur leur territoire.

Une deuxième limite de l'article 27 tient au fait qu'il parle de personnes appartenant à des minorités, et non de groupes minoritaires en tant que tels. Les titulaires du droit énoncé dans l'article sont les individus, non les groupes. Or la jouissance d'un tel droit n'est évidemment possible que dans le cadre du groupe auquel appartient l'individu. Si l'on refuse au groupe le droit à son identité collective, on restreint ou on nie le droit de l'individu.

Le troisième problème est la forme passive de l'article. Il y est dit que les personnes appartenant à des minorités « ne peuvent être privées du droit... ». Dans sa teneur littérale, l'article 27 n'introduit pour les minorités aucun droit effectif, affirmatif, ni aucune obligation pour les États de mener à bien des politiques dans l'objectif de développer ces droits culturels. Il interdit simplement aux États de refuser ces droits aux personnes.

Ses interprétations, toutefois, ont donné à l'article 27 un contenu plus positif, notamment en matière de droits des personnes appartenant à des populations autochtones. [37] À plusieurs occasions, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a reconnu que cet article « inclut certains droits économiques et sociaux des personnes appartenant à des minorités, lorsqu'il s'agit d'activités économiques et sociales essentielles à la culture d'une communauté ethnique [30] ».

En dépit de cette lecture constructive, le contenu de l'article 27 reste insuffisant pour protéger et promouvoir les droits culturels des minorités. Sans intervention de l'État, la tendance historique générale est en effet à la destruction des cultures minoritaires par le jeu des rapports de pouvoir dans les sociétés modernes, du système économique, du poids des médias et de la presse, ainsi que des politiques éducatives courantes. Tant que les droits des minorités culturelles ne seront pas pris au sérieux et que les États et les organisations internationales ne mettront pas en place des mécanismes pour promouvoir activement, protéger et renforcer les cultures minoritaires, des cultures seront perdues, même hors de toute volonté de les détruire. Tant qu'on ne prendra pas des mesures appropriées, on verra de plus en plus de « destructions nationales » camouflées en « constructions nationales » (en d'autres termes, les « nations » sociologiques fondées sur des identités culturelles communes laisseront la place à des « nations » politiques identifiées à un « État »). Ce processus, comme je l'ai dit plus haut, est aussi mondialement connu sous le terme d’« ethnocide ».

La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques de l'Organisation des Nations Unies, adoptée par l'Assemblée générale en 1992, est plus affirmative. L'article premier proclame que « les États protègent l'existence et l'identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités, sur leurs territoires respectifs, et favorisent l'instauration des conditions propres à promouvoir cette identité [31] ».

La Déclaration, toutefois, est loin de garantir les droits collectifs des minorités culturelles. L'article 4 traite des mesures à prendre par les États « pour créer des conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités d'exprimer leurs propres particularités et de développer leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes », autrement dit leur identité. Mais il ajoute cette restriction : « ... sauf dans le cas de pratiques spécifiques qui constituent une infraction à la législation nationale et sont contraires aux normes internationales ».

Comme on l'a vu, les législations nationales sont parfois limitatives en ce qui concerne les droits culturels des minorités. Cette restriction de l'article 4 pose donc la [38] question du lien entre législation nationale et normes internationales relatives aux droits de l'homme, y compris la Déclaration elle-même. Selon Eide,

... les limites posées par la législation nationale ne doivent cependant pas excéder ce qui est permis par les textes internationaux sur les droits de l'homme. Les États ne peuvent, par le recours à leur législation nationale, interdire à des groupes de développer leur culture, à moins que ce ne soit contraire à des normes internationales. Il s'agit en particulier d'empêcher (...) que le développement d'une culture ne soit utilisé pour maintenir des traditions qui constituent les violations des droits de l'homme, comme la discrimination à l'égard des femmes, les mariages arrangés, le maintien de systèmes de castes ou d'autres formes de discrimination systématique, l'excision, ou d'autres violations des normes internationales. Le point qui est souligné et qui est essentiel dans tous les problèmes d'adaptation, c'est que des groupes ne peuvent exiger de préserver des aspects de leur culture et de leur identité qui sont incompatibles avec les normes universelles [32].

Le danger, ici, est qu'un organisme extérieur veuille se poser en juge de la culture d'autres peuples. Cette situation est catégoriquement rejetée par l'histoire récente et contredit de façon évidente le droit des peuples à l'autodétermination. Les questions soulevées par Eide sont cependant de la plus haute importance, car elles mettent en évidence la tension entre les droits universellement admis de l'être humain et les droits collectifs des peuples et des groupes. Au premier abord, du point de vue international des droits de l'homme, les droits de l'individu devraient avoir la primauté chaque fois qu'ils sont menacés par les droits du groupe (y compris les droits culturels). Il est clair toutefois que ce point ne fait pas l'unanimité. Habermas fait observer pertinemment qu'une « théorie des droits bien comprise exige une politique de reconnaissance protégeant l'intégrité de l'individu dans les contextes vécus où se forme son identité [33] ».

Un aspect qui suscite largement l'intérêt depuis quelques années est celui des droits des populations autochtones, définies comme les descendantes de celles qui habitaient un territoire avant l'arrivée de conquérants ou de colons auxquels elles ont été par la suite assujetties. À la différence des nations qui ont obtenu ou recouvré plus tard la souveraineté politique (par la décolonisation), les populations autochtones du [39] monde entier, qui ont souvent souffert de graves formes de discrimination et de marginalisation, et auxquelles la citoyenneté à part entière a souvent été refusée, réclament non seulement des droits égaux à ceux de tous les autres citoyens, mais aussi la reconnaissance de leur identité collective, c'est-à-dire de leur identité culturelle, de leur organisation sociale, de leurs liens territoriaux, et leur insertion sur un pied d'égalité dans la société. Les droits culturels collectifs occupent une place importante dans les revendications des groupes indigènes. Certains États ont commencé à reconnaître ces droits (entre autres, l'Australie, la Bolivie, le Canada et la Norvège) ; d'autres au contraire (comme le Brésil, l'Inde et le Mexique) résistent à ce concept et insistent sur la totalité « civique » de la nation, en refusant de reconnaître légalement et politiquement l'existence d'identités collectives sous-nationales.

La Convention 169 de l'Organisation internationale du travail est l'un des rares instruments juridiques internationaux à mentionner explicitement les populations autochtones. Un Projet de Déclaration sur les droits des populations autochtones (y compris les droits culturels) est en discussion à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et devrait être adopté par l'Assemblée générale avant la fin de la Décennie mondiale des populations autochtones en 2004 [34]. L'Organisation des États américains (OEA) étudie une déclaration analogue pour les Amériques. Alors que les organisations indigènes veulent être appelées « peuples », de nombreux États rejettent cette terminologie à cause de ce qu'elle implique en droit international, en particulier quant au droit des peuples à l'autodétermination, que les États ne sont pas prêts à accorder à des populations autochtones ou à des minorités. Les droits des populations autochtones sont essentiellement des droits culturels.

6. DROITS CULTURELS
ET POLITIQUES PUBLIQUES


Comment les États abordent-ils ces questions ? Dans la plupart des pays où des minorités existent, les politiques publiques visent à les assimiler ou à les intégrer au modèle dominant de la culture nationale. Dans certains cas, un tel objectif peut être partagé. Dans les pays d'immigration dont la population vient de diverses parties du monde, les immigrants peuvent effectivement souhaiter se défaire de leurs traditions pour entrer dans le nouveau melting pot. Cependant, même dans les sociétés qui ont défendu pendant des générations l'idée du creuset, cet idéal est de plus en plus critiqué. Trop souvent, les politiques d'intégration nationale et de développement culturel [40] national supposent en fait une politique d'ethnocide, c'est-à-dire de destruction délibérée de groupes culturels.

L'ethnocide diffère du génocide, qui détruit physiquement des populations, mais il est pareillement condamnable. Lorsque la future Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide était en discussion à l'ONU, on a beaucoup débattu sur la nécessité de donner une définition du « génocide culturel », mais ce débat n'eut pas de suite en raison des difficultés que cela impliquait. Aujourd'hui, le concept d'ethnocide est admis comme la définition d'un processus de destruction culturelle délibérée, même s'il n'a encore été introduit dans aucun instrument juridique international.

Si ethnocide il y a, donc, nous devrions pouvoir parler d'un droit au « contre-ethnocide » par l’« ethnodéveloppement », c'est-à-dire à des politiques conçues pour protéger, promouvoir et favoriser la culture des groupes ethniques non dominants au sein de la société, dans le cadre de l'État-nation ou de l'État multinational. L'ethnodéveloppement pourrait être un aspect du « droit au développement » proclamé par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1986.

Le développement culturel des peuples, qu'ils soient minoritaires ou majoritaires, doit être considéré dans le cadre du droit des peuples à l'autodétermination, qui, selon les normes internationales admises, est le droit de l'homme fondamental en l'absence duquel aucun autre ne peut être réellement exercé. Rappelons que l'article premier des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme pose en termes identiques le droit des peuples à l'autodétermination. Mais la communauté internationale n'est pas unanime sur les titulaires effectifs de ce droit ni sur ce qu'il suppose dans différents contextes [35].

On considère généralement que les populations des territoires non autonomes ont le droit de décider si elles veulent ou non devenir des États indépendants, tout comme ceux-ci ont le droit de conserver leur indépendance. C'est ce qu'on appelle F « autodétermination externe ». Pour les groupes ethniques et culturels vivant dans des États souverains, cependant, la question de l'autodétermination se présente différemment ; sauf circonstances exceptionnelles, le droit international ne reconnaît pas le droit à l'autodétermination des minorités à l'intérieur des États indépendants, si celui-ci est entendu comme une sécession ou comme la création d'un nouvel État indépendant.

Malgré tout, l'idée est de plus en plus défendue que les minorités ont droit à une autodétermination interne - moins territoriale que culturelle - ainsi qu'au maintien et à la préservation de leur identité propre au sein de la société nationale, droit parfois [41] assorti d'une certaine autonomie. Mais la polémique reste vive [36]. Les gouvernements craignent surtout qu'en débouchant sur un droit à la pleine indépendance politique, le droit à l'autodétermination des minorités n'entraîne l'éclatement des États existants avec la sécession, l'irrédentisme ou l'autonomie politique de ces groupes. Les intérêts de l'État l'emportent donc encore à l'heure actuelle sur les droits des populations. Certains États ont même recours à l'argument du « relativisme culturel » pour affaiblir, quand ce n'est pas pour réprimer, les droits de l'homme sur leur territoire [37].

7. LES POPULATIONS AUTOCHTONES :
LE PLAIDOYER EN FAVEUR DES DROITS CULTURELS


La lutte pour les droits des populations autochtones illustre quelques-uns des aspects discutés ici. J'évoquerai brièvement les quelque 40 millions d'autochtones des Amériques, en particulier de l'Amérique latine, où plus de 400 groupes différents ont été identifiés [38]. Les Nations Unies définissent ainsi les populations autochtones :

Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leur territoire, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Ce sont à présent des éléments non dominants de la société et elles sont déterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures les territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuple, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques [39].

[42]

Depuis 1982, le Groupe de travail sur les populations autochtones de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies élabore une Déclaration des droits des populations autochtones qui doit être soumise à l'Assemblée générale avant la fin de la Décennie mondiale des populations autochtones. De nombreuses organisations indigènes du monde entier auront pris part à l'élaboration de ce document, au côté de représentants des gouvernements. Les droits culturels y figurent en bonne place, par exemple le droit des peuples autochtones d'être protégés contre le génocide culturel et l'ethnocide ainsi que le droit « à la restitution des biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans qu'ils y aient consenti librement et en toute connaissance de cause, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes ». Ces droits de propriété intellectuelle des populations autochtones couvrent :

Leurs sciences, leurs techniques et les manifestations de leur culture, y compris leurs ressources humaines et autres ressources génétiques, leurs semences, leurs pharmacopées, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leurs dessins et modèles, leurs arts visuels et leurs arts du spectacle, que le Rapporteur spécial des Nations Unies décrit comme leur « patrimoine culturel [40] ».

On notera que tous les aspects ci-dessus entrent dans le cadre de ce que nous avons appelé droits culturels collectifs [41].

Si le Projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones ne constitue pas encore un instrument juridique international [42], ce n'est pas le cas de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail, qui a été ratifiée par un certain nombre d'États depuis son adoption par la Conférence générale de l'OIT en 1989. La Convention 169 stipule que les populations autochtones « doivent avoir le droit de conserver leurs coutumes et institutions dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux définis par le système juridique national et avec les droits de l'homme reconnus au niveau international ».

[43]

Les luttes pour les droits des populations autochtones se placent sous l'égide de ces textes internationaux, qui fournissent un cadre à des instruments régionaux plus spécifiques et à de nouvelles législations nationales en préparation dans un certain nombre de pays d'Amérique latine [43]. Pendant des siècles, les populations autochtones d'Amérique latine ont été opprimées, exploitées et marginalisées sous des régimes coloniaux durs. Depuis l'Indépendance (au début du XIXe siècle), ces populations constituent une sous-catégorie sociale (paysans pauvres pratiquant une agriculture de subsistance, travailleurs itinérants et ouvriers agricoles réduits à l'état de serfs), négligée et ignorée par les classes dirigeantes désireuses d'édifier un État-nation moderne. Ces États ont été bâtis grâce au travail indigène et, même si les Indiens ont été officiellement considérés dans certains pays comme des citoyens à l'égal des autres, ils n'ont pas eu accès à la plupart des attributs de la citoyenneté à part entière. Au cours de ce siècle, les politiques gouvernementales se sont efforcées (avec un certain succès) d'assimiler et d'intégrer les populations indiennes dans un modèle dominant non indien. Les identités indiennes ont tout de même survécu, perduré et dans certains cas prospéré. En Bolivie et au Guatemala, les populations indiennes sont démographique-ment majoritaires. Dans d'autres pays, par exemple l'Equateur, le Mexique et le Pérou, elles représentent des minorités importantes, en particulier dans certaines régions où leur densité démographique est élevée. Les Indiens ne constituent plus seulement une population rurale : les changements économiques et des migrations massives les poussent en nombre croissant dans les grandes aires métropolitaines, où les identités indigènes subissent une transformation rapide.

Dans ce contexte, il n'y avait plus qu'à attendre que les populations autochtones commencent à s'organiser sur le plan social et politique, revendiquent leurs droits fondamentaux, mettent en cause les politiques gouvernementales établies et exigent une juste représentation au sein des structures politiques. Ce processus a débuté dans les années i960 et 1970 et, en l'espace de deux décennies, les populations autochtones sont devenues de nouveaux acteurs sociaux et politiques en Amérique latine. La revendication de leurs droits culturels est désormais un puissant principe mobilisateur. Elles réclament la reconnaissance de leur identité, l'emploi de leur langue en public, une éducation bilingue et multiculturelle, l'accès aux médias, la protection de leurs biens intellectuels et de leur patrimoine culturel, la maîtrise de leurs ressources naturelles, le respect de leur organisation sociale et politique traditionnelle, ainsi que la reconnaissance de leurs systèmes juridiques coutumiers dans le cadre des législations nationales.

[44]

Parmi les revendications les plus pressantes des organisations indigènes d'Amérique latine figurent le droit des peuples à l'autodétermination et le droit à l'autonomie. Dans sa version originale anglaise, la Déclaration de Vienne (1993) emploie l'expression « indigenous people » au singulier et non « peoples » au pluriel, différence sémantique d'une grande portée politique pour les organisations indigènes. Comme le droit international n'accorde pas le droit à l'autodétermination aux populations autochtones (ni aux minorités), les États repoussent l'utilisation de la formule « indigenous peoples » au pluriel dans les instruments juridiques internationaux. Pour des raisons contraires, les organisations indigènes insistent sur ce point. Toutes ces questions font partie du combat politique d'aujourd'hui en Amérique latine, et les acteurs intellectuels et politiques indiens y jouent un rôle de plus en plus important [44].

L'Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Nicaragua et le Paraguay sont au nombre des pays qui ont adopté depuis le début des années 1980 de nouvelles constitutions ou des amendements à leur Constitution faisant référence aux droits culturels autochtones. D'autres États ont promulgué des dispositions législatives de portée plus ou moins grande concernant leurs populations autochtones. En 1996, un accord de paix a mis fin au Guatemala, après des négociations acharnées, à une guerre civile de trente années dont les majorités indigènes avaient été victimes ou acteurs. Les droits culturels des peuples autochtones occupent dans cet accord une place cruciale. Au Mexique, les agriculteurs autochtones de l'État du Chiapas qui ont pris les armes contre le gouvernement national en 1994 ont revendiqué leur autonomie et leurs droits culturels lors de négociations de paix qui n'avaient toujours pas abouti en 2000. Dans de nombreux cas locaux et régionaux, un ou plusieurs droits culturels collectifs sont en jeu dans un pays latino-américain ou dans un autre, principalement dans le domaine de la langue et les politiques éducatives. Les choses sont plus complexes et délicates en matière de droits territoriaux, de maîtrise des ressources naturelles ou de propriété intellectuelle et de droit coutumier.

8. CONCLUSION :
VERS UNE CITOYENNETÉ MULTICULTURELLE


Dans le combat des pays d'Amérique latine pour redéfinir leurs relations avec les populations autochtones, donc se redéfinir eux-mêmes, s'est imposé le concept de citoyenneté culturelle ou multiculturelle. J'entends par là la reconnaissance des peuples [45] autochtones en tant que peuples possédant leur propre statut juridique et le droit à l'autodétermination : la reconnaissance des communautés indigènes en tant que sujet de droit public doté de l'autonomie, celle des langues autochtones en tant que langues nationales, la délimitation de territoires autochtones protégés, le droit de gérer leurs ressources et leurs projets de développement, le respect de leurs normes internes d'administration locale et de leurs droits coutumiers, la liberté culturelle et religieuse au sein de la collectivité, ainsi que la participation et la représentation politique aux niveaux régional et national. Il ne s'agit pas seulement de garantir des droits individuels et collectifs dans le cadre des structures nationales existantes, mais de redéfinir la notion même d'État et de nation. La citoyenneté culturelle, pour les populations autochtones, devrait se référer à deux principes essentiels : l'unité de l'État démocratique et le respect des droits de l'individu au sein des collectivités et entités autonomes qui pourraient être créées. Ni le libéralisme individualiste pur ni la structure corporatiste d'États centralisateurs (comme il en existe en Amérique latine) ne répondent aux exigences d'une citoyenneté multiculturelle ; celle-ci n'est possible que par la pratique démocratique, le dialogue, la tolérance et le respect mutuel.

Face à certains des problèmes évoqués plus haut, l'argumentation en faveur d'une citoyenneté culturelle ou multiculturelle est apparue comme une approche constructive des droits culturels des groupes dans l'État-nation moderne. L'anthropologue Renato Rosaldo et ses confrères, par exemple, défendent la nécessité d'une citoyenneté culturelle pour les populations hispaniques des États-Unis d'Amérique, autrement dit, la revendication et la reconstruction des espaces sociaux et géographiques des communautés de « Latinos » :

La citoyenneté culturelle intervient dans un champ d'inégalités structurelles où les prétentions dominantes à une citoyenneté universelle supposent que le sujet est le mâle blanc possédant et, de façon générale, ne veulent pas voir que cela exclut et marginalise les populations différentes par le sexe, la race, la sexualité ou l'âge. La citoyenneté culturelle concerne non seulement les exclusions et les marginalisations des dominants, mais aussi les aspirations des subordonnés et leur définition de l'affranchissement [45].

[46]

En outre, la citoyenneté culturelle suppose une autonomisation, « un processus d'élaboration, d'instauration et d'affirmation de droits humains, sociaux et culturels ». Elle doit être perçue comme « une large gamme d'activités quotidiennes par lesquelles les "Latinos" et d'autres groupes réclament une place dans la société et finalement revendiquent leurs droits... [elle] tient compte du potentiel d'opposition ainsi que de restructuration et de réorganisation de la société [46] ».

Dans le même ordre d'idées, l'historien péruvien Rodrigo Montoya propose que la « citoyenneté ethnique » soit reconnue aux populations autochtones qui veulent utiliser leur propre langue et reproduire leur propre culture au sein de la société [47].

Du point de vue de la théorie politique, Kymlicka plaide pour une forme de citoyenneté différenciée dans des sociétés multiculturelles comme le Canada, dont les différentes identités devraient être reconnues, en vue non pas de morceler une nation fragile mais au contraire de l'intégrer et de la renforcer : « Des valeurs communes ne suffisent pas pour assurer l'unité sociale... L'élément manquant semble être la notion d’identité commune (...) découlant d'une communauté d'histoire, de langue et peut-être de religion. Or, ce sont justement ces aspects qui ne sont pas partagés par tous dans un État multinational. » Kymlicka invite les États libéraux à « garantir l'égalité entre les groupes et la liberté et l'égalité à l'intérieur des groupes [48] ». De même, le philosophe Charles Taylor estime que « le libéralisme ne peut et ne devrait pas prétendre à une totale neutralité culturelle ». Il propose au sein des sociétés multiculturelles une politique de « reconnaissance mutuelle [49] ». Toujours dans l'optique libérale, Spinner plaide pour une nouvelle forme d' « intégration pluraliste » des groupes culturelle-ment différents aux États-Unis d'Amérique [50].

Les droits culturels des différents groupes ethniques présents dans les États existants peuvent ainsi être envisagés dans le contexte des luttes ethnonationalistes, ou bien dans l'optique d'une citoyenneté libérale. Le fait que la revendication collective de droits culturels entre dans l'une ou l'autre de ces catégories dépend des circonstances [47] et l'une et l'autre ne s'excluent pas forcément. Le pluralisme n'est qu'une des politiques capables de satisfaire la revendication de la différence culturelle. La citoyenneté multiculturelle constitue un cadre nouveau, porteur d'autonomisation et de participation accrue pour les communautés défavorisées, alors même que les États-nations sont mis au défi de revoir la perception traditionnelle qu'ils ont d'eux-mêmes et qu'ils ont souvent inscrite dans leur législation.



[1] Ce texte est une version révisée de mon article « Cultural Rights and Universal Human Rights », dans A. Eide étal. (dir. publ.), Economic, Social and Cultural Rights, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1995, pp. 63-77.

[2] Voir la Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale proclamée par la Conférence générale de l'UNESCO le 4 novembre 1966.

[3] A. Eide, op. cit., pp. 233-238.

[4] L. V. Prott, « Cultural Rights as Peoples' Rights in International Law », dans J. Craw-ford (dir. publ.), The Rights of Peoples, Oxford, Clarendon Press, 1988, pp. 92-106.

[5] I. Brownlie, « The Rights of Peoples in Modem International Law », dans Crawford (dir. publ.), The Rights of Peoples, op. cit.

[6] La Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles stipule notamment que :

1. toute culture représente un ensemble de valeurs unique et irremplaçable puisque c'est par ses traditions et ses formes d'expression que chaque peuple peut manifester de la façon la plus accomplie sa présence dans le monde ;

2. l'affirmation de l'identité culturelle contribue donc à la libération des peuples. Inversement, toute forme de domination nie ou compromet cette identité. Conférence mondiale sur les politiques culturelles : Rapport final, Paris, UNESCO, 1982.

[7] Résolution 47/135 de l'Assemblée générale, 18 décembre 1992.

[8] T. Buergenthal, International Human Rights, St. Paul, Minnesota, West Publishing Go., 1988, p. 49.

[9] S. P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997. Selon l'auteur, le terme de « civilisation universelle » renvoie à des hypothèses, des valeurs et des doctrines qui sont fréquentes dans la civilisation occidentale et qu'il appelle la « culture de Davos » (par allusion au Forum économique mondial annuel organisé en Suisse par les élites financières du monde occidental).

[10] Selon la Commission mondiale de la culture et du développement, 10 000 sociétés différentes vivent dans quelque 200 États. Notre diversité créatrice, Rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement, Paris, Éd. UNESCO, 1996.

[11] Voir par exemple F. Barth, Théorie de l'ethnicité, suivie de Les groupes ethniques et leurs frontières, Paris, PUF, 1995 ; R. Ellis et A. Wildavsky, Cultural Theory, Boulder, Westview Press, 1990.

[12] E. Hobsbawm et T. Ranger (dir. publ.), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; B. Anderson, L'imaginaire national, Paris, La Découverte, 1996.

[13] UNESCO, op. cit., p. 25 ; L'éducation : un trésor est caché dedans, Rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le XXIe siècle, Paris, Éditions UNESCO, 1996, p. 42.

[14] A. Neak Luk, « The Linguistic Aspect of Ethnie Conflict in Yugoslavia », dans P. Akhavan et R. Howse (dir. publ.), Yugoslavia, the Former and Future, Genève, UNRISD, 1995, p. 119.

[15] R. Stavenhagen, « The Right to Cultural Identity », dans J. H. Burgers et al. (dir. publ.), Human Rights in a Pluralist World. Individuals and Collectivities, Londres, Meckler, 1990, pp. 255-258.

[16] UNESCO, Notre diversité..., op. cit., p. 26.

[17] J. H. Burgers, « The Function of Human Rights as Individual and Collective Rights », dans Burgers et al. (dir. publ.), op. cit., pp. 63-74.

[18] Sur les lignes de faille entre civilisations, voir S. P. Huntington, op. cit.

[19] Organisation des Nations Unies, Département de l'information, 1987. Is Universality in Jeopardy ?, New York, Nations Unies, 1997.

[20] Pour une critique du relativisme dans les droits de l'homme ainsi que des droits collectifs et des droits des peuples d'un point de vue individualiste et universaliste, voir J. Donnelly, UniversalHuman Rights in Theory and Practice, Ithaca, Cornell University Press, 1989, p. 109-124 et, du même auteur, « Third Génération Rights », dans C. Brôlmann et al. (dir. publ.), Peoples and Minorities in International Law, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993.

[21] American Anthropological Association, « Statement on Human Rights », American Anthropologist, vol. 49, n° 4, octobre-décembre 1947, pp. 539-543. On notera la formulation antérieure à la reconnaissance de la problématique homme-femme.

[22] W. Connor, « Nation Building or Nation Destroying », World Politics, vol. 24, n° 3, 1972.

[23] La Commission mondiale de la culture et du développement dit à ce sujet : « Ce ne sont pas seulement les attitudes qui sont ici en jeu. C'est aussi une question de pouvoir. La domination ou l'hégémonie culturelle passe souvent par l'exclusion des groupes subordonnés. La distinction entre "nous" et "eux" et le sens qui lui est donné ont une origine sociale ; cette distinction s'appuie fréquemment sur des arguments pseudo-scientifiques invoqués par un groupe pour exercer le pouvoir sur un autre et justifier à ses propres yeux l'exercice de ce pouvoir. » UNESCO, Notre diversité..., op. cit., pp. 25-26.

[24] À l'époque où l'adoption de la Convention sur le génocide était en discussion à l'ONU, certains États souhaitaient y inclure le crime international de génocide culturel. Voir F. Ermarcora, « The Protection of Minorities before the United Nations », dans Academy of International Law, Recueil des cours, vol. 182, La Haye, Martinus Nijhoff, 1984, p. 312-318.

[25] R. Stavenhagen, The Ethnic Question. Conflicts, Development and Human Rights, Tokyo, United Nations University Press, 1990, pp. 85-92.

[26] C. Taylor et al, Multiculturalism, Princeton, Princeton University Press, 1994.

[27] « C'est précisément pourquoi il faut une approche plus dynamique de la compréhension des droits de l'homme, qui mette l'accent sur l'interaction et la détermination mutuelle des facteurs et relations "internes" et "externes", et reconnaisse le rôle central joué par l'action et la conscience humaines. » A.-B. Preis, « Human Rights as Cultural Practice : An Anthropological Critique », Human Rights Quarterly, vol. 18, n° 2, 1996, p. 313.

[28] F. Ermacora, Der Minderheitenschutz in der Arbeit der Vereinten Nationen, Vienne-Stuttgart, W. Braumûller, 1964, p. 32.

[29] Voir Organisation des Nations Unies, The United Nations and Human Rights, New York, Nations Unies, Département de l'information, 1984, p. 116.

[30] A.-C. Bloch, « Minorities and Indigenous Peoples », dans A. Eide, C. Krause et A. Rosas (dir. publ.), Economic, Social and Cultural Rights, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1995, p. 315.

[31] Résolution 47/135 de l'Assemblée générale, 18 décembre 1992.

[32] A. Eide, Peaceful and Constructive Resolution of Situations Involving Minorities, Oslo, Norwegian Institute of Human Rights, 1994.

[33] J. Habermas, « Struggles for Recognition in the Democratic Constitutional State », dans C. Taylor et al. (dir. publ.), Multiculturalism, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 113.

[34] Texte en annexe A.

[35] Voir C. Tomuschat (dir. publ.), Modem Law of Self-Determination, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993.

[36] Hannum, 1990 ; R. Stavenhagen, « Self-Determination : Right or Demon ? », Stanford Journal of International Affairs, vol. 2, n° 2, 1993, pp. 1-12 ; Tomuschat, op. cit.

[37] Argument que présente Pollis en comparant le dossier des droits de l'homme en Afrique et en Asie, où l'accent a été fortement mis sur la « différence culturelle ». A. Pollis, « Cultural Relativism Revisited : Through a State Prism », Human Rights Quarterly, vol. 18, n° 2, 1996.

[38] On estime qu'il existe dans le monde de 100 à 200 millions de populations autochtones, concentrées surtout en Asie du Sud (où elles sont connues sous le nom de populations « tribales »). On les trouve également en Afrique, en Europe et dans le Pacifique, ainsi que dans les Amériques.

[39] Nations Unies, E/CN. 4/Sub. 2/1986/7/Add. 4. Il s'agit d'une définition proposée par le Rapporteur spécial J. M. Cobo dans un document intitulé « Etude du problème de la discrimination à l'égard des populations autochtones », établi pour la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Cette définition a été reprise entièrement ou en partie dans un certain nombre de documents de l'ONU, notamment dans le Projet de Déclaration sur les droits des populations autochtones.

[40] Nations Unies, E/CN. 4/Sub. 2/1993/28.

[41] Pour une analyse théorique des droits des populations autochtones, voir R. Stavenhagen, « Indigenous Rights : Some Conceptual Problems », dans E. Jelin et E. Hershberg (dir. publ.), Constructing Democracy : Human Rights, Citizenship and Society in Latin America, Boulder, Westview Press, 1996.

[42] Il était encore débattu par un groupe de travail ouvert à tous de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en 1998.

[43] L'Organisation des États américains prépare un projet de déclaration régionale sur les droits des autochtones.

[44] R. Stavenhagen, « Indigenous Peoples : Emerging Actors in Latin America », dans Ethnie Conflict and Governance in Comparative Perspective, Washington, Woodrow Wilson International Center for Scholars, 1995 (Working Paper, 215).

[45] R. Rosaldo, « Cultural Citizenship, Inequality and Multiculturalism », dans W. V. Flores et R. Benmayor (dir. publ.), Latino Cultural Citizenship, Boston, Beacon Press, 1997, p. 37. Flores et Benmayor ajoutent : « Pour les "Latinos", la communauté est essentielle à la survie, pas seulement en termes de voisinage ou de lieux géographiques, mais aussi en termes d'identité collective... Les "Latinos" se sont organisés à l'échelle du quartier ou de la ville pour leur identité culturelle, leur survie en tant que groupe et leur représentation politique. »

[46] Flores et Benmayor, op. cit., pp. 14-15.

[47] R. Montoya, « La ciudadanfa étnica como un nuevo fragmento en la utopfa de la libertad », dans Gonzalez Casanova et P. et M. Roitman Rosenmann (dir. publ.), Democraciay Estado multiétnico en America Latina, Mexico, UNAM, 1996.

[48] W. Kymlicka, Multicultural Citizenship, Oxford, Clarendon Press, 1995, pp. 118-194.

[49] Taylor et al, op. cit., pp. 62-73.

[50] J. Spinner, The Boundaries of Citizenship. Race, Ethnicity, and Nationality in the Libéral State, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1994.


Retour au texte de l'auteur: Rodolfo Stavenhagen, sociologue, El Colegio de Mexico. Dernière mise à jour de cette page le samedi 22 février 2020 8:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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